« Travail, éducation, culture.
Comment appliquer partout les enjeux théoriques du temps de détention »
Actes du groupe de travail du 31 octobre 2002
Version intégrale du 20 janvier 2003
Rapporteur Mamadou SANOU
Thème de la journée :
réorganisation du temps de détention
Jean-Christophe Poisson : Avant que nous ne rentrions dans le vif du sujet, je propose que tout le monde se représente très rapidement.
Catherine Hayache : Je suis juge d’application des peines au Tribunal de grande instance d’Evry. Je m’occupe d’une partie de la prison de Fleury-Mérogis et notamment à la Maison d’Arrêt des hommes et je m’occupe aussi du milieu ouvert : des détenus sortis en semi-liberté, sursis, mise à l’épreuve et libération conditionnelle et du centre de semi-liberté qui est à Corbeil-Essonne. Je suis là depuis moins d’un an.
Emmanuelle Schweig : conseillère à la Drac Ile-de-France.
Audrey Chenu : ex-détenue, étudiante en maîtrise de sociologie et à l’Envolée à l’heure actuelle.
Hafed Benotman : écrivain et membre de l’Envolée radio-journal.
Jean-Christophe Poisson : metteur en scène, intervenant en détention.
Francine Oyane : ancienne détenue, membre du journal et de la radio l’Envolée.
Jean-Marc Van Rossem : conseiller à la direction régionale de la protection judiciaire de la jeunesse en charge du dossier culturel.
Maryse Aubert : metteur en scène de théâtre, intervenante à Fleury-Mérogis en partenariat avec l’association « Lire, c’est vivre » qui s’occupe des bibliothèques.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : metteur en scène de théâtre, professeur au conservatoire national des arts et métiers. J’ai connu des expériences diverses et variées depuis des années et notamment dans les centres de détention où j’ai fait des spectacles.
Maria Jakowitsky : Plasticienne et étudiante à l’école des Beaux arts.
Nicole Charpail : Artiste dramatique et intervenante en prison et participante à un groupe « Culture et prison ».
Florine Siganos : étudiante en sociologie ; je fais une thèse sur l’aspect culturel en milieu carcéral.
Sophie Chivez : photographe, je suis Hafed sur sa vie quotidienne depuis a sortie de prison. C’est pour ça que je suis là aujourd’hui.
Mohamed Hamrane : cinéaste, je filme la pièce de théâtre écrite par Hafed et je fais un film sur le thème de « qu’est ce que sortir de prison ? ».
Jean-Christophe Poisson : Bien ! Je rappelle juste le thème de la demi journée qui était à l’origine celui des activités culturelles comme levier pour forcer le sens du temps de détention. Nos journées sont organisées autour de la réflexion sur l’organisation du temps de détention, les équilibres entre travail éducation et culture. Le projet initial se voulait très exhaustif et riche, raison pour laquelle j’avais sollicité pas mal de point de vue et de compétences : le Ministère de la Justice et le Ministère de la Culture, la Protection judiciaire de la jeunesse, la Drac, l’application des peines, des artistes, ex-prisonniers etc. J’avais sollicité la présence en conclusion de ces 4 et demi journées de François Hulot qui est secrétaire général de l’UGSP-CGT, syndicat pénitentiaire. Il apparaît que compte tenu du recentrage très fort qu’il y a eu hier après-midi sur le sujet de notre rencontre et , compte tenu des absences nombreuses cet après-midi d’artistes et d’autres personnes, j’ai préféré annuler l’intervention du représentant de la pénitentiaire qui pour moi est désormais superflue dan la logique de tout ce qu’on est en train de construire. Comme beaucoup à cette table, c’est une personne très occupée, j’ai préféré pour l’efficacité et pour la qualité de tout ce que nous avons pu construire jusqu’à maintenant annuler l’après-midi. La matinée, si je me réfère à ce qui avait été écrit dès le début, est consacrée à la façon dont les activités culturelles peuvent être sont un point d’entrée très fort dans l’aménagement de ce que Jean-Pierre appelle le dedans-dehors. Je pense que nous allons repasser par des choses qui ont été dites hier après-midi. Avec des contributions plus structurées comme celle d’Hafed Benotman, celle de Madame Hayache et peut être celle de la Drac, éventuellement qui a déjà beaucoup parlé hier. Je pense qu’il va y a voir un espace de questions-réponses qui seront les bienvenues et on va avancer un tout petit peu en improvisant. Je rappelle le sujet qui était l’espace de responsabilité des intervenants en détention.
Hafed Benotman : Je voulais commencer par un petit historique de la culture en prison et des intervenants et je vais être obliger de dire un « Je » et le « je », on s’en moque un tout petit peu. Comme j’ai vécu certaines années en détention, je me sers un peu du parcours pour étayer ce que je vais dire. Dans les années 80, la culture est entrée en prison avec les intervenants extérieurs. Ca a été vraiment un combat difficile pour les personnes de renter en prison parce que c’était vraiment un lieu clos et qu’il s’est fissuré. A une époque, le travail était obligatoire, je pense à Clairvaux et ceux qui ne voulait pas suivre d’études, qui ne voulaient pas être classés étudiants et qui ne voulaient pas travailler avaient des très très gros problèmes : des problèmes d’ordres disciplinaires entre guillemets. Ce qui s’est produit quand la culture est entrée en prison, c’est que les intervenants dans leur naïveté et dans une espèce de foi de missionnaires, la plupart du temps ont s’est aperçu que c’était les détenus considérés comme les plus durs qui participaient aux activités culturelles. A partir de ce moment là, j’ai commencé à réfléchir sur la culture en prison en me demandant quel était son rôle, non pas son rôle au niveau des intervenants, ni des prisonniers mais son rôle vis à vis de l’administration pénitentiaire. Et je me suis aperçu qu’on rentrait dans une espèce de relation affective et intellectuelle avec les intervenants ce qui fait que le détenu qui participait aux activités culturelles se mettait un tout petit le fil à la pâte. Hier nous avons parlé de désir, aujourd’hui je vais parler de plaisir. Donc les prisonniers qui participaient aux activités culturelles se mettaient à prendre du plaisir avec les intervenants et l’administration pénitentiaire qui ne pouvait pas les gérer par le travail ou les études, s’est mise à les gérer par la culture . C’est pour ça qu’on retrouvait dans ces mêmes ateliers grosso-modo les 10 ou 20 détenus qui faisaient toutes les activités culturelles : peinture, musique, théâtre. Ils tournaient d’activités en activités, et là je prends le cas du bâtiment 3 de Fleury-Mérogis. Sur 800 à 900 détenus dans le bâtiment, il y en avait au moins une bonne cinquantaine qui allaient aux ateliers, qui ne faisaient que ça et l’administration pénitentiaire s’était mise à les gérer par rapport à ça, en en faisant une punition : "si vous n’êtes pas sages, gentils, vous n’allez plus aux activités". Une façon de les tenir. Quand l’activité commence à 14h, le prisonnier descend à 15h, il a perdu une 1heure. Pendant 1heure, il a tapé à la porte, mais il y avait du mouvement, le surveillant était occupé ailleurs. En fin ! Toutes les excuses possibles. 1heure, c’est ce qui fait que ce détenu-là pour qu’on lui ouvre la porte à 14h pour qu’il aille aux activités a eu tendance à moins revendiquer. En fait, il faut savoir que dans une Maison d’Arrêt comme Fleury-Mérogis, il y a quelques personnes qui travaillent dans les cellules et qui vont très très rarement aux ateliers donc la plupart sont inoccupés. Comme ils ont des dossiers pénalement assez importants, on ne peut pas les laisser oisifs, oisifs ça veut dire, parler les uns avec les autres, c’est à dire de faire à un moment ou un autre une espèce de prosélytisme de révolte et de combat. Quand je me suis aperçu que la culture servait à gérer une catégorie de personnes, j’ai décidé d’être contre et je suis désolé de faire du "moi je". Comme je refusais les parloirs et tout ce qui va avec, je me suis mis à fréquenter les ateliers, en quête d’un intervenant avec qui je pourrais engager un bras de fer : sans haine, sans problème d’ego. C’est ce qui s’est passé avec Jean-Christophe Poisson quand il est venu à Melun. nous avons eu un rapport plutôt violent, du genre : « qu’est-ce que tu fous là, qu’est ce que tu nous veux ? ». Il y a une chose que je voudrais dire, chacun fera le tri. Qu’est ce qu’un homme ou une femme enfermé ? et je prends le théâtre qui est une passion que j’ai depuis très longtemps. Un homme ou une femme enfermé est quelqu’un qui est passé à l’acte. Je fais une différence entre acteur et comédien comme je fais une différence entre le théâtre et le cinéma. Un intervenant extérieur entre en prison pour expliquer et vient donner des moyens à quelqu’un qui est passé à l’acte pour dire qu’est ce que c’est que d’être acteur, acteur de sa vie, acteur de plein de choses, de ses pensées, de son rapport à l’autre. Je crois que par excellence le prisonnier et la prisonnière sont à la base des acteurs parce quand ils passent en procès, ils ont un rôle à jouer : le rôle de l’assassin , du violeur, braqueur jusqu’au rôle de l’innocent. Il devient ce que la justice en fait comme personnage qu’il va tenir à l’intérieur la prison jusqu’au moment de la libération. C’est à dire qu’en prison, ce qu’on appelle la hiérarchie des délits ou le statut, il va être ce que le justice l’a condamné à être "toi tu es le braqueur, tu es moins mauvais que le violeur etc..."Ce qui se produit, c’est qu’au niveau du théâtre et c’est pour ça que j’ai changé un peu d’opinion vis à vis des intervenants. Le théâtre permet une chose qui est de dissocier l’histoire d’un homme de l’affaire d’un homme , souvent on confond les deux. On croit que l’être humain est son affaire pénale malgré son histoire humaine et c’est là où la nécessité d’un théâtre est quelque part essentielle et vitale. Il y a quelque temps de ça, suite à une discussion avec Jean-Christophe, j’ai écrit un texte qui s’intitule "Théâtre interdit au public". C’est à dire quand le prisonnier devient la matière première, non pas d’un metteur en scène, mais d’un plasticien qui joue au metteur en scène, l’homme disparaît et ça devient comme les spectacles qu’on voit dans les écoles maternelles où on déguise les enfants en citrouille, en carotte etc...J’ai vu des choses pitoyables en prison au niveau des spectacles. Si les personnes qui jouaient n’avaient pas un peu de distance ou n’étaient pas là pour des raisons précises et là je prends le cas de l’application des peines en sachant que participer à une activité culturelle est un petit plus, de la même manière que d’aller voir un psychologue - c’est toujours des petits points additionnés - à ce niveau là, si le détenu passe pour le bouffon, non pas le bouffon au sens théâtral, mais au sens péjoratif, ça ne vaut pas la peine qu’il y ait de la culture en prison. Maintenant dans de très rares cas quand à l’intérieur on bataille c’est à dire qu’on n’a pas envie de devenir l’instrument ou la matière d’un artiste qui sait pourquoi il vient parce qu’il va être subventionné et il a une obligation de résultat à la fin de l’année où on montre un spectacle, un produit. Eduquer ce n’est pas le mot, mais Il faut permettre au détenus hommes et femmes d’être contre et de créer un atelier avec et non pas pour, ne pas être passif ou soumis. Si la culture est là pour gérer un certain nombre de détenus, elle devient une garderie culturelle où on tisse des liens affectifs. Elle participe à l’enferment. Ce que j’aime dans le théâtre en prison, c’est quand ce théâtre devient un théâtre de véritable résistance. Quand un groupe est soudé et répercute à l’extérieur de la salle où on travaille, répercute dans la détention l’idée du théâtre, c’est répercuter l’idée du dialogue, de la compréhension des mots, du sens des choses et on se met là à jouer à l’intérieur de la prison.
