- TROISIEME PARTIE -
RELATIONS ET COMMUNICATION :
UN AXE FONDAMENTAL DE L’ACTION ASSOCIATIVE
Pour fonctionner efficacement et ainsi faire aboutir leurs objectifs, les associations se doivent, elles aussi, d’être ouvertes sur l’"extérieur".
En cela, elles entretiennent des relations avec l’administration pénitentiaire. En effet, à moins de caricatures, la "pénitentiaire" ne représente pas un ennemi pour les associations ; c’est plutôt le système qu’elles critiquent et qu’elles cherchent à faire évoluer. Cependant, on ne peut pas réfléchir à l’évolution du phénomène social qu’est la prison sans y impliquer la société civile. Pourtant, face aux enjeux du système carcéral, cette dernière ne se sent que très peu concernée, d’où la nécessité pour les associations d’effectuer un important travail de sensibilisation.
CHAPITRE 1- Les relations entretenues entre associations et administration pénitentiaire
L’administration pénitentiaire s’ouvre de plus en plus sur l’extérieur, et attache notamment une grande importance au travail associatif qu’elle reconnaît comme complémentaire à sa propre mission de réinsertion. De là est née une coopération indispensable, qui laisse néanmoins une autonomie suffisante aux associations. Cette autonomie s’avère d’ailleurs essentielle dans la mesure où le milieu associatif exerce un certain contrôle sur l’administration pénitentiaire.
Section 1- Entre autonomie, complémentarité et coopération
Les liens existants entre les associations et l’administration pénitentiaire sont nombreux : liens financiers, humains, complémentarité dans l’action. Il faut cependant garder à l’esprit que ce sont deux milieux, au point de vue parfois différent, qui se côtoient ; une reconnaissance mutuelle est donc nécessaire.
I- Un partenariat financier souvent nécessaire
Il faut, tout d’abord, différencier les associations qui agissent en vue de la réinsertion sociale des détenus (GENEPI, ANVP, Secours Catholique, Courrier de Bovet, ARAPEJ, etc.) de celles qui ont uniquement un but revendicatif.
En effet, les premières entretiennent des rapports placés principalement sous le signe du partenariat avec l’administration pénitentiaire. Elles poursuivent, toutes deux, une mission de réinsertion sociale des détenus et, en ce sens, doivent collaborer. Cependant, si ces associations sont dépendantes des pouvoirs publics en ce qui concerne leur financement, et de l’administration pénitentiaire en ce qui concerne l’accès aux établissements pénitentiaires, l’administration est consciente de la carence de ses services à l’égard de sa vocation de réinsertion et de l’effectivité des interventions des associations. Il existe donc une certaine complémentarité entre ces deux partenaires, dans leur mission et dans leur action.
Le lien financier entre associations et pouvoirs publics est très important, puisqu’une grande majorité des associations perçoivent des subventions qui s’avèrent indispensables à la poursuite de leur activité. Ces subventions sont substantielles car elles représentent entre 20 et 40% des ressources de chaque association.
Elles proviennent d’horizons différents : en général, du ministère de la justice (en ce qui concerne le GENEPI), mais également du ministère de l’éducation nationale (CLIP), de la DDASS (43% des ressources de l’Ilot ; l’ARAPEJ). Ajoutons à cela les subventions des collectivités territoriales (départementales ou régionales), qui sont allouées aux associations par l’intermédiaire de leurs délégations.
Bien entendu, l’étendue de ces subventions dépend des besoins des associations, notamment au niveau de l’équipement mais aussi au niveau des frais de fonctionnement. Une associations comme l’ANVP nécessite des frais de fonctionnement moindres qu’une association comme l’Ilôt qui gère des centres d’accueil et d’hébergement pour les sortants de prison (les subventions de l’ANVP représentent 20% de ses ressources, 43% pour l’Ilôt, sachant que 86% des ressources sont investies dans le fonctionnement de ces établissements sociaux). Concernant ces établissements sociaux, leur construction est financée par les pouvoirs publics, qui laissent aux associations le soin de les gérer. En contre partie, un contrôle est effectué par le commissaire aux comptes qui s’assure de la transparence des comptes.
D’autres associations, plus axées sur le militantisme, ne perçoivent pas de subventions publiques. L’OIP fonctionne grâce à des dons, à des financeurs privés venant de secteurs très divers (Agnès B., Carrefour, etc.), et aux ventes des produits internes (Guide du prisonnier, revue "Dedans-Dehors, etc.). L’Observatoire se veut totalement indépendant des pouvoirs publics. Il est vrai que sa vocation de dénonciation et de revendication ne pourrait souffrir du moindre contrôle de la part de l’Etat.
