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"Usure professionnelle et stratégies d’adaptation des surveillants" de Malvina Roussin

4 Résultats

Mise en ligne : 22 décembre 2004

Texte de l'article :

4. Résultats

Les résultats présentés ci-dessous sont de natures différentes. L’analyse quantitative des données nous permet d’appréhender deux dimensions. D’une part, nous étudierons la structure de l’échantillon interrogé et le lien entre caractéristiques et usure professionnelle. D’autre part, nous nous attacherons aux relations entre burnout et stratégies de coping. L’analyse qualitative comporte également deux volets. Dans un premier temps il s’agira de repérer les stratégies de coping au sein du discours des surveillants. Dans un second temps, nous chercherons à contextualiser l’évocation de ces stratégies en faisant ressortir les univers discursifs dans lesquels elles s’inscrivent.

 4.1. Homogénéité interne des outils

 L’homogénéité interne des échelle utilisées semble plutôt bonne pour le MBI (?= .03) ainsi que pour la WCC (? = .47). Une analyse factorielle ne s’avérait pas nécessaire attendu que la validité de échelles n’est plus à éprouver.

 4.2. Structure de l’échantillon

 4.2.1. Structure descriptive

130 surveillants ont été interrogés, 113 questionnaires ont étés enregistrés, 16 questionnaires ont été remplis par des femmes.

 ? L’age
L’age moyen est de 32.6 ans
9.7. % (11/113) des agents ont moins de 26 ans
33.6% (38/113) ont entre 26 et 30 ans contre 22% de la population totale du CPM (Centre Pénitentiaire de Marseille).
50% (57/113) ont entre 31 et 40 ans contre 45.5% pour l’ensemble de la population du CPM.
6.19% (7/113) ont plus de 41 ans ce qui est inférieur à la moyenne de l’établissement.
On constate une surreprésentation des personnels les plus jeunes.

 < 26 ans 26-30 ans 31-40 ans > 41 ans
Echantillon de l’étude 9.7% 36.6% 50% 6.19%
Population totale 4.41 21.8% 45.58% 28.10%

 ? Le statut matrimonial
Au sein de l’échantillon on recense.
37 surveillants mariés, 30 vivent en concubinage, 2 sont PACSés et 6 vivent en union libre. Parmi les personnes vivant seules ont compte 35 célibataires, 2 divorcés et 1 Veuf.
On notera que les unions libres et concubinages sont souvent consécutifs à un divorce.

 ? Le niveau d’étude
La majorité des agents de l’échantillon ont un niveau supérieur ou égal au BAC (37 supérieurs au BAC, 33 niveau BAC), les autres ont généralement le niveau BEPC/CAP car c’est le seuil de recrutement depuis de longues années. 1 personne a le certificat d’étude, 10 n’ont pas communiqué cette information.

 ? Le grade
88 titulaires
25 surveillants principaux

 ? Le type de poste.
62 agents travaillent en équipe et 26 en module. 25 Sont en poste fixe dont 13 en détention.
 

 ? Répartition par bâtiment

Bâtiment A B D CPF CPA Parloirs CORSEC Autres
Effectif 31 24 26 15 6 5 5 4

 ? Habitat
87 agents sur 113 résidents à Marseille, le temps de trajet moyen, pour les 26 autres est de 90mn.

 ? L’ancienneté au CPM
L’ancienneté moyenne est de 4.5 ans.
Dans l’échantillon comme dans la population de l’établissement on retrouve environ 60% de personnes qui sont là depuis moins de 5 ans.
Les autres tranches sont sous représentées :
25.6 % (29/113) entre 5 et 10 ans contre 15.03 % dans la population du CPM.
13.27% contre 17.97 % entre 11 et 15 ans.
Aucune personne de plus de 15 ans d’ancienneté.

