La France a mis en place de nombreuses mesures de prévention en milieu carcéral. Toutes ces mesures restent aujourd’hui pertinentes mais ne sont pas toutes effectives et efficaces. En outre, une mesure existant en milieu libre n’a pas été mise en oeuvre dans les établissements pénitentiaires. Il s’agit du libre accès au matériel stérile d’injection.
L’introduction de cette mesure dans les établissements pénitentiaires a été longuement discutée dans le cadre de la mission. La première partie exposera dans un premier temps les propositions faites par le groupe de travail pour améliorer l’efficacité des outils mis en place et, dans un second temps, l’analyse faite par le groupe de travail sur la question du matériel stérile d’injection et sur la mise en place de programmes d’échange de seringues. Au-delà des outils à mettre en place, la réflexion du groupe de travail a porté sur la stratégie à développer pour qu’il y ait une appropriation par tous des objectifs de prévention poursuivis. La deuxième partie développe un certain nombre de préconisations pour élaborer et mettre en oeuvre cette stratégie.
I. Les moyens de prévention en milieu carcéral
I.1. L’amélioration des mesures existantes
I.1.1. Inciter davantage aux dépistages des différents virus [1] et à la vaccination contre le VHB
Analyse
Au cours des travaux, il a pu être constaté que la prison jouait un rôle important dans l’accès au dépistage. Il apparaît toutefois que :
• au moment de l’entrée en détention, la personne incarcérée n’est pas toujours réceptive au message qui lui est délivré, compte tenu en particulier de son état de vulnérabilité psychologique au décours de l’épreuve de l’interpellation et de l’incarcération ;
• les risques de transmission du VHB et du VHC sont sous-évalués par les personnes détenues ;
• le dépistage des différentes hépatites est insuffisamment réalisé ;
• la vaccination contre le VHB est encore insuffisamment effectuée et n’est pas toujours complète (trois injections).
Propositions
• Renouveler l’information et la proposition d’un dépistage du VIH auprès des personnes détenues n’ayant pas effectué de dépistage, un mois après leur entrée en détention. Pour cela, le groupe de travail propose de prévoir une visite médicale systématique un mois après l’entrée en détention pour toutes les personnes détenues qui n’ont pas réalisé de dépistage du VIH et ne sont pas suivies de façon régulière par le service de santé de l’établissement. Cette deuxième rencontre doit également être l’occasion de proposer une vaccination contre le VHB et un dépistage du VHC pour les personnes présentant des facteurs de risques à ce virus.
• Mettre en place une consultation de dépistage et de prévention annuelle pour chaque personne détenue. Cette consultation sera l’occasion de donner des conseils de prévention, de sensibiliser les personnes détenues sur une démarche d’éducation à la santé et de renouveler les propositions de dépistage.
• Examiner la mise en place d’une visite médicale de sortie pour les personnes dont la date de sortie est prévisible.
La mise en oeuvre de ces trois propositions nécessitera l’examen du renforcement des moyens en personnels dans les services médicaux.
• Réactiver la campagne de vaccination contre l’hépatite B en milieu pénitentiaire. Pour ce faire, les personnels devront à nouveau être informés des subventions versées aux DRASS pour ce programme et sensibilisés sur la nécessité d’assurer les relais à l’extérieur en cas de vaccination contre le VHB (cf. : convention passée avec la Croix-Rouge française le 29 mai 1997 qui permet dans les vingt-trois départements concernés, la poursuite à titre gratuit d’une vaccination inachevée en prison, dans les unités de la CRF et des CSST.) Un conseil systématique et personnalisé sur la vaccination dans le cadre d’un conseil individuel doit être mis en place.
• Mettre à disposition des services de santé des brochures et des affiches sur le VIH et les hépatites.
• Développer les actions d’information et d’éducation à la santé autour de la vaccination contre le VHB et sur l’infection au VHC (exposition, prévention, dépistage, prise en charge).
I.1.2. Faciliter l’accès aux traitements prophylactiques en détention
Analyse
L’accès aux traitements prophylactiques post-exposition constitue un élément important dans le cadre d’une stratégie de réduction des risques à l’égard des personnes qui ont été exposées à un risque. Les traitements anti-rétroviraux permettent de réduire de façon significative les risques. Néanmoins, pour être efficaces, ils doivent être mis en oeuvre dans des délais extrêmement courts. Or, la procédure prévue pour la mise en oeuvre de ces traitements à l’égard des personnels semble peu connue de ces derniers. En outre, ces traitements semblent très peu mis en oeuvre à l’égard des personnes détenues.
Propositions
À l’égard des personnels
• Informer les personnels pénitentiaires sur l’existence des traitements post-exposition et sur les délais à respecter.
• Sensibiliser le personnel pénitentiaire d’encadrement sur les procédures à appliquer suite à une exposition au sang.
À l’égard des personnes détenues
• Porter à la connaissance des personnes détenues l’existence des traitements post-exposition. Cette information doit être véhiculée dès l’entrée endétention et renouvelée au sein du service médical ainsi que dans le cadre d’actions d’éducation à la santé.
• Veiller à ce que la procédure applicable aux personnes détenues soit effectivement définie dans chaque établissement pénitentiaire.
I.1.3. Renforcer l’efficacité de la mise en oeuvre de la mesure eau de Javel
Analyse
• La mise à disposition de flacons d’eau de Javel est une mesure effective en milieu carcéral. Les modalités de distribution, prévues dans la circulaire du 5 décembre 1996, sont satisfaisantes. Les quantités distribuées gratuitement apparaissent suffisantes pour assurer un usage à des fins de réduction des risques. Le cas échéant, l’accès en cantine permet un approvisionnement complémentaire.
La mesure, telle qu’elle a été mise en oeuvre, apparaît donc satisfaisante. Elle a d’ailleurs été bien accueillie dans les établissements pénitentiaires.
• En revanche, l’emploi de ce produit se fait dans un cadre purement hygiénique. Une étude réalisée par une équipe de l’INSERM en 1997 a démontré l’efficacité de l’eau de Javel à 12° chlorométrique sur les différents virus et l’absence de différences significatives entre une concentration à 12° et à 24°. Cependant, cette efficacité dépend du respect d’un protocole par l’utilisateur. Ce protocole est rappelé en annexe 14. Or, les conditions d’utilisation de l’eau de Javel à des fins de décontamination de matériel d’injection, de tatouage ou de piercing, sont insuffisamment intégrées, à la fois par le personnel et par les personnes détenues. La connaissance et la maîtrise par les personnes détenues du protocole de décontamination par l’eau de Javel est essentielle dans un contexte caractérisé par l’absence d’accès à du matériel stérile.
Propositions
• Sensibiliser les personnels et les personnes détenues sur l’efficacité de l’eau de Javel à 12° chlorométrique à des fins de décontamination.
• Sensibiliser les personnels sanitaires sur le protocole de décontamination, son importance pour les personnes détenues ayant ou susceptibles d’avoir des pratiques à risques. Valoriser leur rôle de conseil auprès des personnes détenues ; les sensibiliser sur la nécessité de diffuser le protocole au sein du service médical, notamment par le biais de support écrit ou vidéo.
• Diffuser plus largement le protocole d’utilisation de l’eau de Javel à des fins de décontamination dans les établissements pénitentiaires.
Pour ce faire :
- indiquer sur les flacons un usage possible à des fins de décontamination, la nécessité de respecter un protocole et le fait que celui-ci est diffusé par le service médical ;
- mettre à disposition des services médicaux des brochures et affiches ;
- intégrer un message spécifique dans des supports de prévention plus larges, diffusés à l’ensemble de la population pénale afin notamment de toucher les personnes détenues sollicitant rarement ou jamais le service médical.
• Développer les actions d’éducation à la santé autour de l’eau de Javel, notamment avec des associations de réduction des risques et des acteurs de prévention extérieurs.
I.1.4. Améliorer l’accessibilité au préservatif avec du lubrifiant
Analyse
La mise à disposition de préservatifs dans les établissements pénitentiaires est une mesure prévue depuis longtemps par les textes. Dans la plupart des établissements, voire tous, un accès aux préservatifs est possible dans les unités médicales.
Cependant, cette mesure n’est pas efficace dans la mesure où :
• l’information des personnes détenues sur la possibilité et les modalités d’accès aux préservatifs est insuffisante,
• les lieux où ce produit est accessible sont insuffisants,
• l’accès est souvent stigmatisant,
• les comportements de prévention n’ont pas été intégrés par toutes les personnes détenues,
• il existe un important non-dit sur la question de la sexualité en détention.
Propositions
L’accès au préservatif
D’une façon générale, la mission considère que la remise systématique de préservatifs à l’entrée, pendant la détention ou à la sortie n’est pas à retenir. Outre une dévalorisation de l’outil, la remisesystématique de préservatifs par l’administration pénitentiaire ou les services médicaux risque de renvoyer un message ambigu et d’être interprétée comme une incitation à avoir des relations sexuelles dans des circonstances qui n’y sont pas favorables.