Cependant, une association comme Aides reçoit des subventions publiques, ce qui ne l’empêche pas de faire valoir son point de vue sur le système carcéral. L’unique inconvénient que pourrait engendrer une relation financière serait de limiter les moyens d’action des associations (en l’occurrence, pour Aides, l’organisation de réunion auprès des détenus), mais jamais les pouvoirs publics ne pourraient les contraindre à ne pas s’exprimer.
II- Une coopération facilitée par une reconnaissance mutuelle
A/ Des relations humaines parfois délicates
Depuis maintenant 20 ans les associations entrent en prison, et l’administration pénitentiaire a fait d’importants efforts pour développer les moyens leur permettant d’assurer leur mission. La "pénitentiaire" s’efforce notamment de mettre à la disposition des associations tous les moyens susceptibles de les aider à former ceux de leurs membres qui le souhaitent. C’est ainsi qu’en particulier l’ENAP (Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire) et de nombreux fonctionnaires participent régulièrement aux assemblées générales, séminaires de formation ou colloques nationaux, organisés par les associations, telles que l’ANVP, le GENEPI, l’ARAPEJ, AUXILIA, le Courrier de BOVET, etc.
En effet, on a eu longtemps tendance, dans l’administration et les services, à cantonner les intervenants extérieurs dans des secteurs d’activités considérés comme annexes ou résiduels. Pourtant, cette intervention doit être perçue comme indispensable, dans son principe, auprès de la population carcérale, et complémentaire dans ses modalités de tâches accomplies.
Prenons comme exemple le GENEPI pour illustrer les relations entretenues avec l’administration pénitentiaire. Cette association a été créée sous l’égide de l’Etat, dans une logique d’ouverture des prisons sur le monde extérieur. Mr. Giscard d’Estaing s’adressa au milieu estudiantin en ces termes : "le volontariat n’est pas un moyen commode de résoudre les perpétuelles insuffisances budgétaires par le recours à la main d’oeuvre gratuite et de qualité ; c’est un moyen de montrer à tous qu’une société ne vit pas uniquement sur des relations d’argent, de contraintes et d’incitation".
Il est vrai que les membres des associations accomplissent tous leur mission en tant que bénévoles (seuls les administrateurs sont parfois rémunérés). Or, dans une société marchande où tout se vend, l’acte non rémunéré monétairement est dévalorisé et parfois suspect.
Le bénévolat en milieu pénitentiaire fait ainsi parfois l’objet de reproches de la part du personnel salarié. On les taxe, notamment, d’amateurisme, d’irrégularité dans leur action. Or, comme nous l’avons vu précédemment, il appartient aux professionnels de former les bénévoles. Mais le principal reproche des salariés touche à la concurrence de l’emploi, pourtant c’est souvent le bénévole qui fait ressortir le besoin d’un poste. Cependant, d’une manière générale, le personnel pénitentiaire est conscient de la nécessité du travail associatif, sans lequel ses carences ne seraient que plus profondes.
Il est évident que le nombre de travailleurs sociaux des établissements ne s’est pas accru en proportion de celui des intervenants extérieurs ; de fait, si beaucoup de génépistes sont parvenus à coordonner leurs prestations (formation, culture...) avec les enseignants ou les travailleurs sociaux, d’autres comme les visiteurs "classiques" demeurent souvent sans relation régulière avec le service socio-éducatif, faute de temps mais aussi bien souvent d’organisation.
Les génépistes ont conscience de ne pas être des professionnels, cependant ils font preuve d’un certain enthousiasme et d’une grande motivation dans la réalisation de leur tâche. Quant aux travailleurs sociaux, il en va parfois autrement, car s’ils voient au début la prison comme un lieu où l’on peut améliorer les individus, ils se heurtent vite à des réalités quelque peu décourageantes. Les génépistes reprochent aux travailleurs sociaux de déconsidérer leur travail. Mais, les éducateurs professionnels et les assistantes sociales représentent une autorité légitime auprès de laquelle ils pourront trouver écoute et conseils.
Ils ont également conscience que la tâche de ce personnel est difficile, et que leur nombre, souvent dérisoire, jouent négativement sur leur disponibilité mais aussi sur la réalisation de leur travail. Ce manque de coordination avec le service socio-éducatif limite l’action des génépistes. Le nombre de détenus désirant avoir accès à l’enseignement dépasse largement le nombre de génépistes intervenants. Et nombreux sont les adhérents qui attendent plusieurs mois leur laissez-passer pour intervenir : les établissements, selon que leur politique s’axe ou non sur la réinsertion, acceptent plus ou moins bien les intervenants extérieurs. Les détenus sont alors triés sur le volet, donc les génépistes ne touchent qu’une minorité.