Jean-Christophe Poisson : Excuse-moi, est-ce que je peux juste t’interrompre ? Tu as parlé de produit et de l’obligation de créer un spectacle. C’est à mon avis un contresens parce que pour les organisateurs ou pour l’administration pénitentiaire l’objectif relève d’autre choses que de la pratique sans expression. C’est-à-dire que les spectacles sont assez mal vus et qu’ il faut se battre pour montrer ses spectacles. Faire un spectacle, et je rebondis sur ce que Milko disait hier, Il faut faire un spectacle qui soit ouvert au public extérieur ce qui pour moi constitue une des légitimés premières des interventions en détention. C’est-à-dire que le devoir d’évaluation, de regard de la société civile sur ce qui se passe en détention participe de l’humanisme, de l’honnêteté de la tâche que tu décris et d’autre part d’un recentrage de la prison au coeur de la société et de non pas de la périphérie où elle est installée historiquement : dans les campagnes ou dans les lieux comme Clairvaux mais vers le coeur de la cité, ce qui pour moi est très important. L’administration pénitentiaire est favorable à la pratique mais à la pratique contrôlée, ce qui pour moi est un non-sens parce que la pratique artistique ne peut être maîtrisée. L’expression est interdite en prison. Je pense que l’art, dont on parlait hier, est un des rares espaces d’expression contemporain et l’espace d’incarcération est le lieu où l’expression est la plus nécessaire. C’est là que je te rejoins sur la résistance. Mais les spectacles ne sont pas obligatoires.
Catherine Hayache : Ce que vous dites me touche profondément. Je représente la justice, je suis juge d’application des peines et je représente surtout l’aménagement des peines. S’il y a une chose qui me passionne dans ce que je fais, ce sont les débats contradictoires. C’est à dire ce passage de l’enferment à l’extérieur éventuellement. C’est vrai, je suis très sensible à ça ; vous dites que la culture, les activités culturelles sont un plus : Oui ! Par exemple quand je suis en commission d’application des peines, évidemment on demande que fait le détenu ? Qu’est ce qu’il fait, qui il est, à quoi il s’intéresse. S’il ne travaille pas, est ce qu’il fait quelque chose d’autre ? Déjà, c’est difficile d’avoir des renseignements.
Moi, ce que je peux vous dire très clairement, il faut être très franc. Je pense qu’en effet, la justice, les gens de l’extérieur ne sommes pas du même monde que les détenus. A partir du moment où on le dit, où on le reconnaît, c’est une façon d’avoir une relation un peu plus honnête et un peu plus humaine. Moi je sais très bien que quand j’ai un détenu devant moi : d’abord il n’est pas à l’aise, ce n’est pas son truc, il n’a pas forcément tous les mots, il est lui même dans une situation compliquée avec une structure de personnalité, une absence de personnalité, ses carences etc., en fonction du délit ou crime aussi, du nombre d’années passées en détention ; de la semaine, du mois etc. Il faut vraiment reconnaître qu’on ne fait pas vraiment partie du même monde et c’est ce que vous renvoyez un peu quand vous dites que l’administration pénitentiaire a décidé de gérer les détenus quelle n’arrivait pas à gérer autrement que par la culture.
Hafed Benotman : Par le plaisir de la culture.
Catherine Hayache : Vous savez, le plaisir, c’est un peu compliqué ce que vous dites. Qu’est ce que c’est que le plaisir de quelqu’un qui est enfermé par rapport à ce qu’on lui demande d’investir à l’extérieur ? Là, il y a une idée qui fait toujours son chemin comme une espèce de guerre entre la justice et ... C’est vrai qu’on a la robe, l’estrade etc... mails il y a des gens de la justice qui veulent faire tomber cela. Dés que je peux faire venir les gens pour observer les débats contradictoires, je le fais. Il y a des journalistes de France Inter qui sont venus, il n’y a pas très longtemps, je voulais vraiment qu’ils voient ce que c’est qu’un débat contradictoire. Moi, j’ai connaissance d’un dossier et non d’un personne. C’est avec les travailleurs sociaux proches que j’obtiens un certain nombre d’éléments et ce que je peux vous dire au niveau de la culture, quand le détenu arrive à en parler, que ce qui se passe pour lui est très important, on en vient toujours à des questions sur la culture. Qu’est-ce que vous faîtes en détention, est ce que vous lisez ? Et là quelqu’un dit, "moi, je vais à la bibliothèque et je lis". N’empêche qu’il avait une expression tout à fait différente et j’ai senti qu’il avait un plaisir dans la lecture qui lui servait de projet de réinsertion. J’ai trouvé fondamental qu’il dise ce qu’il faisait et il m’a rapporté le cahier dans lequel il avait commencé à écrire ses pensées. J’ai été très touchée qu’il me le présente. J’aimerais bien que vous pussiez envisager que la justice a envie d’avoir une autre approche et un certain nombre d’entre nous parmi les juges ont envie d’avoir une autre approche. Ce que je peux vous dire, c’est que face au détenu on ne connaît pas grand chose. Une fois qu’on se l’est avoué, on arrive à avoir un contact avec le détenu. C’est pour ça qu’il faut remettre les choses bien à plat. Pour dire "on n’est pas du même monde, certes ! Mais il faut sortir de ces rôles ». Je ne suis pas tellement d’accord avec ces histoires de l’homme et de ses affaires. le passage à un acte est un moment très précis dans son histoire qui n’a peut être pas grand chose à voir avec ce qu’il faisait avant et peut-être rien à voir avec ce qu’il fera après.
Hafed Benotman : Vous êtes quand même d’accord que l’affaire pénale prend le pas sur l’histoire humaine. A chaque transfert, à chaque changement de direction ou de juge d’application des peines, le premier discours qui arrive quand la personne est assise dans un bureau, c’est l’affaire ! C’est à dire 10 ans après le procès on revient constamment sur l’affaire. Vous ne pouvez pas le nier puisque vous venez de dire vous même que la 1ère confrontation que vous avez avec la personne incarcérée, c’est le dossier.
Catherine Hayache : Excusez-moi, ce n’est pas le dossier au sens pénal. Le dossier est composé du comportement du détenu en détention, de son histoire, de sa famille et son histoire personnelle. Pour moi, le dossier c’est ça ! L’affaire pénale, c’est une partie qui dit qu’il a telle chose, c’est pourquoi il va en détention mails lui n’est pas fait que de ça.
Hafed Benotman : Vous dites que la relation est difficile à établir. Quand vous avez un énorme bureau, ce n’est pas parce qu’il a du mal à s’exprimer ou de la timidité, c’est parce qu’il est face à un pouvoir. C’est clair !
Catherine Hayache : Ce sont ces idées-là qu’il faut changer. On n’a pas plus de pouvoir que quelqu’un d’autre en un certain sens. le problème est simple.
Hafed Benotman : Vous avez un pouvoir symbolique qui est immense et le détenu quand il pense à un surveillant, il le situe à une place, idem pour le directeur de la prison, quand il pense au juge d’application des peines, il le situe à une place. Cette place est une place symbolique parce que vous représentez la clé de sortie même si c’est un leurre.
Catherine Hayache : D’abord, ce pourrait ne pas être un leurre et la clé de sortie elle se reconstruit.
Hafed Benotman : Quand on voit le nombre de conditionnelle !
Catherine Hayache : Sur le moment on y croit, quand même !
Hafed Benotman : Parce qu’on croit que les détenus ne se suicident pas tous mais ils s’évadent. Pas tous parce qu’on entretient cet espoir. Vendre du réel ou vendre de l’espoir, c’est un peu vôtre rôle.
Catherine Hayache : Ce qui m’intéresse là, c’est ce que la culture peut faire comme lien entre la justice, le monde de l’extérieur et le monde de l’intérieur.
Hafed Benotman : Donc, vous considérez qu’on a en plus un auxiliaire de justice.
Catherine Hayache : Non !
Hafed Benotman : C’est contre quoi je suis.
Catherine Hayache : Ce n’est pas un auxiliaire de justice du tout, c’est quelque chose à part entière. Pourquoi un auxiliaire ?
Hafed Benotman : Ce n’est pas insultant. Pourquoi voulez-vous que la culture crée le lien entre les divers mondes sociaux qui créent l’être social ? Est-ce que c’est le rôle de Van Gogh de faire de la réinsertion ?
Catherine Hayache : Ce n’est pas le rôle de Van Gogh, mais connaître Van Gogh, ça peut aider. La culture peut permettre au détenu d’avoir une appréhension de sa propre personnalité et de l’extérieur qui le structure : je pense que la culture est un élément de structuration. La culture est quand même universelle, c’est quand même quelque chose d’indispensable pour grandir, à réfléchir pour nous retrouver. C’est dans ce sens là que ça m’intéresse.
Hafed Benotman : Donc vous considérez la culture comme étant thérapeutique ?
Jean-Marc Van Rossem : Ce n’est pas une thérapie, c’est une éducation je crois.
Catherine Hayache : On va y arriver. Entre l’auxiliaire et la thérapie, on va arriver à quelque chose.
Hafed Benotman : C’est pour ça que je suis content de parler avec vous. Je vois qu’il y a des sourires, la polémique n’est pas très violente. C’est plutôt plaisant !
Catherine Hayache : Moi, je suis là pour ça ! Je crois que c’est quelque chose de tout à fait positif.
Hafed Benotman : Je crois que ce qu’on essaye de faire, ce ne sont pas des procès mais ce qui est en rapport avec la culture et la prison et de se dire que la culture c’est peut être çà.
Catherine Hayache : Je pense qu’il faut réhabiliter le sens de la culture en terme très général.
Hafed Benotman : Dans le milieu carcéral, elle est accessible à très peu à cause de l’administration pénitentiaire. Les gens qui travaillent dans les ateliers par exemple...
Catherine Hayache : Je ne suis pas de l’administration pénitentiaire. Il faut que ce soit bien clair dans votre esprit. Je suis du Ministère de la Justice, je travaille avec l’administration pénitentiaire, en tant que JAP on est membre de droit dans des tas d’associations culturelles auxquelles je tiens à participer. Là, je viens de commencer puisque je ne suis pas là depuis longtemps et il y a des choses qui sont dites, il y a des idées qui circulent. Il faut essayer de réhabiliter et la personne du détenu et l’intérêt du travailleur social et l’importance de la culture. Concrètement, ça passe par les ateliers . J’ai actuellement une place qui est assez sympa dans le sens que je suis chef de service de l’exécution des peines à Evry. En effet, je peux intervenir, je peux faire des choses et ce que je tiens à dire c’est qu’il faut sortir de cette idée de la justice qui est un théâtre, qui demande aux gens de tenir un rôle.
Hafed Benotman : Ce serait insultant pour le théâtre. Je ne dis pas que la justice est un théâtre, tout à l’heure je parlais de l’acteur et du personnage qui fait que l’homme, dans le box avant d’être incarcéré participe non pas à une pièce de théâtre - parce que je ne suis pas psychorigide : il sont habillés en costume donc c’est du théâtre. Je parlais de ce qu’était vraiment le théâtre ; ça n’a rien à voir avec les décors, avec les costumes ni avec le texte mais avec l’être. C’est ce que je disais.
Jean-Christophe Poisson : Est ce que je peux juste passer la parole à Jean-Pierre Chrétien-Goni qui voudrait intervenir.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je voudrais dire un mot concernant la place de la culture dans tout ça. J’étais dans un bar à Montreuil avec un détenu en permission avec qui j’avais travaillé au centre de détention et c’est drôle parce qu’il me faisait la théorie deux mondes dont vous parliez. Il me disait « Tu vois, Jean-Pierre, là il y a deux mondes, tu crois que là c’est le nôtre, que tu connais, et bien le type qui est là-bas, regarde ce qu’il est en train de faire. Le mec c’est un clandestin qui est entrain de faire ceci et toi tu ne sais pas. Tu as envie de quelque chose, je peux te le procurer ». C’est la description des deux mondes. Et en même temps ce type était en train de découvrir l’écriture, et il essayait de nous raconter ça. Je me suis dit au fond que le travail culturel - et je le dis avec plein de bémol- c’est la négation de la théorie des mondes. J’ai le problème aujourd’hui parce je travaille dans les quartiers avec des communautés maghrébines et on se trouve à mille kilomètres de Paris dès qu’on a refermé la porte. Ils ont refabriqué un monde qui nous semble étranger. Si dans la culture, on accepte les mondes, alors on accepte la folklorisation, on fait des voyages et on est dans cette obligation. C’est un des moyens d’accéder à cette transition. Accepter que ces mondes soient fermés, clos, et se profile la guerre des mondes.