Elle évacue également toute notion de responsabilisation du détenu, indispensable dans une démarche de prévention des risques par voie sexuelle. En outre, les différentes études montrant que les comportements de prévention ne sont pas assimilés par une grande partie de la population pénale, la remise systématique ne garantirait en rien l’efficacité de la mesure. Elle pourrait même être contreproductive en entraînant des réactions de rejet de la part de la population pénale.
En revanche, la mission estime qu’il est de la responsabilité des administrations d’offrir un accès réel à ce moyen de prévention. Pour élargir cet accès, il est proposé de :
• Mettre en place des distributeurs automatiques de préservatifs avec lubrifiant en divers lieux de la détention. Afin de banaliser le préservatif et de rendre plus discret son accès, la mission propose de diversifier les produits délivrés par ces automates et d’y introduire des produits de première nécessité (savon, papier hygiénique, lessive, rasoirs, serviettes périodiques dans les établissements pour femmes). Le groupe de travail considère que ces produits doivent être gratuits. Ils correspondent à des normes minimales d’hygiène qui doivent être garanties par l’administration. La gratuité permet en outre d’éviter d’éventuels trafics qui pourraient exister autour de jetons. Si des détériorations sont envisageables au moment de la mise en place de la mesure, il est probable qu’à moyen terme, la mesure soit intégrée dans la vie de la détention, dans la mesure où elle permet de répondre à un réel besoin.
• Développer en plus des automates les lieux de libre accès aux préservatifs avec lubrifiant au-delà du seul service médical. Divers lieux où il est possible de placer une corbeille avec des préservatifs en accès direct sont envisageables : locaux du service d’insertion et de probation, bibliothèques, vestiaires. La circulaire du 5 décembre 1996 ouvrait la possibilité de mettre des préservatifs à disposition dans des lieux non médicalisés.
Cette possibilité a été très peu utilisée. Il est nécessaire de relancer une réflexion au niveau local sur l’identification des lieux où il est possible de mettre des préservatifs en libre accès.
• Faire figurer les préservatifs avec lubrifiant parmi les produits cantinables. Il est certain que ce mode d’approvisionnement ne permet pas de garantir la discrétion nécessaire et sera vraisemblablement suivi de peu d’effet par les personnes détenues. Cependant, en mêlant des préservatifs à des produits d’usage courant, cette mesure contribuerait à banaliser leur présence au sein des établissements pénitentiaires et à réduire la charge symbolique négative qu’ils revêtent aujourd’hui. De plus, en rapprochant l’accès à celui existant en milieu libre, il contribuerait à clarifier la réglementation sur la question de la sexualité en détention.
• Mettre en place un outil adapté pour les femmes détenues. Les préservatifs féminins “Fémidon” doivent être mis à disposition des femmes détenues dans les mêmes conditions que le préservatif masculin.
La mise en oeuvre
La sexualité est au coeur de bien des problématiques pour les personnes détenues : frustration, culpabilité, domination, mode d’organisation sociale. Du côté des personnels qui doivent gérer les contradictions existantes entre la compassion qu’ils peuvent éprouver, le respect de l’intimité des personnes détenues, l’obligation de surveiller, de prévenir les incidents et d’appliquer le règlement, cette question provoque des situations d’injonction paradoxale.
L’amélioration de la prévention des risques sexuels en détention résultera indéniablement de la diminution de la charge symbolique négative que la question de la sexualité revêt actuellement, tant auprès des personnels qu’auprès des détenus. Le développement des unités de vie familiales est susceptible à terme de modifier l’approche de la question de la sexualité en détention et de favoriser une expression beaucoup plus libre à ce sujet. Au-delà, plusieurs pistes ont pu être dégagées sur ces questions particulièrement difficiles :
• Favoriser l’expression sur la question de la sexualité en détention
- Développer des lieux d’écoute et d’expression pour les personnels. Le monde de la détention est un milieu professionnel particulièrement difficile où le personnel peut être psychologiquement fragilisé quand il est confronté à des situations renvoyant à l’homosexualité ou susceptible de leur renvoyer une image négative d’eux-mêmes (position de “voyeur” au moment des parloirs ou de complicité par omission en cas de relations non consenties). Cette violence sous toutes ces formes provoque de la souffrance au quotidien. Il est nécessaire que celle-ci puisse s’exprimer et qu’un soutien soit apporté, tant sur le plan technique que psychologique au personnel travaillant en milieu pénitentiaire.
- Développer des lieux d’expression pour les personnes détenues. Aujourd’hui, les possibilités d’expression des personnes détenues sont encore limitées. Il apparaît nécessaire de développer tous types de projets susceptibles de favoriser une expression individuelle ou collective et permettre, au-delà, un travail sur la question de la sexualité en détention. Les supports les plus diversifiés doivent être mis en place : groupes de parole, jeux de rôle, ateliers d’écriture... Compte tenu de la complexité des situations et des problématiques, il est souhaitable qu’une réflexion sur les objectifs poursuivis, les méthodes d’intervention et les principes déontologiques soit menée par les deux ministères concernés.
• Diminuer les paradoxes entre les missions de sécurité dévolues aux personnels et la nécessité de préserver une sphère d’intimité à la personne détenue
- Clarifier la réglementation sur la question de la sexualité. Il est fortement ancré dans les esprits que les relations sexuelles sont interdites en détention. Or, le seul texte existant sur cette question est l’article D 249-2 du CPP qui mentionne que “constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour un détenu...” “d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur”. Ce texte ne prohibe pas les relations sexuelles mais seulement, tout comme à l’extérieur, les outrages ou les offenses à la pudeur. Il ne doit pas être interprété de façon extensive. La position de l’administration pénitentiaire doit être une position de neutralité dès lors que les relations ne sont pas en contradiction avec les textes légaux ou réglementaires qui sanctionnent les relations contraintes et/ou de nature à offenser la pudeur. Cette position de neutralité doit être clairement identifiée dans les pratiques professionnelles, notamment dans le cadre des formations des surveillants.
- Favoriser une réflexion sur les pratiques professionnelles des surveillants et sur les limites du “tout surveiller”. Au cours des débats, il est apparu à plusieurs reprises, à quel point, les obligations fixées au surveillant étaient incompatibles avec l’idée-même de préserver une sphère d’intimité à la personne incarcérée. Cette tendance au tout contrôler est renforcée à l’heure actuelle par la multiplication des actions en recherche de responsabilité contre l’État.
Cette nécessité de tout voir pour tout contrôler n’apparaît plus adaptée aujourd’hui. Avec la mise en place des unités de vie familiales, il existera pour la première fois en détention des lieux qui échapperont au regard des surveillants. Il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’efficacité réelle des contrôles à l’oeilleton et sur les moyens de passer à un contrôle plus qualitatif. Sur cette question, il semble au groupe de travail que certains équipements de cellule (mise en place d’un système d’alerte ou d’appel des surveillants par voie lumineuse ou par système d’interphone) sont susceptibles à terme de modifier en profondeur les relations entre personnes détenues et surveillants et de donner un rôle actif au détenu dans sa relation de surveillance.
• Laisser aux établissements pénitentiaires le choix des modalités pour améliorer l’accessibilité au préservatif. Des progrès ne pourront être réalisés sur le champ de la prévention des risques de contamination par voie sexuelle que s’il y a une réelle appropriation des enjeux et des objectifs poursuivis tant par les personnels que par les personnes détenues.
I.1.5. Développer les traitements de substitution
Analyse
Depuis plusieurs années, les traitements de substitution constituent un outil important dans le cadre de la prise en charge des dépendances aux opiacés.
S’il existe un certain nombre de “mésusages”, les différentes études réalisées démontrent qu’ils permettent un accès vers les structures médicales ou médico-sociales, qu’ils contribuent à améliorer l’état de santé des usagers et participent à la réduction des risques infectieux. Ils constituent un élément important dans le cadre d’une stratégie d’amélioration de la prise en charge des dépendances et de réduction des risques infectieux en détention.
À l’heure actuelle, la situation n’est pas satisfaisante dans la mesure où :
• En dépit des orientations données, l’accès à ces traitements n’est pas garanti, que ce soit au titre de la poursuite ou de l’initiation d’un traitement.
• Il existe une grande disparité des pratiques de prise en charge entre établissements et régions.
• L’accompagnement psychosocial des personnes dépendantes fait souvent défaut.
• Les protocoles ne sont pas toujours respectés par les usagers, de leur fait exclusif et/ou du manque de disponibilité des personnels soignants pour veiller à une bonne observance.
