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4 La concurrence interne : inégalité

Mise en ligne : 27 septembre 2006

Texte de l'article :

Deuxième partie
SORTIR DE PRISON : ENTRE EGALITE ET INEGALITE

Introduction
Que ce soit en détention ou à la sortie, les mécanismes d’insertion post-pénal se caractérisent par un nombre de « places » considérablement restreint au regard du nombre de personnes susceptibles d’en demander le bénéfice. Par manque de données statistiques il est extrêmement difficile d’évaluer le nombre de personnes qui, pour chaque mécanisme, voient leur demande rejetée. On ne peut que la supposer importante.
L’importance de ce différentiel nous amène alors à nous interroger sur l’éventualité d’une inégalité dans l’accès à ces mesures. Etant exclue l’hypothèse d’une sélection par ordre d’arrivée, il doit nécessairement exister un certain nombre de critères qui président à la sélection des personnes devant bénéficier des différents mécanismes d’aide existants.
Lorsque l’on envisage les choses sous l’angle de la sélection deux situations sont à distinguer, celle où cette sélection s’opère entre détenus ou sortants de prison (Chapitre 1) et celle où les sortants de prison sont mis en concurrence avec la population générale (Chapitre 2).

Chapitre 1. La concurrence interne : inégalité
La seule partie du parcours d’insertion post-pénal où la concurrence est exclusivement interne est le secteur condamnation - détention. Dans les autres secteurs il existe bien sûr quelques structures réservées aux sortants de prison (ANPE liberté emploi, CHRS spécialisés, etc.), mais ils ne touchent qu’une fraction de ce public qui, globalement, rejoint le secteur général de l’insertion. Dans le cadre de la détention, l’inégalité peut se rencontrer dans deux cas de figure. Dans un cas comme dans l’autre, l’inégalité est le fait du maintien en détention des déséquilibres sociaux habituels, mais si dans le cas de l’accès aux activités cette inégalité semble illégitime (Section 1), elle l’est moins, à priori, lorsque l’on envisage l’accès à des aménagements de peine (Section 2).
Dans ce dernier cas, l’inégalité résulte d’une mauvaise perception du sens des mesures d’aménagement de peine par les agents chargés de l’accorder.

Section 1. L’accès aux activités en détention
Sur cette question, peu de données statistiques existent. On se basera donc essentiellement sur l’étude menée sur la population carcérale dans le cadre du recensement de 1999 [1]. Dans le cadre de celle-ci, un certain nombre d’informations ont été recueillies concernant l’accès aux formations en détention (§1), informations dont on peut tirer quelques conclusions sur la question des inégalités sociales en prison (§2).

§1. L’ACCES AUX FORMATIONS
Cette étude indique que 19,8% des détenus suivent une formation en détention.
Parmi eux, une légère majorité (38,5%) suit une formation qualifiante. C’est la scolarisation qui vient ensuite (32,6%), suivie par les formations pré-qualifiantes (28,8%).
Tableau 5 : Enquête sur les formations suivies par les détenus, par types (%).

Pour identifier les facteurs qui facilitent ou complexifient l’accès aux formations, on procédera ici à l’analyse de l’impact de différents critères : l’âge à l’entrée en détention (A), la catégorie socioprofessionnelle (B), l’âge en fin d’études (C) et la durée de l’incarcération (D).

A. Le critère de l’âge à l’entrée en détention
Tout d’abord, il apparaît que l’entrée en formation varie peu selon l’âge des détenus à leur entrée en détention. Si l’on met à part la tranche d’âge des personnes de plus de 50 ans lors de leur entrée en détention, celle qui se forme le moins est celle des 21-24 ans (15,6%). En dehors de cela, toutes les tranches d’âges connaissent un taux d’entrée en formation qui varie entre 19,1% et 21,9%. Par contre, plus l’entrée en détention est tardive, plus l’accès à une formation qualifiante est important. On peut constater un basculement à partir de l’entrée en détention à 30 ans ou plus. En deçà, les détenus se répartissent presque équitablement entre formation qualifiante, scolarisation et formation pré-qualifiante. Au delà, le taux d’accès aux formations qualifiantes évolue entre 47,6% et 54,8%. Cette irrégularité selon l’âge à l’entrée en détention semble indiquer une prime à l’expérience.
Tableau 6 : Enquête sur les formations suivies par les détenus, par âge (%).