Les rapports avec les surveillants sont encore plus délicats. En effet, le maintien de l’ordre et de la sécurité (mission principale de l’administration pénitentiaire dans les faits) ne s’oppose-t-il pas plus ou moins à l’augmentation des contacts entre la prison et la société civile ? Le Secours Catholique a rencontré quelques difficultés pour mettre en place un service de vestiaire et ce, sous la pression des surveillants. Dans "Le monde des surveillants de prison" , les auteurs montrent que la tâche des surveillants ne consiste que très peu en une mission de réinsertion ou de punition dissuasive, mais plutôt en la gestion d’un quotidien carcéral dont elle assure la pérennité. Deux valeurs sont donc nécessaires au bon déroulement des interventions par des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire : le respect et l’humilité. Les deux notions sont reliées au fait que les surveillants, de par leur tâche, se sentent déconsidérés au sein de la prison, déconsidération d’autant plus dure à vivre lorsqu’ils se heurtent à la mission valorisante des génépistes : oeuvrer en vue de la réinsertion des détenus.
B/ La nécessité d’un dialogue permanent
L’administration pénitentiaire est omniprésente tout au long de la mission poursuivie par les associations. Il est donc évident que l’association tirera bénéfice de bonnes relations avec les services pénitentiaires. Plus l’administration sera coopérative et confiante, plus elle s’engagera à faciliter le travail de l’association, en faisant connaître à son personnel la présence de ces intervenants et, aux détenus la possibilité d’en bénéficier par l’intermédiaire du service socio-éducatif.
Cette coopération se concrétise parfois par un engagement officiel. Le CLIP a notamment mis au point, avec le ministère de la Justice, une "convention de partenariat". De la même manière, en 1993, le directeur de l’administration pénitentiaire rédigeait, en collaboration avec l’ANVP, la "charte du visiteur de prison", à travers laquelle la "pénitentiaire" reconnaît la nécessité de la présence d’intervenants extérieurs pour participer à la réinsertion des détenus. Ainsi, de la coopération de l’administration pénitentiaire dépend la crédibilité des associations qui doivent assurer une qualité d’intervention dans les établissements. Ceci force les associations à exiger de leurs membres une certaine rigueur d’exécution (ponctualité, régularité, etc.). A cet égard, le GENEPI fait signer à ses adhérents une charte qui correspond à un contrat d’engagement.
Cette coopération ne peut donc se faire que par le biais d’un dialogue permanent. Pour cela, il doit dépasser le cadre national pour s’inscrire dans un cadre régional et départemental, par l’intermédiaire des délégations associatives qui obéissent au découpage de l’administration pénitentiaire (les 9 régions pénitentiaires : Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse). En multipliant ses interlocuteurs, l’association élargit son domaine d’action. Cependant, chaque directeur d’association aboutit au même constat : les relations entretenues entre les associations et les établissement pénitentiaires varient selon la personnalité du chef d’établissement. La diplomatie est donc de rigueur pour ne pas se voir fermer les portes.
Section 2- Les associations carcérales : un palliatif à l’absence de contrôle sur l’administration pénitentiaire
La "pénitentiaire" reste encore aujourd’hui une administration toute puissante dans le sens où aucun contrôle, extérieur et indépendant, ne s’exerce sur ses agissements. A défaut d’un contrôle institutionnel, les associations tentent de rendre transparent ce qui se déroule derrière les murs.
I- Une administration incontrôlée
Peu de progrès ont été faits sur la question du contrôle des prisons, en France, depuis le XIXe siècle.
Les commissions de surveillance, dont le rôle est défini à l’article D.180 du code de procédure pénale, sont bien loin de faire l’unanimité. En effet, elles n’utilisent pas toutes leurs prérogatives. Les personnes qui les composent n’y siègent que peu de temps ; le suivi n’est donc pas parfait. De plus, ces commissions ne contrôlent pas les établissements de manière approfondie : leur visite se fait peu à l’improviste, elles écoutent et commentent ce que le directeur veut bien leur dire. Et lorsqu’elles se permettent de faire une recommandation, elles ne viennent que rarement vérifier si elle est appliquée.
Des personnes appartenant à des oeuvres sociales ou portant un intérêt aux problèmes pénitentiaires et post-pénaux doivent y participer. Les membres associatifs, qui font partie des commissions, déplorent alors le manque de communication qui ne leur permet pas d’effectuer une surveillance adéquate. Par exemple, les associations n’ont pas connaissance à l’avance des dates de réunion de la commission. Elles demandent alors à pouvoir se réunir préalablement, donc à ce que les dates leur soient communiquées, en disposant également de l’ordre du jour.