Le sevrage semble encore être la réponse dominante dans la prise en charge des personnes toxicomanes, bien que les protocoles utilisés paraissent inadaptés aux nouveaux produits consommés. De ce fait, la diversité de l’offre de soins en direction des personnes dépendantes n’est pas assurée dans tous les établissements.
Propositions
Les propositions visent à développer l’accès au traitements de substitution en milieu carcéral mais aussi à en assurer la réussite. Plusieurs pistes sont dégagées :
• Élargir l’autorisation de mise sur marché de laméthadone aux hospitaliers afin de permettre aux médecins hospitaliers des établissements non dotés de SMPR de prescrire un traitement par méthadone.
• Développer les formations des équipes sanitaires sur les traitements de substitution (protocoles, dosages...) et leur intérêt pour les personnes détenues dépendantes.
• Impulser une réflexion sur les modalités de mise en oeuvre des traitements de substitution les mieux adaptées aux besoins des usagers. Afin de favoriser cette réflexion, la mission propose d’organiser - dans le cadre des journées régionales envisagées pour la mise en oeuvre des présentes recommandations - des rencontres régionales sur la substitution en milieu carcéral. Ces rencontres qui regrouperaient les personnels médicaux et spécialisés intervenant en milieu pénitentiaire, des praticiens extérieurs et des personnels pénitentiaires (surveillants et travailleurs sociaux) formés sur la question des dépendances, auraient pour objectifs de faire émerger un consensus sur les modalités de mise en oeuvre de la substitution en milieu carcéral. Ces rencontres, seraient l’occasion d’aborder les points suivants :
- Les bénéfices attendus de la prescription d’un traitement de substitution en milieu carcéral. À cet égard, il apparaît nécessaire de rappeler que la substitution permet de stabiliser l’état de la personne et de favoriser une prise en charge.
L’objectif n’est pas nécessairement un sevrage à court ou moyen terme, mais l’offre d’une aide à la personne dans la gestion de sa dépendance.
- Les méfaits induits par l’arrêt, à l’entrée de la détention, d’un traitement instauré en milieu libre. L’étude menée par l’ORS PACA établit que les personnes sous substitution à l’entrée en détention sont plus à risque de s’injecter en détention et que l’arrêt de ces traitements augmente les probabilités de s’injecter en détention et donc les risques infectieux chez les personnes dont le traitement a été arrêté.
L’accent doit être mis sur cette question.
- Les avantages et les limites du Subutex® et de la méthadone.
- Les dosages adaptés aux besoins de la personne.
- La nécessité de s’inscrire dans une perspective de continuité des soins : prise en compte des prises en charge antérieures, nécessité d’assurer les relais en cas de transfert ou de sortie.
- Les modalités de délivrance de ces traitements.
La circulaire de 1996 prévoit une remise quotidienne de ces traitements, y compris le weekend.
Cette disposition a été adoptée dans le souci d’établir un contact régulier avec l’équipe médicale et de limiter les risques d’intoxication et de trafics. Elle est de moins en moins respectée du fait de la charge de travail et des contraintes organisationnelles que cela crée pour les services. La mission estime que cette disposition reste pertinente et qu’il convient de privilégier une délivrance quotidienne dans la mesure où :
• le suivi régulier de la personne permet d’appréhender sa réaction au protocole et de cerner ses besoins sanitaires,
• elle permet d’établir une relation de confiance avec l’équipe sanitaire,
• elle permet de prévenir les détournements éventuels,
• elle favorise une prise en compte globale de ses besoins.
• Sensibiliser les personnels pénitentiaires à l’intérêt des traitements de substitution dans le cadre des prises en charge des détenus toxicomanes. À cet effet, la substitution et ses effets thérapeutiques doivent être abordés dans le cadre de la formation initiale et/ou de modules de sensibilisation sur sites d’une demi ou d’une journée. Elle doit les informer sur l’intérêt de la substitution en tant qu’outil de réduction des risques infectieux. Les débats actuels autour de cette politique doivent pouvoir être exposés de manière objective, afin de mettre en évidence les positions des professionnels de santé, qu’elles soient réservées ou favorables à l’égard de la substitution.
• Inscrire la prescription des traitements de substitution dans une prise en charge globale de la personne détenue. La substitution ne peut se limiter à la délivrance du seul traitement. Elle doit reposer sur un projet englobant les aspects médicaux et psychosociaux afin d’aider la personne à s’engager sur la voie de la réinsertion.
La formation des personnels sanitaires, ainsi que des personnels d’insertion doit englober l’approche psychosociale des personnes détenues, et particulièrement de ceux bénéficiant d’un traitement de substitution.
Des modules relatifs à la prise en charge globale de la personne doivent également être organisés pour le personnel d’insertion. Ils pourront porter notamment sur la mise en place d’un réseau avec l’extérieur pour la réinsertion du détenu (associations - CPAM - organismes de formation...).
I.1.6. Développer les actions d’éducation à la santé
Analyse
Une mesure de prévention n’est efficace que si le sujet se l’approprie. S’il est de la responsabilité de l’administration de mettre à disposition des personnes détenues un certain nombre de moyens de prévention, il est tout aussi important de lessensibiliser à l’intérêt de ces mesures et à la nécessité de les mettre en oeuvre. Or, il ressort du bilan effectué que si la dynamique a commencé à se mettre en oeuvre, elle est encore bien insuffisante.
Propositions
• Répertorier et valoriser les expériences locales.
• Développer au niveau local les actions de sensibilisation sur les différents virus, le dépistage, la vaccination hépatite B et le protocole d’utilisation de l’eau de Javel. Afin de mobiliser les acteurs, la mission propose de mettre en place un concours d’actions annuel ou biennal sur ces différents thèmes.
• Promouvoir auprès des sites une méthodologie pour développer et évaluer ces actions. À cet égard, il est important d’identifier préalablement les besoins au niveau local, de favoriser l’implication des personnes détenues dans l’élaboration et la réalisation des actions, de construire un projet en commun entre les services et d’associer les partenaires extérieurs dans la mise en oeuvre de ces actions : CODESS et associations de réduction des risques.
I.2. La question de l’accès au matériel stérile d’injection en détention
À l’heure actuelle, trois pays européens (Suisse, Allemagne, Espagne) ont développé des programmes expérimentaux d’échange de seringues en milieu carcéral. Les programmes les plus anciens sont les programmes suisses. Ils ont été mis en place dans les prisons d’Hindelbank (canton de Berne) et d’Oberschöngrün (canton de Soleure) en 1994.
Deux autres programmes ont été développés en 1996 et 1997 dans les prisons de Realta (Grisons) et de Champ-Dollon (canton de Genève).
Trois expériences ont été lancées en 1996 en Allemagne dans les prisons de Vechta, Lingen (Basse-Saxe) et dans la prison de Vierlande (État d’Hambourg). Un dernier programme a commencé à fonctionner en 1997 en Espagne (prison de Basauri). Trois programmes ont fait l’objet d’une évaluation. Les résultats de ces évaluations sont exposés en annexe (annexe 20). Ils ont permis au groupe de travail d’identifier un certain nombre de points communs sur les conditions d’implantation, de fonctionnement et les résultats de ces programmes. Ces points communs seront exposés avant d’aborder la question de l’introduction de cette mesure en France.
I.2.1. Les expériences étrangères
L’implantation
• L’usage de produits stupéfiants reste interdit dans tous les établissements.
• La proportion d’usagers de drogues dures ou d’UDVI dans les établissements concernés est importante (30 % des entrants en Suisse, environ 50 % en Basse-Saxe...).
• Les expériences pilotes ont été implantées dans les établissements où l’offre de soins est ancienne et diversifiée (programme de méthadone dans tous les établissements, psychothérapie individuelle ou familiale, désintoxication aux antagonistes en Espagne...).
• Dans tous les cas, des mesures d’accompagnement ont été prévues (actions de formation des personnels, séances d’information, manifestations de groupe, consultations animées par des intervenants
externes et proposition de psychothérapie à l’égard des détenus).
• L’implantation a généralement nécessité entre un et deux ans.
• Les établissements sont de petite ou moyenne taille.
• Partout, il existait une assez forte réticence a priori des personnels - notamment des personnels pénitentiaires - à l’implantation d’un tel programme.
Le fonctionnement
• Les programmes sont fréquentés : le nombre de seringues distribuées est important.
• Le taux de fréquentation est plus important en cas de mise en place d’automates.
• Le protocole fixé est dans l’ensemble bien respecté. On constate un bon taux de retour des seringues. Quelques seringues sont manquantes mais il s’agit d’une très faible proportion par rapport au nombre de seringues distribuées. En revanche, les seringues ne sont pas toujours déposées dans le lieu prévu à cet effet en cellule.
• La seringue n’est pas utilisée comme arme. Les craintes à cet égard s’atténuent progressivement.
• Les personnels de surveillance ressentent une très forte contradiction entre le contrôle de l’introduction de drogues en détention et l’accès au matériel stérile d’injection.
