Plainte déposée en septembre 2005 par Cyril Khider
contre l’administration pénitentiaire
Au loin, j’ai vu un monstre.
M’approchant, j’ai vu un homme.
Lui parlant, j’ai trouvé un frère.
Proverbe indien
Monsieur,
Veuillez trouver, ci-joint copie de la plainte déposée par mes soins contre l’administration pénitentiaire pour agression sexuelle et atteinte à la dignité humaine.
J’ai déposé cette plainte, aidé de mon avocat maître Boesel, auprès des instances internes qui l’ont classée sans suite. C’est pour cette raison que nous nous portons partie civile dans ce dossier pour que plus jamais ce genre d’acte de barbarie ne soit à nouveau perpétré par des agents de l’administration pénitentiaire. Je suis en outre obligé de vous raconter mon parcours carcéral de ces quatre dernières années pour que cous compreniez bien l’urgence de la situation actuelle.
En août 2001, je suis incarcéré après avoir tenté de délivrer mon frère Christophe à l’aide d’un hélicoptère au-dessus des prisons de Fresnes ; à partir de ce moment et jusqu’à aujourd’hui, je ne dois ma survie qu’à la mobilisation de ma mère, gravement malade, qui anime avec ses amis une petite radio associative se faisant le relais de l’intérieur des prisons, ce qui permet à un petit groupe de gens de savoir, en partie, ce qui se passe intra-muros, obligeant ainsi le personnel pénitentiaire à plus de mesure lors de leurs exactions.
Cyril Khider
Dès ma sortie de l’isolement [à la prison de Nanterre], j’ai eu droit à la visite d’un groupe de surveillants qui étaient, d’après leurs propos outrés que je sois en détention dite « normale ». Certains d’entre eux m’ont promis de sévère représailles : « Ce que tu as fait au collègue, tu vas le payer amèrement ; tôt ou tard on te crèvera, crois-nous, tu vas le regretter, jamais nous ne te laisserons respirer à nouveau l’air de la liberté, etc. »
Tous m’ont promis de me mener la vie impossible en essayant de me faire craquer, ce qu’ils ont en partie réussi à faire. Aucun de mes courriers pour dénoncer cet état de fait n’a réussi à franchir l’enceinte de la prison, ce dont je me suis rendu compte il y a peu. Je pensais qu’en dehors du courrier des proches et des mais, qui m’arrivait en pointillé, se faisant de plus en plus rare, les lettres « officielles » parvenaient à leur destinataire. Assurer sa défense en prison est impossible si on espère saisir les instances internes par le biais du courrier. C’est un mode de recours illusoire : même les lettres avocats sont ouvertes, quand elles ne disparaissent pas purement et simplement.
Durant ce séjour à la prison de Nanterre, aucune activité ne m’a été accordée, pas d’accès à la scolarité ni au sport malgré mes nombreuses demandes. Régulièrement, des coups violents étaient assénés dans la porte de ma cellule pendant mon sommeil, et cela à toutes les heures de la nuit, ce qui, vous l’imaginez, me faisait battre le cœur à tout rompre. Cela a duré plus d’un mois, jusqu’à ce que l’administration pénitentiaire me transfère sur la prison de Fleury-Mérogis (Essonne). C’est sous prétexte fallacieux de préparation d’une tentative d’évasion et sans aucune preuve pour accréditer cette thèse que tous mes transferts seront justifiés ; il deviendra l’argument numéro un pour justifier les mesures ultra-coercitives et autres subtilités liberticides tendant à faire craquer un individu. JE vous rappelle que ces fausses allégations ont été portées moins d’un mois après ma sortie de l’isolement, ce qui permet de souligner l’affabulation évidente des surveillants.