Catherine Hayache : C’est ça la guerre des mondes. Quand vous dites que le détenu c’est une affaire pénale, non !
Hafed Benotman : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que c’est une histoire humaine.
Catherine Hayache : Concrètement, au centre de son histoire, il y a eu le passage à l’acte.
Hafed Benotman : Dans la pratique de l’application des peines. Vous avez parlé de franchise donc il faut être le plus franc possible.
Catherine Hayache : Honnête !
Hafed Benotman : C’est un mot que je n’ai pas tout à fait réinséré mais on va dire le moins malhonnête. Une des premières questions qui se pose dans l’application des peines, c’est « est ce que vous avez payé les parties civiles ? ».
Catherine Hayache : Comment vous les payez, comment avez-vous l’intention de régler ce problème là ?
Hafed Benotman : Donc, dans la théorie c’est le profil de la personne incarcérée au niveau psychologique etc... dans la réalité, c’est du recouvrement. Quand le prisonnier arrive face à l’application des peines, et qu’on lui parle d’argent, il se dit comment je vais marchander cette liberté ? Comment voulez-vous qu’il y ait un véritable dialogue ? Quand la personne vous ramène son cahier où il a écrit des choses, d’un côté si le cahier il veut en faire un livre ou l’amener chez un éditeur à l’extérieur, il est dans l’obligation de passer par le système parce qu’il n’a même pas le droit à la propriété intellectuelle. Avant de parler de culture, il faut commencer par dire « vous êtes dans une privation de liberté et non d’humanité ». Si on ne fait faites pas ce chemin, c’est stérile.
Catherine Hayache : Au début, c’est une petite question comme tant d’autre « comment comptez-vous indemniser les victimes ? » Le début des débats c’est souvent « quelle est votre position par rapport à l’acte commis, qu’es-ce que vous en pensez ?, qu’avez-vous élaboré par rapport à ça ? et quel est le chemin que vous avez fait par rapport à ça ? C’est ça qui est important, ce n’est pas ce qui a été fait à un moment donné, c’est de quoi est faite la personne avec qui on doit mettre au point un projet de réinsertion. C’est dans ces termes.
Hafed Benotman : C’est un travail de psychologue, des questions hyper intimes. Vous demandez à la personne une espèce de strip-tease moral. C’est la culture des shipendales.
Catherine Hayache : Non. C’est tout à fait un cas particulier qui a été pris en exemple. J’avais bien rendez-vous et vu que le débat était avancé, j’avais repoussé à une audience ultérieure et la personne était venue en me disant : « je souhaiterai vous montrer ça ».
Hafed Benotman : Peut être que vous ne connaissez pas la réalité intra-muros ; c’est qu’avant de passer à l’application des peines, avant qu’un dossier soit en conditionnelle, en demande de permission ou des remises de peine, les prisonniers parlent entre eux. « Est-ce que tu le connais, est ce que tu l’as vu ? », etc..." Nous faisons un profil psychologique d’eux et on essaye de voir quels sont les meilleurs arguments donc on tombe forcément dans la sournoiserie, la veulerie, l’hypocrisie du comment je vais jouer le jeu. C’est une petite partie d’échec qui fait qu’il n’y a pas de vérité.
Catherine Hayache : Non, il n’y a pas de vérité et on ne sait jamais exactement les choses. On ne juge pas en attendant la vérité.
Hafed Benotman : A quoi bon ?
Audrey Chenu : Sur quoi vous jugez alors ?
Catherine Hayache : Sur quoi je juge ? Sur tout ce qui sera dit, sur tout ce qui nous est proposé. De toute façon, la vérité ça veut dire quoi ? A un moment donné, précis, il a été fait telle et telle chose, bien ! Mais ce moment précis, c’est peut-être il y a 1 mois , 1 an, 5 ans, 10 ans ; la personne évolue et puis on se plante, c’est sûr. On fait des projets d’aménagement de peine, on y croit ou on n’y croit pas.
Audrey Chenu : Pour vous ce n’est grave si vous vous plantez, vous vous rendez compte pour la personne ?
Catherine Hayache : On ne se plante pas du tout compte de la même façon. Moi je dis je me plante quand la personne revient une semaine après et qu’elle est réincarcérée sur comparution immédiate. Un truc comme ça je me dis que je n’ai rien compris.
Audrey Chenu : Quand vous laissez sortir quelqu’un qui a fait je ne sais combien d’années et que le lendemain de sa sortie il doit être dans un travail de merde, vous ne comprenez pas pourquoi il a récidivé une semaine après, quelque part c’est de la faute à la décision que vous avez prise.
Catherine Hayache : On essaye dans un projet de réinsertion lorsqu’on laisse sortir quelqu’un qu’elle ne se trouve pas dans une situation comme ça.
Audrey Chenu : On est obligé de vous mentir pour sortir comme l’a dit Hafed. Moi, par exemple, pour sortir en conditionnelle, je vais dire « oui, je suis prête à travailler, la délinquance c’est fini ».Quand je vois la situation que c’est d’aller travailler, je préfère rester dealer puisque je ne m’attendais pas à çà non plus.
Catherine Hayache : Vous pensez que c’est de notre responsabilité ?
Audrey Chenu : Mais oui, on est obligé de bluffer. Moi tout ce que j’ai envie c’est d’écrire, de faire des choses. Je voulais sortir pour réfléchir, préparer mon avenir mais laissez moi être dehors pour ça, mais non vous allez me dire « vous ne pouvez pas être dehors pour ça ».
Catherine Hayache : Alors pourquoi vous ne concevez pas qu’il est possible de discuter comme ça avec un juge ?
Audrey Chenu : C’est impossible parce qu’il a le pouvoir de vous laisser en prison et moi je ne voulais pas rester. Je sais ce que le juge attend de moi pour que je sorte.
Francine Oyane : Quelqu’un qui est enfermé Madame la juge 22 h sur 24, vous lui demandez quels sont ses projets pour une sortie.
Catherine Hayache : Ce n’est pas une sortie, c’est une réinsertion.
Francine Oyane : Qu’est ce que c’est la réinsertion ? C’est à dire que le travail fait partie forcément de la réinsertion, qu’attendez vous de cette personne, qu’est ce qu’elle va vous donner comme projet. On n’a droit à aucune permission en règle générale. Une permission d’une journée et encore ! Et encore que pouvez-vous faire en une journée ? Vous sortez de votre cellule à 7 h du matin,vous êtes dehors à peu près à 9h, vous avez Perdu 2h. Vous allez chez qui ? La plupart du temps, on n’a plus de famille. On est coupé du monde et vous demandez à cette personne de trouver...
Jean-Christophe Poisson : Excusez-moi, je crois qu’on s’éloigne beaucoup du sujet des journées.
Francine Oyane : Ca fait partie de la culture aussi !
Nicole Charpail : On est renté dans la question du jugement. Il me semble que tu as dit à un moment donné, j’ai cru entendre que la culture pouvait devenir un instrument de la justice ou de l’administration pénitentiaire. Il faut recaler là-dessus autrement on parle de tout.
Maryse Aubert : Il a parlé du lien que la culture pouvait avoir entre ces deux mondes.
Hafed Benotman : Je vais donner des exemples précis par rapport à la culture. Un DPS est un détenu particulièrement surveillé, la plupart du temps, il ne peut pas accéder à un atelier culturel ou encore quand il y a un spectacle et je prends le cas de la Maison d’Arrêt des femmes. Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, ça fait 15 ans qu’elles sont incarcérées, elles ont fait 10 ans à la Maison d’Arrêt des Femmes (entre celles de Rennes et celles de Fresnes). Quand il y avait un spectacle, une seule des deux pouvait y aller, c’est à dire qu’elles étaient obligées de discuter entre elle pour dire « vas-y c’est toi ». Parce que L’administration pénitentiaire ne voulait pas que les deux soient en même temps dans la même salle pour des raisons de sécurité. Et là on parle de culture.
Nicole Charpail : Est ce qu’on peut dire dans ce cas que tu nous décris que la culture ou l’intervention dans une prison est instrumentalisée ?
Audrey Chenu : C’est ça le fonctionnement de l’administration pénitentiaire et les artistes qui n’insistent pas, Ils cautionnent.
Nicole Charpail : En quoi cautionnent-ils ?
Catherine Hayache : Leur seule présence entraîne-t-il un cautionnement ?
Hafed Benotman : Le fait que les artistes intervenants acceptent que la culture soit enfermée, c’est ça qui me dérange. Normalement la culture devrait être un lieu aussi intime que le parloir. C’est-à-dire que la relation qui doit s’instaurer avec la culture ne doit rien avoir à voir avec la prison. Quand un peintre ou un musicien vient, il ne doit pas penser qu’il rentre dans une prison et qu’il va voir des individus, des êtres incarcérés, c’est ça le problème. Ce qui me gêne, c’est que tout ce qui vient de l’extérieur s’enferme à l’intérieur. Voilà pourquoi je refusais les parloirs, ça fera un petit parallèle. Je refusais q’un membre de ma famille soit incarcéré pendant une 1/2h, 1h ou 2h en centrale. Je refusais que le dialogue que j’ai avec la personne aimée soit interrompu par un parloir terminé, de la même façon que je refusais de téléphoner. C’est ça mon refus de la culture aussi, c’est à dire quand j’ai une relation, c’est du même domaine. C’est là où je dis que les intervenants devraient batailler à ce niveau parce qu’aujourd’hui l’administration pénitentiaire ne peut plus se passer d’eux.
Nicole Charpail : La bataille, elle est unique et la même pour les uns et les autres.
Catherine Hayache : C’est aussi au niveau des détenus parce que pour beaucoup il y a vraiment du chemin à faire.
Hafed Benotman : Elle est niveau des détenus, tout à l’heure quand nous avons fait le tour de table, on n’est quand même nombreux, et on est venus batailler avec vous.
Jean-Marc Van Rossem : C’est une vision que je comprends parce qu’elles est vue de l’intérieur. Quand je vais en incarcération, je ne vais pas voir un jeune détenu, je vais voir un jeune que j’ai connu avant pour certains et ce qui m’intéresse c’est d’aller voir un jeune, pas le détenu. C’est vrai que quand on passe la porte, il ya quelque chose de pesant, mais quand je vais à l’hôpital voir un gamin qui a fait une tentative de suicide, j’ai aussi la même pression du milieu.
Hafed Benotman : C’est le phénomène de l’enfermement.
Jean Marc Van Rossem : Tout à fait ! Il y a des lieux comme ça ; est-ce qu’il faut se priver d’y aller ?
Hafed Benotman : Il ne faut pas se priver d’y aller, il faut se demander pourquoi on y va.
Jean-Marc Van Rossem : Sur l’action culturelle , j’ai envie de dire qu’on travaille aussi par rapport à des démarches. Ce qui m’intéresse à un moment, c’est que quelqu’un puisse agir, penser et nommer. Il faut qu’on puisse avoir des repères à un moment donné. Agir, c’est passer dans une action et quelle ne reste pas uniquement dans l’action sinon on est dans l’occupationnel, là on est dans l’instrumentalisation mais qu’il y ait une réflexion derrière. Que cette réflexion puisse permettre de nommer. Se situer dans le monde à un monde donné, c’est pouvoir communiquer . C’es là quand vous parliez du spectacle, est-ce-que c’est important de faire un atelier pour faire un atelier parce que ça n’a pas d’intérêt si on ne peut pas à un moment donné communiquer.
Hafed Benotman : Je suis entièrement d’accord, la représentation est quelque chose d’hyper important mais elle n’est pas obligatoire. Il est fréquent que les ateliers de théâtre débouche sur un spectacle de broque et on s’aperçoit - et là je pense au directeur de prison qui vient au spectacle et invite un élu ou deux et les personnes qui interviennent en milieu carcéral pourront dire les coulisses de cet espèce de pouvoir non dit qui se sert de la culture. Le directeur de Melun a eu la palme académique parce qu’un détenu a passé sa maîtrise. La façon dont il en parlait, on avait l’impression qu’il avait fait toute sa peine à Melun alors que ça faisait deux mois qu’il était arrivé. Le directeur a posé devant les médias locaux : je trouve ça gravissime. De la même façon, quand les gens viennent s’enfermer. Le public qui entre à l’intérieur de la prison devient une espèce d’hybride de prisonnier parce qu’il y a toujours derrière « ce n’est pas mal pour les détenus ».