B. Le critère de la catégorie socioprofessionnelle
Si l’on observe la répartition en formation selon la catégorie socioprofessionnelle d’origine, on constate une variation modérée du taux de formation d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre (le cas des agriculteurs doit être mis à part eu égard à la faiblesse de l’effectif concerné). On peut donc en déduire qu’il existe une relative conservation de la répartition socioprofessionnelle générale au sein du sous-groupe ayant suivi une formation.
Tableau 7 : Enquête sur les formations suivies par les détenus, par CSP (%).

De fait, si l’on reconstruit cette répartition socioprofessionnelle en appliquant cette répartition à la répartition générale par catégorie socioprofessionnelle issue de la même enquête, on obtient le résultat approximatif suivant :
Tableau 8 : Répartition socioprofessionnelle des personnes ayant bénéficié d’une formation en détention (%).

Cette conservation montre que les catégories les plus favorisées ne sont pas surreprésentées dans le cadre de l’accès à la formation. Par contre, cela montre également que les publics les plus en difficulté ne bénéficient pas d’un accès prioritaire. Les inégalités ne sont donc pas accrues, mais elles ne sont pas réduites non plus. Les choses sont différentes si l’on observe la répartition socioprofessionnelle au sein de chaque type de formation. On constate alors un accroissement des déséquilibres, notamment dans le cadre des formations qualifiantes. Dans le cadre de ces formations les seules catégories sur-représentées sont les professions intermédiaires (très faiblement), les artisans (modérément) et surtout les cadres. La catégorie « sans profession » est par contre la plus sous-représentée. En fait, cette dernière catégorie n’est sur-représentée que dans le cadre des formations scolaires. La catégorie « cadre » est, quant à elle, systématiquement surreprésentée.
Tableau 9 : Répartition socioprofessionnelle des personnes ayant bénéficié d’une formation en détention, par type de formation (%).

Pour autant, on peut constater que les écarts ne sont jamais très importants, et si l’on peut considérer qu’il y a là aussi une prime au savoir préalable, celle-ci s’explique largement par la nécessité de maîtriser un certain nombre de savoirs de base pour pouvoir accéder aux formations qualifiantes organisées en détention, formations qui se déroulent sur le même modèle que les formations qualifiantes organisées à l’extérieur. On retrouve d’ailleurs le même type de décalage si l’on regarde l’âge de fin d’études.

C. Le critère de l’âge de fin d’études
Tableau 10 : Répartition des personnes ayant suivi une formation en détention, par détention, tranche d’âge et par type de formation (%).

Il apparaît ici clairement que le taux de formation augmente avec l’âge de fin d’études. C’est probablement ce critère qui, dans une grande partie, explique le meilleur taux de formation des cadres et le faible taux des « sans profession ». De même, il est significatif que la catégorie allant majoritairement en formation scolaire soit celle des personnes ayant arrêté leurs études à 15 ans ou moins (48,6%).

