1. Entourer : l’enceinte.
Le mur d’enceinte est probablement l’unique signe distinctif propre à la prison. Objet de la principale problématique architecturale de la prison, l’enceinte symbolise le clos, distingue le dedans du dehors, exprime le secret, l’interdit.
L’enceinte des prisons est systématiquement magnifiée par le règlement du Ministère de la justice qui interdit toute construction et toute végétation dans un périmètre de 50m : c’est le no man’s land qui permet à la gendarmerie d’avoir une parfaite visibilité sur les abords de la prison.
D’un point de vue urbain, la destruction de l’enceinte existante est une première intervention dans notre intention de lier le tissu urbain de Fleury-Mérogis à celui de sa prison que nous allons diversifier [1]. La prison actuelle entre en rivalité avec la ville car elle exprime, paradoxalement, davantage l’idée insolente d’une ville autonome, que celle d’un nouveau quartier dans lequel elle s’est établie (voir doc. p.114).
La disparition du mur comme objet à part, comme écran, permet de mettre à jour les tripales dans le territoire, de leur redonner un sens et une expression moderne, de mettre pleinement en scène leur opposition forte avec l’urbain et la nature qui les entoure.
Enfin, ce geste est un moyen de réduire l’emprise disproportionnée de la prison par rapport à la ville et de rétablir un jeu d’échelle plus juste et plus équilibré.
Cette évolution touche également à la question de l’îlot ouvert et à la qualification des espaces vides de la prison. La disparition d’une limite continue oblige à requalifier complètement le rapport des bâtiments à la rue, à définir des orientations, à redéfinir la nature même de l’îlot. L’empreinte de l’enceinte actuelle devient l’emplacement d’une voie future, destinée à devenir une rue qui ceinture les bâtiments de la prison. Certains de ces bâtiments seront orientés et alignés sur cette voie pour permettre la possibilité d’un dialogue urbain immédiat.
La nouvelle enceinte obéit à deux traitements alternés : un traitement en contact direct avec les tripales et un traitement dans les parties entre les tripales. Les deux traitements constituent les façades extérieures de la prison.
Entre chaque tripale, nous aménageons une enceinte en édifiant un bâtiment dont les fondements sont inspirés des principes du ha-Ha (voir doc. ci-contre) l’un des principaux éléments typologiques des jardins pittoresques Anglais du 18e siècle. Par un talus dissymétrique, ce dispositif donne dans un sens la libre échappée visuelle et dans l’autre un obstacle à la pénétration. Ce parti pris vient s’inscrire comme une étape supplémentaire qui s’inscrit dans le prolongement du passage historique des enceintes massives et protectrices [2] aux enceintes de parade [3]. Tout en répondant aux contraintes sécuritaires actuelles, le système en ha-Ha de l’enceinte permet par son effet optique de prolonger sans obstacle le sol de la prison vers le dehors. Le regard glisse librement de ce sol jusqu’à la canopée de la forêt voisine. Cet effet permet aux détenus d’avoir une lecture du paysage environnant et du même coup un rapport au sol et au territoire.
En la situant au niveau des façades extérieures des tripales, la nouvelle enceinte réduit l’emprise de la prison à son minimum. Ce geste met en contact direct l’intérieur de la tripale avec l’environnement extérieur comme une alternative au principe sécuritaire de la prison dans la prison. Le système mur + façade + deux rangées de barbelés est remplacé par un unique mur de 40 cm d’épaisseur. La matérialisation de l’élément qui enferme est donnée à lire de façon évidente.
Les propriétés de la toile Gore-Tex nous ont inspiré pour aménager le système visuel de l’enceinte (voir doc. ci-contre). A l’image de cette toile composée de plusieurs couches qui permettent à la transpiration de s’évacuer alors que le vent et la pluie ne peuvent les pénétrer, l’enceinte située entre les tripales permet la vue depuis l’intérieur vers l’extérieur mais empêche partiellement la vue en sens inverse. Le système en ha-ha participe aussi ici à cet effet.
De l’intérieur, la vue est libre mais le corps ne passe pas. De l’extérieur, la vue ne passe pas mais le corps peut pénétrer l’épaisseur de l’enceinte. Ce système permet de jouer librement avec la modénature des façades extérieures étant donné l’inutilité sécuritaire de celle-ci.
