Tribunal Administratif de Paris
REQUETE EN EXCES DE POUVOIRS
POUR : Monsieur Michel GHELLAM, né le 30 septembre 1959 à FREJUS, demeurant Maison d’arrêt de la Santé, 42, rue de la Santé 75014 PARIS,
Ayant pour avocat Maître Françoise LUNEAU, barreau des Hauts de Seine (PN 335), 175 quater boulevard Jean Jaurès 92100 BOULOGNE BILLANCOURT, téléphone : 01.46.04.59.59. Télécopie : 01.46.04.60.94.
CONTRE :
La décision du 12 juin 2001 de Monsieur le Directeur de la Maison d’arrêt de la Santé de placement en isolement,
La décision du 18 juin 2001 de Monsieur Hugues BERBAIN, chef du Bureau de gestion de la détention auprès de la direction de l’administration pénitentiaire de PARIS,
Monsieur Michel GHELLAM a l’honneur de solliciter l’annulation des décisions précitées sur le fondement des observations suivantes :
1. Rappel des faits
Monsieur Michel GHELLAM a été placé en isolement le 1er octobre 1993.
Monsieur Michel GHELLAM était détenu jusqu’au mois de juin 2001 au sein de la Centrale de MOULINS.
Puis, il a été transféré au cours du mois de juin 2001 à la Maison d’Arrêt de la Santé.
Le 12 juin 2001, Monsieur GHELLAM a été conduit à l’isolement, sans information ni explication préalable, et sans être présenté dans les formes prévues aux articles D 250 et suivants du Code de Procédure Pénale.
Dans un premier temps, aucune décision de mise en isolement ne lui a été notifiée.
Puis, Monsieur GHELLAM s’est vu notifier le 19 juin 2001 une décision de " validation, en régularisation " de son placement en isolement, prononcée par Monsieur BERBAIN, chef du bureau de gestion de la détention de la Direction de l’administration pénitentiaire de Paris, en date du 18 juin 2001.
2. Sur le recours en excès de pouvoir
A. Sur la recevabilité du présent recours
L’article 283-2 dispose que " la mise à l’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire ".
Néanmoins, il est constant que toute décision d’une autorité administrative faisant grief à celui à l’encontre de laquelle elle a été édictée est susceptible d’un recours en excès de pouvoir.
La faculté d’introduire un recours en excès de pouvoir devant le Juge Administratif est d’ailleurs un Principe Fondamental du Droit Administratif.
Ce n’est donc qu’en appréciant in concreto si une décision de l’autorité administrative fait grief ou non à l’intéressé que les Juridictions administratives peuvent déterminer si un recours en excès de pouvoir est recevable ou non.
Dans le cas d’espèce, la décision administrative attaquée fait particulièrement grief à Monsieur GHELLAM ;
La mise en l’isolement a entraîné une modification certaine de ses conditions de détention, (déjà extrêmement difficiles en détention ordinaire) et par voie de conséquence de sa situation juridique.
En effet, Monsieur GHELLAM ne bénéficie plus de parloirs et ne peut plus suivre les activités culturelles et sportives auxquelles il avait initialement accès.
Au surplus, cette décision de placement à l’isolement a été mentionnée sur la fiche carcérale de Monsieur GHELLAM, ce qui lui interdira certaines mesures d’assouplissement de peine.
La décision administrative attaquée fait donc particulièrement grief à Monsieur GHELLAM.
Il s’agit bien d’une décision administrative susceptible d’un recours en excès de pouvoir.
Mais encore, il convient de rappeler l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme dispose :
" Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (…) "
La Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme énonce que droit de tout individu à un procès équitable est applicable en matière de contentieux disciplinaire.
Il s’agit d’un droit absolu reconnu dans le cadre d’une convention internationale ayant valeur supra légale, et en tout état de cause, supérieure aux dispositions réglementaires de l’article D 283-2 du Code de Procédure Pénale.
Pareillement, la Jurisprudence du Conseil d’Etat énonce que les mesures d’ordre Intérieur sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir (Conseil d’état, arrêt d’assemblée du 17 février 1995 " Marie Hardouin " ; Tribunal Administratif de PARIS, 16 mai 1995 " Astier " ; ,Tribunal Administratif de PARIS 6 décembre 1995 " Bekkouche ").
Selon cette Jurisprudence désormais établie, les sanctions prononcées par l’administration pénitentiaire à l’encontre des détenus sont susceptibles d’un recours en excès de pouvoir devant les Juridictions administratives.
En l’espèce, la décision de placement de Monsieur GHELLAM à l’isolement constitue, compte tenu des faits de l’espèce, une véritable sanction disciplinaire déguisée.