 < 5 ans 5-10 ans > 10 ans
Echantillon 60% 25.6% 13.27%
Population totale 58.82% 15.03% 26.14%

 ? L’ancienneté dans l’Administration Pénitentiaire
Pour les moins de 5 ans on retrouve environ les 35% de la population du CPM. 
Les personnes qui sont dans l’Administration pénitentiaire depuis 5 à 10 sont surreprésentées 43.36% contre 24.67% dans l’établissement et les personnes de plus de 10 ans d’ancienneté sont sous représentées 21.2% contre 41.17 %.
 

 < 5 ans 5-10 ans > 10 ans
Echantillon 35.3% 43.36% 21.2%
Population du CPM 34.15% 24.67% 41.17%

Concernant les mesures de l’ancienneté on remarque également une moins bonne représentation des plus anciens, ceci pouvant être relié à une moindre représentation des plus âgés.

 ? L’age d’entrée dans l’administration pénitentiaire
La majorité de l’échantillon serait entrée entre 20 et 27 ans (70%) et notamment entre 22 et 25 ans (40%). 8 Personnes sont entrées après 35 ans.

 ? Les changements de carrière envisagés
39 d’entre eux n’envisagent pas de changement de leur situation professionnelle contre 74 qui souhaitent accéder soit à un autre poste (16), soit à un autre établissement (35) soit à un autre grade (37) généralement celui de premier surveillant. Enfin 11 d’entre eux envisagent d’autres types de changements tels que le changement de ministère ou la cessation totale d’activité professionnelle.

 ? L’épuisement professionnel
18 personnes sont en épuisement émotionnel, 9 ont un niveau élevé d’accomplissement personnel et 64 ont un niveau élevé de dépersonnalisation. 15 sont en épuisement professionnel (burnout) dont 2 femmes.

 ? Représentativité
En terme de représentativité de l’ensemble de la population des surveillants et surveillants principaux du CPM, on constate une assez bonne concordance entre les caractéristiques de l’échantillon et la population de référence quant aux indicateurs tels que l’âge, l’ancienneté au CPM et dans l’Administration Pénitentiaire. Néanmoins nous notons une sous représentation du groupe des surveillants les plus âgés et les plus anciens. A cela plusieurs explications sont possibles. En premier lieu, les chiffres avec lesquels nous avons établi les comparaisons comprennent l’ensemble du personnel de surveillance, dont les premiers surveillants et les Chefs de Services Pénitentiaire, ces derniers sont plus âgés et plus anciens dans l’administration pénitentiaire que la moyenne des surveillants. Mais nous retiendrons deux raisons relatives à la façon dont est construite l’étude. D’une part on a pu constater un plus grand refus de participer à l’étude chez les personnels les pus âgés et les plus anciens. D’autre part cela peut aussi être le fait d’un biais d’expérimentateur qui consiste à obtenir une meilleure participation de la part des personnes les plus proches socialement, cette proximité pouvant être basée sur la catégorie d’age.

 4.2.2. Relations entre les caractéristiques ( Cf. Annexe 3.1)

 L’analyse des relations entre les caractéristiques nous permet d’identifier des groupes partageant un ensemble de caractéristiques communes.

 ? L’age
 Il est étroitement relié aux caractéristiques relatives à la carrière des agents. En effet le grade augmente avec l’age (.305) ainsi que le temps passé au sein de l’établissement (.431), le temps passé dans l’Administration Pénitentiaire (.546) et l’age d’entrée dans l’Administration Pénitentiaire (.524). Ainsi deux phénomènes apparaissent, les personnes qui sont le plus âgées sont celles qui sont rentrées le plus tard dans l’Administration Pénitentiaire, ce sont donc des personnes dont on peut imaginer qu’elles ont eu une expérience professionnelle avant. Neveu (2002) évoque le fait qu’une entrée plus tardive dans l’administration puisse protéger un peu plus de l’usure professionnelle). On remarque tout de même que les personnes les plus âgées sont les plus anciennes au sein de l’établissement et dans l’administration, ce sont également les personnes les plus gradées.
 Ce résultat rejoint l’idée d’une nouvelle génération de surveillants qui entrerait de plus en plus tôt dans l’Administration Pénitentiaire, poussée vers la fonction publique par un climat de crise économique. Le métier de surveillant serait la première expérience de ces jeunes gens à peine sortis du système scolaire.
 