Francine Oyane : Il y a aussi un autre phénomène. Avant de travailler, j’allais à toutes les activités. Je m’étais arrangée avec la surveillante de l’atelier qui m’avait accordé une journée par semaine pendant laquelle je pouvais me rendre aux activités que j’avais choisies. La surveillante de l’atelier avait reçu l’autorisation de son chef et c’est la juge d’application des peines qui s’y est opposée parce que j’avais des parties civiles à payer : une journée d’activité = une journée de travail perdue. D’un côté l’administration donne, de l’autre la juge d’application des peines supprime.
Catherine Hayache : Je suis très étonnée.
Francine Oyane : C’est quelque chose qui existe et que j’ai vécu. Elle dit qu’elle ne fait pas partie de l’administration pénitentiaire je veux bien, mais d’un autre côté pourquoi ceci ? J’essaye de comprendre.
Hafed Benotman : Le problème, c’est d’un côté l’application des peines et l’administration pénitentiaire qui forment un tout, qui fonctionne ensemble et qui est complémentaire. On pose la question de savoir si le détenu est réinsérable et ce que lé détenu entend c’est que la société se demande s’il est encore recyclable et c’est là où est le malentendu. Il y a un enfant de bourgeois, Nicolas qui a fait des études, qui était bien. Il a eu un emploi de manoeuvre en bâtiment comme certificat de travail et la juge d’application des peines a dit "vous n’êtes pas fait pour ça", cela a retardé d’un an sa sortie parce que son père était entrepreneur. Dès fois, il y a des petits miracles qui se produisent où la relation humaine prend le pas parce que la réinsertion est plus due à des rencontres d’individus qu’à des institutions. C’est clair ! Il y a des hôtels que l’administration pénitentiaire paye à moitié pour loger les détenus parce qu’il n’y a pas de place dans les foyers, des hôteliers qui sont des marchands de sommeil. Quand le prisonnier va le week-end dans sa famille, on enlève les affaires et on reloue la chambre mais je pense que c’est un autre débat.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : On pourrait aborder la question tout à l’heure. Je pense que ça fait vraiment partie de notre projet ici. La première chose, c’est celle qu’évoquait Hafed : est-ce que les pratiques artistiques sont des auxiliaires de justice ou des auxiliaires thérapeutiques ou quelque chose de ce goût ? Instrumentalisation ou pas, comment ça fonctionne cette histoire ? Ce serait bien qu’on en débatte parce que je pense que c’est quelque chose de fondamental. Après tout, on pourrait le dire. J’ai le souvenir d’avoir été une fois convoqué et on me disait « qu’est-ce que tu penses de ce détenu ? « Est ce que c’est notre rôle de prendre cette mission ? C’est quand on dit ça pourrait lui faire du bien, ça peut l’aider à, on va le faire. J’ai raconté ça, un jour je me suis aperçu qu’on recevait des convocations systématiques pour la commission d’application des peines, on était considéré au même titre qu’un travailleur social. Je suis parti en courant en me disant, qu’est ce qu’on me demande là ? Je suis en train de devenir quoi ? J’ai vu des gens qui étaient formateurs, qui montaient des expériences de formation laboratoire pour les prisonniers, entrer dans le système puis se faire avaler. Je revois encore un formateur -exusez-moi- fouiller un détenu à la sortie des ateliers. Mais qu’est ce qui se racontent, qu’est-ce q’ils font ?
Catherine Hayache : Fouiller un détenu ce n’est pas la même chose que venir à la Commission d’Application des peines.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je Le problème, c’est : est-ce qu’on doit être amené à faire des concessions ? Pour en revenir à la deuxième question, c’est quelle position prendre par rapport à ce qu’on nous demande ? Un détenu qui ne descend pas, qu’est ce qu’on fait ? Les ateliers, c’est très compliqué. J’ai monté des spectacles en prison avec des décors, c’est une horreur ! C’est pire qu’ailleurs. Comment on fait pour aller au bout ce qu’on a choisi de faire ? On peut très bien dire et on entre dans l’instrumentalisation « pour le détenu, nous avons fait le minimum, on a fait notre travail ». A partir de quand avons-nous fait notre travail ? quand nous avons été au bout de notre geste artistique et quand on fait du théâtre pour moi, ça va au bout du spectacle. En détention, ce n’est pas triste quand on essaye d’aller au bout de ça. Ca provoque des choses d’aller jusqu’au bout de cet acte. Est-ce qu’on l’assume, comment on l’assume ? A quel moment on abandonne et on renonce que ce soit en détention, dans les quartiers ou ailleurs. Il y a un moment où on va renoncer sur un plateau. Comment gérer le moment où on va renoncer. Et en détention, je peux vous dire qu’on est amené à renoncer vite et souvent. Comment on réagit les uns les autres, sans doute pas dans les mêmes conditions en fonctions de nos disciplines mais il ne faut pas avoir peur de poser cette question entre nous. Et quand on intervient en détention, comment on gère toutes ces données ?
Catherine Hayache : Quelles sont les difficultés qui vous poussent à renoncer ?
Hafed Benotman : Tout, le transfert d’un comédien.
Catherine Hayache : C’est lié aux difficultés matérielles ?
Jean-Pierre Chrétien-Goni Pas forcément. Je vais vous donner un petit exemple qui est très typique. A la veille d’un spectacle, l’un des comédiens prisonnier qui fait partie intégrante, qui a vraiment avec développé des choses incroyables. Il se passe quelque chose avec le surveillant précédant la nuit du spectacle, il se retrouve au mitard. Le spectacle a lieu l’après-midi, qu’est ce qu’on fait ?
Catherine Hayache : Et jamais vous n’avez rencontré des gens pour ça ?
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Dans l’urgence, quand ça s’est passé dans la nuit et que vous jouez dans l’après-midi, qu’il faut trouver une solution, à chaque fois il faut voir la directrice, ce qui est long, et en plus à ce moment là, nous avons des tas de choses à faire.
Audrey Chenu : C’est là qu’est votre rôle. Ca m’est arrivé. Je devais jouer dans une pièce et juste avant la représentions, il y a eu une embrouille et j’ai pris dix jours de mitard. Le mec de la compagnie a parlé avec eux et ils ont réussi à mettre les 10 jours après le spectacle. Il a insisté pour m’avoir dans l’équipe.
Jean-Christophe Poisson : Je voulais intervenir pour répondre à votre questions sur les écueils qu’il peut y avoir lorsqu’on intervient en détention et qu’on fait un travail de création avec toutes les responsabilités que ça représente, tous les risques humains et les engagements mutuels. Il y a un clivage qui n’a jamais été rappelé depuis hier et qui est pour moi fondamental au niveau du spectacle vivant, c’est qu’on intervient différemment en Maison d’Arrêt et en Centre de détention. Je n’interviendrai plus jamais en Maison d’Arrêt et ça c’est très clair parce que je ne peux pas. Il y a une telle variabilité sur ce terrain. Je suis intervenu 4 fois à Fresnes. C’est terrifiant dans la symbolique Fresnes ; l’échange par la parole est interdit dans les couloirs. Les détenus communiquent par des petits papiers qui circulent dans des sacs. Parfois à 13 h, on reçoit un petit papier manuscrit, « Monsieur le metteur en scène, je ne pourrai pas venir cet après-midi » et on ne sait pas pourquoi, nous avons aucun recours. En Maison d’Arrêt, que je ne l’ai jamais connu en tant que détenu, je sais que c’est extrêmement difficile. C’est le lieu du stress. En revanche en Centre de détention, les méthodes sont d’une perversion extraordinaire c’est à dire qu’à un moment donné l’administration pénitentiaire, l’organisation de la maison peut déléguer dans le groupe, envoyer un participant -puisque les gens ont une quasi liberté de circulation dans les locaux- envoyer quelqu’un pour participer activement au travail et se fondre dans la démarche qui est proposée et qui est quelqu’un qui va déstabiliser le groupe. Non pas que ce soit un type du FSB mais j’ai des exemples de gens qui font partie de 30% de la population victimes de syndromes psychiatriques. Il y a quelqu’un qui va débarquer et qui vit sa prison au milieu des autres personnes et qui ne devrait pas être en détention et qui va retarder le travail et créer des tensions. Parce que constituer un groupe est complexe et en plus on ne le sait pas. C’est à dire quand on est artiste et qu’on arrive en prison, on prend les gens qui arrivent comme des êtres. Le problème est qu’on ne peut pas détecter que la personne est là pour des raisons qui ne sont pas objectives et que la personne est malade. Ca m’est arrivé. Je pense à quelqu’un qui avait commencé à participer au groupe et qui était complètement schizo, et tout d’un coup, à fait perdre 2 ou 3 répétitions au groupe parce qu’il est parti au bout d’un moment. C’est quelqu’un qui était visiblement pour moi amené par L’administration pénitentiaire.
Catherine Hayache : La différence entre l’intérieur et l’extérieur, c’est ça alors ? Vous pensez qu’en détention, on vous l’a envoyé. C’est la même chose dehors. Dans un groupe, vous pouvez avoir toujours un type qui...
Jean-Christophe Poisson : Les groupes tel que je peux les observer depuis que je travaille en Centre de détention sont des groupes qui se constituent par affinité. Tout à coup, il y a un électron libre qui arrive comme ça n’est pas intégré dans le groupe, qui arrive et qui s’impose et qu’on intègre.
Catherine Hayache : Quel est l’intérêt de faire ça pour l’AP ? Pour casser le rythme ?
Laurentino Da Silva : A Melun, ils ont installé un sac de sport dans la salle où on répète et les gens viennent s’entraîner, faire de la boxe au moment où on répète.
Jean-Christophe Poisson : Lors du dernier spectacle de juin, il y avait une répétition urgentissime à faire qu’on avait collée en pleine semaine, c’est à dire que les acteurs qui sortaient des ateliers n’avaient même pas le temps de se doucher, venaient et c’était vraiment un vrai travail d’engagement pour eux et pour tout le monde. Il fallait le faire, c’était un spectacle complexe et risqué. Je débarque dans la salle polyvalente pour la répétition et de façon complètement impromptue, je n’ai été prévenu ni par la direction ,ni par le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui le savaient, qu’il y avait le dernier atelier de démonstration de boxe thaï qui occupait toute la salle. Je me dis ce n’est pas possible que de façon soudaine il y ait une compétition de ping pong alors que le planning est écrit et affiché partout.
Audrey Chenu : Pour travailler avec les personnes incarcérées, comment les intervenants culturels peuvent-ils introduire un rapport de force ?
