14600 articles - 12260 brèves

"Quand la culture passe les murs de la prison" de Caroline Poussier

4 Conclusion

Mise en ligne : 6 novembre 2003

Texte de l'article :

"Une société se juge aussi à l’état de ses prisons et au traitement de ses détenus."
Robert BADINTER [1

Comment conclure sur une question aussi vaste que celle de la culture en prison ; une question qui en appelle tant d’autres ? Le sujet reste intarissable. Et pourtant, il faut bien apporter un point final à ce travail d’écriture.

En quatre mois de stage, je n’ai pas eu le temps de m’investir, autant que je l’aurais souhaité, dans cette étude de "développement culturel en milieu pénitentiaire". J’ai dû faire des choix et pour des raisons de facilité d’accès, de rencontres, d’orientations, j’ai décidé de recentrer mon étude sur le Centre pénitentiaire de Caen. Je n’ai donc pas pu étendre cette enquête à la Maison d’arrêt de Caen comme prévu initialement et j’ai dû "faire l’impasse" du milieu ouvert. Pourtant, aux dires de …, chef d’unité d’actions socio-éducatives à la DRSP de Rennes et de son adjointe, …, l’idée de "développement d’actions culturelles en milieu ouvert" reste une piste de travail inexplorée qu’il serait intéressante d’exploiter. Même si il semble difficile de mettre en place, sur le long terme ’ comme sur le court terme, des actions de type "activités socioculturelles" pour des raisons de "mobilisation" du public [2], il serait utile "d’apporter de la culture" aux personnes qui en ont aussi besoin à l’extérieur ? Ne serait-ce pour éviter qu’elles ne la rencontrent à l’intérieur ?

Seulement, "faire de la culture" en milieu pénitentiaire oblige à reconsidérer l’idée que l’on peut s’en faire. En considérant la culture comme un moyen d’insertion ’ ou de réinsertion, le pari est de démocratiser la culture, dans sa forme et dans son contenu, de la rendre accessible au plus grand nombre. Pour le dire autrement, Jean-Louis FABIANI  [3] concluait ainsi son intervention sur la lecture en milieu carcéral, donnée à l’Université d’Avignon le 10 décembre dernier : "L’objectif premier serait d’arriver à "déculturaliser" la culture pour la rendre plus efficace et plus accessible." Et pas seulement au seul public carcéral mais également au personnel pénitentiaire, et plus particulièrement aux surveillants de prison qui ne comprennent pas toujours le rôle que peut jouer les activités socioculturelles dans le processus de (re)socialisation et de (ré)insertion. Mal à l’aise avec cette idée de "culture en prison", ils préfèrent de loin la nier, la rejeter. Il faut d’ailleurs tenir compte du faible taux de participation des surveillants à cette étude. Leur avis sur la question de la "culture en milieu carcéral" reste assez tranché. Du moins en groupe. Cette enquête révèle un fort désintéressement de leur part quant aux actions menées en détention. Trop coûteuse, l’action culturelle est considérée par beaucoup de surveillants comme inutile. Ces derniers ne lui reconnaissent qu’un seul "bienfait" : le calme en détention.

Il n’est d’ailleurs pas toujours facile "d’évoluer" dans ce milieu réputé "clos". Il y a des "barrières", des refus. Certaines personnes n’acceptent pas l’idée de vouloir "faire de la culture" en milieu carcéral. "A quoi bon aider des individus qui se sont mis seuls en marge de la société ? Pourquoi vouloir les instruire ? Pourquoi vouloir les éduquer ? Ils ne le méritent pas !" Ce genre de discours est toujours très démotivant pour les personnes qui essaient de "faire changer les choses" en prison ; qu’elles soient assistante culturelle, travailleur social, artiste-intervenant, directeur d’établissement ou chef de détention, elles essaient d’apporter un peu d’ "humain" à cet univers encore hostile et clos.

Seul véritable regret durant ce stage : n’avoir pu rencontrer qu’une minorité de personnes détenues, pour la plupart investies dans une ou plusieurs activités socioculturelles. En cela, cette étude est "faussée" ; l’échantillon des personnes interviewées n’étant pas représentatif de l’ensemble de la population carcérale. Et même si il ne s’agissait pas ici d’établir des statistiques mais de recueillir des témoignages ’ parce qu’il est toujours hasardeux de donner des chiffres quand les questions appellent à des réponses subjectives et que bien souvent, l’échange nous amenait à parler du temps carcéral, de l’enfermement et de la vie avant, pendant et après l’incarcération, il est toujours "décevant" de mener une enquête et de ne pas pouvoir rencontrer toutes les personnes souhaitées.  [4] Plusieurs raisons cependant peuvent expliquer ce constat.