D. Le critère de la durée de l’incarcération
Il convient enfin d’évoquer un dernier critère propre au monde pénitentiaire : la durée de la détention. Ce critère tient son aspect discriminant de facteurs multiples. Tout d’abord, la plupart des formations qualifiantes nécessitent un minimum de temps et les condamnations peuvent être trop courtes. Lorsque ces formations sont organisées en sessions, le fait d’être incarcéré après le début de l’une d’entre elle rend l’inscription impossible. Enfin, organiser son séjour en détention implique d’y rester suffisamment longtemps pour que la personne puisse rencontrer les personnes pouvant le conseiller, formuler des demandes et surtout pour développer l’envie d’investir son séjour en détention. Cela nécessite également de savoir clairement quelle sera la durée de la détention, or cela est impossible si l’on est placé en détention provisoire et difficile si l’on est condamné pour un délit mineur. Dans ce dernier cas, en effet, réductions de peine et amnisties se conjuguent pour accroître l’incertitude. Enfin, il faut rappeler que les personnes placées en détention provisoire ainsi que la majorité des personnes condamnées à de courtes peines effectuent leur détention en maison d’arrêt. Or, ces établissements, à la différence des établissements dits « pour peine » n’ont pas de numerus clausus. La surpopulation y est donc rapide. En outre, le régime de ces établissements est beaucoup plus contraignant que celui des établissements pour peine, notamment sur la question des déplacements. L’organisation de formations est donc beaucoup plus difficile dans ces établissements.
Tableau 11 Répartition des personnes ayant suivi une formation en détention, par durée de détention et par formation (%).

§2. CONSERVATION DES INEGALITES
Ainsi, il semble que pour ce qui concerne les activités en détention, les inégalités ne soient pas accrues, mais juste conservées. Il faut dire qu’il y a à cela des raisons objectives fortes. On a vu que l’exigence de pré-requis minimum pour entrer en formation qualifiante rendait difficile l’accès à ces formations pour les jeunes sans profession et ayant arrêté l’école très tôt. De même, face au manque de places disponibles dans ces activités, il peut paraître normal que l’accès à ces formations soit réservé à ceux qui ont le plus de chances de les réussir. Il faut également tenir compte du fait que les populations les plus insérées et les plus habituées à l’administration ont plus de facilité à mettre en avant leur motivation et à formuler des demandes de formation. Ces personnes présentent également une forte motivation du fait de leur désir d’avoir une activité pour occuper le temps de détention. C’est également le public le plus inséré à l’extérieur qui va avoir la capacité de se projeter suffisamment dans le temps pour pouvoir envisager leur passage en prison comme une étape et préparer leur sortie en organisant au mieux leur détention.
En elle-même, cette conservation des inégalités n’est pas négative, elle montre que l’administration parvient à empêcher une sur-représentation excessive des catégories favorisées. Si une sélection est donc opérée, il semble pourtant regrettable qu’en l’absence de places suffisantes pour tous dans ces activités une discrimination positive ne soit pas réalisée. La prison, en effet, pourrait être l’occasion d’ouvrir à un certain public des activités auxquelles il ne peut que difficilement avoir accès à l’extérieur. Les formations qualifiantes notamment pourraient être adaptées aux spécificités du monde carcéral, on pourrait alors envisager d’inciter un public qui, pour les raisons évoquées plus haut, et d’autres comme la crainte de l’évaluation liée à l’échec scolaire, n’est pas pleinement en mesure de s’organiser pour demander à bénéficier de ces activités, ni d’entrer en concurrence avec des personnes plus motivées, à suivre ces formations. La généralisation de l’accès aux formations ne serait également possible qu’à condition que celles-ci soient adaptées afin que la progression de l’individu soit mise en avant plus que l’obtention du diplôme, ceci afin de ne pas mettre ces personnes en situation d’échec.
Cette question d’une généralisation de l’accès aux activités en détention est d’autant plus importante que d’autres mesures impliquent nécessairement une sélection.
Encore faut-il que cette sélection soit opérée sur de bon critères.

Section 2. L’accès aux mesures d’aménagement de peine
L’aménagement de peine est la deuxième voie de personnalisation du séjour en détention. Son attribution est sélective en ce sens que ces différents dispositifs visent à réduire le temps passé entre les murs en contrepartie de gages de bonne volonté. Au sein de la catégorie des aménagements de peine il convient de mettre à part le cas de la réduction de peine dans la mesure où cet aménagement est bien souvent automatique et ne s’accompagne d’aucun suivi. Fondamentalement, la situation des personnes ayant bénéficié d’une réduction de peine n’est donc guère différente de celle des personnes libérées en fin de peine.
Si l’on se concentre sur la libération conditionnelle et sur la semi-liberté, différents constats sont possibles. Tout d’abord, ces mesures sont grandement minoritaires au regard de la population pénale dans son ensemble. L’existence d’une forte sélection est donc certaine. En même temps, cette sélection se justifie par l’idée de confiance envers le détenu auquel on accorde un régime particulier. Mais cette confiance peut être déterminée suivant des critères différents selon la fonction que l’on donne à l’aménagement de peine envisagé. On étudiera donc successivement le cas de la semi liberté (§1) et celui de la libération conditionnelle (§2) en cherchant à chaque fois, au travers des modalités de son attribution, à déterminer les motifs qui gouvernent celle-ci.