Cette enceinte est aussi le moyen d’aménager la limite et les abords de la prison (zone traditionnellement déserte), et d’y installer des programmes qui lient intérieur et extérieur (lieu de travail pour les détenus classés ou en semi-liberté [4], pour détenus libérés qui souhaiteraient conserver un emploi ?).
Faire « tomber » l’enceinte est un premier pas vers l’abolition progressive de la prison que nous visons à terme par étapes successives de déconstruction architecturale.
2. En transit : les ailes
Les deux pales orientées sur l’entrée sont déshabillées, le coffrage tunnel est conservé tel quel dans l’objectif d’une pleine utilisation de la grille comme la figure architecturale parfaite de l’entrepôt (voir doc. ci-contre).
Ces deux bâtiments, désormais hors de l’enceinte, assurent l’ensemble des échanges matériels entre l’intérieur et l’extérieur de la prison (marchandise, production interne, stockage des services techniques, nourriture ...). La tentative de réification des détenus du projet initial est retournée vers les choses à gérer.
Le matériau du bâtiment est laissé à l’abandon tandis qu’un appareillage industriel automatisé (sur le principe des stockages informatisés de bibliothèque) de levage vient s’y greffer. La façade est en mouvement, remplie de palettes, de bâches, etc. L’objectif est de redonner une raison à l’ossature existante en y insérant le programme qui s’y adapte à priori le mieux. La nouveauté de la nouvelle façade tiendra en partie à l’opposition entre la matière brute en état d’érosion de la grille de béton et celles des conteneurs industriels métalliques aux couleurs vives. L’ossature béton laissée intacte sera le témoignage de l’ancienne prison.
Ces deux bâtiments mettront en scène les échanges de marchandises et de production matérielle entre extérieur et intérieur. On pourrait imaginer par la suite d’édifier des constructions de ce type également alignées à l’avenue des Peupliers.
Ce système organise avec plus d’efficacité le flux des camions et évite l’étape sécuritaire des fouilles de véhicules dans le sas.
L’usage de ces deux ailes dit la volonté d’opérer un raccord entre ville et zone industrielle. Le bâtiment dépouillé est laissé en l’état, l’intervention architecturale est légère et de type industriel.
La réhabilitation de ces deux pales permet d’envisager la possibilité d’une activité d’échange direct avec la ville de Fleury-Mérogis comme le troc ou la ventes d’objets fabriqués dans les ateliers, de produits issus des cultures potagères, etc.
3. Filtre : l’entrée
La porte d’entrée principale de la prison est une charge symbolique forte dans l’optique de l’enfermement. Le système des ailes extérieures qui évite le transit des camions vers l’intérieur nous permet de ramener la porte à une échelle humaine. Nous séparons volontairement cette entrée principale de l’enceinte de la prison, et donc de toute notion sécuritaire. Cette entrée est un événement : la porte traditionnelle de la prison devient une surface gauche en entonnoir (voir doc. p. suiv et ci-contre). Au lieu de l’acier ou du béton armé, l’utilisation d’une surface textile apparaît comme une contradiction intentionnelle.
Ce seuil symbolique donne librement accès à l’ensemble des services administratifs de la prison. Le visiteur est invité à pénétrer le cœur de la prison sans même avoir été contrôlé. Le véritable contrôle s’effectue après cette première étape, lors du passage au travers de la ceinture (ensemble de bâtiments décrits dans la partie « 5 »).
La prison existante, très présente dans le paysage de par sa masse, se voulait typologiquement disjointe de tout et sans accroche au tissu urbain de la ville. L’ensemble du nouveau système de seuil, constitué par la porte en toile et le collier, est largement inspiré par les surfaces continues de la bouteille de Klein (voir doc. p.156). Ce système permet de faire rentrer le territoire de la ville dans la prison et vis versa dans un souci de continuité urbaine.
4. Multi gestion représentative : les cinq centres
Comme nous l’avons indiqué dans notre texte d’intentions, nous considérons que la gestion exclusive de la vie carcérale par l’administration pénitentiaire, et l’architecture totalitaire de la prison, sont les principales sources de dérives et de non-respect de la dignité de l’individu.