Jean-Christophe Poisson : C’est pour ça que pendant ces 2 jours, on parle du temps. Je redonne l’argument initial qui nous a amené autour de cette table. Je ne veux pas généraliser sur les activités culturelles, mais à la marge, elles peuvent agir sur le destin des personnes très clairement. Je le disais en introduction hier, il y a une fidélité qui se crée et vous faites des rencontres tellement fortes qu ’elles impliquent une fidélité et un trajet en commun pour un certain temps. Je suis peut être très utopiste, mais je pense que le levier que peuvent introduire les activités culturelles en détention, c’est celui de redéfinir la journée de détention et de contraindre le temps pour que vraiment l’université, l’éducation , l’école et les activités culturelles soient la priorité objective de l’emploi du temps dans ces lieux. C’était pour répondre à ce que tu disais Audrey. Pour moi, ce serait une priorité, il y a des établissements, et l’exemple a été donné, où le temps est reparti différemment. Je me bats pour ça. Dans la symbolique, c’est extraordinaire. Je ne partage pas l’avis de certaines interventions sur la spécialisation de l’artiste en détention, sur le fond de commerce du petit guitariste qui va émarger pendant 5 ans. Moi, en tant que metteur en scène, je trouve que la détention est un espace extraordinaire et là je parle de façon très hédonistique. Je sais la responsabilité que j’ai en y allant par rapport aux gens que je rencontre ; je sais la responsabilité qu’on a, en tant qu’artiste, par rapport au public extérieur. C’est à dire que le travail est destiné à avancer ensemble , à faire se rencontrer des destins. Mais pas seulement. Dans le cadre du recentrage de la prison dans la société on ne peut passer à côté de notre rôle pédagogique vis à vis du public extérieur. Quand on amène des gens en prison, des personnes diverses et variées et je milite pour ça. A côté du gratin du Ministère de la Justice ou de la Culture, des gens autorisés qui font partie de l’administration de la prison, je voudrais qu’il puisse être élargi à la société civile. Je me suis fait refuser l’entrée de mon frère au spectacle de juin. C’est une personne qui est tellement loin de la prison, c’est quelqu’un de droite, qui est tellement perdu dans son Figaro magazine et ses sornettes. Il est très important que la rencontre se fasse dans ce sens et que quelqu’un lui apprenne qu’en prison, il y a des êtres. Je me suis fait refuser son entrée et je suis monté au créneau très fort pour qu’il entre. J’ai mobilisé la centrale, j’ai envoyé des e-mails meurtriers à tout le monde et il est rentré avec son autorisation. Je ne veux pas monopoliser la parole, ce n’est pas mon rôle mais pour répondre à Hafed, le public qui entre en prison s’incarcère, je suis d’accord ! Et c’est très bien, d’une part, il est confronté à ses propres fantasmes par rapport à la prison et à ses propres fantasmes cinématographiques par rapport aux dispositifs de sécurité. Il est complètement conditionné, pétrifié et le théâtre et l’acte de création, le moment de la représentation est pour moi un moment fort, ils arrivent vers des acteurs qui eux même arrivent chargés parce qu’ils n’ont pas l’habitude et que c’est difficile parce qu’ils prennent le risque de s’afficher etc...et là, la rencontre se fait de façon décuplée parce que les gens se disent « c’est dingue , ce sont des êtres » Ce ne sont pas des Rapetous avec les loups, ce n’est pas des mecs avec des imperméables et c’est là que se passe la vraie rencontre. L’incarcération du public est nécessaire pour le contact et la rencontre et elle doit être étendue
Maryse Aubert : Il est essentiel de se sentir incarcéré parce que je sais qu’il y a des gens qui sont là depuis des années et la seule chose que je redoute, c’est de rentrer comme si c’était normal. Ce jour, je pense qu’il faudra que j’arrête et tant que je sens la porte derrière et cette pression...
Hafed Benotman : Sauf si l’intérieur a changé. De reforme en réforme, l’intérieur a changé...
Maryse Aubert : Là, on parle de conditions plus récentes, ç a me paraît essentiel, je ne sais pas ce que les intervenants en pensent de sentir le fait qu’on t’incarcère.
Jean-Christophe Poisson : Pas moi. Pas du tout. Même à Fresnes, même en Maison d’Arrêt, c’est transparent comme quand je rentre en prison je vais voir des gens.
Maryse Aubert : Je vais voir des gens aussi et ça ne change absolument rien.
Jean-Christophe Poisson : C’est à dire que j’oublie ; j’ai une telle hâte de traverser les dispositifs qu’ils deviennent transparents, je vais voir des gens que j’ai rencontrés. Et le poids symbolique du lieu...
Jean-Pierre Chrétien-Goni : J’ai fait 1h de vrai prison dans ma vie. En sortant des ateliers, les surveillants ont refusé de m’ouvrir, je tapais, je tapais, « j’ai un rendez-vous dehors, je veux sortir » et le mec n’écoutait pas. Pendant 1h ça a duré et les gars m’ont dit « alors Jean-Pierre ! ». J’ai fait 1h et c’était vraiment très différent du travail que je faisais parce que le sentiment d’empêchement, je l’ai éprouvé. Effectivement ce que tu disais, on sent les portes et en même temps on sait qu’on les passe.
Jean-Christophe Poisson : Je peux vous donner une petite anecdote que Hafed connaît puisque ça s’est passé au moment où on s’est rencontré. C’était à Melun, cette histoire de prison transparente est faite de toutes ces anecdotes. A Melun, il y a une énorme cour en terre où il y a, à peu près, une centaine de personnes qui joue aux boules. J’ai l’habitude de traverser cette cour et de voir les gens que j’ai connu les années précédentes, et on se dirige vers le coin de l’entrée en détention pour regagner la salle polyvalente. J’arrive un vendredi, la cour est déserte, je me dis « il se passe quelque chose de terrible ». Ce vendredi après -midi, il y a un cagnard terrible, il fait beau, c’est le mois de juillet : il n’y a personne.
Hafed Benotman : tu te dis ils se sont tous évadés...
Jean-Christophe Poisson :Je traverse, pas un bruit mais j’aperçois quand même des silhouettes au niveau de l’entrée. Je traverse tranquillement et en arrivant en haut des marches, je vois des gardiens avec des fusils. Il y avait un mec qui s’appelait Capitaine et qui est CSP2 et qui me dit « Monsieur Poisson, vous êtes complètement fou ! ». Je lui dis « pourquoi ? ». Il me répond « il y a une alerte à l’hélicoptère » ; dans le ciel bleu, pas d’hélicoptère. « Rentrez vite ! ». Je lui dis « mais attendez ». « Oui, il y a un hélicoptère, on l’a vu il y a 2 h , nous avons téléphoné à tous les héliports, on ne sait pas ce que c’est ». Au bout d’un moment, j’avais envie de fumer une cigarette, « j’ai envie de fumer une cigarette, je vais dehors. » Le type m’a regardé, il est devenu blême et il m’a dit « vous vous rendez compte qu’on peut tous se mettre à tirer d’une seconde à l’autre » ; « oui, je m’en rends compte ! ». Je suis allé fumer ma cigarette et j’avais une cour de promenade pour moi tout seul. C’est à dire qu’on est confronté à ce genre de situation, je ne sais même pas s’ils ont le sens du ridicule avec leurs flingues alors qu’il ne se passait rien.
Hafed Benotman : Il s’est quand même passé quelque chose. Pour l’anecdote, à Melun, il y a la Seine qui coule et il y avait un hélicoptère de la brigade fluviale qui est passé et l’administration pénitentiaire, la hiérarchie a simulé en sachant très bien que c’était la brigade fluviale. Ils se sont servis de ça pour faire un exercice et ils ont enfermé tous les détenus dans leurs cellules en faisant croire qu’il y avait un hélicoptère. Le maton était de bonne foi quand il disait « j’attends l’hélico ».
Jean-Christophe Poisson : C’était juste une anecdote, Maryse, j’espère que je diminue pas ton...
Maryse Aubert : C’est intéressant parce c’est ton point de vu. c’est bien d’y aller comme dans un monde normal, moi ça me choque énormément. Je ne peux pas penser que je sois dans un monde normal. « Et je vais y retrouver des personnes » c’est très clair. je ne sais absolument pas depuis 1ans et 1/2 et il y en a certains que je suis depuis longtemps, je n’ai pas l’ombre de l’idée de ce qu’ils ont fait, ni pour combien de temps ils sont là, ni plein de choses. Mais par contre, je sais autre chose de leur intimité qui ont été liée au travail. Nous avons fait un travail sur un auteur mexicain qui était dans le cadre de la révolution mexicaine, j’ai appris qu’il y en avait qui étaient experts en armement. Il y a des choses comme ça qui se révèle de leur personnalité et de pourquoi, ils sont là éventuellement. Ce n’est jamais lié au contexte et donc à la fois on essaye d’abord d’ignorer l’endroit où on est puisqu’on n’en parle jamais mais à la fois et ça me paraît évident, il n’y a rien de normal. je ne peux accepter un instant qu’il y ait la moindre normalité là-dedans. C’est mon point de vue.
Hafed Benotman : Une phrase qui est devenue célèbre « c’est anormalement normal ».
Maryse Aubert : Le peu qu’on parle de ce qui se passe là où on est , au D4 notamment, c’est qu’au -dessus il y a les psychos. On entend des hurlements, des choses comme ça. Effectivement on se raccroche là où on est mais d’une manière générale, c’est vrai qu’il y a un non-dit, on n’en parle pas. Le fait d’être enfermés ensemble dans la bibliothèque même si on est dans un espace de liberté.
Laurentino Da Silva : Elle est exigue la bibliothèque de Fleury. Ca ne doit pas être évident de travailler dedans.
Maryse Aubert : Elle est assez petite. C’est ce que je vous expliquais hier, il n’est toujours pas possible de faire du théâtre ou de la lecture dramatique. On fait de l’interprétation à partir du corps.
Nicole Charpail : La question qui sera à l’oeuvre si on reprend ce que tu disais au début Hafed ; est-ce que la culture est instrumentalisée ou est ce qu’on veut faire de la culture quelque chose qui permettrait à la prison de devenir complètement différente, c’est vraiment les deux extrêmes ou la culture devient instrumentalisée ou elle fait de la prison, j’exagère, un centre culturel.
Jean-Christophe Poisson : Une université. Ce n’est pas un centre culturel. Mon utopie est claire.
Nicole Charpail : En même temps, je me dis quand on dit des choses comme ça ; au niveau de la prison, nous avons tous des ennemis, des fantasmes. La prison, c’est une métaphore d’un tas de merdes qui se passent bien au-delà de la prison. Par exemple quand tu dis qu’elle peut être instrumentalisée, bien sûr ! Les gens auxquels nous avons affaire en prison sont multiples. Il n’y a pas un ennemi repérable. On peut très bien avoir un directeur de prison qui est pour l’intervention alors que le surveillant est contre, un groupe de détenus qui est là et un autre qui fout la merde, les choses sont multiples de même que dans la société. Si on n’aborde pas comment la société conçoit la culture de façon générale, sur le champ culturel public qui lui même est extrêmement multiple, on se bat aussi sur le terrain culturel, on ne sait pas où est l’ennemi, il y a des idéologies que je trouve infâmes, des gens qui prétendent faire un théâtre libre sont eux même incarcérés dans la tête. Si on me dit que la prison doit être un lieu où on puisse réfléchir, moi j’aimerais bien, mais sur quelle idéologie on se base ? Parce que si la prison devient le lieu par excellence où on peut penser et réfléchir, effectivement il y a des gens qui vont préférer y aller que de rester sur un terrain culturel de merde, où on ne peut pas réfléchir et penser. Comment on gère ça, est ce qu’il ne faut pas à un moment donné se poser la question en tant qu’artiste, gens de culture, gens de toutes sortes qui veulent penser et réfléchir la société sur pourquoi on entre en prison, qu’et ce qu’on va y chercher, comment on fait sortir la prise de parole qui est dedans dehors et, à partir de là la première question serait :comment il est possible de penser sur le champ culturel public ce qui se pense peut-être depuis l’intérieur de la prison ? Ce serait éventuellement intéressant, autrement ce n’est pas la peine d’y aller.
Jean-Christophe Poisson : Nicole, je t’interromps une seconde pour présenter les personnes qui sont arrivées. Il y a Magali Magnequi est comédienne et Nicolas Roméas de la revue Cassandre, revue que tout le monde connaît.
Nicole Charpail : La question est qu’est-ce qu’on peut mettre en place qui permettrait non pas de faire une éthique institutionnalisé sur qu’est-ce qui est bon et ne l’est pas. La question serait comment mettre en place à quelques uns qui pensent que cette activité culturelle en prison a un sens dans la société quelque chose qui produise et qui ne fasse pas que l’on soit tout seul face à des obstacles multiples qui couvrent toute une chaîne où l’ on ne sait plus qui peut aider personnellement. Qui peut aider ?
Hafed Benotman : L’intérieur. C’est à dire les prisonniers eux mêmes. Parce que l’activité théâtre ou ça aurait pu être autre chose, qu’est ce qu’elle répercute à l’intérieur de la détention ?Qu’est ce qui se produit ? Je crois que les uns et les autres ne pouvaient pas le savoir. Tout le monde a vu le film de Jean-Christophe ?
Jean-Christophe Poisson : Ce n’est pas pour faire de la pub pour le film qui n’est pas un film grand public ; il n’a pas cette vocation mais j’apporte la réponse de 6 personnes qui ont participé à une activité théâtre dont Tino qui est dans le film : c’est que ça ne change absolument rien dans leurs relations ou ce n’est pas assez percutant pour faire changer les choses.