 ? Le niveau d’étude
 Il est relié négativement au grade (-.424), au temps passé en poste (-.312), au CPM
(-.316) et dans l’administration (-.427). De plus si l’on prend en compte une corrélation significative seulement à p<.05, le niveau d’étude est alors relié négativement à l’age (-.215). Cette dernière information nous permet de rejoindre l’idée précédemment énoncée selon laquelle une génération de jeune gens diplômés serait poussée vers la fonction publique par la recherche de sécurité matérielle et la peur du chômage.

 ? Le grade
 Le lien entre grade et ancienneté dans l’administration (.527) et au CPM (.465) nous permet seulement de valider l’idée selon laquelle, à l’intérieur de la population des surveillants, la hiérarchisation sociale se base sur l’expérience, l’ancienneté. Le titre de surveillant principal étant d’ailleurs un titre honorifique accordé à certains surveillants, notamment les plus anciens. On ne retrouve pas cette logique de façon institutionnalisée dans l’encadrement par exemple.

 ? Le type de poste
 Il est relié au temps passé au CPM (.290), ce qui signifie que plus on passe de temps dans l’établissement, plus on sort de la détention.

 ? L’habitat
 Il est relié négativement à la dépersonnalisation (-.252) et positivement au temps passé au CPM (.249). On peut donc dire que les personnes qui restent le plus longtemps dans l’établissement sont des personnes implantées à Marseille. Par ailleurs ces personnes là n’étant pas soumises à de longs trajets pour rejoindre leur foyer (trajet moyen de 1h45 pouvant aller jusqu’à 8 heures) présenteraient moins de signes de l’usure professionnelle tel que la dépersonnalisation.

 ? Le temps en poste
 Outre les relations déjà étudiées entre le temps en poste et l’age, le niveau d’étude et le grade, nous notons qu’il est étroitement relié au temps passé dans l’établissement (.651) et dans l’Administration Pénitentiaire (.351). Nous constatons ainsi une faible mobilité intérieure à l’établissement et au sein de l’administration.

 Les relations entre les caractéristiques nous permettent d’ores et déjà d’identifier un groupe de surveillants plus âgés, plus anciens, occupant peut être des postes un peu plus retirés de la détention et dont l’expérience est valorisée socialement. Le fait qu’ils soient rentrés plus tardivement dans l’administration et qu’ils se soient implantés dans la région semble les protéger de l’usure professionnelle. On voit également ressortir un groupe de surveillants plus jeunes, plus diplômés et qui semblent être poussés de plus en plus tôt vers l’Administration Pénitentiaire, ces derniers apparaissent alors plus vulnérable quant à la question de l’usure professionnelle.

 

 4.3. Burnout et adoption différenciée des modes de coping

 4.3.1. Le Maslach Burnout Inventory (MBI)

Les relations entre les trois dimensions correspondent à la description effectuée précédemment (Cf. § 4.2.1). Ainsi l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation sont corrélés positivement (.479) et chacun d’entre eux et corrélé négativement à l’accomplissement personnel (-.213 et -.236). Ainsi lorsque les personnes sont en usure professionnelles, leur niveau d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation sont élevés tandis que l’accomplissement personnel est faible. Vice versa, les personnes en accomplissement personnel ont des scores élevés sur cette dimension et des scores faibles en épuisement émotionnel et dépersonnalisation.
 D’un point de vue descriptif un profil moyen des surveillants peut être établi sur la base des résultats au MBI. Un niveau d’épuisement émotionnel moyen (19), de dépersonnalisation élevé (11) et d’accomplissement personnel faible (29) semblent caractériser le positionnement moyen de la population des surveillants sur les différentes dimensions du MBI. Ces résultats ne se démarquent pas réellement des résultats obtenus par d’autres corps professionnels. (Cf. Annexe 3.2)