• Ces programmes permettent de parler plus librement des problèmes de drogues en détention. Ils sont parfois interprétés comme une première étape vers la légalisation des drogues.
• Les détenus non usagers sont plutôt hostiles au développement de tels programmes (hostilité à l’égard des toxicomanes, programme qui ne leur est pas destiné).
• Les détenus usagers craignent que la fréquentation du programme n’entraîne à leur égard un renforcement des mesures de surveillance et une perte de chance d’obtenir un aménagement de peine. Cet effet n’a pas été vérifié dans le cadre des évaluations.
Les résultats
• Les programmes entraînent une baisse du partage de seringues pour les personnes qui y participent.
• Les programmes ont une incidence plutôt positive sur l’état de santé des détenus qui y participent.
• Lorsque cela a été évalué, il ne semble pas y avoir d’augmentation de la quantité et de la fréquence de la consommation de drogues dans les établissements, du fait de la mise en place d’un programme d’échange de seringues. L’évaluation d’Hindelbank indique que, seules les femmes qui consommaient avant d’entrer en prison, ont continué à en prendre en prison. La part de détenues consommant de l’héroïne et de la cocaïne en prison n’a pas changé après l’installation des automates à seringues et les séances de prévention. La fréquence et les modes de consommations non plus. En revanche, les consommations intramuros chez les usagers de drogues se poursuivent dans une forte proportion dans cet établissement.
• Des réseaux d’échanges secondaires peuvent se constituer. Ainsi, dans l’évaluation de Lingen, il est signalé qu’une seringue retirée au programme peut être un objet de trafic à l’égard des usagers qui ne fréquentent pas le programme. Une seringue retirée peut donc être utilisée plusieurs fois par des personnes différentes.
• Ces programmes semblent sans incidence sur les taux de fréquentation des programmes d’abstinence ou de substitution. Ils semblent même avoir une influence positive à cet égard.
I.2.2. L’analyse du groupe de travail sur l’implantation de cette mesure en France
Des expériences étrangères plutôt positives
Les premières expériences mises en place montrent un bon fonctionnement et une bonne intégration dans la vie de l’établissement des programmes implantés. Les effets pervers qui pouvaient être craints (augmentation de la consommation de drogues, agression des personnels...) n’ont pas été vérifiés. Cela démontre la faisabilité de telles expériences lorsque le contexte y est favorable.
Les objectifs de santé publique semblent au moins partiellement atteints : fréquentation des programmes, diminution du partage de seringues chez les participants, amélioration de l’état de santé des participants.
Cependant, la méthodologie employée par les évaluateurs ne permet pas d’apprécier dans l’ensemble des établissements concernés l’efficacité réelle et l’impact global de ces programmes.
On ne connaît pas le taux de fréquentation de ces programmes (% d’UDVI fréquentant le programme par rapport au nombre d’UDVI s’injectant en détention), l’assiduité à ce programme ainsi que l’impact réel sur les modes de consommation (absorption, inhalation ou injection). Des trafics de seringues dont on ignore l’ampleur, sont signalés.
Ces trafics, s’ils s’avéraient importants, seraient incontestablement de nature à limiter l’impact de la mesure en termes de réduction des risques. De plus, d’après les renseignements recueillis, un programme expérimental (Vierlande) ne semble pas avoir aussi bien fonctionné que ceux qui ont été étudiés dans le cadre de la mission.
Enfin, il subsiste une forte contradiction entre la mise en place de cette mesure, les missions de surveillance du personnel et le sens de la peine.
L’effet de ces contradictions est extrêmement difficile à évaluer.
Des expériences qui bénéficient d’un contexte local favorable
Les pays qui ont pris l’initiative de mettre en place des programmes pilotes d’échange de seringues en détention sont nettement plus avancés que la France dans la politique développée à l’égard des usagers de drogues. Les législations ou pratiques judiciaires sont plus souples. Hormis l’Espagne, les mesures de réduction des risques sont plus anciennes. Cette politique est bien assumée sur le plan politique et acceptée par l’opinion publique.
À cet égard, alors que la politique de réduction des risques demeure encore fragile en France, la Suisse a pu mener en 1999 un référendum sur la poursuite de la politique de réduction des risques en direction des usagers de drogues par voie intraveineuse. Cette consultation populaire a confirmé la nécessité de poursuivre cette politique. Les évaluateurs allemands signalent que les mesures comme les programmes d’échange de seringues, les actions de prévention et d’information, l’accès au matériel de santé, les salles d’injections et la méthadone à bas seuil ont été développés depuis longtemps. Ces mesures sont répandues et facilement accessibles dans la plupart des régions. Il faut signaler un niveau d’acceptation important de la politique de réduction des risques dans ces pays. La législation espagnole est plus souple. Après une dépénalisation de l’usage de drogues dans les années 80, elle a rétabli une incrimination, mais uniquement pour l’usage public. Les sanctions prévues sont de simples sanctions administratives.
Les sites pilotes pénitentiaires bénéficient d’un contexte local favorable. Les réponses en termes de prise en charge sont anciennes et diversifiées. La prise de conscience sur les comportements à risque est ancienne. La question a été abordée pour la première fois en 1987 à Hindelbank. Il y a eu une prise de conscience concernant les risques sanitaires liés à l’usage de drogue en prison en 1994 en Allemagne. L’importance des UDVI incarcérés et la très forte proportion de pratiques d’injection intramuros
- à Lingen et Vechta environ 20 à 30 % de la population pénale aurait déjà eu des pratiques d’injection en détention - ont très certainement contribué à lever les réticences et à faire apparaître la question de la réduction des risques en détention comme un objectif important de santé publique.
Des expériences difficilement transposables en France à l’heure actuelle.
Une mise en oeuvre prématurée
La réussite des mesures de réduction des risques dépend étroitement du niveau de compréhension et d’adhésion, tant de la part de l’opinion publique que des professionnels et des intéressés. Le développement de cette politique en milieu libre nécessite au préalable un travail d’explication et de concertation entre les différents services de l’État, les collectivités territoriales et, par la suite, un travail pédagogique en direction des habitants des quartiers.
D’une manière générale, la France a réagi avec lenteur à la propagation du VIH et des hépatites.
Elle n’a développé que récemment une véritable politique de substitution. Aujourd’hui, la politique de réduction des risques est encore fragile et pas toujours bien acceptée. L’apparition des traitements antirétroviraux et leurs effets positifs sur l’entréedans la maladie ont modifié la perception de la population générale et des personnes exposées à l’égard du virus du sida. La menace que celui-ci représentait au tout début de l’épidémie a perdu de
sa force.
En milieu carcéral, le concept a fait récemment son apparition. La prise de conscience sur les pratiques à risques en détention est récente. Les premières études documentées ont été réalisées dans le cadre de cette mission. Les mesures de prévention déjà mises en place (substitution, eau de Javel, préservatifs) souffrent d’imperfections importantes. Elles ne sont pas encore totalement acceptées et assimilées, tant par les personnels que par les personnes détenues.
Les comportements de prévention ne sont pas encore intégrés. Les équipes restent encore très attachées à un principe d’abstinence.
Le contexte français n’apparaît donc pas propice à la mise en place d’une nouvelle mesure qui, par ailleurs, est discutée. En l’état des choses, cette mesure ne serait pas davantage acceptée par les personnes détenues que par les personnels. Le rapport de l’ORS PACA souligne que la plupart des professionnels rencontrés estiment que l’introduction de la mesure aurait plus d’inconvénients que d’avantages. Les directeurs d’établissement pénitentiaire y sont défavorables dans 97 % des cas. Dans la plupart des cas, cette pratique ne semble pas compatible, pour les médecins interrogés par l’ORS PACA, avec une politique de lutte contre la toxicomanie et rencontre ses limites dans le cadre législatif pénitentiaire qui proscrit tout usage de drogues. Le rapport RESSCOM relève - suite aux interviews d’anciens détenus - qu’à l’heure actuelle la mesure ferait l’objet d’une incompréhension totale de la part des usagers.
Cette faible acceptation de la mesure serait incontestablement de nature à en limiter l’efficacité.
L’introduction d’une telle mesure nécessiterait une appropriation et une motivation particulière des acteurs locaux. À cet égard, l’expérimentation d’une telle mesure sur un site particulièrement préparé à cet effet a été discutée au sein du groupe de travail.
Outre le fait que ce site actuellement n’est pas identifié, l’absence de perspectives de généralisation à l’heure actuelle, pose à terme une difficulté pour assurer une égalité de traitement dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Ces données font apparaître que la France n’est pas dans le même contexte politique, institutionnel et d’évolution des mentalités que les pays qui ont mis en place des programmes pilotes.