La première est sans aucun doute la condition pénible du détenu : la promiscuité, la mise à nue de l’intimité, la peur de la répression. Pour survivre au système carcéral chacun doit trouver son mode de résistance. L’isolement peut-être un choix, lié à un sentiment de honte et de peur des autres ’ la peur en prison étant liée au traumatisme de l’enfermement [5].
Certains cependant en appelle au monde extérieur ; en pratiquant par exemple une activité artistique et/ou culturelle. Ce sont en règle générale les conditions et les contraintes de la détention qui amènent une personne à pratiquer telle ou telle activité. Pourtant le désir de créer et de s’ouvrir "au monde de la culture" existe vraiment. Désir réel en détention, désir fragile à l’extérieur.

D’après l’enquête que j’ai pu mener au Centre pénitentiaire de Caen, le temps de mon stage, peu des personnes interrogées pratiquaient avant l’incarcération une activité définie comme artistique et/ou culturelle. La prison a pu favoriser cette première rencontre avec la culture ; elle a pu encourager certaines personnes à découvrir et à s’investir dans une activité qui leur apporte, pour certaines d’entre-elles, la "liberté mentale" (comme elles disent). Cependant, il n’est pas dit que ces personnes, une fois libre, continuent à pratiquer cette activité "libératrice". Cela ne peut être que le temps de la détention mais, c’est déjà ça !

Après leur libération, beaucoup des personnes incarcérées ont le désir de rompre avec tout souvenir pouvant leur rappeler la prison, avec toutes pratiques liées à la détention. Beaucoup souhaitent également vivre à la campagne, en dehors de la ville, souvent source de leurs "problèmes", cause de leur incarcération.

Bien souvent, à la question, "pensez-vous que vous continuerez ou que vous participerez à une activité artistique et/ou culturelle une fois libéré ? [6]", la personne interrogée ne savait pas ou n’osait pas répondre. Non pas par peur de la récidive mais parce qu’elle n’arrivait pas à se projeter, ni même à se représenter dans l’avenir après tant d’années passées à l’ombre, derrière les barreaux. Beaucoup de ces personnes incarcérées espèrent ; espèrent s’inscrire à une bibliothèque, espèrent aller au spectacle, espèrent pratiquer une activité artistique ou culturelle.

Si le taux de participation aux activités proposées en détention avoisine les 10-15%, il faut noter le fort taux de non-participation et donc d’inactivité en prison. Il est vrai que cette proportion reflète celle de la société extérieure mais ces individus, bien souvent en situation d’échec, sont appelés à être ré/insérés et, ce n’est pas l’inoccupation qui va favoriser ce processus d’insertion/réinsertion. Pour certaines des personnes incarcérées, le refus systématique de participer à une activité proposée par l’administration pénitentiaire est une façon pour elles de se sentir encore existées. Et puis, "le rapport à la culture est ambivalent". Source de rencontres, d’échanges, de valorisation, la culture peut également se présenter comme un enjeu de pouvoir important au sein de la détention.

A l’intérieur, comme à l’extérieur, la culture est un pouvoir. Elle n’est plus un droit, elle devient un devoir. Pour exister, il faut posséder la "connaissance". Les personnes détenues en ont bien conscience. CLes activités culturelles nous donnent la possibilité d’évoluer, de changer, de nous sentir existé, de nous exprimer, de prendre conscience de certaines choses qui nous échappaient avant. Avec l’atelier Vidéo, nous sommes conscients d’être des "privilégiés" ". Si la culture en prison devient un "privilège", comment alors ne pas la considérer comme "élitiste" ? Indéniablement, la culture engendre des jalousies au sein même de la population pénale. Elle fait naître un sentiment d’injustice et de "favoritisme". Toutes les personnes détenues ne peuvent accéder à la culture. Pour des raisons financières, pour des problèmes de sécurité, pour des questions d’ordre relationnel et/ou personnel, pour des questions de motivations, etc. Et même si la loi et les textes officiels prévoient un droit d’accès à la culture pour tous, la réalité est toute autre. Mais injustement, la culture, c’est aussi ça ! Et, c’est aussi pour ça que parfois, il devient difficile de la défendre.