Force est de constater que de gros efforts sont à mettre en oeuvre afin que ces commissions cessent de ressembler à une parodie de surveillance.
Un seul contrôle extérieur est apparu avec le Comité de prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants. Cette instance européenne effectue régulièrement des visites dans les prisons, mais ne rend publics ses rapports qu’en cas d’accord de l’Etat concerné. Autant dire qu’un Etat, qui a des agissements à se reprocher, n’acceptera jamais la publicité du rapport le concernant. En outre, le contrôle du Comité n’a pas un caractère permanent et ne porte que sur les mauvais traitements, non sur les conditions de détention en général.
En France, on reste donc persuadé qu’il suffit de confier le contrôle des prisons aux juges. Pourtant, quand ces derniers sont saisis de plaintes de détenus, ils ont toujours des difficultés à venir instruire et demander des comptes à une autorité administrative avec laquelle ils travaillent quotidiennement, dans une logique de partenariat. Ainsi, les quelques recours de détenus devant l’autorité judiciaire sont, le plus souvent, limités et inefficaces (la personne est fréquemment sortie de prison avant que sa requête n’aboutisse).
Afin d’améliorer cette situation, Mme Guigou a proposé d’élaborer un code de déontologie pour le personnel pénitentiaire, ainsi que l’affichage de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans les prisons. Parallèlement à cela, un projet, allant dans le sens d’un contrôle, a été amorcé, mais n’a malheureusement pas abouti.
La création, prochainement, d’un Conseil supérieur de la déontologie de la sécurité, instance indépendante qui pourra être saisie à la demande de tout citoyen victime d’un abus de pouvoir de la part de membres de force de l’ordre, aurait enfin donné la possibilité de contrôler, de manière indépendante, les agissements d’une administration pénitentiaire toute puissante. Mais les syndicats de surveillants et une partie de la "pénitentiaire" acceptent très difficilement un droit de regard sur leur fonctionnement. Le ministre de la justice a probablement cédé à une pression, en demandant au premier ministre d’exempter les personnels pénitentiaires du contrôle du futur Conseil. La décision du Garde des Sceaux est une décision d’échec, qui résulte d’un rapport de force instauré de longue date entre le ministère et l’administration pénitentiaire.
D’autres types de dispositifs seraient cependant utiles aux détenus. Ils pourraient consister en un mécanisme de recours extrêmement rapides, qui puissent intervenir sur des conditions de vie quotidienne. Par exemple, la Hongrie et le Royaume-Uni ont mis en place un système d’"ombudsman", à savoir une personnalité indépendante responsable devant le Parlement, qui est saisie directement par courrier, peut donner des réponses rapides et détient un pouvoir d’intervention directe sur des cas particuliers. Bien sûr, il a également un pouvoir d’enquête générale et fait chaque année un rapport au Parlement sur l’état des prisons.
Cependant, si le contrôle du Conseil n’a pas été accepté, ce genre de mécanisme ne saurait l’être non plus. Reste alors le milieu associatif qui tente de rendre bien réelle la démocratie.
II- Vers une transparence de l’administration pénitentiaire grâce aux associations
Par le biais de leurs revendications, les associations attirent l’attention sur les problèmes rencontrés de manière récurrente en milieu carcéral. Ce travail de transparence va encore plus loin grâce aux rapports annuels de l’OIP, ainsi qu’à la publication "Dedans-Dehors". Tous deux font état d’actes répréhensibles qui ont lieu en prison. Un directeur et des surveillants ont été renvoyés, des comportements racistes en étaient la cause. Ces faits avaient été dénoncés par l’OIP, mais on ne sait si la réaction de l’administration pénitentiaire a été due aux dénonciations de l’Observatoire ou si elle s’en est servie pour enrayer des situations existantes déjà connues. Grâce à ces initiatives, la "pénitentiaire" sait que d’autres savent et cherchent à faire savoir.