Compte tenu de ces éléments, le groupe de travail estime qu’il apparaît difficile et pas forcément souhaitable aujourd’hui de mettre en place cette nouvelle mesure sans avoir consolidé préalablement l’existant.
Une efficacité incertaine
Les expériences étrangères établissent une diminution des pratiques de partage chez les participants au programme. Pour ces personnes la mesure atteint donc bien son objectif. Néanmoins, certaines limites sont à prendre en considération.
La récente étude bibliographique consacrée à l’efficacité des programmes d’échange de seringues dans le monde tend à établir que cette solution est efficace, dès lors qu’elle s’inscrit dans un contexte de diversité de l’offre de seringues (automates, programmes d’échange de seringues, pharmacies).
Cette diversité ne serait pas assurée en détention [2].
Par ailleurs, des travaux menés à l’étranger en milieu libre ont fait également apparaître que des réseaux secondaires d’échange de seringues pouvaient se mettre en place, les seringues provenant des programmes circulant auprès de plusieurs personnes. Or, dans un contexte de prohibition où les pratiques sont clandestines, et où les usagers négligent souvent les risques sanitaires au regard des risques pénaux ou disciplinaires, la constitution de réseaux d’échange de seringues apparaît probable.
De plus, selon les études, entre 60 et 80 % des UDVI cessent l’injection en détention. Les évaluations des expériences étrangères n’examinent pas l’impact de la mesure sur les modes d’administration des produits. Un risque de reprise de l’injection chez certaines personnes est à prendre en considération.
Enfin, l’une des préoccupations actuelles des pouvoirs publics est le risque de transmission du VHC, lié au partage du produit et du reste du matériel.
Dans un contexte de rareté des produits qui favorise le partage de seringues pleines ou la mise en commun des produits, l’accès au matériel d’injection ne permet pas d’agir efficacement sur ces risques. En détention, cette mesure serait probablement d’un effet limité sur ces risques.
Compte tenu de la rareté des produits qui circulent, de la prévalence des maladies infectieuses et des comportements des détenus face à la prise de risques en détention, il n’est pas certain que, dans le contexte de l’incarcération, la mesure ait des effets positifs en terme de santé publique.
Direction de l’administration pénitentiaire - Direction générale de la santé
Une pertinence discutée
Une difficulté majeure subsiste en raison du sens que revêt cette mesure dans un contexte d’interdiction et dans un lieu d’exécution d’une peine. Les contradictions qui existent entre libre accès au matériel d’injection et prohibition de tout usage de drogues apparaissent beaucoup plus difficiles à gérer en milieu pénitentiaire qu’en milieu libre.
Dans un système juridique qui pénalise l’usage de drogues, cette mesure entre en conflit avec l’objet même de la peine qui est de rappeler l’existence de la règle, de sanctionner son non-respect et de prévenir le renouvellement de sa violation. Cette contradiction serait d’autant plus forte que la condamnation serait en lien avec des faits d’usage de drogues illicites. Elle est de nature à fragiliser les repères structurants que la sanction doit apporter à une personne qui, à un moment, s’est située dans la violation de la loi. Cela apparaît d’autant plus problématique que les personnes toxicomanes sont souvent dans le passage à l’acte et ont besoin de repères clairs et solides.
Les évaluations signalent également toute la contradiction forte existant entre les missions du personnel de surveillance qui sont d’observer, surveiller et de faire sanctionner les pratiques d’usage et de trafic de drogues et la libéralisation de l’accès au matériel d’injection en détention.
Les membres de la mission estiment que ces paradoxes sont susceptibles d’engendrer une perte des repères et des valeurs professionnelles chez les surveillants. Cela serait préjudiciable pour l’institution, les personnels qui y travaillent et les personnes détenues. Les surveillants sont en contact quotidien avec les personnes détenues. Leur positionnement est crucial dans la relation que la personne détenue peut entretenir, non seulement avec l’institution pénitentiaire, mais également avec toute forme d’organisation sociale. Ils sont les garants d’un bon rapport à l’autorité et, pour cela, doivent avoir un positionnement clair. Toute ambiguïté est susceptible de porter atteinte à leur légitimité et à la légitimité de la sanction.
Enfin, une telle mesure pose un problème de cohérence avec le reste de la réglementation qui prohibe en prison la consommation de toutes les substances psychoactives, y compris licites (alcool).
En l’état actuel des textes, l’implantation de programmes d’échanges de seringues en détention serait de nature à affecter la cohérence des politiques et à fragiliser l’institution pénitentiaire.
L’introduction de la mesure impliquerait de ne pas sanctionner et de tolérer l’usage de drogues, au moins chez les usagers fréquentant le programme.
Les membres de la mission estiment qu’un tel choix ne relève pas de l’institution pénitentiaire, mais d’un véritable choix politique qui doit être cohérent, débattu et assumé devant l’opinion publique.
Pour ces diverses raisons, cette mesure pose, à l’heure actuelle, un gros problème d’acceptabilité, tant à l’égard des personnels que des personnes détenues et de l’opinion publique.
Au regard de l’ensemble de ces éléments et de l’existence d’une alternative fiable pour décontaminer le matériel d’injection (eau de Javel), la mission estime que la mise en oeuvre de cette mesure n’est pas souhaitable pour le moment. Sans exclure que la question soit ré-examinée à moyen terme, elle ne recommande donc pas l’introduction de cette mesure.
II. Une stratégie de mise en oeuvre
La première partie des propositions détaille les mesures de prévention à développer en milieu pénitentiaire. Mais, au-delà des mesures, il est apparu nécessaire de s’interroger sur la stratégie de mise en oeuvre de ces mesures. En effet, le bilan effectué par la mission sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral, a fait apparaître que les mesures préconisées n’étaient pas toujours effectives dans les établissements pénitentiaires.
À cet égard, il a pu ressortir au cours des échanges, lors des auditions et des déplacements, qu’il existait un problème de compréhension, voire d’adhésion aux mesures, tant du côté des personnels que des personnes détenues. Pour parvenir à une meilleure efficacité de la politique développée, le groupe de travail préconise d’afficher une volonté politique forte sur la question de la réduction des risques en milieu carcéral, d’accompagner cette politique auprès des équipes de terrain et d’inscrire cette politique dans une approche plus globale.
II.1. Afficher une volonté politique forte
II.1.1. Communiquer
Informer
Au cours des entretiens avec les personnels, il est apparu que, dans un contexte de diminution des contaminations et d’apparition des nouveaux traitements, la question de la lutte contre le VIH était perçue à l’heure actuelle comme moins prioritaire qu’au cours des années 90. Les troubles psychiatriques, la précarité sociale et sanitaire, les conditions d’hygiène en détention, la promiscuité carcérale sont davantage au coeur des préoccupations des équipes. D’une façon générale, la question de la prévention apparaît comme secondaire, par rapport à la problématique de l’accès aux soins et de l’hygiène en détention.
Or, les chiffres et le travail réalisé dans le cadre de cette mission attestent que la question de la lutte contre le VIH et les hépatites doit rester une priorité en milieu carcéral.
L’appropriation, par les professionnels de terrain, des objectifs poursuivis nécessite une connaissance précise de la situation et des différents enjeux.
À cet égard, le groupe de travail préconise, dans le cadre de la mise en oeuvre des recommandations, une large diffusion des résultats des différentes études réalisées et du présent rapport afin de délivrer une information objective aux services déconcentrés et aux équipes sur :
• La situation épidémiologique des prisons vis-à-vis du VIH et des hépatites.
• Les comportements à risques en détention vis-àvis de ces virus.
• Les risques de contamination en détention concernant le VIH et les hépatites
Une information des organisations professionnelles sur le rapport rendu par la mission et la stratégie adoptée suite à ce rapport apparaît également utile.
Énoncer les paradoxes et expliciter les choix effectués
D’une façon générale, la politique de réduction des risques, développée en France en direction des usagers de drogues par voie intraveineuse, met en évidence la contradiction entre les politiques publiques qui visent, à la fois à faciliter l’accès au matériel d’injection en application de principes de santé publique, et à prohiber l’accès aux produits illicites. Dans le contexte carcéral, ces paradoxes sont accentués par l’importance qu’y prend la dimension symbolique de la loi.
Pour la réduction des risques de transmission des maladies infectieuses par voie sexuelle, la politique de prévention, qui trouve sa cohérence en milieu libre, devient source de paradoxes en milieu pénitentiaire, du fait de la non-mixité des quartiers de détention et de l’impossibilité d’avoir des relations sexuelles dans des conditions préservant l’intimité et la dignité des personnes.
Ces paradoxes dépassent largement l’institution pénitentiaire. Ils sont issus des choix politiques opérés en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie, des représentations actuelles sur la prison qui considèrent l’absence de relations sexuelles comme inhérente à la peine privative de liberté et des valeurs morales collectives relatives à l’homosexualité.