Cependant ’ et même si il n’est pas facile de parler de culture dans le contexte politique actuel ’ l’activité artistique et culturelle peut être le moment d’une prise de conscience, le temps d’un enrichissement et d’une ouverture d’esprit vers le monde extérieur. Elle peut être, dans certains cas, un lien social avec les autres détenus, les intervenants extérieurs, les visiteurs de prison, la famille. Elle peut permettre la rencontre, l’échange de savoir-faire, le partage de connaissances et de valeurs humaines. Elle peut être le moment de l’apprentissage ou le perfectionnement d’une technique. Elle peut être aussi l’occasion pour une personne "instable" de trouver un équilibre, de maîtriser ses pulsions, d’affronter le regard et le jugement des autres, de dominer ses peurs, d’agir en groupe, de (re)prendre confiance en elle, de s’affirmer, de se sentir valorisée. La culture, dans ces cas là, est un facteur de sociabilité et peut jouer un rôle non négligeable dans la préparation à la sortie d’une personne incarcérée. La culture, sur la plan social et humain, apporte autant que sur le plan "culturel". Si une détention n’est pas "riche" d’échanges humains et de considération humaine, l’individu incarcéré ne peut se (re)construire. Il a besoin pour cela d’"appropriation culturelle pluraliste" et d’échange avec l’extérieur, avec autrui.
La valorisation de la personne passe avant toute chose par la parole humaine instaurée par les différents acteurs culturels. Ces derniers sont là aussi pour "guider" la personne détenue vers une découverte individuelle et personnelle. Mais ce chemin, fait d’embûches et de contraintes liées à la détention (contraintes physiques et matérielles, contraintes psychologiques) se heurte à un système pénitentiaire français rigide, basé sur la répression ; un système qui tend à s’ouvrir sur la question de la culture en prison et qui commence à accepter l’idée d’un droit d’accès à la culture pour tous. Peut-être aussi parce que l’idée de démocratisation est partout et que d’une façon ou d’une autre, elle sera forcée de pénétrer les murs de la Pénitentiaire ?

"Oubliette de la société", "état d’exception" ’ parce que privation et négation des droits fondamentaux, la prison demeure. Elle est ce système figé pourtant inscrite dans une même temporalité que celle de notre société. Elle est cette "entreprise" pensée par et pour la société. Par la société, pour protéger les citoyens de la violence et de la délinquance.

L’individu écarté,"mis à part" de la société pour un temps donné, est appelé à (ré)intégrer cette même société qui l’a "mis à l’ombre". Peut-être est-il important de penser à cela et de se poser les bonnes questions ? Est-ce que condamner autant rend efficace ? Les longues peines sont-elles vraiment "nécessaires" ? N’y a-t-il pas d’autres alternatives à l’enferment ?

Pour …, chef d’établissement du CP de Caen, il faut "sortir de nos têtes la prison" et arrêter de la regarder comme un problème. Aujourd’hui, "il faut que la prison cesse d’être centrale dans la pratique professionnelle de nos juges. Elle peut être une réponse pour des personnes dangereuses pour la société mais pas pour toutes les personnes actuellement détenues. La sanction est nécessaire ’ ne serait que pour la victime ’ mais, elle doit être adaptée. Des mesures d’aménagement de peines comme la libération conditionnelle existent aujourd’hui pour permettre à des personnes incarcérées de se (ré)insérer progressivement dans la société. Il est prouvé statistiquement que la récidive est moindre pour des personnes pouvant bénéficier d’une libération conditionnelle. La prison doit s’inscrire dans un même temps et dans un même espace que ceux de la cité. Il faut arrêter de la placer au cœur de tous les problèmes et essayer de comprendre comment un individu isolé pendant des années peut se réintégrer dans les meilleures conditions. [7]"

Bien sûr, la pratique d’activités artistiques et culturelles ne peut être le seul rempart contre la récidive et la seule solution à la question de la ré-insertion. Cependant, beaucoup des personnes que j’ai rencontré et qui interviennent en détention, s’accordent pour dire qu’il devrait y avoir une aide socio-éducative plus forte à la libération. Tout ou presque est basé sur le travail et l’hébergement négligeant ainsi l’aspect culturel, affectif et familial de la personne libérée. En plus, la personne libérée ou bénéficiant d’un aménagement de peine, a pu pratiquer une activité socioculturelle à l’intérieur des murs. Pourquoi ne pas lui laisser la chance de poursuivre cette activité ? Pourquoi lui enlever les moyens de se (re)socialiser dans une société qui a pu changer et où les repères ne sont plus même qu’avant l’incarcération ?