Face à ces critiques et dénonciations qui dérangent, l’administration pénitentiaire tente de se protéger en rendant la tâche de l’OIP plus difficile. L’observatoire, organisation encore jeune, n’entretenait au départ aucune relation avec l’administration pénitentiaire. Les méthodes de travail qu’elle emploie (rendre publique l’information sans l’aval de l’AP) engendraient une méfiance réciproque. Mais, la parution, en 1996, du guide du prisonnier a permis de faire évoluer cette situation. L’administration pénitentiaire a pris conscience que l’OIP était devenu incontournable. Les chefs d’établissements ont pourtant plus ou moins bien reçu l’ouvrage. Mais, le directeur de l’AP a fait parvenir une circulaire aux directeurs régionaux (n°432 du 15 novembre 1996), selon laquelle l’ouvrage "ne contenant aucune menace contre la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires" ne saurait être retenu. Malgré tout, la circulaire se termine en indiquant que l’ouvrage "ne peut servir de base à aucune réclamations", mettant ainsi en doute les informations même si ces dernières sont reconnues dans l’ensemble exactes.
On peut également rappeler la réaction hostile de l’administration lors de la journée mondiale des droits de l’homme, le 10 décembre 1997. Durant cette journée, l’OIP avait organisé une distribution de guides du prisonnier, par des personnalités. L’administration pénitentiaire avait donné son accord afin que des personnes extérieures entrent en prison, pour remettre personnellement les guides, et ce, en présence des média. Pourtant, dans un grand nombre d’établissements, la presse n’a pas été autorisée à entrer. On peut regretter cette réaction, surtout quand on sait qu’aux Etats-Unis, où le régime pénitentiaire n’a rien d’enviable, des journalistes entrent régulièrement en détention. C’est dire que nombreux sont encore ceux qui, au sein de l’AP, refusent qu’un regard extérieur se porte sur la prison.
Les associations travaillent donc pour une transparence de l’administration pénitentiaire. On peut considérer cela comme un contre-pouvoir qui s’auto-mandate afin de contrôler ce qui se passe en détention. Le GENEPI, par exemple, a intégré cette notion de contrôle dans sa Charte : "Le GENEPI, association citoyenne, attachée au respect des Droits de l’Homme, a le devoir de rendre compte de leurs violations éventuelles" Cependant, ce contrôle n’est évidemment pas assorti de sanctions, et si certaines interviennent parfois, c’est toujours de manière indirecte.
Ces associations citoyennes représentent l’expression populaire à la base et deviennent le support d’une réelle démocratie qui vient se heurter à l’action politique et sociale de l’Etat. Celui-ci ne peut, dans l’état actuel de notre société, que permettre l’expression de cette liberté, mais en même temps, il reste vulnérable face à cette expression qui bouscule le système pénitentiaire, voire politique. Ceci explique la réaction de l’Etat qui cherche à contrôler le phénomène associatif. L’institution de la loi de 1901 en a été le premier pas : légalisant la liberté d’association, il la permet en l’encadrant.
L’engagement associatif survivra tant que la liberté d’expression restera possible, et il continuera à questionner nos systèmes, démocratiques, voire à les ébranler en intervenant tant sur le plan des lois que sur le terrain. Le danger pour l’Etat n’est pas si important ; il l’est plus pour les hommes politiques et les tenants du pouvoir. C’est avant tout sur ce terrain, celui du pouvoir, que le militantisme associatif, contre-pouvoir nécessaire à l’évolution sociale, peut être perçu comme dangereux. Il faut donc en être conscients pour permettre sa perpétuation, là encore les associations oeuvrent dans ce sens.
CHAPITRE 2- Sensibilisation et prise de conscience de l’opinion publique ou comment faire émerger un débat sur le phénomène carcéral
La prison est encore un sujet tabou dans la société actuelle. L’intérêt porté par les politiques et les citoyens demeure limité. Des opérations de sensibilisation et d’information sont d’ores et déjà mises en oeuvre par le milieu associatif, cependant les moyens utilisés restent à développer pour toucher l’ensemble de l’opinion publique.
Section 1- Evaluer l’appréhension des citoyens sur le système pénitentiaire
I- Une enquête menée par le GENEPI
Au-delà des actions d’enseignement et d’animation en détention, le GENEPI développe des activités visant à l’amélioration du contexte économique, social et psychologique de la réinsertion des personnes incarcérées. L’association mène notamment à ce titre des actions d’informations et de sensibilisation du public, touchant au domaine de la prison et de la justice (débats, diffusion de films, publications, etc.). Il apparaît en effet essentiel que la société soit en mesure de contribuer à l’insertion sociale des personnes qu’elle condamne, sans quoi le sens de la peine s’en trouve affecté. Cependant, pour informer les citoyens convenablement, encore faut-il déterminer dans les grandes lignes ce qu’ils savent de l’institution pénale ou plutôt quelle vision ils en ont. Si un certain nombre de travaux ont déjà été menés pour évaluer comment les français appréhendent la justice, aucun n’a encore permis de dresser un tableau des connaissances et des représentations qu’ils ont de la prison. Partant de ce constat, il a semblé intéressant au GENEPI d’établir une première base de données sur les connaissances qu’ont les français de la prison.