À cet égard, le groupe de travail estime indispensable que les paradoxes soient énoncés et les choix effectués explicités et relayés à l’échelon politique.
Un engagement fort et conjoint des deux ministères est nécessaire pour donner des points de repère clairs aux services et aux équipes chargées de mettre en oeuvre les mesures préconisées. À défaut, la sortie du rapport risquerait d’avoir un effet démobilisateur sur l’ensemble des personnels, du fait du risque de contamination mis en évidence, et des interrogations qu’il pourrait susciter sur le sens de la peine et les missions des personnels. Cela pourrait également renforcer dans certains sites le clivage existant parfois entre approche sanitaire et approche pénitentiaire.
II.1.2. Suivre les évolutions et les tendances en détention
Depuis 1988, l’enquête effectuée un jour donné recense les cas connus par les services médicaux de personnes atteintes par le virus du VIH. Cette étude, même si elle ne permet pas de connaître avec exactitude la prévalence du VIH chez les personnes incarcérées, permet de surveiller depuis cette date les évolutions de l’épidémie. Elle établit notamment que - tout comme en milieu libre - les cas connus d’infection ont fortement diminué depuis 1990 et se stabilisent à l’heure actuelle. Elle a été étendue aux cas connus de personnes atteintes par le VHC en 1998.
Dans les années 90, les premières études sur les facteurs de risques associés à cette prévalence ont été menées. Ainsi, l’étude menée en 1992 au centre pénitentiaire des Baumettes [3] a mis en évidence que l’infection VIH concernait principalement les UDVI, que cette population avait des comportements à risques élevés avant l’incarcération et que les personnes qui avaient un antécédent d’incarcération étaient plus infectées.
Les études sur les comportements à risques en détention sont plus récentes. Une première étude a été menée en 1996 [4] sur le site de la maison d’arrêt des Baumettes sur les pratiques à risques avant et pendant l’incarcération. Mais, la décision de mener des investigations approfondies sur ce sujet, est concomitante à la mise en place de la présente mission. Si l’adoption de la plupart des mesures de prévention est antérieure à cette décision, pour la première fois, les administrations essaient de cerner au plus près les risques de contamination en détention, s’interrogent sur l’efficacité des mesures mises en place et sur la stratégie à développer. L’étape est importante. Un premier état des lieux sur la situation dans les prisons françaises a été réalisé et la stratégie de prévention développée a été réexaminée dans sa globalité.
La mission estime néanmoins qu’il est nécessaire de poursuivre les travaux sur ces questions. La forte prévalence du VHC chez les personnes incarcérées, la faible efficacité des mesures mises en place en détention et le relâchement des comportements de prévention observé en population générale impliquent une surveillance pérenne des évolutions des maladies infectieuses et des comportements à risques en détention. Cela permettra d’ajuster au plus tôt, en cas de nécessité, les réponses des pouvoirs publics.
À cet égard, la mission propose :
• De poursuivre l’enquête “un jour donné” des cas connus par les services médicaux de personnes atteintes par le VIH et le VHC.
• De compléter, sur quelques sites particulièrement concernés, ces enquêtes par des études périodiques de prévalence sur la base de tests salivaires, afin d’apprécier les décalages éventuels entre déclarations et cas réels d’infection aux deux virus.
• De renouveler périodiquement les études sur les comportements à risques en détention tant sur le plan quantitatif que sur les attitudes face à l’exposition aux différents risques.
Une mesure prête davantage à discussion : les études visant à surveiller les cas de contamination réelle en détention. Une étude de cette nature a été réalisée à la maison d’arrêt de la Santé en 1999 (étude non encore publiée). Une cohorte d’environ 600 détenus volontaires séronégatifs au VHC à l’entrée en détention a été constituée. Un test a été réalisé pour chaque détenu à trois mois, six mois et neuf mois. Aucune séroconversion n’a eu lieu pendant la période d’observation. Il faut néanmoins signaler que le fait d’intégrer des non-UDIV contribue à sous-estimer l’incidence des contaminations, notamment quand il s’agit d’apprécier cette incidence chez les UDVI principalement concernés par ce virus.
D’autres études pourraient être menées. Le groupe de travail estime néanmoins qu’une telle mesure nécessite de s’interroger préalablement sur la pertinence, la faisabilité et le coût de telles études.
Pertinence
Il est établi désormais que les contaminations en détention sont probables. Cette probabilité rend nécessaire la mise en place d’une véritable stratégie de réduction des risques en milieu carcéral. Le groupe de travail estime qu’il ne serait pas acceptable d’attendre la preuve de quelques cas avérés de contamination pour agir. Dans cette perspective, des études avec suivi de cohortes seraient utiles, non pas pour établir des cas de contamination, mais pour cerner avec fiabilité les probabilités réelles de contamination aux différents virus en détention.
Faisabilité
La méthode la plus fiable serait, bien sûr, de pouvoir mettre en place un suivi de cohorte visant à quantifier précisément l’incidence des infections en détention.
Dans la réalité, rien n’est plus difficile, à la fois pour des raisons de faisabilité méthodologique et d’éthique. Pour commencer, il faudrait inclure un nombre relativement important de sujets. À titre d’exemple, dans les prisons écossaises où la proportion d’UDIV incarcérés et la fréquence des comportements à risques sont plus élevées qu’en France, un récent article de S. Gore et A.-G. Bird [5] estime, sur la base d’une modélisation combinant des paramètres comme la prévalence du VHC, la fréquence hebdomadaire d’injection et la probabilité d’infection par injection en détention, qu’il faudrait suivre trois mille détenus pendant une durée de dix semaines pour pouvoir détecter six séroconversions au VHC. Outre que cette cohorte théorique serait donc encore plus importante en France, il faut également considérer le fait que les sujets ne doivent pas être inclus dès leur entrée, dans la mesure où ils sont susceptibles de se situer dans la fenêtre de séroconversion pour le VHC. Or, la majorité des UDIV détenus purgeant de courtes peines, cela diminue le nombre possible de personnes éligibles. De surcroît, la prévalence du VHC chez les UDIV étant beaucoup plus élevée en France qu’au Royaume-Uni, le nombre des UDIV détenus, séronégatifs au VHC est d’autant moins important, ce qui réduit encore le nombre possible de personnes éligibles pour un tel suivi dans les prisons françaises.
Si l’on considère enfin que pour être inclues, les personnes éligibles doivent être volontaires, il reste en définitive peu de sujets pouvant faire l’objet d’un suivi épidémiologique en détention.
Indépendamment des questions d’effectifs, les problèmes éthiques soulevés par une enquête d’incidence du VHC (ou du VIH) en prison sont loin d’être négligeables. Le suivi implique des prélèvements biologiques répétés dont au moins un sanguin. Invité à statuer sur un tel projet d’enquête, un comité consultatif local pour la protection des personnes dans le cadre de la recherche biologique a estimé que cela relevait du domaine des essais cliniques. Arguant du fait que l’intérêt direct pour la prison et les détenus n’était pas évident, ce CCPPRB a finalement rendu un avis général négatif.
Concernant la question spécifique de l’anonymat, ce CCPPRB considérait qu’une telle procédure était incompatible avec le suivi médical des séroconversions détectées, et que, dans l’éventualité d’une autorisation pour mener un suivi longitudinal en prison, il faudrait mettre en place un dispositif de restitution médicalisée des résultats. Ce qui, en plus de la lourdeur logistique, pose la question de la confidentialité.
Pour le détenu, qui peut craindre de l’institution qu’elle apprenne sa consommation en prison et de ses codétenus qu’ils sachent qu’il est séropositif au VHC, il n’est en effet pas indifférent de savoir qui rendrait les résultats (médecin de la prison, médecin venant de l’extérieur). En fait, l’on peut supposer qu’une étude non anonyme dissuaderait sans doute une part des sujets éligibles d’y participer, réduisant encore les chances de constituer une cohorte ayant la puissance statistique nécessaire.
Coût
À ces questions de pertinence, de méthodes et à ces questions éthiques s’ajoutent de très lourdes contraintes budgétaires : les échantillons devant être recrutés le plus largement possible pour avoir des résultats exploitables.
Au regard de ces éléments, il apparaît au groupe de travail que la priorité est plutôt de consolider et d’aller plus loin dans les études à caractère transversal, en répétant périodiquement sur plusieurs sites des enquêtes sur la prévalence des infections et les comportements à risques en détention.
II.2. Accompagner la mise en oeuvre des mesures de prévention
II.2.1. Sensibiliser les relais existants
La réussite de la politique de prévention des risques infectieux en milieu carcéral suppose que chaque niveau d’intervention s’approprie les objectifs et contribue à la mise en oeuvre des mesures. Cela implique une sensibilisation des relais existants.