Laurentino Da Silva : Ca ne change rien dans les rapports entre détenus. Après dans leurs histoires personnelles, ce que ça nous apporte à nous c’est autre chose.
Hafed Benotman : C’est quand même le plus important que ça ait changé des rapports entre détenus.
Jean-Christophe Poisson : Parle nous de ça Tino.
Laurentino Da Silva : Entre détenus, ça a renforcé le rapport avec ceux qui avaient le plus d’affinité, mais avec les autres c’est resté banal. On faisait du théâtre ensemble, on se disait bonjour et c’est tout. Le théâtre nous a rapproché. Ca a mis un plus dans notre relation. Parce qu’on se fréquentait avant. On se voyait pratiquement tous les jours. Le théâtre est une continuité de ce que ce qu’on faisait en détention. Les personnes qui vont au théâtre et se retrouvent en détention : ce n’est pas cet exemple que j’ai à donner.
Jean-Christophe Poisson : C’est juste une petite couche de couleur que je voulais donner à ton intervention.
Hafed Benotman : Déjà, il y a une chose qui est importante : les uns, les autres, nous sommes aujourd’hui dehors c’est à dire que le lien qui a été tissé à l’intérieur existe encore à l’extérieur et qu’on est dans des positions chacune différentes, dans des positions de combat par rapport à la prison, avec les abolitionnistes, les réformistes etc... Ca veut bien dire que peut être que ça nous dépasse mais qu’il s’est passé quelque chose à l’intérieur qui fait que ça a été assez fort ou assez étrange, c’est même du domaine de la magie, pour qu’on se retrouve tous à l’extérieur en ayant chacun les téléphones des autres.
Laurentino Da Silva : Ca a consolidé les affinités, mais ça ne nous a pas rapproché des personnes avec qui on se sentait étranger.
Hafed Benotman : La plupart du temps, quand quelqu’un sort de prison, il zappe l’intérieur et ceux qui y sont encore. J’ai en mémoire que les uns et les autres sommes allés nous chercher pour les permissions, nous avons fait passer des commissions, on est resté en lien. C’est hyper rare, même avec des intervenants, et ça, on le doit à ce qui s’est passé à l’intérieur. Ça veut dire que ce petit lien invisible qui s’est produit à l’intérieur et a crée un tissu social, relationnel ou je ne sais pas comment on peut l’appeler a une importance terrible. Maintenant ceux qui sont restés et avec qui on n’avait pas d’affinité ont peut-être créé un groupe comme le nôtre qui va fonctionner ailleurs et autrement. Ça fait boule de neige, c’est pourquoi je vous parle à l’intérieur d’un théâtre de résistance. Personne n’a le droit de mettre son nez dans ces relations humaines, ni la justice, ni les intervenants, ni rien parce qu’on nous apporte quelque chose à l’intérieur : un art, on le fait notre et on s’en sert comme bon nous semble. Personne ne peut nous dire « on t’a donné de l’or, essaye de ne pas en faire de la boue », si on veut en faire de la boue, on en fait de la boue. Créé intra-muros ce lien est très important. La culture pour moi sert à ça , c’est à dire donner aux prisonniers et qu’eux en fassent ce qu’ils veulent : que ce soit un outil politique, un outil de résistance, quelque chose de ludique. Maintenant il y a un autre lien, qui pour moi est culturel, c’est la correspondance : écrire des lettres. Il y a des correspondances intra-muros qui s’échangent de prison en prison où il y a des discussions, des dialogues, des pensées et des recherches. Souvent ces correspondances sont mal vues quand il s’agit de gens qui revendiquent un peu les choses et elles sont cassées ; c’est à dire qu’une lettre au lieu de mettre 2 jours à arriver, elle met 15 Jours. Ça rompt le dialogue et il y a un moment où ça se distance et on isole des gens. La correspondance est avant tout un rapport à l’écriture qui devrait être encouragé quoique la personne écrive. Je ne parle pas de menaces de morts ou de choses comme ça. Quelle que soit la relation épistolaire qui est créée, c’est avant tout de l’écriture, de la culture, de la pensée. Mais l’alchimie qui se passe à l’intérieur entre les personnes est hyper importante.
Le type qui dessine, même si avec des gros guillemets, c’est la « pire des canailles », il y aura toujours un prisonnier qui viendra apporter la photomaton de son gamin pour qu’il fasse le portrait de son anniversaire. C’est important. Celui qui sait faire des poèmes, ce que j’appelle des poèmes de prison, quand « désespoir » rime avec « placard », celui là va écrire des poèmes pour les autres. Celui qui sait lire, on va lui dire « j’ai une correspondante, je suis con, mais tu peux me dire ce que je devrais lire pour faire semblant d’être intelligent quand j’écris », l’autre va lui conseiller des livres. Tout ça c’est de la culture et à l’intérieur il faut l’encourager. Les intervenants qui viennent doivent savoir que ça existe et que c’est à eux de filer le petit déclic parce qu’ils ont un regard extérieur ; ils peuvent devenir metteur en scène de la vie sociale et culturelle à l’intérieur de la prison parce qu’il se passe des choses extraordinaires, l’inventivité et la créativité, c’est extraordinaire ! Le summum, quand ils sont assez intelligents pour réussir une belle évasion mais faire un beau tableau c’est extra aussi.
Catherine Ayache : C’est une vision de la culture qui sert à protéger. Vous dites que dans la détention, il y a des choses extraordinaires qui se passent, c’est évident ! C’est une 1ère chose et deuxièmement, pourquoi ces choses extraordinaires ne pourraient pas avoir accès vers l’extérieur à travers la culture ? Quand vous dites, si on donne à un détenu de quoi faire de l’or et qu’il en fait de la boue, pourquoi en faire de la boue, et pourquoi il n’y a pas d’extériorisation de ça ? C’est aussi terrible que ça ?
Hafed Benotman : Je ne dis pas que ça doit tourner en cercle fermé à l’intérieur, sinon on va créer des fous. Evidemment, il faut que ça sorte à l’extérieur par des correspondances, des expos ou par des représentations. Quand un spectacle est joué, les prisonniers pourraient le faire à l’extérieur, quitte à ce qu’on mette le RAID ou le GIGN pour les escorter au théâtre. Donnons nous les moyens.
Jean-Christophe Poisson : Ils ont refusé de me les donner. Ils assumaient mal le fait de voir des comédiens arriver en fourgon.
Audrey Chenu : Il paraît que ça s’était fait avec les femmes à Bapaume.
Hafed Benotman : Il y a eu un reportage là-dessus.
Nicole Charpail : Je ne pense pas qu’on rencontre forcément tous les questions au même moment et au même endroit. Personnellement, si j’ai envie de me battre pour dépasser les obstacles, c’est pour une autre raison que ça. Ce que tu dis, c’est très bien. C’est comme dans la vie. Mes voisins méritent qu’on s’intéresse à eux autant que les taulards de la maison d’arrêt de Fresnes. Ce qui m’intéresse, c’est ce que des artistes, des détenus que je ne rencontre pas en tant que détenus mais personnes ont de fondamentalement intéressant, de singulier, de particulier, de sorte que le débat puisse avoir lieu entre leurs prises de position et leur vie ceux des gens de l’extérieur devient vraiment intéressante parce que cette parole là on ne l’entend pas. La question que je me pose moi, en tant qu’artiste quand je rentre en prison, c’est de se dire « on arrive à faire des représentions, à faire entrer des gens de l’extérieur à la force du poignet, c’est très bien », mais je me dis que c’est quand même très peu par rapport à ce qu’il faudrait bouger au niveau de la société. Mon combat est d’arriver avec les gens aussi de l’extérieur à faire qu à un moment donné, il soit un peu plus possible de faire des trucs dans la taule et de faire sortir des trucs de la taule . Moi si j’écris, le temps d’arriver à faire sortir mon bouquin, ça va être très compliqué, quand je sortirai, je n’arriverai plus à le lire. La question, c’est aussi la suite et il peut y avoir un moment très beau, magique à l’intérieur de la taule mais si la personne sort qu’elle se retrouve exactement dans la même merde, elle se dit qu’il y en a marre aussi.
Hafed Benotman : A l’extérieur, avec les voisins d’immeuble, personne n’empêche personne de vivre cette vie sociale.
Nicole Charpail : bien sûr que si !
Hafed Benotman : Entre voisin, il n’y a personne qui vient casser la relation si elle se fait et à ’intérieur de la prison, on empêche la vie sociale. Je te donne un exemple, c’est à l’intérieur d’une prison que la culture aide à créer de la vie. Maintenant quand on voit et je suis resté 19 mois aux arrivants à Melun, un endroit où on reste 15 jours - 1 mois, et on disait aux autres prisonnier « vous fréquentez Benotman ! ». C’était au niveau du PEP, je jouais aux échecs, j’aimais lire et écrire, dialoguer avec tout le monde. J’étais considéré comme un vilain petit canard donc le lien social que je créais avec les autres prisonniers, le PEP invitait les prisonniers à ne pas me fréquenter.
Laurentino Da Silvo : Il disait que ça pouvait influencer le juge.
Hafed Benotman : C’est ce que je dis, il faut créer de la vie à l’intérieur.
Nicole Charpail : Nous sommes d’accord, mais comment agir ? Quels sont les obstacles ? C’est aussi une question de législation, de pouvoir.
Laurentino Da Silva : Je ne sais pas si ça été dit, le problème de la culture en prison, c’est le rapport que certains surveillants ont à la culture et aux études : ils sont réfractaires.
Nicole Charpail : Tout à fait !
Laurentibo Da Silva : C’est important, car actuellement, le Ministère recrute des surveillants qui vont être formés pour la prison. Justement, c’est à ce niveau qu’il faudrait agir, sur la formation des surveillants.
Nicole Charpail : On veut ou on ne veut pas, il faut qu’il y ait un débat là-dessus. Est ce qu’on veut rendre le surveillant de base accessible, un peu plus intelligent, moins méchant ? Est ce que les artistes veulent aussi ça ou on ne le veut pas ?
Jean-Christophe Poisson : nous avons parlé hier matin de tout ça. De toute façon, il faut faire un constat. Le Ministère e la Justice et les représentants de l’administration pénitentiaire, de la base au sommet, ne sont pas présents alors qu’ils ont été invités.
Jean Marc Van Rossem : Je pense que l’artistique concerne aussi les institutions. Est ce qu’on fait quelque chose qui est morcelé ou ponctuel ou est ce qu’on fait quelque chose qui est global ?. On parle depuis quelques temps des nouveaux éducateurs et de leur formation, c’est vrai que je me suis aperçu en parlant avec des artistes qu’on restait dans cette espèce d’isolement et on était dans ces états de souffrance en disant « oui, il y a une incompréhension d’un côté », aussi bien chez le gardiens que chez l’éducateur qui posent les mêmes questions. C’est vrai que si on veut aller un peu plus loin, il faut que celui qui est dans cette position de pont, de passage, de passerelle, permette le contact entre l’artiste et l’institution au sens propre et figuré .C’est vrai qu’il faut aussi qu’on s’interroge sur la formation, il faut que les gens soient sensibilisés d’e l’autre côté. C’est quelque chose qui me paraît important, à un moment donné, quand on met les pieds quelque part, il faut garder sa spécificité, ce qui ne veut pas dire qu’on devient une espèce généraliste, il faut regarder l’institution dans son ensemble et se dire en tant qu’artiste, si j’interviens avec des détenus, il faut aussi que j’intervienne avec les surveillants. Cette sensibilisation est importante.
Maryse Aubert : Est ce qu’il existe des formations pour les gardiens avec des interventions culturelles ?
Jean Marc Van Rossem : Oui il y a des formations à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, certaines communes au Ministère de la Justice donc ouvertes à l’Administration Pénitentiaire, mais elles sont insuffisantes.
Maryse Aubert : S’ils faisaient un stage de théâtre, ils seraient plus sensibilisés aux autres et aux horaires.
Jean Marc Van Rossem : Certainement. Pratiquer une activité donne une autre regard.