Pour mener un projet répondant au mieux aux critères techniques et scientifiques de ce type d’étude, le GENEPI a proposé au service de communication, d’études et des relations internationales (SCERI, ministère de la Justice, administration pénitentiaire) d’assurer un suivi et une assistance dans la réalisation de ce projet.
Par ailleurs, deux cents étudiants du GENEPI ont participé à l’enquête en interrogeant, entre mars et avril 1995, plus de deux mille français sur l’ensemble du territoire métropolitain. La phase d’enquête sur le terrain fut donc en elle-même une opération d’information et de sensibilisation du public de grande envergure, marquée par de nombreuses et longues conversations entre les enquêtés et les étudiants. Le questionnaire tente d’aborder les différents aspects de la prison en mélangeant des questions appelant une réponse quantitative ou juridique précise ("Combien de personnes sont aujourd’hui incarcérées en France ?", "A partir de quel âge un mineur peut-il être incarcéré ?") à quelques questions faisant appel à l’opinion des enquêtés ("Le travail en prison est-il souhaitable ?"). Les thèmes principaux ressortant du questionnaire sont relatifs au cadre de détention, aux droits des détenus, à la population incarcérée, au personnel de surveillance et à la sécurité, ainsi qu’à la prison et la justice de manière générale. Un certain nombre de variables à propos des enquêtés (par exemple : âge, sexe, professions, niveau de diplôme, etc.) ont également été pris en compte.
Cette enquête n’a pas eu pour objectif d’être une sorte de test de connaissances. Son but était d’apporter des éléments d’analyse sur l’appréhension de la prison, mal connue alors qu’elle représente un phénomène social fortement symbolique au coeur du système de régulation sociale.
II- Le constat découlant de l’enquête
Un premier regard sur les réponses des enquêtés permet d’affirmer que les connaissances sur la prison sont globalement faible quelque soit le domaine et ce, même en se satisfaisant de réponses approximatives.
On remarque que la population incarcérée est largement surestimée, ainsi que la part des femmes incarcérées et le niveau scolaire des détenus. Les images du cinéma américain sont tenaces : les détenus mangeraient en réfectoire pour 78% et seraient séparés de leur visiteur au parloir pour 83% des personnes interrogées. Concernant le travail en prison, si la quasi totalité des enquêtés l’estime possible, 14,5% le pensent encore obligatoire et 16,7% estiment qu’il n’est pas rémunéré. Quant aux surveillants, 60,6% pensent qu’ils sont armés en détention, ce qui est faux.
Pourtant, la prison est une institution connue de tous dans le sens où chacun sait qu’elle existe, qu’elle est un lieu d’enfermement, de privation de liberté. Elle fait partie du vocabulaire simple : le terme "prison" est acquis rapidement par l’enfant entre trois et quatre ans, notamment parce qu’il est présent dans les jeux (jeu de l’oie, monopoly, marelle, etc.) et surtout dans le vocabulaire imagé et symbolique. Le poids du symbole influe sur les représentations et les connaissances de la prison. En effet, habituellement, une opinion sur un fait sociologique se construit à partir des connaissances d’un individu qu’il apprécie au regard de ses propres valeurs. Or, pour ce qui concerne la prison, l’équation s’inverse : les connaissances n’existant pas, elles sont construites à partir d’une idée préconçue. Cette opinion dépend elle-même des valeurs symboliques contenues dans le terme "prison". Il faut en quelque sorte que la description de la prison corresponde au mieux avec sa représentation imagée et symbolique, sinon c’est le sens même du symbole qui est affecté. C’est ainsi que l’enquêté cherche dans ses réponses à ne pas trop s’éloigner des valeurs caractéristiques qu’il se construit de la prison. Comparée à d’autres institutions toutes aussi importantes pour leur rôle social (le Parlement, les tribunaux, l’Ecole, etc.), la prison peut-être, a priori, beaucoup plus facilement décrite en termes simples : on sait ce qu’est une prison, on est même souvent capable de dire où elle se situe dans sa ville (84,4% de bonnes réponses). Seulement, les connaissances semblent le plus souvent ne pas dépasser "l’image d’Epinal".
Malgré cela, les enquêtés ont incontestablement une approche critique de la prison. Une majorité importante se dégage pour considérer que : les conditions de détention sont plutôt mauvaises ; les droits de l’homme ne sont pas suffisamment respectés ; une détention provisoire de 6 mois est trop longue, voire inacceptable. Corrélativement à cette opinion critique, 64,4% des enquêtés estiment que certains délits ne justifient pas l’incarcération pourtant prévue par la loi et 66,6% que la prison doit évoluer.