C’est donc en décembre 2001 qu’à peine arrivée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, les surveillants me tiennent à s’y méprendre le m^me discours que leurs collègues de Nanterre, à savoir : « Pour toi, ici, il n’y a rien à espérer, à part les deux promenades quotidiennes prévues par le règlement tu n’auras rien, et il vaudrait mieux que tu marches la tête baissée parce que l’on n’hésitera pas à te faire la peau... » Dès la première nuit, lors de la ronde, je suis réveillé en sursaut par des coups de pied violents dans la porte de la cellule ; ils se poursuivront une bonne partie de la nuit ainsi que les nuits suivantes. Au bout de vingt jours de ce régime, je décide faute d’autre choix, de monter au quartier disciplinaire, leur précisant que je n’en sortirais que lorsque j’aurais été transféré dans une autre maison d’arrêt de la région parisienne, dans l’espoir que ces procédures dignes de tortionnaires rompus à une discipline barbare cesseraient.
A l’époque, le directeur général de Fleury-Mérogis me demande d’intégrer un autre bâtiment de la tripale, me précisant que je ne serais plus « importuné ». J’ai donc pris sur moi de sortir du quartier disciplinaire pour tenter de retrouver un semblant de tranquillité. Cela n’a duré en tout et pour tout qu’un ou deux mois, juste le temps nécessaire à ce que je récupère mon souffle. Puis, un agent n’a rien trouvé de mieux à faire que me ramener en retard au parloir deux fois consécutives ; je n’ai rien dit, espérant que cela ne se reproduirait pas. Mais, suite à la seconde fois, la même agent m’a refusé l’accès à la cour de promenade auquel je pouvais prétendre à l’issue du parloir de vingt minutes. Il prétextait que des personnes ayant eu la même série de parloirs ne peuvent accéder à la promenade ensemble, alors que le règlement interne stipule que si le temps restant après le parloir est égal ou supérieur à trente minutes, comme c’était précisément le cas à cet instant, la promenade pouvait avoir lieu ; il restait trente minutes avant la fin de la promenade, et tous les détenus présents au parloir dans la même série que la mienne ont pu accéder à la cour de promenade.
J’ai donc prévenu le surveillant que, la prochaine fois, je me couperais les veines et qu’il serait seul responsable de cela.
L’agent a d’abord rigolé en me disant que je lui rendrais service, puis, pour se couvrir, il a mis un rapport d’incident, prétextant que je l’avais menacé de mort. Je suis donc passé en commission disciplinaire et j’ai été placé dans le quartier du même nom. A la fin de cette sanction, j’ai refusé catégoriquement de sortir du mitard. Au bout d’un mois, j’ai reçu la visite du directeur, qui m’a de nouveau demandé de sortir du quartier disciplinaire, m’indiquant qu’il avait fait le nécessaire pour que je sois transféré dans un autre établissement. J’ai accepté, mais à la condition que je retourne à l’isolement pour ne pas retrouver le personnel encadrant la détention dite « normale », afin d’éviter un quelconque affrontement. Je lui ai expliqué, au passage, les sévices physiques et moraux subis quotidiennement, comme le manque de sommeil, les crachats dans la nourriture et les nombreuses menaces, dont je fait l’objet, lui précisant que je n’étais pas sûr de pouvoir me contrôler lors des prochaines exactions de son personnel vu que mon seuil de résistance personnelle était atteint. Je me suis donc retrouvé durant un mois environ au quartier d’isolement de Fleury-Mérogis.
J’arrive au début de l’été 2002 à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Je suis reçu par la direction de l’établissement qui me précise qu’en son enceinte, personne n’est au courant des motifs de mon incarcération et que tout se passera bien. Dès le lendemain, chaque surveillant vient se « présenter » à moi, certains d’entre eux me font remarquer qu’ils étaient en poste à la maison d’arrêt de Fresnes, celle où a été perpétrée la tentative pour laquelle je suis incarcéré. Tous ne me disent pas clairement qu’ils comptent me nuire ; avec subtilité, ils me le font comprendre terminant toutes leurs phrases par : « On t’a à l’œil. » Pour les plus virulents d’entre eux, j’ai droit à de nouvelles menaces de mort, des promesses de me faire les misères nécessaires pour me faire craquer, de s’en prendre à ma famille en leur refusant l’accès au parloir sous divers prétextes dont le plus récurrent est : « madame, vous vous êtes trompée dans la prise de vos rendez-vous. » Ils agissent principalement de la sorte avec mon épouse qui vient avec ma fille prématurée dans les bras. Ma mère, elle, se serait empressée de faire un scandale en pareille situation, suivi d’un dépôt de plainte, ce que les agents ne sont pas sans savoir. Ils me répètent sans cesse à toute heure du jour et de la nuit : « On en a fait craquer des plus durs que toi. » j’ajoute que dans cet établissement, mon linge de corps est régulièrement souillé par des substances soit grasses, soit sucrées, avec en prime une fois sur deux des traces de chaussures prouvant l’acharnement des agents.