Dans un souci constant d’établir une réflexivité de la structure sociale extérieure à l’intérieur de la prison, nous avons tenté d’énumérer les principaux acteurs de la prison. Nous avons donc dégagé cinq gestions fondamentales :
L’autogestion est un concept qui induit à la fois une gestion autonome du détenu et une gestion collective de la population écrouée. Cette notion est essentielle dans la perspective de responsabilisation du détenu. Cela équivaut également à donner un siège aux détenus dans ce que l’on peut considérer comme le parlement de la prison. La constitution d’un groupe (élu ?) responsable est également un moyen de communication, un interlocuteur légitime avec l’extérieur.
Zone d’influence théorique sur le terrain : l’anneau de libre circulation.
La gestion des associations vise à rendre plus effectif le travail qu’elles mènent aujourd’hui depuis l’extérieur. Croix rouge, O.I.P, Ligue des Droits de l’homme peuvent tenir une place capitale dans la gestion de la prison comme médiateurs avec l’extérieur. Ces associations peuvent également construire l’abolition de la prison en concertation directe avec les détenus, traduire leurs volontés.
Zone d’influence théorique sur le terrain : le collier, dont font partie l’hôpital, le lieu des cultes et les salles polyvalentes.
La gestion des surveillants, dont on retire les fonctions d’encadrement social et de porte-clefs, est une gestion de la sécurité. Cette mission peut s’apparenter à celle de la police à l’extérieur. Le conseil des surveillants rend compte des dangers et encadre les éventuels excès de violence des détenus.
Zone d’influence théorique sur le terrain : le no man’s land.
La gestion des travailleurs sociaux, la plus importante, vise à encadrer le quotidien des détenus. De conseiller jusqu’au rôle de porte-clefs, le travailleur social supervise l’équilibre social des groupes et des individus. Il encadre les problèmes de tous genres et décide de l’intervention de tel ou tel autre acteur de la prison.
Zone d’influence théorique sur le terrain : l’anneau des cours de promenade fermées.
La gestion des entreprises publiques et de l’Education nationale vise à encadrer l’insertion en matière professionnelle. En faisant contribuer les plus grandes entreprises d’Etat à la formation de détenus à des métiers de carrière et en donnant une place importante à l’enseignement scolaire, la prison s’ouvre de façon considérable vers l’extérieur. L’insertion vise à rendre les individus socialement intéressants. Cette perspective ouvre également les portes de la prison à des individus issus de toutes sortes de catégories sociales. L’action d’incarcérer un instituteur ou un mécanicien doit profiter pleinement, grâce à cette gestion organisée, au projet d’insertion des autres détenus. Si la prison existe encore, elle doit être un lieu pour tous et non pas une batterie sauvage.
Ces cinq modes de gestions constituent chacun un centre d’influence sur la prison. Tous sont rassemblés et forment une constellation.
Un bâtiment unique en reprend le contour et met en relation les différentes gestions. En somme, l’édifice est formé de cinq bâtiments partiellement fusionnés. Leur interpénétration augmente au fur et à mesure que l’on progresse dans les étages : au rez-de-chaussée, les fondations respectives sont détachées tandis qu’au dernier étage, les cinq volumes sont complètement fusionnés (voir doc. ci-contre). Cette évolution dans le sens de la hauteur permet de situer les activités de conférences et de réunion dans un volume commun et de séparer clairement les locaux respectifs des cinq types de gestions.
La typologie du bâtiment tient de celle du donjon (voir doc.p157-158.). C’est une analogie par la transparence, un jeu entre les couches, les épaisseurs, les opacités.
L’aménagement intérieur est orienté sur le thème de la continuité/discontinuité : un même vocabulaire architectural s’oppose à une discontinuité colorimétrique. Le jeu des circulations verticales à l’image de la complexité des flux, se fait par des systèmes de vases communicants et de filtrages.
Ce bâtiment central est libre d’accès depuis la rue, tout le monde peut venir y chercher des renseignements ou assister à une conférence. Nous envisageons également le déroulement de colloques qui puissent s’étendre à des questions plus larges.