Toutefois, il faut nuancer cette vision critique en remarquant que si une large majorité d’enquêtés ne souhaite pas que la prison reste telle qu’elle est, en revanche seuls 38,8% estiment que la prison devrait avoir un régime plus souple alors que 36,3% souhaitent que le régime soit plus strict. Ces chiffres tendent à montrer que les opinions sur la prison sont assez confuses (certainement par manque de connaissances).
D’autre part, un pourcentage conséquent (11,1%) d’enquêtés adopte une attitude détachée vis-à-vis des questions posées, préférant s’abstenir de répondre, alors que les individus plus engagés, qui donnent des réponses, ont plutôt tendance à se tromper, ce qui semble les conduire à nourrir une vision peut-être un peu trop optimiste de l’univers carcéral.
Ces résultats confirment l’absolue nécessité de communiquer sur la prison, mais aussi sur les phénomènes de déviance, de délinquance et d’exclusion. L’adage "Nul n’est censé ignorer la loi" n’est pas uniquement une question de procédure mais c’est aussi une question de légitimité de la loi. Or, les pratiques judiciaires sont mal connues, c’est pourquoi il nous paraît fort important que les personnes (professionnels, associations) qui travaillent en prison, expliquent ce que sont les phénomènes de détention, et rappellent la réalité de la délinquance.
Section 2- Des difficultés à toucher un large public
Un des enjeux du décloisonnement de la prison est l’information et la sensibilisation du public. Les actions entreprises par tous vont dans le sens d’une meilleure connaissance de la prison et de la justice par les citoyens. Cependant, les efforts doivent se développer afin de toucher un public bien plus large encore.
I- Des initiatives tendant à sensibiliser l’opinion publique
La prison est un endroit clos, alors pourquoi s’y intéresser ? Pour dissiper le réflexe de peur vis-à-vis des sortants de prison, amener une information objective pour mieux comprendre les enjeux de la prison et du développement des alternatives, sensibiliser chaque citoyen à une institution au coeur de sa ville.
L’action publique dans ce sens existe, qu’elle émane du ministère de la justice ou de l’administration pénitentiaire. En premier lieu, cela passe par des manifestations d’envergure telles que les Journées de la Justice dont deux éditions ont déjà eu lieu. On peut en critiquer la mise en oeuvre, la vision qui en ressort de la justice, toujours est-il qu’il s’agit là d’une initiative de taille à laquelle bon nombre de visiteurs sont venus, par curiosité, pour trouver une réponse précise ou pour apprendre. La manifestation n’a pas été maintenue par l’actuel Garde des Sceaux et on peut le regretter. C’était là l’occasion pour l’administration pénitentiaire de tenir pignon sur rue et de répondre à de multiples questions. C’était aussi l’opportunité pour les personnels pénitentiaires de trouver une oreille intéressée par leur travail, de "casser" quelques images d’Epinal.
Des initiatives régionales sont également à signaler, comme le dixième anniversaire du travail d’intérêt général, fêté par la direction régionale des services pénitentiaires de Paris. L’objectif fut de faire découvrir et comprendre cette mesure importante dans le cadre des alternatives à l’incarcération. La méthode est assez peu courante pour qu’elle mérite d’être soulignée.
Mais c’est dans sa pratique quotidienne de la communication que l’administration pénitentiaire peut le plus. Certes, les média s’intéresseront plus particulièrement aux situations de crise sans aller plus loin. On l’a vu lors de la mutinerie de Dijon où les chaînes de télévision ont essayé de comprendre en invoquant le "malaise carcéral" sans prolonger sereinement la discussion parce que la mutinerie passée, il n’y avait plus d’images d’une prison en flammes.
Parce que les citoyens connaissent mal la prison et que l’administration pénitentiaire ne peut combler seule les lacunes, les associations doivent mener des actions d’information du public. Ces actions prennent diverses formes.
La presse associative est assez fournie ("Le lettre du GENEPI", "Dedans-Dehors" de l’OIP, "Information Prison-Justice" de la FARAPEJ, etc.) et traite de thèmes multiples concernant la détention. Cependant, ces productions internes ne sont accessibles que par abonnement, ce qui limite les lecteurs à ceux déjà concernés.
Des expositions, des campagnes de mobilisation (par exemple, la campagne de l’OIP pour le droit à l’intimité, accompagnée d’une pétition) sont mises en oeuvre pour toucher un plus large public.