À cet égard, la mission recommande - préalablement à la mise en oeuvre des propositions - d’informer, de sensibiliser et de mobiliser les MISP des DDASS et les correspondants régionaux des DRSP dans le cadre d’une ou plusieurs journée(s) nationale(s) organisée(s) conjointement par le ministère de la Santé et le ministère de la Justice. Elle propose également d’organiser - en s’appuyant sur ces correspondants - des journées au niveau déconcentré avec les correspondants locaux (médecin-chef d’UCSA et de SMPR, DSPIP et chefs d’établissements).
Dans le cadre de l’organisation de ces journées, l’appui de l’InVs et des ORS pourrait être sollicité.
II.2.2. Mettre en place les formations nécessaires en direction des
personnels travaillant en milieu pénitentiaire
Les personnels pénitentiaires
Les personnels pénitentiaires sont en contact régulier avec les personnes détenues. Ils sont, dès lors, confrontés ou susceptibles d’être confrontés à des situations à risques mettant en jeu la santé des détenus et leur propre santé. Aussi, doivent-ils s’approprier les objectifs de prévention sanitaire et les réponses existant en milieu carcéral.
Des programmes sur le VIH et les hépatites, sous l’angle de la réduction des risques infectieux en particulier, doivent être mis en place dans le cadre de la formation initiale.
Au-delà, des programmes de formation adaptés au contexte carcéral et à leurs attentes professionnelles doivent être développés. Cette responsabilité incombe aux directions régionales des services pénitentiaires chargées de mettre en place les actions de formation continue.
Ces actions doivent décliner l’état actuel des connaissances en matière de virus du sida et des hépatites, les risques encourus, tant par le personnel que par les détenus, les moyens de s’en protéger et l’importance de l’hygiène et de la prévention en milieu carcéral.
Les personnels sanitaires
Il paraît également nécessaire de mieux informer les personnels sanitaires sur la prévention des risques VIH et hépatites en milieu pénitentiaire (prévention en direction des personnes détenues, mais également des personnels pénitentiaires). Pour cela, le groupe de travail propose d’inscrire dans le plan national de formation annuel le thème de la prévention du VIH et des hépatites en milieu carcéral, même si ce sujet a été abordé et intégré par les établissements hospitaliers depuis plusieurs années dans leur politique locale de formation. Cette action devra, en particulier, mettre l’accent sur la réduction des risques infectieux, à la lumière notamment des conclusions du groupe de travail.
II.2.3. Impulser une dynamique locale
Il a déjà été indiqué les paradoxes induits par la politique de réduction des risques. Ces paradoxes peuvent être surmontés. Cela nécessite un certain cheminement individuel et collectif. Cette maturation s’est opérée au sein du groupe de travail qui est parvenu à s’entendre sur les propositions qui lui paraissaient pertinentes à l’heure actuelle. Elle a pris du temps. Il a été nécessaire - tant du côté pénitentiaire que sanitaire - de s’interroger sur les enjeux en présence, de les reconnaître comme légitimes et d’apprécier pour chaque mesure son acceptabilité, sa faisabilité et son efficacité au regard du contexte actuel (contexte carcéral, politique, mais aussi état des représentations et des opinions).
Au moment de la mise en oeuvre des mesures, il est nécessaire que tous les services intervenant en détention puissent échanger sur la situation de l’établissement en termes de maladies infectieuses, de comportements à risques et sur les mesures à mettre en oeuvre dans les différents domaines. Ce temps de mise à plat, d’échanges et de réflexion entre les services apparaît indispensable pour parvenir à une approche commune entre les différents agents. Il doit favoriser une approche globale de la question et être l’occasion de mener une réflexion de fond sur la façon d’appréhender la question de la sexualité dans les établissements pénitentiaires, afin de lever progressivement les tabous.
Le groupe de travail estime qu’il est nécessaire d’impulser cette dynamique locale dans chaque établissement pénitentiaire sur la base d’objectifs opérationnels clairement définis. À cet égard, il est proposé qu’un cahier des charges ou des orientations soit rédigé au niveau national et que, sur cette base, les services soient invités à mettre en oeuvre - sous la responsabilité des autorités de tutelle - les mesures selon les modalités locales les plus adaptées.
Dans le cadre de cette réflexion locale, il apparaît tout à fait souhaitable que les personnes détenues soient informées de la réflexion engagée et dans la mesure du possible consultées sur les modalités de mise en
oeuvre.
II.2.4. Suivre la mise en oeuvre des recommandations et évaluer l’efficacité des mesures
Compte tenu du bilan mitigé effectué sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral, un effort particulier doit être réalisé dans le domaine du suivi et de l’évaluation des mesures.
Le suivi de la mise en oeuvre des recommandations
Les ministères doivent mettre en place les outils permettant de suivre la mobilisation des services et la mise en oeuvre des mesures.
Compte tenu des objectifs de santé publique poursuivis dans le cadre de la politique de réduction des risques, la mission estime qu’un rôle particulier doit être joué par les DDASS dans ce domaine. Il est proposé qu’un bilan annuel sur la mise en oeuvre du programme de lutte contre les maladies infectieuses en détention leur soit envoyé par les médecins-chefs d’UCSA ou les responsables de services médicaux. Une exploitation de ces bilans devra être mise en place au niveau national.
Certaines mesures incombent plus particulièrement à l’administration pénitentiaire (actions de formation à l’égard des personnels pénitentiaires, accès aux traitements post-exposition pour les personnels pénitentiaires, distribution d’eau de Javel...). Ces mesures devront être suivies par les DRSP et au niveau national.
La proposition relative à l’extension des lieux de mise à disposition des préservatifs devra, quant à elle, faire l’objet d’un suivi particulier.
Ces éléments devront être communiqués pour information entre les responsables de services sanitaires et les responsables de services pénitentiaires, tant à l’échelon de l’établissement pénitentiaire, qu’à celui des autorités de tutelle.
L’évaluation de la politique de réduction des risques en milieu pénitentiaire
La mission propose que cette évaluation porte sur trois points :
• cohérence des orientations au regard des objectifs poursuivis,
• effectivité des mesures,
• efficacité des mesures.
Compte tenu du contexte spécifique du milieu pénitentiaire, ce dernier point doit particulièrement être travaillé. Il ressort en effet que la seule accessibilité aux mesures de prévention en milieu carcéral ne garantit pas une diminution réelle des risques de contamination, les outils n’étant pas toujours utilisés par les personnes qui sont les plus vulnérables aux différents virus. D’où l’importance de toute l’approche d’éducation sanitaire et d’accompagnement des personnes. Il apparaît donc nécessaire à la fois d’apprécier dans le cadre d’études transversales répétées l’accessibilité aux différentes mesures, mais également l’évolution des perceptions et des pratiques notamment à l’aide d’enquêtes d’opinion.
II.2.5. Mettre en place des compétences d’appui sur les sites les plus
concernés : les référents en prévention des risques infectieux
Les déplacements effectués dans le cadre de la mission ont mis en évidence que la réduction des risques en prison pouvait se heurter aux difficultés :
• d’adhésion aux mesures,
• de mobilisation des services sur la mise en place des mesures,
• d’articulation entre les services sanitaires et les services pénitentiaires.
Pour surmonter ces difficultés, le groupe de travail estime que l’intervention d’un tiers, doté d’une compétence particulière en matière sanitaire et d’une autorité suffisante, est nécessaire. Ce tiers aurait pour mission de fédérer les énergies autour de la réduction des risques en milieu carcéral, d’apporter un appui technique aux équipes, d’apaiser les difficultés en cas de conflit et de vérifier l’effectivité de la mise en oeuvre des mesures de prévention dans les sites. En cas de dysfonctionnement dans le domaine de la prévention des risques, il aurait mission d’en référer aux autorités compétentes.
L’animation départementale de la lutte contre le VIH et les hépatites incombe à la DDASS. Un médecin inspecteur de santé publique est généralement chargé de son pilotage technique. Compte tenu de la disponibilité nécessaire pour s’assurer de la mise en oeuvre des mesures de prévention en milieu carcéral, le groupe de travail propose de mettre en place un référent en prévention des risques infectieux en milieu carcéral. Cette mesure est proposée à titre expérimental sur quelques sites. Elle pourrait être étendue après évaluation. La question du rattachement administratif de ce référent a été largement débattue dans le cadre du groupe de travail. Le rattachement auprès du MISP de la DDASS chargé du dossier est apparu préférable à un rattachement au service médical intervenant dans l’établissement pénitentiaire, dans la mesure où il renforce la légitimité en cas de difficulté sur le site et facilitera la mise en oeuvre de la transversalité entre les services locaux.