Le bâtiment central repose sur une esplanade. Il est entouré par les bâtiments du collier dont les façades, de ce coté, sont très épurées. Cet environnement architectural dépouillé met en valeur l’architecture audacieuse du centre qui affirme d’un seul geste ses multiples natures.
L’esplanade a deux fonctions essentielles. La première assure la continuité de la porte d’entrée dans la logique de la bouteille de Klein.
Les visiteurs pénètrent le hall d’entrée du bâtiment central et glissent sous l’esplanade pour se présenter à l’accueil des visites (voir doc. ci-contre et p168). Passé cette étape, ils se présentent au pied du collier et passent la véritable enceinte de la prison.
La seconde est un jeu de perspectives inversées. Depuis l’extérieur de la prison, le visiteur distingue très clairement les tripales dans le paysage, sans voir le terrain. Depuis l’esplanade, la vision est totalement inversée. Des canons à vue sont orientés sur le terrain central (vagues, verger, jardins, Ha-Ha, et enfin forêt) et les bâtiments du collier occultent complètement la présence des tripales. Les cadrages ciblés vers l’extérieur et la forêt sont une application des procédés visuels du jardin à la Française (17e siècle) qui assurent une continuité avec le découpage d’un fond de parc dans la forêt existante.
L’esplanade agit comme un système de ha-Ha ultra-moderne.
5. Urbanité : la ceinture
Envisager l’idée d’une société en prison sans urbanisme est un non-sens. Le texte de l’architecte Demonchy explique que dans les prisons contemporaines, « il n’y a pas d’urbanisme. Pour les surveillants, la prison est un lieu unique de travail. Pour les détenus qui y vivent 24h sur 24, la position relative des différents lieux de vie est indifférente puisqu’elle n’a de sens que par rapport à la commodité du travail des surveillants. Les couloirs ne sont pas des lieux de promenade [...] La prison idéale est la prison individuelle ; l’urbanisme est interdit intra-muros ».
Les différentes interventions de notre projet sur la prison vont contre cette idée d’absence de société et d’urbanisme intra-muros. La diversité typologique des bâtiments du terrain, des tripales, des U.E.V.F. , assure une continuité avec le tissu urbain environnant.
La typologie des bâtiments du collier tient une place fédératrice d’un point de vue local. Plus important par leur taille et constructivement plus complexes, les bâtiments de la ceinture accueillent les programmes de l’hôpital, du lieu de cultes, de la médiathèque, de la salle polyvalente, du réfectoire, du greffe et du tribunal. Parmi ceux-ci, les programmes d’activité et de service sont reliés aux satellites dispersés sur le territoire de la prison et dans les tripales.
Chaque bâtiment, situé dans l’axe d’un couple de tripales, prend une position centrale, comme un équipement dans la ville. Les voies du terrain central y mènent naturellement.
La ceinture a deux fonctions opposées. Du coté orienté vers la détention, les bâtiments de services expriment chacun leurs fonctions dans un souci de composition urbaine, du coté orienté vers le centre, ces bâtiments concourent à former une seule et même enceinte, un écrin massif pour le centre (voir doc. p. préc.).
Les programmes sont à double orientation pour mettre en rapport la ville et la prison. Le tribunal sert à la fois de prétoire et de tribunal classique. La salle polyvalente est un lieu d’événements sportifs et de représentations culturelles qui rassemble détenus et citoyens libres (championnats sportifs, spectacles, concerts, etc).
Enfin, les bâtiments du collier accueillent les parloirs. Situés au niveau haut, les parloirs sont composés de différents lieux : parloirs collectifs en extérieur, couverts et ouverts sur le terrain de la prison (seul lieu depuis lequel on peut voir les tripales plus le terrain), parloirs intimes en pièces fermées, parloirs avocats situés à part.
6. Energie : le sol
Le terrain de la prison existante, nous l’avons vu, était volontairement inutilisé. Cette réalité reflétait une volonté d’enfermement physique de la personne. Notre point de vue sur la privation de liberté relève uniquement d’un objectif d’aide sociale : l’encadrement se substitue à l’enfermement, et l’idée de contrainte physique est écartée. Un grand nombre d’études, ou tout simplement le bon sens, montrent que la privation d’un défoulement physique élémentaire nuit à l’équilibre mental et conduit à toutes sortes de dérives.