Jean-Christophe Poisson : Encore une fois, je pense que ça dépend beaucoup des établissements. Même si un gardien est sensibilisé, qu’il est intelligent, ouvert et qu’il se retrouve en Maison d’arrêt, à Fresnes par exemple qui est l’archétype, il n’a aucune marche de manoeuvre. Il y a une année où je suis intervenu à Fresnes avec un ami, on avait la chapelle à Fresnes pour toutes les répétions et on avait 19 gardiens pour surveiller les répétitions par 1/2 journée. Il se passait des choses humainement intéressantes qui ont contaminé les gardiens : au bout d’un moment qu’on revient de la chapelle dans les couloirs, on se parlait et les gardiens parlaient aux détenus et lorsque cela s’est su dans la hiérarchie, il y a un gradé qui est arrivé alors que c’est très feutré, très silencieux. Tout d’un coup le type est monté en régime, il a remis tous les acteurs contre le mûr alors qu’on était un peu disloqué dans la file. Il y a une reprise en main terrible et tous les gardiens qui étaient en empathie avec la démarche se sont retrouvés matés par la machine . Cela me permet de raccrocher une chose par rapport à la position de l’artiste en centre de détention, on est dans une position floue. On est un peu dans une probabilité d’existence, on ne fait pas partie du personnel pénitentiaire, ni des détenus avec qui on travaille. Notre statut n’est pas très solide. Les seules règles que je peux respecter avec les gardiens, c’est la courtoisie. On s’aperçoit dès l’instant qu’on est juste et qu’on respecte le code minimale de civilité, comme on est dans une position floue, on obtient des choses et que l’espace artistique se construit à travers ça. Qu’il y a un espace de transmission par rapport aux gardiens de ma place d’intervenant qui peut aussi agir. Encore une fois l’institution est complètement différente entre une Maison d’arrêt et un Centre de détention.
Jean-Marc Van Rossem : Je crois que c’est important que les artistes aient des exigences, même s’il savent qu’à un moment donné ils devront faire des concessions ,mais c’est vrai que s’il y avait une charte par rapport aux exigences artistiques, on ferait peut être évoluer ce temps de détention. Ce n’est pas en s’opposant à l’administration pénitentiaire qu’on va faire avancer les choses. Une charte qui pourrait peut-être éviter d’être souvent dans le compromis. C’est comme ça qu’on fait aussi avancer les choses à l’intérieur d’une administration, quand elle est un peu bousculé par l’extérieur. A un moment, c’est l’extérieur qui va lui permettre d’avancer, parce qu’à un moment donné elle s’est ouverte un peu à l’extérieur. Ca lui met des coups de boutoir et elle va repenser à avancer par rapport à sa fonction. Dans ce que disait Benotman, il y a une richesse à l’intérieur, partout il y a une richesse, mais il faut faire attention de ne pas faire une culture de la prison non plus. On est dans tous ces dangers. L’individu en tant que tel, quelle place il a dans ce lieu là ? Ç a peut se voir dans d’autres lieux aussi.
Hafed Ben Otman : Dans tous les lieux d’enfermement ! Dans un orphelinat, un hospice de vieillards, dans une cité etc... mais la prison est intéressante parce que c’est un carrefour où tous les enfermements se rejoignent. Travailler sur la prison, c’est travailler sur la cité, sur l’hôpital sur tout ça.
Nicole Charpail : J’ai un petit problème sur comment avancer par rapport à ce que tu dis. Je pense aux chargés de mission culture-prison qui sont en train d’écrire un espèce de guide pour aider à monter des projets en prison. On voit un certain nombre de choses qui ont à voir avec ce que tu disais : comment poser un projet dès lors que c’est un projet de partenariat, de qualité etc. Quand les choses sont écrites, elles font peur parce que les critères de qualités culturelles, on sait ce qu’ils représentent au niveau de la Drac, on sait que pour chacun de nous, la qualité, ce n’est pas la même chose. Vous avez entendu parler des actions de THECIF à une époque qui se sont complètement cassé la gueule, non pas à cause de la justice ou de la culture mais de l’intérieur d’une prison qui au dernier moment, à la dernière porte, écrasait un projet. Au fond, je me dis que si la prison n’est pas un lieu de merde, une métaphore, c’est un paradoxe par rapport à la société qu’il faut l’aborder. Qui est derrière une idéologie qui fait que, même quand on nous dit qu’il faut faire quelque chose de vachement bien, que la culture c’est intéressant en prison, il y aura toujours quelqu’un qui n’en voudra pas ou le cassera ou le jalousera ou l’esquintera. C’est parce que nous sommes dans cette société. Qui travaille à ça ? il n’y a que des artistes qui sont dans cette position. On n’est plusieurs à entrer : il y a des médecins, des enseignants donc c’est la société qui entre. C’est peut être à plusieurs personnes de revendiquer des bases de respect de ce travail. Je crois que c’est plus large que la culture
Jean Marc Van Rossem : C’est vrai qu’il y a un protocole qui s’appelle justice - culture qui a été fait en 86.
Nicole Charpail : Ca ne fait pas longtemps que c’est appliqué.
Jean Marc Van Rossem : C’est vrai qu’il y a une bagarre beaucoup plus générale. Pour moi, la prison fait partie de la cité, elle n’est pas exclue, alors que c’est le lieu à part et que les institutions culturelles publiques doivent à un moment donné et c’est écrit dans le protocole se soucier de ce lieu-là. Ce territoire culturel n’est pas à part. C’est aussi aux Ministères de dépoussiérer ces protocoles ou de les mettre en place.
Jean-Christophe Poisson : Ca rappelle le texte initial que je vous avais proposé. Ce qu’on constate dans les textes, aussi bien que les circulaires ou dans le code de procédure pénale, dans les directives ministérielles ou dans les notes internes : les choses sont prévues mais elles ne sont pas appliquées. En tout cas, en ce qui concerne la détention, le détenu a le droit de travailler, ce n’est pas obligatoire. Tout est écrit de façon très floue, c’est-à-dire que tout est possible. Il y a des phrases qui sont écrites de manière lapidaire pour dire les choses mais rien est fait. C’est pour ça que je voulais aussi que le Ministère de justice et de la culture soient là pour qu’on ait l’état des lieux de ce qui est écrit ? Dire pourquoi ?
Catherine Hayache : Au niveau de l’écriture, nous avons tout ce qu’il faut mais ça, c’est une question de personne. À un moment donné, ces écrits, on en fait des langues de bois ou pas et à partir d’un moment, il faut partir du fond, du début de l’histoire. Quand un atelier se crée, je ne me suis pas penchée sur la question, pourquoi il n’y aurait pas une réunion au niveau du bâtiment. Je sais qu’au niveau du D5, il y a un chef de détention qui est assez intéressant. Je l’ai vu dans une association, je trouvais qu’il était assez proche, assez partant, il avait des idées et c’était quelque chose qui avait son importance. Il me semble qu’il faut partir du début de l’histoire. Quelles sont les exigences que vous avez, de savoir que si un atelier est créé, c’est comme ça ou comme ça ? qu’il faut que les détenus viennent, qu’ils ne doivent pas taper une heure à la porte avant de descendre. Il y a peut-être des choses à dire et il me semble que tout ça n’est pas dit. Moi, des fois, je dis des choses qui ne sont jamais dites.
Maryse Aubert : A l’intérieur évidemment tout le monde le sait. Pour nous, c’est tellement évident, nous avons tellement l’habitude. Mais Je voudrais relier ce que ce que tu as dit et qui me semble très intéressant et qui commence à donner une orientation. Je crois qu’il est très difficile de parler de tous ces sujets s’il n’y a pas un axe politique. Ça fait 2 jours qu’on parle d’un sujet qui est éminemment politique. Comme vous dites, ce n’est pas dit parce que c’est tellement évident qu’on ne va pas en parler. C’est vrai que la prison est un reflet de la société ; ça a été dit, crié en sociologie. Il y a un moment où on va se mettre à tourner en rond si on n’attaque pas l’axe directement politique. Pourquoi une société et notamment la société française refuse de voir ce qui se passe dans les prisons ? Ce n’est pas du tout par hasard. Les orientations politiques de tous les partis, c’est la même chose. Ramener les choses à ce niveau parce que au quotidien, chaque fois que je rentre à Fleury, le premier problème que je rencontre est politique. Par exemple les surveillants, pourquoi les choses qui ont été décidées ne se pratiquent pas ? Il suffit d’aller voir le responsable syndical des surveillants, on parle politique. C’est-à-dire tout le monde sait qu’il n’y a pas assez de personnel, il y a tel et tel problème, et nous, notre action syndicale consiste à tout faire foirer pour que ça ne marche pas, comme ça on nous écoutera. Volonté politique. Voilà pourquoi je n’arrive pas à travailler à cause de la volonté politique du syndicat des surveillants. C’est dit clairement.
Catherine Hayache : Je ne peux pas rester comme ça. Il y a un rapport de force et de pouvoir.
Maryse Aubert : Nous savons tous que les syndicats après ont main mise sur l’organisation. Donc, c’est très intéressant tout ce qu’on a dit parce que ça fait le bilan des lieux. On voit à peu près qu’on sait tous les problèmes qu’on rencontre et peut être puisqu’on va se quitter dans pas très longtemps et il faut qu’on explique quel axe on choisit. Pour dire que dans une telle assemblée, pour que je m’y reconnaisse il faut que ce soit politique sinon je ne m’y reconnaîtrai pas.
Francine Oyane : C’est quand la grève de tous les intervenants ?
Jean-Christophe Poisson : Qui sont les intervenants d’abord ? Ce que vient de suggérer Francine, à quand une grève des intervenants ? Par rapport à ce qui s’est dessiné hier, même le Ministère de la Culture ou la Drac ne sont pas capables de recenser les intervenants et les interventions en détentions. Il y en a qui sont identifiées clairement parce qu’ils sont aidés mais on n’a pas une image exhaustive de ce qui se passe. La grève générale ne peut exister tant qu’on ne sait pas qui fait quoi parce qu’il y a beaucoup de gens qui interviennent de façon ponctuelle pour des associations qui vont disparaître. La grève des interventions se serait comme un chirurgien qui n’opérerait plus.
Laurentino Da Silva : Ca n’aurait pas beaucoup d’effets, je pense.
Catherine Hayache : Ce n’est pas une grève qu’il faut faire. Au contraire il faut faire encore plus.
Jean-Christophe Poisson : C’est une boutade !
Nicolas Roméas : Je peux dire une petite chose ? Sur cette histoire parce que vous dites si on ne considère pas que c’est une question politique, on va tourner en rond mais, une fois qu’on aura considéré cette question politique, on aura fait le constat des outils existants, on tournera à nouveau en rond aussi. Je veux dire que c’est un processus qu’on connaît déjà. Les outils dont on dispose actuellement ne sont pas efficaces pour travailler véritablement politiquement. On peut travailler avec les forces politiques telles qu’elles existent au fond. On commence à savoir que l’instrumentalisation de la culture est absolument générale. Il n’y a pas une formation politique dans ce pays qui, depuis un certain temps, ne se soit pas servi d’une certaine idée de la culture à des fins qui n’ont rien à voir avec une valorisation de cet outil comme outil de civilisation. Ce qui signifie qu’il faut inventer un outil et l’outil n’existe pas. Il y a 3 jours, il y avait un débat à la Sorbonne qui s’intitulait « Culture et civilisation », j’ai eu un instant d’illusion initié par Arnaud Montebourg, pour donner une idée. Les pires incompétents étaient à la tribune, socialistes, consensuels surfaient sur les idées porteuses de plan de carrière possible. Une fois qu’on a défini un axe politique, comment est-ce qu’on fabrique un outil d’analyse et d’action, c’est-à-dire qui puisse travailler sur l’idée commune de l’acte culturel et artistique pour une analyse sociétale. C’est-à-dire qui puisse aussi bien travailler dans le cerveau du gardien que dans celui du ministre, que dans le nôtre, qui soit commune et partagée par chacun. Comment est ce qu’on peut travailler là-dessus, c’est une question qui n’est pas simple parce que je trouve qu’on manque de force de pensée, intellectuelle. Je ne vois pas qui dans quelle école aujourd’hui. Si vous avez une idée, allons-y ! Où sont les écoles intellectuelles qui peuvent nous aider à fabriquer ?