Quelques jours avant mon mariage, ma mère m’a fait remettre une chemise offerte pour l’occasion par un ami de mon frère qui travaille dans la livraison de sang et d’organes et qui y a laissé une vieille puce téléphonique qu’il croyait définitivement perdue et déclarée comme telle, donc inutilisable. Je me rappelle que mon épouse aurait pu me donner cette puce au cours d’une visite si une quelconque préméditation était en cause. De retour dans ma cellule, j’ai trouvé celle-ci sens dessus dessous, pâtes vidées à même le sol, café, riz, sucre également vidés à même le sol, briques de lait éclatées contre le montant de mon lit et vaguement essuyées avec mes serviettes de toilette.
Le même jour à 21 heures, deux inspecteurs de ka police criminelle, deux maîtres-chiens avec leur animal respectif et une dizaine de surveillants du plus gradé au simple surveillant ont investi ma cellule pour procéder à la perquisition des lieux, déjà retournés par certains agents. Evidemment, ils n’ont rien trouvé se rapportant à la puce inexploitable trouvée dans la chemise sus-citée.
D’ailleurs, mon épouse n’a pas été inquiétée, puisque ma mère a appelé le commissariat pour faire savoir aux policiers que le propriétaire de la puce se déplacerait dans la journée ; ce qu’il a fait sans tarder, clôturant ainsi cette malheureuse affaire.
Néanmoins, environ une quinzaine de jours plus tard, j’ai été placé à l’isolement à la demande du directeur de Villepinte.
C’est précisément à cette période qu’a commencé pour moi le véritable calvaire. Dès l’instant où je me suis retrouvé à huis clos avec les surveillants, la situation a basculé dans l’horreur. J4ai été soumis à de nombreuses brimades, dont des restrictions alimentaires, le tutoiement est devenu systématique, un bon de cantine sur quatre m’était accordé, pour ne pas attirer l’attention de la compatibilité, je suppose. A plusieurs reprises, j’ai découverts des crachats et autres immondices dans mes « repas » servis par l’administration pénitentiaire. Provocations non-stop, fouille de la cellule et fouille à corps quotidiennes, à toute heure du jour et de la nuit, insultes permanentes derrière la porte, assorties de coups de pied. C’est à cette époque que je sens ma raison vaciller et que, pour ne pas perdre pied, je décide de leur répondre en les insultant chaque fois que j’entends l’un d’entre eux proférer des menaces de mort à mon encontre ou celle de ma famille. Ces tortionnaires m’en donnent de suite l’occasion puisque, le soir même, ils me font croire qu’ils ont pénétré dans la cellule pendant mon sommeil, faisant des bruits de clefs dans la porte. Je suis en sueur tant la tension est grande, je les sais prêts à tout, je pense que ma dernière heure est venue quand, dans le noir, j’imagine le nombre. Je suis à bout. Quelques secondes plus tard, je comprends qu’ils sont en fait dans le couloir lorsque je les entends s’éloigner en ricanant. Je me mets à hurler comme un animal blessé, puis, sortant complètement de mon sommeil, je me mets à les insulter. Ces images ne me quittent plus depuis cette nuit de cauchemar éveillé, je ne dors que d’un œil entre chacune de leurs insultes nocturnes.