De plus, notre réflexion sur ce que peut apporter l’urbanisme et l’architecture au projet d’insertion sociale s’appuie sur la volonté de refléter à l’intérieur de l’enceinte une pratique de vie urbaine classique. Cet objectif nous semble d’autant plus important qu’il est souvent méprisé, parce que non expérimenté, par un grand nombre de jeunes détenus. En somme, contraindre un détenu à rester sur son lit à regarder la télévision toute la journée, c’est le mettre dans une situation anormale qui, reproduite à l’extérieur participera à un mépris du travail et le confortera dans le cercle vicieux de la délinquance. La plupart des associations d’aide sociale à la délinquance travaillent beaucoup autour d’activités extérieures, sportives, d’apprentissages.
A partir de cette réflexion globale, nous envisageons de traiter le terrain de la prison comme le support essentiel qui permet aux détenus de construire individuellement chaque journée de détention. Ce terrain pourra être pratiqué comme un lieu de promenade libre, d’activité sportive ou culturelle, de travail de la terre, de jardinage, de rencontre, et surtout et avant tout comme un territoire à franchir librement pour se rendre sur son lieu de travail, pour aller aux cultes, visiter d’autres détenus, etc.
Symbole d’autonomie et de liberté, le terrain est le lien expérimental situé entre la peine privative de liberté et son abolition. C’est un outil mis entre les mains des détenus et des travailleurs sociaux dans l’objectif de faire triompher l’autonomie sur la prise en charge totale. Cet outil est donc « contrôlé » par les travailleurs sociaux qui peuvent faire évoluer le degré de liberté d’un détenu en fonction d’un accord moral. L’organisation spatiale du nouveau territoire de la prison, basée notamment sur les cercles d’influence, permet à ce « contrôle » d’évoluer entre la déambulation du détenu restreinte à la cour de promenade jusqu’à la semi-liberté, en passant par la libre circulation dans la multitude des espaces de la nouvelle prison.
Programmes et orientations du terrain :
L’anneau des cours de promenade fermées :
Les cours de promenades sont situées dans l’anneau le plus éloigné du centre de la prison. Le jeu des cercles non concentriques rend cet anneau de largeur variable, et définit ainsi des zones de restrictions plus ou moins importantes. Situées au plus proche de l’enceinte, elles sont orientées ouvertement vers le paysage extérieur, c’est-à-dire vers la forêt ou vers la ville. La perspective est inversée : l’orientation des bâtiments rapproche visuellement la forêt.
Le système des vagues vient déformer leur sol minéral par l’irruption de talus végétaux. Elles sont équipées pour le sport et aménagées de parterres et de taupières en béton inspirés des jardins à la française (voir doc.p. prec et ci-contre). L’ensemble autorise de multiples postures pour le corps et des activités diverses. La diversité des cours permet aux détenus qui y sont astreints de choisir leur fréquentation. Cet espace est néanmoins un lieu de restriction (sauf isolement volontaire) par rapport au reste du territoire de la prison et donc fatalement un lieu de sanction. Mais il ne constitue pas pour autant une prison dans la prison comme on l’entend dans le système actuel. C’est un lieu de mise à l’écart temporaire qui n’empêche pas la fréquentation des autres programmes. En fonction de la journée, les détenus astreints aux cours de promenades fermées peuvent fréquenter le terrain libre et inversement : les détenus non astreints peuvent choisir de s’y rendre. Son utilité est d’agir comme une soupape pour maintenir l’équilibre difficile du reste du territoire qui est en libre circulation complète et mixte.
L’anneau des jardins :
Cet espace est un seuil entre les cours de promenade et la zone de libre circulation. L’accès, contrôlé par les travailleurs sociaux, s’y fait de part et d’autre.