 4.3.2. La ‘Ways of coping Checklist’ (WCC)

 Les relations internes à la WCC font apparaître une relation positive entre l’adoption de stratégies centrées sur la résolution de problèmes et la recherche de soutien social (.333). Cette relation nous ramène à l’idée selon laquelle les tentatives de résoudre la situation stressante prennent aussi en compte le fait de rechercher des conseils ou des informations chez des personnes spécialistes ou compétentes en la matière.

 

 4.3.3. Relations statistiques entre burnout et coping. (Cf. Annexe 3.1)

 L’épuisement émotionnel est relié positivement au fait d’adopter des stratégies centrées sur l’émotion (.339), il est également relié négativement au temps passé au Centre Pénitentiaire de Marseille (-.287). L’étude n°1 menée par Lourel (2002) fait également état d’une relation négative entre ancienneté dans l’établissement et épuisement émotionnel.
 La dépersonnalisation est également reliée positivement avec le coping centré sur l’émotion (.286) et négativement avec le temps passé au CPM (-.252) et l’habitat (-.253).
 Enfin, l’accomplissement personnel est relié positivement au coping centré sur le problème.
Nous rejoignons ici l’hypothèse selon laquelle les stratégies centrées sur l’émotion auraient un moindre valeur adaptative en terme d’usure professionnelle tandis qu’un coping actif centré sur la résolution de la situation semble associé à un niveau d’usure professionnelle plus bas. Cette idée est conforme a ce qui est développé dans la littérature (Paulhan, 1992 ; Bruchon Schweitzer, 2002 ; Pronost et Tap, 1996). Nous retrouvons également l’idée précédemment exposée qui veut que les surveillants les plus anciens soient plus préservés de l’usure professionnelle.

 4.4. Approche lexicale et thématique du métier de surveillant

 4.4.1. Présentation du corpus

 Au total, 20 entretiens ont été réalisés, ils se répartissent de la façon suivante (Cf. Tableau 1) :
- 7 auprès de personnes en burnout (Epuisement émotionnel et Dépersonnalisation élevés, associés à un faible accomplissement Personnel)
- 7 correspondant au profil moyen des surveillants sur le MBI (Epuisement émotionnel moyen, Accomplissement personnel faible et Dépersonnalisation élevée)
- 6 auprès de personnes ayant un niveau d’accomplissement personnel élevé.
Parmi les interviewés on compte 3 femmes et 17 hommes.

Tableau 1 : Répartition des interviewés par groupes
 Burnout Profil moyen Accomplissement personnel
Hommes 6 6 5
Femmes 1 2 0

 

 4.4.2. Pratiques professionnelles et adaptation

 L’analyse thématique nous permet d’identifier des principes et des pratiques professionnelles qui ont une dimension adaptative. On peut relier ces pratiques aux stratégies d’adaptation centrées sur l’émotion, le problème, la recherche de soutien social ou bien l’évitement. Les stratégies décrites sont éminemment défensives dans la mesure où elles visent de près ou de loin, la prévention ou la gestion des différentes formes de risque, qui renvoient à la perte physique, psychique ou symbolique de l’étanchéité du rapport intérieur extérieur.

 ? Stratégies centrés sur l’émotion

 Les énoncés renvoyant à une tentative de maîtrise de l’émotion sont relatifs aux qualités nécessaires à l’exercice de ce métier, aux stratégies préventives ou quotidiennes mais également à la gestion de situations particulières.
 Parmi les qualités nécessaires à l’exercice du métier de surveillant on retrouve la force d’esprit, l’affirmation de soi, l’équilibre psychologique. Autant d’éléments qui apparaissent comme des dispositions nécessaires pour maintenir une distance qui se veut d’autant plus solide et étanche que le risque psychique est perçu comme important.