Monsieur GHELLAM a été placé à l’isolement sans aucune explication préalable et sans être présenté à la commission de discipline de l’établissement dans les formes prévues aux articles D 250 et suivants du Code de Procédure Pénale.
Il ne lui a pas été permis de présenter ses observations et de se faire assister par le conseil de son choix.
Aucune décision de placement en isolement ne lui a été notifiée.
La décision de " validation, en régularisation " de la mise en isolement de Monsieur GHELLAM en date du 18 juin 2001 énonce par ailleurs que cette mesure a été appliquée à Monsieur GHELLAM en raison de la participation de ce dernier à " un mouvement collectif qui a gravement troublé l’ordre à la Maison Centrale de MOULINS ".
A lire la seconde décision déférée, c’est bien cette circonstance qui a motivée le placement en isolement de Monsieur GHELLAM dès le 12 juin 2001.
Il est curieux également de constater que seul Monsieur GHELLAM ( qui ne constitue pas à lui seul "un mouvement collectif" ) a fait l’objet d’une telle mesure.
En fait, il ne s’agit d’un prétexte fallacieux.
Or, la participation à un mouvement collectif de nature à perturber l’ordre de l’établissement constitue une faute disciplinaire de 2ème degré, par application de l’article D 249-2 du Code de Procédure Pénale ;
Dès lors, la décision de mise à l’isolement de Monsieur GHELLAM constituait bien une sanction disciplinaire, susceptible d’un recours en excès de pouvoir.
Il est donc demandé au Tribunal de céans de déclarer recevable le présent recours en annulation.
B. sur le fond
I - Sur l’inexistence juridique de la décision du 12 juin 2001
Il convient de rappeler que Monsieur GHELLAM s’est vu conduire, le 12 juin 2001, sans explication ni information préalables, au quartier d’isolement de la Maison d’Arrêt de la Santé.
Il ne lui a été remis aucune décision en ce sens émanant du Directeur de la Maison d’arrêt de Moulins.
La décision en date du 18 juin du Chef du Bureau de gestion de la détention de la Direction des services pénitentiaires de PARIS a " validé, en régularisation " le placement initial de Monsieur GHELLAM à l’isolement.
Néanmoins, le chef du bureau de gestion de la détention de la Direction des services pénitentiaires de Paris n’a pas joint à son envoi de copie de la prétendue décision de placement initial à l’isolement de Monsieur GHELLAM.
Dans ces conditions, il apparaît qu’en réalité la prétendue décision en date du 12 juin 2001 est dépourvue de toute réalité juridique.
Il est donc demandé au Tribunal de Céans de constater l’inexistence juridique de la décision de placement en isolement de Monsieur GHELLAM en date du 12 juin 2001.
II - Sur l’annulation de la décision en date du 18 juin 2001
1. Sur l’incompétence de son auteur
L’article D 283-1 du Code de Procédure pénale dispose :
" La mise à l’isolement est ordonnée par le Chef d’établissement qui rend compte à bref délai au Directeur régional et au Juge d’Application des Peines "
En l’espèce, la décision de " validation, en régularisation " du placement à l’isolement de Monsieur GHELLAM a été prononcée par Monsieur BERBAIN, exerçant la fonction de chef du Bureau de gestion de la détention au sein de l’administration pénitentiaire de Paris.
Monsieur BERBAIN n’est donc pas le " chef d’établissement " de la Maison d’Arrêt de la Santé.
En tout état de cause, les dispositions de l’article D 283-1 du Code de Procédure Pénale n’attribue à l’administration pénitentiaire régionale dont dépendent les Maisons d’Arrêt aucune compétence de régularisation d’une mesure de placement en isolement d’un détenu.
Dès lors, l’auteur de la décision déférée était incompétent pour prononcer la décision critiquée.
L’annulation est donc encourue de ce chef.
2. Sur la violation de la loi
La participation à un mouvement collectif de nature à perturber l’ordre de l’établissement constitue une faute disciplinaire de 2ème degré, par application de l’article D 249-2 du Code de Procédure Pénale.
En l’espèce, il est reproché dans La décision de validation de la mise en isolement de Monsieur GHELLAM en date du 18 juin 2001 la participation de ce dernier à " un mouvement collectif qui a gravement troublé l’ordre à la Maison Centrale de MOULINS ".
A lire cette décision, c’est bien cette circonstance qui a motivée la mise à l’isolement de Monsieur GHELLAM dès le 12 juin 2001.
La décision de validation en régularisation du placement de Monsieur GHELLAM à l’isolement constitue, compte tenu des faits de l’espèce, une véritable sanction disciplinaire déguisée.