Souvent, pendant la palpation obligatoire avant chaque mouvement, certains surveillants me touchent volontairement les parties intimes pour provoquer une réaction de ma part. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à avoir des réactions violentes envers mes bourreaux ainsi que des idées de suicide, sans penser à la mort ; des troubles de la vision ont commencé à apparaître, des migraines insupportables, des troubles de l’audition sont également apparus, j’ai réclamé plusieurs fois venue d’un psychiatre ou d’un psychologue, en vain.
Un beau matin, je suis changé de bâtiment (isolement) vers 8h30 du matin ; comme la télé que j’ai payée est restée dans le bâtiment précédent, j’insiste pour qu’on me la ramène ; à 11 heures, n’ayant toujours pas obtenu satisfaction, je demande à ce qu’un gradé vienne régler le litige. Je tiens à préciser que, dans ce bâtiment, aucun cadeau n’est fait à l’isolé s’il lui manque ne serait-ce qu’un seul centime d’euro, il ne bénéficie pas d’un téléviseur durant quinze jours, même si entre-temps, un mandat est arrivé sur son compte. J’ai décidé de ne pas lâcher l’affaire, il en va de ma santé mentale.
J’insiste donc une partie de la journée jusqu’à ce que le chef de détention arrive accompagné de plusieurs agents ; il est sous l’emprise de l’alcool, c’est évident, il me dit de fermer ma gueule et me fait empoigner pour m’amener au quartier disciplinaire à titre préventif pour tapage. Devant tant de mauvaise foi, je me mets à l’insulter, le traitant d’un tas de noms d’oiseaux, lui déversant un flot de rage contenue, le traitant de bourreau en chef, lui disant que je le retrouverais dehors. Après avoir dessaoulé, il a porté plainte.
J’ai par la suite été condamné à cinq mois de prison ferme et 600 euros de dommages et intérêts. Lorsque j’ai essayé d’expliquer au juge du tribunal de Bobigny les raisons des menaces et insultes, elle n’a rien trouvé de mieux à me rétorquer que mon seuil de tolérance était peu élevé !!!
Pour renforcer l’argumentaire factice de la partie civile, mon chef d’accusation (tentative d’évasion) a été évoqué une fois de plus pour souligner que c’était une circonstance aggravante.
D’ailleurs, à ce jour, toutes les brimades, menaces, et autres comportements délétères à mon encontre se justifient par la qualification de mon mandat de dépôt, de même que mon maintien en quartier d’isolement est nécessaire voire vital. Après avoir subi pendant environ dix mois la vengeance institutionnelle, la torture démocratique, puisque personnes ne semble s’inquiéter outre mesure de ces nouvelles pratiques carcérales malgré les courriers de ma mère malade aux différents ministères concernés ainsi qu’une dénonciation publique lors du premier colloque à l’Assemblée nationale, le 1er décembre 2004, sur le thème « les prisons et l’Europe », organisé par Christine Boutin.
Il y avait là, parait-il, plus de 250 personnes présentes quand ma mère a pris la parole : donc, questions témoins il y a de quoi faire, personne ne semble s’émouvoir outre mesure de ce qui se passe dans nos prisons. Il est bien plus facile de donner des cours de morale à des pays comme l’Irak quand un(e) soldat(e) humilie un prisonnier.
J’ai donc pris la décision d’aller une nouvelle fois au quartier d’isolement, histoire de sauver ma vie ainsi que pour obtenir un nouveau transfert pour trouver un peu de tranquillité. Je précise qu’à la prison de Villepinte, tous les soirs, j’étais privé de mon nécessaire de toilette, de mon bas de pantalon et de mes chaussures, été comme hiver. C’est donc en caleçon et en chaussettes que j’ai passé mes nuits. Aucun joint à la fenêtre, ce qui m’empêchait d’avoir chaud l’hiver, même sous les couvertures. Il m’aura fallu faire treize jours de cachot pour obtenir un nouveau transfert.