Le référent en prévention des risques infectieux travaillerait en lien avec les responsables chargés de la mise en oeuvre des mesures. Ses missions plus précises seraient les suivantes :
• apporter un soutien logistique à l’élaboration et à la mise en oeuvre des mesures et actions de prévention,
• s’assurer en lien avec le responsable du service médical que les personnes détenues aient l’information adéquate et l’accès effectif aux mesures prophylactiques, notamment aux mesures prophylactiques post-exposition, en cas d’exposition aux risques infectieux,
• participer à la sensibilisation des personnels pénitentiaires aux modes de transmission des différents virus et aux moyens de s’en prémunir,
• contribuer à la sensibilisation des personnels pénitentiaires à l’intérêt des traitements de substitution et à l’importance de l’accompagnement des personnes toxicomanes,
• proposer un appui technique aux directions régionales des services pénitentiaires et aux chargés de formation locaux pour la mise en place d’actions de formations,
• s’assurer, auprès du chef d’établissement et du médecin de prévention, que les personnels pénitentiaires aient connaissance des procédures concernant les conduites à tenir en cas d’exposition au sang et aient accès aux traitements antirétroviraux,
• s’assurer, en lien avec les autorités compétentes, que les mesures de réduction des risques et les traitements de substitution soient effectivement
mis en place.
II.3. Inscrire la politique de réduction des risques dans une approche plus globale
Toute approche de prévention s’inscrit dans un contexte culturel, social, économique, philosophique et politique. Celui-ci influence fortement les représentations et les comportements. Il a une incidence directe sur l’efficacité des politiques de prévention développées. Il est donc apparu nécessaire au groupe de travail de resituer la politique de réduction des risques dans une approche plus globale et de souligner quelques évolutions nécessaires pour un meilleur développement des mesures de prévention en détention.
II.3.1. Améliorer les conditions de détention
Il a déjà été indiqué que le contexte carcéral induisait d’emblée une double limite qui tenait, d’une part, à l’acceptation des mesures par les personnels et par les personnes détenues et d’autre part, à la hiérarchisation des risques par les personnes détenues au regard des risques judiciaires et disciplinaires encourus en cas d’injection ou de relations sexuelles.
Mais, au-delà de ces limites, les conditions de détention actuelles rendent également particulièrement difficile toute approche de prévention. La promiscuité, les conditions d’hygiène souvent insuffisantes et le climat de violence existant en milieu carcéral contribuent à dévaloriser l’image que les personnes incarcérées peuvent avoir d’elles-mêmes et à fragiliser les capacités des intéressés à protéger leur intégrité physique ou à prendre en charge leur santé.
Au cours des travaux, les équipes ont fait part de leurs interrogations, quant au caractère prioritaire de la mission, eu égard aux problématiques actuelles des prisons. À cet égard, le groupe de travail estime que la situation épidémiologique des prisons nécessite une réponse immédiate sans attendre une évolution du contexte. Cependant, il faut souligner que, plus la norme sera élevée en matière d’hygiène et de conditions de vie, et plus le message de prévention apparaîtra pertinent et adapté.
La mission souligne donc qu’il apparaît déterminant pour la question de la réduction des risques que des progrès soient rapidement enregistrés en matière d’hygiène et de restauration collective, ainsi qu’en matière d’hygiène individuelle (douches, produits d’hygiène et d’entretien, linge, draps, mesures en faveur des personnes indigentes...).
La question du respect de l’intimité des personnes détenues fait également partie des enjeux fondamentaux en matière de prévention. Il a été souligné à plusieurs reprises à quel point la détention rétrécissait la sphère d’intimité au point de faire apparaître le sentiment de ne plus s’appartenir soi-même.
Cette “sur-exposition des corps” engendre “silence et dissimulation”.
Or, la prévention repose sur des principes d’autonomie et de responsabilisation de la personne. Elle implique de prendre en considération la parole, l’identité et l’intimité des personnes concernées.
À cet égard, l’encellulement individuel apparaît comme une absolue nécessité. L’opération de cloisonnement des W.-C. qui est engagée mais ne concerne pas encore tous les établissements pénitentiaires doit être terminée. L’équipement des cellules par un système d’appel lumineux ou d’interphone, qui permet de rendre la demande d’aide plus discrète doit être développé.
La mise en place à titre expérimental des unités de vie familiales apparaît également comme une évolution majeure. Ce projet favorisera, pour les personnes incarcérées, une réappropriation de leur identité, mais permettra aussi d’aborder de façon radicalement différente la question de la sexualité dans les établissements où elles se mettent en place.
Compte tenu des enjeux en termes de prévention des risques de transmission des maladies infectieuses par voie sexuelle, il apparaît au groupe de travail que cette expérience doit rapidement être mise en place et évaluée, dans une perspective d’extension, voire de généralisation.
II.3.2. Améliorer l’accueil à l’entrée en détention
L’arrivée en détention est un moment de vulnérabilité particulier pour les personnes incarcérées. Pour les personnes toxicomanes, cette vulnérabilité est généralement accrue par les souffrances liées à l’état de manque. Les capacités de résistance aux différentes sollicitations de la détention sont amoindries.
Or, ces sollicitations se manifestent extrêmementrapidement et fortement.
L’accueil en détention apparaît donc comme un moment fondamental dans le parcours des personnes incarcérées. Il doit permettre aux personnes arrivant de l’état de liberté de faire une pause avant d’être confrontées au reste de la détention, d’amorcer une prise en charge, notamment sur le plan sanitaire, et de régler leurs difficultés sociales, familiales et financières liées à l’incarcération.
C’est l’occasion pour les services de se positionner comme des interlocuteurs fiables par rapport à la collectivité des personnes détenues.
Plusieurs améliorations apparaissent possibles lors de cette période d’accueil :
• La mise en place effective dans chaque établissement pénitentiaire d’un quartier “arrivants” avec des conditions de vie satisfaisantes (douche quotidienne, remise de produits d’hygiène de qualité, matériel de correspondance...)
• La délivrance par l’administration d’une information sur les procédures à suivre et les voies de recours possibles pour les personnes incarcérées en cas de non-respect de leur intégrité physique et de leurs droits.
• La mise en place d’une écoute professionnelle pour les personnes détenues qui souhaitent bénéficier d’un soutien : lignes d’appels téléphoniques en partenariat avec des écoutants professionnels, intervention de psychologues, surveillants à postes fixes assurant une présence effective auprès des personnes arrivant, permanences associatives...
• La mise en place d’activités pendant cette période d’accueil afin de limiter les effets anxiogènes de l’enfermement en cellule.
En matière sanitaire, les pistes d’améliorations reposent sur :
• un meilleur diagnostic des situations de dépendances et des troubles psychiatriques à l’entrée,
• un accès plus large aux traitements de substitution pour les personnes dépendantes aux opiacés,
• un meilleur dosage des prescriptions.
II.3.3. Favoriser l’investissement du temps de détention
L’incarcération est un moment particulier dans la vie d’un individu. La condamnation et la mise à l’écart provisoire de la société doivent favoriser chez les personnes détenues une réflexion sur elles-mêmes et sur leurs parcours individuels. Cela est loin d’être une réalité aujourd’hui. Le rapport RESSCOM [6], souligne que, pour nombre d’usagers de drogues incarcérés, la prison “fait partie intégrante des modes de vie et/ou rompt les ancrages et amplifie la dégradation”. Les personnes pour lesquelles la prison permet une pause ou un arrêt dans le processus de dégradation semblent de plus en plus rares. S’il faut prendre en considération le biais induit par le mode de récolte des données (lieux d’accueil de personnes toxicomanes, structures d’hébergement excluant de fait les personnes bien insérées), force est de constater l’échec de la prison sur le plan de l’insertion ou de la réinsertion pour une grande partie des usagers de drogues par voie intraveineuse rencontrés. Cela interroge bien évidemment sur la politique pénale à l’égard des usagers de drogues et met en évidence la nécessité de développer les mesures alternatives et les mesures d’aménagement de peine en faveur de ce public.
Mais, au-delà, il apparaît également indispensable d’améliorer les conditions de prise en charge des personnes toxicomanes à l’intérieur des établissements.
Les anciens détenus interrogés soulignent le rôle des substances psychoactives dans le comblement “du vide carcéral” et pour résister dans les moments de grande vulnérabilité.
Un travail entre les différents services de l’établissement et les partenaires extérieurs est à développer.
L’intervention des centres de soins spécialisés doit être renforcée. Afin d’éviter à la personne de se retrouver dans une position de grande vulnérabilité au moment de la sortie, il est également essentiel qu’un travail de préparation à la sortie puisse être mené en termes de redynamisation, d’hébergement, de prestations sociales et de suivi sociosanitaire.
D’une façon générale, les possibilités offertes aux personnes détenues pour investir le temps de détention apparaissent très largement insuffisantes. Des activités diversifiées sont à mettre en place. Les supports permettant de faire émerger une parole et de favoriser une réflexion sur soi et sur son rapport à autrui doivent être privilégiés. Parallèlement, l’accompagnement dans l’élaboration et la réalisation d’un projet est à renforcer.