§1. L’ADMISSION A LA SEMI-LIBERTE
A. L’attribution de la semi-liberté
La semi-liberté peut, on l’a vu, être accordée soit dès le début de la détention lorsque celle-ci est d’une durée inférieure ou égale à un an, soit en fin de détention à titre de préparation à la sortie lorsque le reliquat de peine n’excède pas un an. Elle peut également être accordée à titre probatoire de la libération conditionnelle. Or, dans plus de la moitié des cas la semi-liberté est accordée au début de la détention (62,7% des cas en 1999).
Tableau 12 : Evolution de la proportion des décisions de semi-liberté accordées dès l’incarcération (%).

Si l’on cherche à identifier les catégories pénales qui connaissent les taux de semiliberté les plus importants on constate que les trois premières sont « conduite en état d’ivresse, sans atteinte volontaire contre les personnes », « Escroquerie, filouterie, abus de confiance » et surtout « défaut de pièces administratives, conduite de véhicules ».
Tableau 13 : Proportion de semi-liberté et quantum médian de la peine prononcée par type d’infraction, par quantum médian croissant.

Ces trois catégories correspondent à des personnes « relativement mieux insérées sur le plan socioprofessionnel » [2] comme le montre le tableau ci-dessous :
Tableau 14 : Situation scolaire et professionnelle des détenus par type d’infraction.

Par contre, le critère de la durée de la peine initialement prononcée semble ici de faible importance, à l’inverse du cas de la libération conditionnelle. Si les trois infractions évoquées ci-dessus connaissent un quantum médian de peine relativement faible (entre 3,2 et 8,1 mois) on ne distingue pas de corrélation entre le quantum médian de la peine et l’attribution de la semi-liberté. Il convient toutefois de modérer cette observation dans la mesure où nous ne connaissons pas le quantum moyen de la peine à laquelle les détenus ayant bénéficié d’une mesure de semi-liberté avaient été condamnés. Il nous semble toutefois permis de supposer qu’il s’agit de peines relativement courtes dans la mesure où la majeure partie des décisions de semi-liberté porte sur des cas de condamnation à des peines inférieures ou égales à un an.
La question des motifs d’attribution de la semi-liberté montre quant à elle qu’un motif domine largement : celui du travail (72,2% des attributions [3]). Vient ensuite la formation (dont la scolarité) avec 15,8% des attributions. Le reste est composé de motifs très minoritaires comme la participation à la vie familiale et le motif médical (respectivement 2,1% et 1%).

B. Détermination du motif d’attribution
Au travers de ces statistiques, on voit se dessiner la conception de la semi-liberté retenue le plus souvent. Il s’agit essentiellement de mesures accordées relativement tôt, à un public globalement mieux inséré que le moyenne et afin, le plus souvent, de permettre à ces personnes de poursuivre une activité professionnelle. II s’agit assurément là d’une motivation légitime de la part des juges d’application des peines. Pourtant, les mesures les plus adaptées pour remplir les objectifs énoncés ci-dessus sont certainement les alternatives à l’incarcération. Une telle utilisation de la semi-liberté, pour compréhensible qu’elle soit, limite l’accès à cette mesure pour les personnes en situation précaire au moment de leur entrée en détention. Lorsqu’elle est interprétée ainsi, la semi-liberté n’est pas utilisée comme un outil d’insertion, mais comme un moyen de compenser la faible utilisation des alternatives à l’incarcération au niveau des juridictions de jugement.