« C’est un métier où il faut s’imposer QUOI, il n’y a pas le choix, il faut pas avoir peur de dire non »
« Niveau psychologique. Je dirais qu’il faut être très bien dans sa tête pour exercer ce métier »

 Les stratégies préventives correspondent entre autre à la constitution d’une personnalité différente dans le cadre du travail, cette dernière peut être ressentie comme très différente de ce que les surveillants sont normalement.

« Quand je rentre dans la prison je suis plus pareil, je suis pas le même homme au travail et à la maison Je suis un homme comme tout le monde à la maison, tandis que là dedans c’est pas moi c’est l’administration »

 Cette personnalité professionnelle se constitue à partir des missions dont sont investis les surveillants et sur le fait qu’ils sont représentants de l’administration pénitentiaire. Elle se matérialise par le passage de la porte d’entrée et le fait de porter l’uniforme.

« Il y a un portail il est géant, tout le monde le voit ce portail. C’est ça la frontière, d’un côté on est citoyen, de l’autre on est surveillant, agent de justice »
« Le bleu déjà y est pour quelque chose, on a une tenue qui marque déjà une différence entre la personne incarcérée et le rôle que nous on doit avoir »

 Les stratégies quotidiennes visent à assurer la pérennité de cette personnalité professionnelle elles visent à rendre toute intrusion dans la sphère personnelle impossible et relèvent plus du principe professionnel. Il s’agit de ne pas se laisser appeler par son prénom, de ne rien accepter de la part du détenu, de mettre sa compassion de côté ou encore de ne jamais faire confiance à un détenu.

« Parce que quand même dans mon travail, enfin dans notre travail, il y a quand même une certaine rigueur à avoir et puis on peut avoir de la compassion mais c’est dur à dire, mais il faut quand même un peu la mettre de côté »

 De façon plus positive il s’agit aussi de ne pas trop s’en demander, d’apprendre à relativiser et de tacher de s’intéresser à son travail.
 Les stratégies mises en place face à des situations particulières visent à ne pas se laisser déborder par la situation. Certaines situations rencontrées peuvent en effet générer une tension rapide et intense, les situations évoquées sont les tentatives de suicides, les automutilations, les insultes. Il s’agit dans ces situations de garder son calme, de ne pas se braquer, de ne pas se laisser impressionner ni céder à la panique. En cas de conflit on peut également faire "redescendre la pression", "détendre l’atmosphère".

« Certaines situations vont devenir facile à gérer, une simple explication suffit à faire redescendre la tension »

 Les personnes en burnout évoquent plus fréquemment les stratégies centrées sur l’émotion (près de la moitié des stratégies évoquées) mais surtout celles de nature préventive ou celles qui relèvent de dispositions naturelles.

 ? Stratégies centrés sur la résolution de problème

 Elles visent le maintien d’une distance entre surveillants et détenus par le respect des positions institutionnellement distribuées. Ces stratégies s’orientent vers deux domaines, la gestion de la population pénale et la maîtrise de la charge de travail.

 La gestion de la population pénale comporte trois volets plus ou moins appuyés en fonction du positionnement professionnel, l’application du règlement, l’établissement de règles tacites et le recours au dialogue.
 L’application du règlement correspond au respect de règles explicites, du cadre légal. On respecte le code de procédure pénale, le règlement de l’établissement ou à minima les "règles de base" de sécurité.

« Il y a des textes qui sont rédigés, des façons de procéder, ben je m’y tiens le plus strictement possible »

 L’ensemble des règles tacites constituent ce que Chauvenet et al (1994) appellent un « code de coexistence pacifique ». Le surveillant joue sur les passes droits pour obtenir le calme en détention et doit respecter certaines règles. Les détenus apparaissent d’autant plus attentifs à ces règles qu’elles sont pour eux, des régulateurs de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du surveillant. Il s’agit donc de tenir sa parole, de ne pas faire de promesses que l’on ne pourrait pas tenir, de ne pas faire de favoritisme ou de différences en fonction des catégories pénales.