L’action du gouvernement s’oriente aujourd’hui sur un fort contenu éducatif en quartier mineur avec des équipements spécifiques. La prison deviendrait en quelque sorte un lieu d’éducation et de réinsertion. Une idée qui soulève de nombreuses revendications. D’autres objectifs sont à l’étude : séparer les primo-condamnés des récidivistes, individualiser les suivis pour une meilleure réinsertion à terme, rendre le lieu plus humain, mettre un terme à la surpopulation dans les prisons.

"Mais l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. [8]" Améliorer le système passerait peut être et avant toute chose à ne pas réduire systématiquement un individu à sa faute. Mais là se pose un autre problème, celui de l’éducation de l’opinion publique [9]. Sensibiliser le monde extérieur à l’univers carcéral est aussi tout le travail que tente de mener l’administration pénitentiaire. Mais sur ce terrain, il reste du chemin à parcourir. Il est toujours plus facile de fermer les yeux sur la détresse humaine, d’ignorer ou de nier la condition de ces hommes et de ces femmes détenus, d’oublier qu’ils sont encore humains. On dit de ceux qui passent les murs de la pénitentiaire ’ qu’ils soient détenu, personnel de surveillance ou "simple" visiteur de prison ’ n’en sortent jamais indemne. La prison marque. Elle est cette image que l’on garde en mémoire, cette odeur dont on ne se défait pas, ce bruit qui vous suit. Elle est dans votre tête des heures, des jours, des nuits.

Il n’est d’ailleurs pas facile de se "détacher" de ces journées passées en détention. Ni très facile d’oublier le visage de ces hommes marqués par l’enfermement et la punition.

La prison est une "machine humaine". Les détenus sont des hommes gardés par d’autres hommes. Barreaux, murs, barbelés … sont autant de barrières entre les individus. La détention est un lieu de vie physiquement éprouvant. Il faut passer ces "lourdes" portes, traverser les couloirs, supporter les bruits de la prison, les clés qui s’entrechoquent, les cris des détenus mais aussi ceux des matons [10]. Il y a tous ces prénoms à retenir, ces mains à serrer, ces visages à mémoriser.

La réalité carcérale est difficilement regardable, tellement inacceptable. Fermer les yeux sur le monde pénitentiaire, c’est préférer le nier. Pour éviter cela, des hommes et des femmes se battent. Connus ou inconnus, ils veulent "dire l’impensable prison" [11]. Pour ne pas oublier.

Notes:

[1] In Humaniser et moderniser : bilan des réformes de Robert Badinter. Ecole nationale de l’administration pénitentiaire, service documentation, 1985, 3p

[2] Personnes palcées sous main de justice

[3] Sociologue et auteur de Lire en prison : une étude sociologique. Avec la participation de Fabienne Soldini. Paris : BPI - Centre Georges Pompidou, 1995

[4] J’aurais aimé pouvoir rencontrer des personnes étudiant, travaillant, s’occupant de clubs ou d’ateliers, des personnes en formation professionnelle, des personnes pratiquant individuellement une activité culturelle ou des personnes ne pratiquant aucune activité. Cela, dans le souci d’avoir une vision représentative

[5] L’homosexualité met également les individus en marge de la population carcérale et entraîne, au même titre que l’enfermement, un sentiment de honte et de peur des autres

[6] Question 12 du questionnaire "détenus" joint en annexe

[7] Les dossiers de FR3 : prisons en crise. Débats en région. Lundi 5 mai 2003, 22h50

[8] Jean-Claude Renard, L’évasion par la culture. Politis, n°708, juillet 2002. (lire l’article en annexe)

[9] A tenter qu’il existe parce que si l’on se réfère à Pierre Bourdieu : "L’opinion publique n’existe pas."

[10] Mot qui vient de l’argot pénitentiaire. Très employé entre détenus pour parler des surveillants de prison

[11] In Michel Foucault et les prisons, François BOULLANT, PUF, 2003, p.9