§2. L’ADMISSION A LA LIBERATION CONDITIONNELLE
A. L’attribution de la libération conditionnelle
La question de l’admission à la libération conditionnelle est clairement différente.
Le critère selon lequel le détenu qui souhaite bénéficier d’une libération conditionnelle doit avoir effectué la moitié au moins de sa période de détention empêche que cette mesure soit employée comme alternative à l’incarcération. Il reste toutefois à déterminer si cette mesure est employée comme un outil d’insertion ou non. La proportion de libération conditionnelle est de 11,7% [4], avec d’importantes variations selon l’infraction initiale (de 4,8% à 33,3%). Il est a priori difficile d’expliquer ces variations. Toutefois, deux niveaux d’analyse peuvent être envisagés successivement. On peut tout d’abord forger l’hypothèse selon laquelle l’attribution de la libération conditionnelle varie selon le taux de récidive de l’infraction considérée. Cela revient à dire que les personnes intervenant dans l’attribution de la libération conditionnelle auraient une connaissance ce plus ou moins empirique du taux de récidive de chaque type d’infraction et adapteraient leurs décisions à cette donnée. L’étude menée par le CESDIP et l’administration pénitentiaire sur la question de la récidive permet une première évaluation de cette hypothèse. Dans le cadre de cette recherche [5], un échantillon représentatif de 1157 dossiers de personnes libérées en 1982 condamnées initialement à une peine d’au moins trois ans a été constitué et analysé [6]. Si l’on regroupe ces dossiers par grandes catégories d’infraction on obtient les résultats suivants [7] :
Tableau 15 : Comparaison des taux de libération conditionnelle et de nouvelles affaires par type d’infraction.

Il apparaît clairement que le taux de libération conditionnelle tend à croître lorsque le taux de nouvelles affaires diminue. La seule exception notable est celle de l’attentat à la pudeur, infraction pour laquelle l’influence de facteurs extérieurs au système judiciaire (médias, opinion publique) est forte.
A un deuxième niveau d’analyse, on peut se demander si le critère le plus déterminant n’est pas celui de l’infraction elle-même, mais celui de la durée de la détention. L’influence de ce critère a été pleinement mise en évidence par l’étude menée par le CESDIP et l’administration pénitentiaire sur les aménagements de peine [8]. Si l’on compare pour chaque catégorie d’infraction le taux de libération conditionnelle aux quantum médians de la peine prononcée on constate à nouveau une corrélation.
Tableau 16 : Proportion de libération conditionnelle (LC) et quantum médian de la peine prononcée par type d’infraction, par quantum médian croissant.

La relation est ici plus évidente, on peut en déduire que plus une personne a été condamnée à une peine longue, et donc plus elle a passé de temps en détention, plus ses chances d’obtenir une libération conditionnelle augmentent (excepté pour certaines catégories d’infractions). Différentes raisons peuvent expliquer ce phénomène. On peut tout d’abord évoquer l’érosion de la peine, c’est à dire le fait que comme les personnes condamnées à de courtes peines bénéficient déjà de réductions de peines et d’amnisties, les juges d’application des peines peuvent ne pas vouloir réduire encore la durée de leur détention afin de maintenir une certaine valeur à la peine initiale. En outre, monter un dossier de libération conditionnelle prend du temps dans la mesure où les exigences posées sont fortes. Il faut enfin tenir compte de la volonté des détenus qui, lorsqu’ils ont été condamnés à une peine de moins d’un ans peuvent ne pas souhaiter bénéficier d’une libération conditionnelle.
Les autres facteurs à envisager sont respectivement les caractéristiques sociodémographiques des détenus et la procédure de jugement suivie. Comme on l’a vu, le mariage et l’exercice d’une profession sont deux données qui influent sur la proportion de libérations conditionnelles, mais il est plus surprenant de constater que le taux de libération conditionnelle varie également selon que les détenus sont entrés en détention dans le cadre d’une détention provisoire en procédure rapide ou non. Quelle que soit la catégorie d’infraction, la proportion de libération conditionnelle est plus forte dans la catégorie des personnes entrées en détention dans le cadre d’une détention provisoire en procédure normale, ou directement en exécution d’une condamnation, que dans la catégorie des personnes ayant suivit une procédure rapide. Dans le cadre du groupe « infraction à la législation sur les stupéfiants, sauf cession seule ou usage seul (délit) », la proportion de libération conditionnelle connaît un écart de 13 points sur cette seule variable, à quantum de peine, situation matrimoniale et situation professionnelle égaux (7,8% pour les personnes placées en détention provisoire dans le cadre d’une procédure rapide contre 20,9% pour les autres détenus).
Tableau 17 : Proportion de libération conditionnelle dans la catégorie « infraction à la législation sur les stupéfiants, sauf cession seule ou usage seul (délit) » selon différents critères, chaque critère étant envisagé à structure constante pour les autres critères.