A force d’être menacé, j’ai fini par répondre en piquant une crise de colère, m’en prenant aux choses plutôt qu’aux agents ; je me suis retrouvé enchaîné, entravé par des chaînes aux pieds, conduit au parloir couvert de sang et trempé des pieds à la tête, vu que j’avais saccagé ma cellule en réponse à mes tortionnaires ; c’est dans ces conditions que je suis allé au parloir voir ma femme, qui m’y attendait.
Ma mère a saisi l’OIP (Observatoire international des prisons), qui s’est rendu sur place et est intervenu.
Par contre, arrivé à la maison d’arrêt d’Osny, j’ai pu constater que les chefs, d’une manière générale, faisaient en sorte d’éviter tout débordement et tout problème, ce qui n’empêchait pas certains surveillants de me réveiller la nuit, soit en claquant les œilletons contre les portes, soit en allumant la lumière durant de longues minutes jusqu’au réveil des détenus. A ce moment, nous sommes plusieurs à subir le joug vengeur de l’administration. Cela a duré six mois sans réel problème.
Le 8 novembre 2003, je suis transféré sur la maison d’arrêt de Rouen, soit à 130 km de chez moi, cet éloignement ne visait qu’à la rupture des liens familiaux dans la mesure où mes proches, par manque de moyens (argent, voiture, santé), auraient dû abandonner les visites. J’ajoute que ma fille Sara, qui vient de naître ne pèse que 960 grammes, ce qui signifie largement le fait que je ne veuille pas qu’elle prenne des risques contaminants dans les transports en commun en venant me visiter avec sa mère. Quant à ma propre mère, elle subit des transfusions régulières de plaquettes sanguines en relation avec sa pathologie ; elle est en effet atteinte du Sida depuis très longtemps, soit au moins vingt-quatre ans, puisque ma petite sœur est née contaminée en 1981. Or, rien n’est fait pour aider cette gamine, qui n’est responsable en rien de l’incarcération de ses frères mais paie un lourd tribut à la justice ainsi qu’à l’administration pénitentiaire qui précipite le pronostic de morbidité en l’envoyant se fatiguer dans des trajets usants et mortifères, puisque le pronostic vital et également engagé.
Je rappelle en outre que mon épouse est inscrite sur la liste d’attente des greffes du rein. J’ai donc, toujours à contrecœur, intégré une cellule du quartier disciplinaire où l’on m’a laissé croupir durant quatre-vingt-quinze jours, alors que la loi ne prévoit que quarante-cinq jours de cette ultime mesure de rétorsion. Trois mois et cinq jours dans à peine 4 mètres carrés sans un seul jour dehors ; j’ai cru devenir fou, mais j’ai perdu un peu plus de 10 kilos.
Durant cette période, après une altercation avec un surveillant à cause du manque de sommeil provoqué par le maintien d’un projecteur allumé en permanence la nuit, j’ai eu droit à un repas avec des asticots en guise d’assaisonnement. Dans ce quartier disciplinaire, les fouilles à corps s’effectuent systématiquement à nu avant et après chaque promenade, l’humiliation y est permanente et quotidienne, et si je désirais aller en promenade grillagée, il fallait que j’accepte que les agents me volent mes CD et mélangent mon linge propre avec le sale durant mon absence de la cellule.
J’ai été transféré de nouveau sur la région parisienne, à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine). Dès mon arrivée, j’ai fait l’objet de la part des surveillants du quartier d’isolement de provocations multiples et de plus en plus poussées sur l’échelle de la crapulerie : vols permanents dans mon paquetage pendant mes séjours au cachot, tee-shirt, short, chaussettes, caleçons. Un surveillant m’a même bousculé pour provoquer une rixe à laquelle je n’ai pas donné prise, toutes mes séances de sport ont été annulées sous des prétextes fallacieux, plus toutes les menaces de mort proférées clairement ou par sous-entendus, en présence de témoins pour ces derniers. Je suis resté trois mois avant d’être à nouveau transféré à la prison de Fleury-Mérogis.