Aménagé à partir d’une traduction spatiale du texte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (voir docs. p. suivante), l’anneau des jardins abrite un programme essentiellement lié à l’apprentissage. Chaque parcelle constituée correspond à un mot qui tient une place précise dans la phrase et dans l’espace (voir doc. p. 177). Chaque proposition grammaticale devient un ensemble de parcelles qui est pris en charge par une collectivité de détenus. En fréquentant quotidiennement un tel ensemble, chaque détenu fréquente un système grammatical spatial. La correspondance entre mot et espace est un jeu de toponymie capable de disparaître comme d’enrichir la vie quotidienne. Une logique systématique fait correspondre aux substantifs des bâtiments, aux adjectifs des cultures potagères spécifiques, aux verbes des terrains agricoles de formation, aux adverbes des terrains de jardinage et d’apprentissage de tailles, aux pronoms des circulations etc. Les bâtiments abritent des salles de formation (artisanat, informatique, etc) des lieux d’étude scolaire et universitaire et des serres de culture spécifiques. Chaque détenu pourra cultiver son propre bout de parcelle ou cultivera collectivement une parcelle, ceci dans une richesse de collectivités nombreuses.
D’un point de vue urbain, l’implantation des bâtiments obéit au cercle d’influence et au jeu grammatical : l’alignement est strict d’un point de vue grammatical mais paraît aléatoire d’un point de vue spatial, tout en étant contraint à l’intérieur d’un anneau. Cette série de bâtiments révèle une nouvelle typologie et agit comme un quartier dans la prison. Son architecture et son aménagement tiennent des jardins ouvriers et des folies de jardins anglais, ce qui n’est pas sans rappeler l’histoire des grands ensembles (voir doc p 184).Dans le reste de l’anneau, c’est-à-dire sur l’espace non occupé par le système grammatical spatial, le terrain est dédié à une culture de verger. Les arbres constituent pour tous une grande richesse.
L’anneau de libre circulation :
Constituant la plus grande superficie du terrain de la prison (encore augmenté par la déformation des vagues), l’anneau de libre circulation est un lieu aux usages multiples. Cette partie du terrain a une position centrale. Elle dessert les programmes du collier, ceux des jardins et permet le passage vers les différentes tripales. Cet anneau est avant tout un extérieur qui relie les bâtiments par des circulations. Ces circulations prennent place naturellement aux endroits non déformés par les vagues. C’est également un lieu de promenade en soi, à l’image d’un parc, qui abrite des programmes collectifs : gymnases, terrains sportifs, centre de formation de sapeurs pompiers. Les bâtiments s’y inscrivent dans une continuité de la déformation générée par les vagues : une architecture de bulles en toile tendue sous pression prend la place des talus les plus importants et forme une nouvelle typologie dans la composition urbaine de la prison.
L’aménagement du territoire de la prison répond à des préoccupations urbaines, paysagères, sociales, et expérimentales s’inscrivant dans la notion de liberté.
L’aménagement est une réponse à l’espace collectif de l’îlot ouvert. Le territoire intérieur de la prison s’enrichit des systèmes de contraintes précédemment décrits, qui qualifient chaque espace.
Les bâtiments y sont rattachés dans une logique déterminée ; les entrées sont situées là où la déformation le permet.
Ce terrain participe également à une réflexion sur l’état d’enfermement. L’issue et la liberté de l’individu politique sont orientées vers le centre tandis que la liberté physique est orientée naturellement vers l’extérieur dans un jeu de point de fuite qui tient de la structure du jardin à la française (17e siècle) aménagé à l’anglaise (18e siècle).
7. L’individu : les tripales
Les tripales accueillent de nombreux programmes : lieux de vie, U.E.V.F., ateliers de travail, pépinières d’entreprise, stockage (les ailes), ainsi que les satellites des programmes du centre.
On distinguera des parties converties en centre de détention et des parties en maison d’arrêt.
Enfin, la population carcérale sera mixte.
Toutes ces données doivent trouver une réponse architecturale spécifique à partir d’une même grille de coffrages tunnels. Chaque intervention sur la construction existante aura pour but de la diversifier, de rompre la répétitivité. L’enjeu est de requalifier la barre, ses abords, son rapport au sol et au ciel, et d’y donner une place digne à la personne et aux collectivités.
Les cellules :
Compte tenu de l’importance du terrain comme lieu principal de l’activité, les cellules ne sont plus envisagées comme un lieu où le détenu passe la majorité de son temps. Par ailleurs, nous pensons que le lieu de vie d’un détenu doit refléter une certaine normalité, être empreint des codes et des repères d’habitation de « la vraie vie ».