« Quand ils vous demandent quelque chose, enfin on leur donne si c’est quelque chose à donner, mais si on peut pas il faut leur dire je peux pas, mais si on dit oui, il faut leur donner »
« Il faut surtout pas faire de favoritisme [...] Ce qu’on fait pour un il faut le faire pour tous et ce qu’on fait pas pour quelqu’un il faut pas le faire pour tout le monde »

 Le dialogue apparaît comme l’outil principal pour établir ces règles, on assiste à une adaptation mutuelle entre détenus et surveillants, il permet également d’éviter des situations difficiles. De la même façon, les surveillants privilégient les relations interpersonnelles (d’homme à homme) pour gérer certaines situations

« Les deux minutes que je perds des fois à discuter, des fois ça évite des problèmes. [...] Mais c’est vrai que moi j’ai toujours dialogué et ça m’a toujours rendu service au niveau du travail »
« Je leur ait expliqué ma manière de faire, ils ont vu ils ont constaté, j’ai eu quelques problèmes disons relationnels avec eux mais maintenant ça se passe bien. »

 La maîtrise de la charge de travail correspond à la fois à une attitude développée à l’égard du travail et à des pratiques. En terme d’attitude il s’agit d’être rigoureux, consciencieux, "carré", professionnel et de bien se tenir.

« Essaye de t’intéresser à ce que tu fais et essaye d’être le plus professionnel possible »

 Dans la pratique, la gestion de la charge professionnelle passe en priorité par la gestion du temps, le respect des horaires. Il faut donc établir des priorités entre les sollicitations des détenus. Gérer la charge professionnelle c’est également accomplir les gestes professionnels prescrits, plus précisément en cas d’urgence. C’est également rendre des comptes à sa hiérarchie.

« Alors ça peut pas marcher à ce niveau là aussi, il y a personne qui respecte rien, les horaires de travail, c’est la débandade »
« Donc là il faut tout de suite penser aux gants, il faut mettre une tenue plus ou moins pour pas que vous soyez touché avec un casque de protection qu’on met d’ailleurs pour intervenir dans ces situations là, dans les situations extrêmes, là c’est une situation extrême »
« Alors les ficelles c’est tout, c’est la gérance, gérer le temps de travail comme je disais tout à l’heure il y a des mouvement qui peuvent être mis en même temps que d’autres »

 Plus de la moitié des stratégies évoquées sont relatives à la résolution de problème chez les personnes en accomplissement personnel. Pour eux, l’adoption de ces stratégies, notamment celles qui visent la gestion de la charge de travail sont d’autant plus importantes qu’elles permettent de sortir du travail en ayant la conscience tranquille, en sachant qu’on a fait ce qu’on avait à faire et que le collègue qui reprend l’étage derrière lui ne sera pas ennuyé parce qu’il n’aurait pas fait son travail correctement. Ces stratégies apportent la reconnaissance des collègues et de la hiérarchie.

 ? Stratégies orientées vers la recherche de soutien social

 Elles sont très peu évoquées excepté pour les cas où elles sont prescrites. Les nouveaux sont vivement invités à s’adresser aux anciens, à solliciter leurs conseils, à les écouter attentivement et à les regarder faire. L’importance du rôle des anciens est surtout abordée par les plus jeunes surveillants qui les perçoivent comme des personnes ressource.

« Que si il a un problème il appelle, pour parler il y a d’excellents surveillants. Que il y a des collègues de vrais collègues, il seront là pour l’aider quoi qu’il arrive, il faut qu’il apprenne à les connaître »

 Le contact avec les anciens est d’autant plus important qu’il favorise l’intégration au sein du groupe professionnel. Pourtant, au-delà de l’aura de respectabilité leurs pratiques sont parfois décriées.