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je suis d’accord. J’ai l’impression qu’on n’a plus accès qu’à ça. Construisons ensemble un centre de légitimité entre nos propres colères et nos propres envies de travail en n’étant pas forcément d’accord les uns avec les autres. Mais avançons comme ça. Si on se donne une théorie et un modèle politique, on est cuits. Etre politique, c’est ça ! Avançons à partir de là où on est avec nos légitimités, tenter des ouvertures, mettre en route des processus et surtout d’avoir dans l’idée que c’est essentiel pour la société de faire du théâtre en prison. C’est essentiel pour le théâtre d’aller en prison. C’est essentiel pour les citoyens de bosser dans la prison et pas l’inverse. C’est génial d’y aller mais c’est encore plus important de la renvoyer à l’extérieur. J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus d’artistes qui se pointent dans ces zones avec cette intention, que ce soit dans les prisons, dans les hôpitaux ou autres choses. Il y a un type d’outil, de levier qui un jour arrive à fédérer. Peut-être qu’il y a des gens qui ne sont pas au courant que des gens discutent autour de ce sujet qui nous rejoindraient volontiers.
Maryse Aubert : Il n’est pas question de faire de la politique autour de ça car la politique ne m’intéresse pas du tout. Si on arrive en réfléchissant comme on est en train de le faire à dégager des axes. Par exemple, je vais dire un truc qui n’est pas affiné, mais qui est un point de départ : on sait que la prison est une zone de non droit, que la loi française n’est pas appliquée. Premier axe politique par exemple, peut être faire un groupe de pression qui va faire appliquer la loi française dans les prisons. Je me base par exemple sur la taxe Tobin, quand elle est sortie, ça faisait plus que marrer les gens ; Libé a titré « ce n’est pas imbécile mais un synonyme, cette idée complètement idiote, etc » mais aujourd’hui ils sont au parlement européen et ils sont partis sur un axe : la taxe Tobin. Et tout autour c’était comme disait Jean-Pierre hier : visibilité, information, groupe de pression.
Nicolas Roméas : Marketing, Tobin n’était pas d’accord avec eux.
Maryse Aubert : Ca n’a aucune importance. Quel est le rapport ? Tous les moyens sont bons.
Nicolas Roméas : Non, tous les moyens ne sont pas bons.
Maryse Aubert : A partir du moment où on défend une idée, peu importe ! ça dépend ; on peut philosopher des heures dessus. Marketing, lobbying et tout ça... Pourquoi pas ? Ce n’est pas ça qui me gêne. En tout cas si on veut dégager des axes, si ça change vraiment la face des choses alors beaucoup de moyens sont bons.
Audrey Chenu : Comment voulez-vous faire pression ?
Maryse Aubert : S’il y a beaucoup de personnes réunies, ils ont tous des contacts, des ouvertures, des choses à droite, à gauche qui peuvent faire leur chemin. On est tous d’horizons et de milieux différents et si on relie quelque chose qui se construit avec tous nos petits mondes autour. Commencer à en parler, c’est commencer à déranger. C’est très bien d’être subversif de toute manière. De lancer des questionnements.
Audrey Chenu : Je pense déjà aux actes et on en est encore aux paroles.
Maryse Aubert : Il faut déterminer des actions, pourquoi pas ?Se faire voir à un certain endroit. Il y a certains mouvements qui sont devenus internationaux, ils ont dû partir à 3 ou 4 dans une pièce et ça se met à se regrouper et à réfléchir ensemble.
Voix anonyme : Est ce que de manière très précise, vous avez les moyens de vous reconnaître, de savoir qui travaille où ?
Hafed Benotman : Il y a le site de ban public, l’Envolée qui est interdit en prison mais ce n’est pas grave.
Francine Oyane : En même, il faut aller sur le terrain. Il ne faut pas que le prisonnier reste isolé, qu’il fasse sa petite guerre dans sa cellule avec lui même. Quand il y a des grèves par exemples, disons les intervenants pour des motifs x, y, z par rapport au fric. Je pense aussi que c’est une occasion pour les intervenants de se joindre à eux même si leur revendication ne sont pas identiques. C’est une façon de pouvoir se fédérer entre eux . Quand les instituteurs font grève, c’est aussi une occasion d’aller vers eux parce qu’il y a aussi des instituteurs à l’intérieur. J’ai l’impression qu’autant nous les anciens détenus que les intervenants se sentent marginalisés, vous aussi qui intervenez à l’intérieur, vous sortez en dehors de la société et de surcroît marginalisés. Il y a à mon avis pas mal de contacts à faire.
Jean-Christophe Poisson : C’est quand même une chose qui a traversé ces deux journées. Ce qui est important, c’est qu’il faut créer un centre de ressources qui ne soit pas forcément une source d’information unique car notre idée est très thématique, celle de l’éthique de l’intervention culturelle en détention.
Audrey Chenu : Ca ne sert à rien de multiplier les instances.
Jean-Christophe Poisson : Plus tu es centralisé, plus tu es fragile. Je veux dire un site peut techniquement disparaître d’Internet.
Hafed Benotman : Ce qui est important, c’est que les personnes qui font des interventions dans les prisons en France ou ailleurs sachent que les choses commencent à exister. Une fois qu’ils sont au courant et veulent prendre contact, ils sachent qu’il y a au moins un contact possible. Quand on sera un peu plus nombreux, on y verra un peu plus clair, ne serait-ce que quand un intervenant est viré parce qu’il a un problème quelconque, la plupart du temps les autres intervenants ne sont pas au courant ou ne disent rien. Là, on peut monter au créneau parce que c’est un abus et c’est arbitraire. Ne serait-ce que ça , savoir que quelque chose commence, existe et concerne les intervenants extérieurs en milieu carcéral, ce serait déjà un début.
Jean-Christophe Poisson : Et ce serait fondé sur cette notion de centre de ressources.
Francine Oyane : D’autant plus, vous ne le savez peut être pas que vous avez aussi un pouvoir immense dedans. Imaginez que dans une taule tous les intervenants décident de ne pas se rendre, vous allez voir comment ils sont dans la merde. L’administration sera vraiment dans la « cata ». Qu’est ce qu’ils vont en faire de toute ces personnes qu’ils casaient dans les activités. Ils ne sauront pas quoi faire pour les calmer et les maîtriser. Je pense que le petit pouvoir dont vous disposez, il faut savoir l’utiliser en fédérant.
Jean-Christophe Poisson : En ayant connaissance de l’étendu. Quand je parlais de centre de ressources, il s’agit d’un recensement de tous les 187 établissements français qui pratiquent des activités artistiques, quelles activités artistiques et puis l’éducation et l’école mais on ne peut pas tout savoir. C’est un travail pharaonique de communication et de travail mutuel, ce n’est pas du pistage de qui fait quoi mécanique. C’est de savoir effectivement, tiens, il y a un problème parce qu’une compagnie a été virée de Fresnes.
Laurentino da Silva : Pour qu’un intervenant quand il a un problème puisse avoir le conseil des autres.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Le problème, c’est qu’on peut passer des années à recenser. Je crois qu’il faut partir du désir d’agir, je trouve que l’urgence est bonne conseillère en l’occurrence. Je suis d’accord avec Maryse, comment est ce qu’on peut faire pression entre guillemet là où on peut. C’est vrai qu’on est plus costaud, plus solide à poser les choses ensemble que de bosser tout seul et on le rencontre dans le quotidien du travail artistique. On peut passer des heures à raconter ensemble les moments où les uns et les autres où on ne sait pas comment s’y prendre et cela met en question le travail qu’on fait. Ca le met en question mais ça le propulse. C’est parce que je suis aussi un travailleur empêché dans mon travail que je vais être obligé de trouver des solutions qui ne sont peut être pas inintéressantes. C’est un paradoxe mais c’est l’intérêt aussi sinon. C’est parce qu’on fait du théâtre là et qu’on ne fait que ça au fond. Nous avons nos façons de faire du théâtre. C’est parce qu’il y a précisément ses empêchements et des choses à surmonter mais ça ne se fait pas comme ça. Il y a aussi des choses qui sont des empêchements qui nous ramènent en arrière. Comment on peut faire bouger ? Je crois qu’on a tous un besoin énorme de parole, de se raconter des choses de se décrire ces univers.
Maryse Aubert : Justement par rapport à la parole, il y a aussi un autre axe qui m’intéresse beaucoup, on sait tous à quel point les médias font la mentalité de la société et de plein d’autres sociétés parce qu’on connaît tous parfaitement j’imagine le pouvoir des médias et comment ils fabriquent. On peut être une contre information, c’est à dire l’information avec la participation des détenus et des anciens détenus une autre parole, et donner un point de vue totalement contradictoire qui vous ressemble, les personnes qui ont à témoigner, qui nous ressemble à nous intervenants dedans et non pas à ce que les médias veulent dessiner de la prison française qui influence énormément l’opinion publique et conditionnent les conditions de détention et ce qui se passe à l’intérieur. Il y a un dédain par rapport à ça . On peut être l’instrument d’une autre parole, moins confidentielle, moins marginale que Ban public et tous ceux qui ont essayé de se diffuser parce qu’on est en liaison avec d’autres centres qui regroupent des gens qui ont un auditoire. Par exemple si je m’occupe des quartiers d’Evry et qu’il y a quelque chose de diffusé, ça y est, il y a une autre façon de lire la parole des acteurs des prisons. La parole, rectifier la parole, ça me paraît essentiel.
Nicolas Roméas : Si ça vous semble utile, hier on en a parlé avec les gens de Cassandre, on proposerait une rubrique régulière à chaque parution de 2,3 pages qui pourrait être l’émanation de vos conversations etc...
Jean-Christophe Poisson : C’est génial.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : On parlait de spectacle et je disais tout à l’heure de l’importance de la publicité même si on doit le faire, même si c’est compliqué de faire en sorte qu’on sache qu’il y a des spectacles qui se déroulent à tel jour à tel endroit et que tel texte est mis en scène. Même si quelqu’un téléphone à la prison en disant « je veux assister » et qu’on l’envoie chier, ce serait pas mal, ce ne serait peut être pas mal.
Francine Oyane : Et tu dirais « allez voir la juge d’application des peines pour une autorisation ».
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Ce qui me paraît fondamental c’est de voir le travail : peinture, danse, cinéma, théâtre, art plastique.
Jean-Christophe Poisson : Voir et savoir !
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Et que le public ne soit pas un public réservé, c’est le public et c’est ouvert. Il faut militer dans ce sens. Faire connaître et que les gens sachent qu’il y a tous ces spectacles, ces représentations, ces expos.
Jean-Christophe Poisson : Ce que je propose pour la suite concrète de cette table, déjà qu’on passe à table comme dit Hafed. Il va y avoir une édition de ce que Mamadou a noté. Nous allons l’applaudir. Tout ce qui a été dit va être retranscrit dans sa diversité et dans toute sa richesse. Il vous sera adressé le plus rapidement possible. Nicolas Roméas a soulevé une piste très concrète qui est celle d’un espace ouvert dans Cassandre et qui est un coup de projecteur vers l’avenir assez brillant. Pour le lieu d’information, je tombe assez facilement dans les moyens les plus efficaces qui sont Internet. C’est là où on percute le plus et on voit le plus profondément. Est ce qu’il y a lieu de créer un site Internet, c’est une question à se poser, qui avait été évoquée par La Villette avec tous les soucis que ça envoie comme coût.
Nicolas Roméas : Il y a une chose qui est très pratique, qui est simple , c’est une liste de diffusion. Ca ne coûte rien et tu peux avoir des milliers de gens qui reçoivent des infos. C’est largement aussi utile qu’un site Internet. C’est très simple à faire.
Jean-Pierre Chrétien-Goni : Il faut qu’il y ait quelqu’un qui l’anime concrètement.
Jean-Christophe Poisson : De toute façon, on ne va pas mettre un robot. Ce que je propose, c’est qu’on interrompe ce gros temps d’échange qui donnera lieu à un recueil exhaustif des débats et qu’on se revoit pour structurer quelques pistes d’action et même sur des contenus par rapport à Cassandre, des idées d’actions telles qu’elles ont été évoquées là et de toute façon de partir vers l’idée d’une structure rythmée et fixe de rencontre entre ceux qui veulent vraiment s’y coller. Nous reprendrons un contact épistolaire avec ce document et on fixe un rendez-vous pour passer à l’acte.
FIN