C’est e n2004, en plein été, que j’arrive qu bâtiment D5 de Fleury-Mérogis, construit sur le modèle américain. Je suis placé à l’isolement, où tout m’est interdit, je passe sur les provocations verbales qui finissent par me faire craquer et insulter ceux qui les préfèrent, entraînant inévitablement de nouvelles sanctions disciplinaires. Par exemple, un soir, un valeureux surveillant vient nous insulter derrière la porte lors de sa ronde : « Bande de pédés, vous rigolez moins maintenant qu’on a le droit de porter des cagoules pour vous matraquer la gueule, vermines, chiens que vous êtes, etc. »
Les autres isolés et moi-même avons répondu à ces insultes par des insultes. Sur deux détenus ayant pris un compte rendu d’incident, je suis le seul à avoir été condamné. Je n’ai pas souhaité être assisté de mon conseil car je connaissais l’issu du « procès » interne, et je n’ai pas voulu comparaître devant ce pseudo-tribunal. J’ai donc été sanctionné de quinze jours de mitard.
A mon arrivée au quartier disciplinaire, je suis passé comme chaque fois à la fouille réglementaire ; une fois nu, le responsable de la fouille me demande de me retourner, de me baisser, de tousser devant l’auditoire, ce à quoi je refuse catégoriquement de me soumettre par un refus clair et net : « Je ne me baisse pas et je ne tousse pas. » A ce moment précis, une demi-douzaine de surveillants me sautent dessus, m’immobilisent en me plaquant au sol et commettent une agression sexuelle en ce sens que l’un des gardiens, après avoir enfilé une paire de gants en latex, m’a écarté les fesses sur l’ordre d’un brigadier présent. A ce jour, une plainte a été déposée contre eux, et cela fait plus d’un an que j’attends d’être entendu par les services de police, alors que pour le brigadier saoul de Villepinte qui avait porté plainte contre moi pour insultes, ça n’avait mis que quinze jours pour que je sois entendu et moins de quatre mois pour être jugé et condamné. Depuis le jour de cette agression sexuelle, j’ai véritablement atteint mes limites, décidé de rendre la justice moi-même, je suis parvenu au bout de ce qu’un être humain peut encaisser en termes de torture. Ma mère a tellement argumenté pour que je porte plainte et que je transcende la vengeance en un ultime combat pour ma vie que j’ai fini par le faire, sans m’illusionner outre mesure. Elle m’a dit que, si je ne portais pas plainte, ce serait comme une sorte de consentement mutuel, que les agents bourreaux réitéreraient ce genre de viol collectif, et aussi que si j’en attrapais un ou deux pour leur faire du mal, cela me soulageait sur le coup mais n’empêcherait en rien qu’ils recommencent sur d’autres.
Depuis ce « viol » de mon intimité, je n’ai pu me regarder dans le miroir pendant des mois, et aujourd’hui je suis toujours sous le choc : cauchemars, angoisses, stress dû à l’idée qu’une telle violence physique et morale se reproduise un jour. A l’issue de cette fouille éhontée, j’ai eu le pouce du pied droit cassé et sûrement des côtes fêlées suite à la violence de l’altercation. J’ai alors fait état de ce qui s’était passé au médecin présent, qui a catégoriquement refusé de m’ausculter et de me fournir un certificat médical faisant état des ecchymoses, blessures et possibles séquelles résultant de la fouille musclée subie quelques jours auparavant. Heureusement que la France est le berceau des droits de l’homme, sinon qu’est-ce que cela serait ? Je suis donc repassé au prétoire pour avoir répondu verbalement aux surveillants qui m’ont torturé, et j’ai repris quinze jours de cachot.
Quelque temps après, toujours au QHS de Fleury-Mérogis (D5), suite à d’autres insultes proférées à mes tortionnaires, j’ai de nouveau subi une fouille dégradante à laquelle j’ai refusé une nouvelle fois de me soumettre. Suite à cette altercation avec mes bourreaux de la fouille, le midi même, après avoir ingurgité le « repas », je suis tombé dans un sommeil profond et comateux qui s’est prolongé toute la journée. A mon réveil, j’ai été pris de nausées, de vomissements, de coliques. A l’époque, j’en ai fait part à mon conseil, qui n’a visiblement pas pris mon récit au sérieux. Il était pourtant exclu que j’en fasse part au médecin présent, puisque c’était le même qui m’avait refusé l’auscultation et le certificat médical le mois précédent.