Or, les articles D 250 et suivants du Code de Procédure Pénale énoncent les règles relatives au prononcé des sanctions disciplinaires à l’encontre des détenus.
Notamment, aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée hors la tenue de la commission de discipline régulièrement convoquée ;
Les détenus ont le droit d’être assister par un avocat et de s’entretenir librement avec lui avant le passage devant la Commission de discipline.
En l’espèce, Monsieur GHELLAM a été placé à l’isolement sans aucune explication préalable.
Il n’a pas été présenté à la commission de discipline de l’établissement.
Il ne lui a pas été permis de présenter ses observations.
La décision de placement à l’isolement n’a pas été notifiée à Monsieur GHELAM avant le 19 juin 2001.
Dès lors, la décision en date du 18 juin 2001 a été prononcée en violation des règles impératives énoncées aux articles D 250 et suivants du Code de Procédure Pénale.
La décision déférée encourt donc l’annulation de plus fort.
3. Sur le défaut de motivation et l’erreur manifeste d’appréciation
Pour motiver sa décision, le Chef du Bureau de Gestion de la détention de l’Administration pénitentiaire de PARIS se contente d’exposer, sans autrement en justifier, que Monsieur GHELLAM a été placé à l’isolement le 12 juin 2001 en raison de sa participation à " un mouvement collectif qui a gravement troublé l’ordre à la Maison Centrale de MOULINS "
Les motivations de la décision entreprise sont dépourvues de fondement.
En l’état, ces accusations formulées à l’encontre de Monsieur GHELLAM ne sont corroborées par aucun rapport dans lequel l’administration pénitentiaire aurait pu consigner – comme c’est l’usage - les faits imputés aux détenus.
Monsieur GHELLAM entend d’ailleurs contester formellement ces accusations.
Faute de justifier de la réalité de la participation de Monsieur GHELLAM a un mouvement collectif au sein de la Maison Centrale de MOULINS, les seules allégations contenues dans la décision du 18 juin 2001 ne pouvaient à elles seules constituer une motivation suffisante pour que Monsieur GHELLAM fasse l’objet de la décision attaquée.
Le Tribunal constatera donc le défaut de motivation de la décision déférée.
Mais encore, il échet au requérant de souligner que les prétendus faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés au sein de la Maison Centrale de MOULINS.
Rien ne justifiait dès lors que Monsieur GHELLAM soit placé à l’isolement au sein de la maison d’arrêt de la Santé.
Au surplus, Monsieur GHELLAM était alors sous le régime de l’isolement, et ceci depuis le 1er octobre 1993, de sorte que la décision déférée n’était nullement justifiée.
La décision du chef du bureau de gestion de la détention de l’Administration pénitentiaire de Paris est donc entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un défaut de motivation.
L’annulation est donc encourue de ce chef.
4. Sur la contradiction des termes de la décision entreprise
Il convient de rappeler que la décision déférée prononce " la validation, en régularisation " du placement initial de Monsieur GHELLAM à l’isolement du 12 juin 2001, tout en énonçant que l’échéance de cette mesure est fixée au 12 septembre 2001.
Pourtant, cette décision a pour titre : " Décision initiale pour une mesure d’isolement de plus d’un an ".
Il y a donc contradiction dans les termes de la décision, qui ne peut tout à la fois régulariser une mesure de placement à l’isolement pour une durée de 3 mois et fixer cette même durée à un an.
Les termes de la décision déférée ne permettent donc même pas d’en saisir le sens.
L’annulation est donc encourue de plus fort de ce chef.
Monsieur GHELLAM a été contraint d’exposer des frais irrépétibles qu’il serait inéquitables de laisser à sa charge ; Il conviendra de condamner l’Administration pénitentiaire au paiement d’une somme de 20.000 francs en application des dispositions du Code de Tribunaux Administratifs.
PAR CES MOTIFS
IL EST DEMANDE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE :
- Dire et juger Monsieur GHELLAM recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Prononcer l’inexistence juridique de la décision du 12 juin 2001,
- Annuler la décision du 18 juin 2001 de Monsieur BERBAIN, chef du bureau de gestion de la détention de l’administration pénitentiaire de PARIS,
- Condamner l’Etat au paiement d’une somme de 20.000 francs au titre des frais irrépétibles de l’instance en application des dispositions du Code des Tribunaux Administratifs, ainsi qu’aux dépens.
Sous Toutes Réserves
Et ce sera Justice
Le 31 juillet 2001
A BOULOGNE BILLANCOURT
Françoise LUNEAU
Avocat
Pièce communiquée :
Décision du 18 juin 2001 du Chef du Bureau de gestion de la détention de l’administration pénitentiaire de PARIS