CONCLUSION
Le débat sur les "statistiques ethniques" qui se manifeste en ce moment parmi les chercheurs peut permettre de typifier deux positions dans une esquisse ici sommaire. Celle défendue par le groupe de "L’engagement républicain contre les discriminations" pose, avec l’appel lancé par Jean-François Amadieu (qui est d’ailleurs directeur de l’Observatoire des discriminations), le refus de l’établissement de "statistiques ethniques". Son argument est que les informations dont on dispose permettent déjà de composer de telles données, rendant possible la mise en relief et la dénonciation des discriminations raciales et des politiques qui y sont liées, et que le développement de statistiques interrogeant plus explicitement les individus sur leur appartenance "ethnique" produirait surtout une caricature des appartenances, réduites à l’état de catégories schématisées. Ce positionnement passe aussi par la réaffirmation du principe républicain d’égalité, et l’appel à une action d’intégration redoublée (classiquement par le soutien des "efforts du système scolaire" par exemple). À l’inverse, certains chercheurs de l’EHESS, du CEVIPOF, de l’INED et bien d’autres, ont réagi à cet appel en dénoncant l’insuffisance des données actuelles pour mesurer l’ampleur des discriminations, et leur effet parfois paradoxal d’occultation des discriminations. Leur position n’est pourtant pas de militer pour la mise en place immédiate de telles statistiques, mais de refuser le discours qui concsiste à agiter l’épouvantail des risques d’affrontement communautaires qu’ induirait la mise en place de statistiques plus précises. Ils insistent ainsi sur le fait que, bien plus que les "statistiques ethniques", il ne faut pas oublier que ce sont les discriminations elles-mêmes qui menacent la cohésion sociale, et qu’un tel discours sur la menace que génère le fait de montrer les discriminations à l’oeuvre, fait justement partie des mécanismes d’euphémisation de la question.
Citons encore ici, Véronique De Rudder, Christian Poiret et François Vourc’h d’une façon qui ne tranche pas le débat sur les "statistiques ethniques", mais illustre une voie délicate entre les deux positions du débat, qui, somme toute, vont dans le même sens, contre l’éclatement d’une société française qui laisserait libre cours au racisme : " D’un côté, s’en tenir à ce rappel à la loi [de l’exigence d’égalité comprise dans l’universalisme républicain] revient à occulter les discriminations racistes et à les cautionner de fait. De l’autre, l’expérience des Etats-Unis montre que les politiques de lutte contre ces discriminations peuvent, en définissant des groupes défavorisés sur des critères univoques, contribuer au durcissement des frontières "raciales" comme à la fragmentation sociale. La voie entre ces deux écueils est donc étroite et suppose que le racisme en acte - ségrégations et discriminations - ne soit pas traité comme un problème à part, grave certes, mais sans rapport direct avec les autres processus inégalitaires."