J’avoue que des pensées de suicide se sont de nouveau manifestées, mais, en les analysant, je me suis rendu compte que jamais je n’ai eu envie de mourir, j’avais juste envie de faire cesser cette douleur morale infligée par le rouleau compresseur et vengeur de l’appareil pénitentiaire. C’était cela au des actes sauvages de « légitime violence ». C’est en pensant à ma fille, ainsi qu’à mes proches, que j’ai choisi de continuer à combattre debout, comme je l’ai toujours fait depuis le premier jour de mon incarcération.
A la suite de nombreux incidents, j’ai été transféré à la maison d’arrêt de Liancourt, dans laquelle je suis resté deux mois sans réels problèmes. J’ai ensuite été transféré sur la maison d’arrêt de la Santé à Paris où e ne suis resté que huit jours au prétexte que trop de types de même profil se trouvaient dans cet établissement. J’ai donc été transféré de nouveau à Fleury-mérogis, cette fois-ci au bâtiment D1, en détention dite « normale » puisque mon avocate a eu gain de cause devant le tribunal administratif pour un délai non respecté par l’administration pénitentiaire sur une mesure de placement à l’isolement.
Comme à chaque fois que j’ai eu la possibilité de me trouver en détention classique, aucun problème de comportement n’a été constaté. Par contre, à chaque fois, les problèmes ont recommencé, dès que les huis clos avec les surveillants a ét émis en place. Tout à coup, d’après les dires de mes tortionnaires, je devenais dangereux, démoniaque, incontrôlable, etc.
Après huit mois d’un comportement irréprochable, j’ai été transféré de nouveau à la maison d’arrêt de Rouen, celle-là même d’où je vous écris et où j’avais passé quatre-vingt-quinze jours dans moins de 4 mètres carrés pour obtenir un rapprochement familial. Nous sommes le 15 septembre 2005 et mon procès est prévu pour mai prochain. Cet éloignement, outre le fait d’essayer de faire exploser les liens familiaux, lèse en priorité les libertés fondamentales de la défense, en m’empêchant de préparer sereinement celle-ci.
Faute de moyens financiers, nous ne payons pas notre avocate, qui bénéficie de l’aide juridictionnelle, donc du minimum ; je ne puis lui demander de payer les voyages de sa poche afin de parcourir 130 kilomètres pour venir me voir et m’aider à travailler sur mon dossier.
Je précise que le dossier étant fermé, rien ne justifie le blocage de mon courrier, de celui de ma femme en particulier, alors que cette dernière est inscrite sur la liste des greffes du rein comme je l’explique plus haut, ce qui m’angoisse au plus haut point.
Encore une fois, c’est la famille qui est précise en otage, je rappelle que ma petite sœur Lyndia est l’enfant la plus âgée à être encore en vie après une contamination mère enfant. Si cela ne s’appelle pas de la torture, comment qualifiez-vous ces exactions, ces actes de barbarie, de vengeance et d’acharnement mortifère ?
Je vous remercie par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à ma lettre, et il me semble nécessaire de souligner la notion d’urgence et de détresse dans laquelle ma famille et moi nous nous trouvons. J’insiste sur le fait que ma vie ainsi que celle de ma famille est gravement menacée, ce que les agents de l’administration pénitentiaire, sous le sceau de l’impunité, nous font largement savoir. J’ajoute que, pour épuiser tous les autres recours, il faudrait que mon courrier puisse sortir et arriver, qu’intra-muros ces recours sont un mode illusoire, que ce présent courrier est l’exception qui confirme la règle, et que si personne n’intervient, mille fois ma famille ou moi avons le temps de mourir et de venir grossir les statistiques.
Merci d’ores et déjà pour toute l’aide que vous voudrez m’apporter.