Dans les ailes de maison d’arrêt, nous avons imaginé trois types de lieux de vie qui accueillent respectivement un, deux ou quatre détenus.
Les cellules collectives représentent une grande majorité. En augmentant de 2m² la superficie de la cellule actuelle (par un système d’extension en façade), nous proposons de transformer la cellule dortoir en lieu habitable (voir doc. ci-contre). La chambre est réduite au minimum car elle n’est plus qu’un composant du lieu d’habitation. Cela nous permet de dégager une pièce pour la cuisine, une autre pour être ensemble, et enfin une salle de bain. Cette typologie présente de nombreux avantages. Elle combine un espace pour l’intimité à des espaces de petite collectivité. Chaque détenu est maître de sa chambre (il peut s’y enfermer et y conserver ses biens) tout en étant soumis à l’effort collectif des tâches ménagères élémentaires. Chacun se déplace comme il l’entend et manipule librement les portes de cet espace. L’existence de multiples collectivités de tailles différentes (appartenance à un groupe de travail, à un lieu de vie, à un enseignement, etc.), concourt à la formation d’un tissu social qui supplante la structure archaïque du caïdat.
Une minorité de cellules individuelles sont destinées aux personnes solitaires.
La nouvelle typologie des cellules s’accompagne d’une diversification en matière constructive. Il convient de noter en premier lieu que les démolitions des parties existantes sont minimisées et n’altèrent pas la structure.
Les éléments neufs renvoient à des imaginaires différents. Les extensions en façade, qui abritent les chambres, sont des volumes métalliques, plus minimalistes encore que l’architecture de Gillet. Leur imbrication en peigne dans la grille existante rappelle la volumétrie des célèbres unités de logements construites par Emile Aillaud (voir doc. p.126) à quelques centaines de mètres de la prison. Ces séries de « boîtes » évoquent l’architecture sévère des Hollandais. Cette démarche est critique vis-à-vis de l’architecture existante : le terrain est enrichi de nombreuses typologies ; les constructions se superposent, se complètent, donc le contexte permet de mettre en valeur une certaine abstraction architecturale. A l’opposé de ce langage constructif, le remplissage du reste de la façade et l’aménagement des intérieurs fait appel aux éléments constructifs standardisés pour le grand public. Fenêtres Lapeyre, barreaux Bourguignon, cloisons de carreaux de plâtre, portes isoplanes, revêtements de sols renvoient à l’univers constructif des grandes surfaces de bricolage. Cette démarche est exempte de tout cynisme ; d’abord parce que cette intervention n’est qu’une partie de la composition architecturale des tripales. Ensuite parce que notre volonté n’est pas de construire dans une perspective durable, nous cherchons à rompre avec l’emploi de matériaux ultra solides généralement destinés aux industries et aux hôpitaux. Enfin parce que ce vocabulaire ramène la notion de construction à l’échelle de l’individu, ce qui favorise le bricolage et les petits aménagements qui permettent de s’approprier plus facilement le lieu.
Dans les ailes en centre de détention, le système d’habitation est différent. Les cellules actuelles sont utilisées comme des chambres, équipées d’une salle de bain, et regroupées par ensemble de six et de douze. La circulation centrale est utilisée comme espace collectif. C’est un lieu de vie qui peut s’étendre au travail. Cet espace peut donc être quotidiennement fréquenté par des détenus qui s’y rendent pour travailler en pépinière d’entreprise par exemple. Dans les groupes de six cellules, une cellule est attribuée à la cuisine. Dans les ensembles de douze, on compte une cellule cuisine et une cellule polyvalente, aménagée soit en bureau de travail, soit en réserve.
Les unités expérimentales de vie familiales :
Les U.E.V.F. reprennent la morphologie du tissu pavillonnaire environnant (voir docs. p187-188). Construits en toiture sur les pales du centre de détention, ces pavillons détournent la notion de toit terrasse. Afin de ne pas reproduire de mur ou de grillages supplémentaires, les U.E.V.F. sont situés au niveau 3 de la tripale. Leur modénature reprend celle des extensions métalliques en façade. L’intention est d’évoquer l’image symbolique du pavillon comme modèle idéale du cadre familial tout en allégeant la notion d’ancrage au sol. Ces petites maisons permettent aux détenus de passer quelques jours avec leur famille dans un environnement détaché du reste de la prison. La situation en hauteur permet de s’extraire visuellement de la prison en se fondant dans l’étendue du paysage.