B. Détermination du motif d’attribution
Si l’on rassemble toutes ces données pour en déduire un critère global de sélection au bénéfice de la libération conditionnelle, on constate que l’élément le plus important semble être la durée de la peine. Il est clair que l’importance de cette variable tend à contredire l’hypothèse d’une utilisation de la libération conditionnelle comme outil d’insertion à proprement parler. Le fait d’avoir passé plus ou moins de temps en détention ne devrait normalement pas être considéré comme un signe d’insertion, à moins que l’on envisage l’insertion sous le seul angle de la récidive. Dans ce cas, en effet, la durée de détention à une importance beaucoup plus grande dans la mesure où une longue détention tend à réduire le taux de récidive [9]. Il en va d’ailleurs de même du fait d’être marié et d’avoir une profession. On peut donc envisager à nouveau l’hypothèse selon laquelle la libération conditionnelle est accordée selon l’idée plus ou moins consciente que l’agent, chargé d’ordonner cette mesure, se fait des chances de récidives du détenu demandeur. Bien sûr, les notions de récidive et d’insertion sont liées.

Notes:

[1] KENSEY Annie, CASSAN Francine, TOULEMON Laurent, « Enquête sur l’histoire familiale d’un échantillon de détenus », INSEE Première, n°706, avril 2000, p.1-4

[2] KENSEY, Annie et TOURNIER Pierre V., en collaboration avec GUILLAUNNEAU M. et LAGANDRE V., op. cit., p.13

[3] Direction de l’administration pénitentiaire, op. cit., p.156

[4] KENSEY, Annie et TOURNIER Pierre V., en collaboration avec GUILLAUNNEAU M. et LAGANDRE V., op. cit., p.13

[5] KENSEY Annie et TOURNIER Pierre V., Libération sans retour ? Devenir judiciaire d’une cohorte de sortants de prison condamnés à une peine de trois ans ou plus, Direction de l’administration pénitentiaire, coll. Travaux et documents, Paris, n°47, octobre 1994, 127p

[6] L’ancienneté de l’échantillon explique les forts taux de libération conditionnelle indiqués dans le tableau suivant, à cette époque le taux de libération conditionnelle général atteignait 32,3% contre 11,7% aujourd’hui

[7] La catégorie « trafic de stupéfiant » n’a pas été rapportée ici dans la mesure où pour cette catégorie, certaines données n’ont pas pu être déterminées. Le terme « nouvelle affaire » désigne ici toute condamnation inscrite sur le casier judiciaire pour des faits commis dans les quatre ans ayant suivi la libération

[8] KENSEY Annie et TOURNIER Pierre V., coll. GUILLONNEAU M. et LAGANDRE V., Placement à l’extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle. Des aménagements d’exception, volume 1, Direction de l’administration pénitentiaire, CESDIP, coll. Etudes et Données pénales, n°84, 2000, 155p

[9] Sur l’imprécision de l’expression « taux de récidive », voir notamment TOURNIER Pierre V., « La mesure de la récidive en France », Regards sur l’actualité, n°229, p.15-23