Des colloques, des actions ponctuelles ont également lieu à l’initiative des associations. En 1991, la FARAPEJ organisait, dans de nombreuses villes de France, la première Journée Nationale Prison, dans le double but de faire connaître, au plus près des réalités locales, les besoins des détenus et de leurs familles, sans oublier les victimes, et de mobiliser les énergies pour favoriser l’insertion, soutenir les efforts en faveur de la prévention de la délinquance et de la récidive. Cette initiative a été renouvelée chaque année depuis, excepté pour les années de Congrès marquées par un colloque national. Le dernier date de 1997 et concernait les "Etrangers en prison". Ces Journées Nationales Prison portent sur divers thèmes, des familles de détenus à l’incarcération des mineurs.
Toutes ces actions existent pour faire en sorte que la prison entre dans le domaine public, mais ce n’est pas chose facile que de toucher un large public.
II- La relative efficacité des moyens d’information mis en oeuvre ou comment susciter une véritable sensibilisation
L’aspect rébarbatif de beaucoup de nos prisons (leur haut mur, leur tour de garde, leur lourde porte et leur cadre sinistre) crée une impasse dans la mesure où la société ne sait guère ce qui s’y passe et n’en connaît que ce qui va mal.
Pourtant, même au niveau politique, la place de la prison dans le débat est limitée. Certes, les désordres dans les prisons, les grèves des personnels de détention attirent l’attention du monde politique sans pour autant entraîner une discussion approfondie des causes de ces incidents.
A défaut d’un débat initié par les hommes politiques, le milieu associatif se doit d’être le déclencheur d’une réflexion sur l’univers carcéral. Et, il y contribue grâce à ses opérations d’informations. Cependant, les associations ont une lourde tendance à orienter leurs actions vers les personnes gravitant déjà autour de la prison. La publicité promouvant la presse associative est limitée, les conférences et les colloques touchent la plupart du temps des personnes déjà sensibilisées. Donc, si la prison ne suscite pas initialement l’intérêt de la population, il est nécessaire d’aller sur les lieux où elle est disponible et non pas l’attendre là où sont les associations.
Sur le principe, le public touché lors d’interventions dans les lycées ou dans les lieux côtoyés un peu partout dans les villes est bien plus large que dans les forums où quelques "égarés" ont eu la curiosité de se présenter. A cet égard, le GENEPI mène une action d’information auprès d’écoliers. Des étudiants, qui rendent compte de la prison, qui expliquent le système judiciaire, avec des mots compréhensibles pour les plus jeunes, développent ainsi une véritable connaissance et peuvent susciter un intérêt auprès de personnes qui peut-être n’auraient jamais réfléchi sur le phénomène carcéral. Cette initiative permet en outre de démystifier la prison, d’en faire comprendre le sens et les problèmes.
Néanmoins, ce genre d’actions n’est guère développé. Les associations s’enferment encore dans un ghetto où elles se retrouvent régulièrement. "On voit toujours les mêmes", "On prêche des convertis", tels sont des discours tenus par des militants déçus après une manifestation. Un devoir de témoignage s’impose donc aux membres des associations. Il est pourtant dommage qu’un trop grand nombre d’entre eux, par effacement, par modestie, ne parlent pas (ou pas assez) autour d’eux de cette nécessaire mission qu’ils accomplissement avec dévouement et abnégation.
Aller dans la cité pour parler de la prison, cela signifie aller dans les cinémas commenter un film où les réalités carcérales sont présentes (et pas uniquement les documentaires qui touchent encore ces publics restreints), inscrire les associations carcérales dans le cadre plus large des associations de quartiers, et finalement ne pas hésiter à investir les plateaux de télévision même si l’on a des réticences sur la nature de l’émission que l’on peut trouver un peu trop "populaire". Le problème est en fait de savoir qui l’on veut toucher. Si le public visé est bien la population française dans son ensemble, le message des associations intervenant en prison ne doit pas être élitiste, dans le sens qu’il ne touche que les personnes impliquées dans le domaine.
L’action menée, dans les années 70, autour de Michel Foucault et du GIP, montre qu’il y avait effectivement un débat public et politique autour des prisons. Cette action, relayée par les détenus, a été à l’origine de nombreuses réformes, dans la mesure où, par le débat, on brise le silence. Comme l’écrit si bien Anne-Marie Marchetti : "si découvrir la partie immergée de l’iceberg carcéral ne risque pas de le faire, à terme, couler" , une prise de conscience de la société paraît essentielle afin de réfléchir à ce que pourrait être la prison de demain. Pour cela, il faut donner à la société les moyens de comprendre les enjeux du phénomène carcéral.