Les ateliers de travail :
Situés au rez-de-chaussée des tripales, les ateliers de travail sont ouverts sur le terrain central par une des façades ajourées aux formes végétales. Les volumes des ateliers sont modifiés par les mouvements de terrain qui déforment leurs façades. Le long des différents ateliers, mais toujours à l’intérieur des tripales, une voie carrossable permet à des chariots élévateurs d’évacuer et d’acheminer des produits depuis les deux pales de stockage. Concédés à des entreprises privées et publiques, les ateliers offrent un travail régulier aux détenus intéressés.
Travailleurs sociaux, surveillants, satellites des cinq centres :
Les bureaux des travailleurs sociaux et les locaux des satellites sont situés à chaque étage au niveau des circulations verticales. Des ouvertures dans le plancher de la circulation centrale mettent en rapport ces services par des doubles hauteurs.
Les locaux des surveillants sont situés aux extrémités des tripales, au premier et au troisième niveau.
Les flux dans les tripales :
Le système de circulation actuel des tripales est complètement modifié.
L’emplacement des entrées est dicté par l’aménagement du terrain et par la logique des cercles. Chaque tripale comprend deux accès au niveau de la circulation qui séparent les cours de promenade des jardins et un accès sur le terrain libre, là où la déformation des vagues l’autorise. De sorte que ces trois accès ne sont jamais situés au même endroit sur chaque tripale.
Au niveau de chaque accès, la tripale est entièrement tronçonnée sur une largeur de trois cellules. Cette intervention divise la barre en plusieurs tranches et fait pénétrer le jour dans les circulations intérieures des tripales.
Les circulations internes sont totalement revues. En premier lieu, le noyau central de la tripale qui était destiné à la surveillance panoptique des détenus est détruit. Dans le vide aménagé, un arbre prend place. Le passage d’une pale à l’autre devient secondaire et se fait par une passerelle extérieure.
Les circulations internes sont réduites par les tronçons qui atténuent l’effet d’accumulation en batterie des cellules.
Les façades :
Les façades tournées vers la ville et la forêt et les façades tournées vers l’intérieur de la prison sont traitées de façon opposée.
Les cellules de mitard sont situées directement sur le mur d’enceinte, au plus loin du centre de la prison. Le traitement de ce mur intègre une réflexion sur l’enfermement, dans son application la plus forte. Le détenu temporairement mis à l’écart de la collectivité ne doit pas être mis en situation de repentir, la nature du lieu de son enfermement ne doit pas constituer une punition. La sanction est perçue comme la mise à l’écart d’une collectivité pour le maintien de son équilibre. Le fait d’être maîtrisé physiquement de façon temporaire par l’enfermement représente une contrainte qui doit être compensée par des moyens d’évasion mentale et intellectuelle. Le mur d’enceinte, sans renoncer à l’idée d’épaisseur, est ajouré afin que les détenus sanctionnés aient une vue directe sur l’extérieur. Des panneaux en béton perforés, construits sur un principe fusionnant le moucharabieh et le mur d’enceinte épais, sont disposés dans la trame sur différents plans. L’idée est de dématérialiser le mur en l’illuminant dans sa profondeur : le jour, par le reflet d’une surface miroir disposée dans les parties perforées, la nuit par l’éclairage électrique intérieur. L’ondulation du mur, obtenu par le jeu de rotation verticale et horizontale des panneaux, renvoie à l’architecture de la Grande Borne.
Les façades tournées vers l’intérieur de la prison rentrent en confrontation avec la trame du coffrage tunnel en y superposant des rythmes différents. La composition est gouvernée par les jeux de contraintes qui déforment la géométrie obsessionnelle d’origine.
Le décalage des extensions de cellules, les ouvertures verticales des circulations, la position de la fenêtre en fonction du type de cellule, les volumes des U.E.V.F., les façades des ateliers au rez-de-chaussée expriment la cohabitation de nombreux programmes dans une architecture variée d’accumulation.