« Il y a des anciens, ils font des choses que si un nouveau fait comme eux, ça va pas aller, il va se faire... Alors c’est pour ça je dis, il y a des choses à prendre et des choses à laisser »

 La recherche de soutien social consiste aussi à faire appel à ses collègues de travail en cas de situation difficile. On cite comme exemple, les feux de cellule, les conflits physiques, la maîtrise de détenus en crise. On donne l’alerte et les collègues, voir même la hiérarchie accourent. Mais l’idéal de ce scénario est parfois mis à mal.

« Quand vous avez un feu de cellule il y a personne qui monte c’est hallucinant »

 Par contre il peut arriver qu’on fasse appel à la hiérarchie pour régler une situation plus ou moins épineuse mais relevant de la gestion courante.

« Vous prenez aucune initiative, vous appelez, vous rendez compte, vous prenez aucune initiative, il se passe ça, qu’est-ce que je fais, je vous attend. Et surtout pas essayer d’arranger les choses soi même, parce que ça sert à rien, et le surveillant va se mettre en porte à faux par rapport aux détenus. »

Ces pratiques évoquées par les personnes en burnout sont peu désirables socialement au regard de la hiérarchie qui attendrait surtout des surveillants qu’ils fassent leur travail sans faire de bruit.

 ? Stratégies d’évitement

En recherche fondamentale on relie le coping centré sur l’émotion et l’évitement. Dans le discours des surveillants, les stratégies centrées sur l’émotion et les stratégies d’évitement sont d’une autre nature. Les stratégies d’évitement de sont pas perçues comme des modes d’adaptation dans le discours des surveillants, elles ne relèvent pas de pratiques professionnelles au sens strict. Pourtant elles visent à soustraire le surveillant à la tension générée par l’exercice de sa profession et s’articulent autour de la préservation de l’étanchéité du rapport intérieur extérieur. Il s’agit d’avoir des activités à l’extérieur, de « s’évader de la détention » ou de se mettre en maladie.
 Avoir des activités à l’extérieur permet d’évacuer la tension accumulée au cours du service et à occuper suffisamment l’esprit pour qu’il soit impossible de penser au travail. Cela permettrait aussi de limiter l’incidence que la fonction exercée peut avoir sur la vie extra professionnelle. Ces activités peuvent être de toutes formes, hobbies, bénévolat, un autre travail ou une vie familiale et sociale intense.

« Par contre dès qu’on est dehors BEN il faut faire des activités. J’ai énormément d’activités. J’en ai tellement que des fois je peux pas tout faire en même temps, ça fait du bien. [...] Ça me permet d’évacuer et je pense à autre chose qu’à mon travail »

Dans le même sens certains évitent les discussions à propos de leur travail, n’en parlent jamais à l’extérieur.

« Si c’est un proche ou quoi, il me pose des questions moi j’ai pas envie d’en parler alors c’est pas toujours bien vécu mais si on n’a pas envie d’en parler c’est qu’on a envie d’en parler c’est qu’on a envie de faire la part des choses en sortant, de faire autre choses, je comprends la curiosité des gens qui veulent savoir mais.... »

Un autre ensemble, déjà repéré par Lhuilier et Aymard (1990) consiste à « s’évader » de la détention. La première voie est celle de la gestion de la carrière en demandant un poste retiré de la détention. On peut aussi échapper au contact avec la population pénale en passant des concours internes et en évoluant dans la hiérarchie. Des passerelles existent aussi avec d’autres administrations.

« Je souhaite as faire ça toute ma vie, quelques temps et je compte partir ailleurs dans une autre administration »

"Planter", "prendre un ticket maladie", a plusieurs fonctions. Il permet au surveillant de se soustraire à la tension générée par son métier et il lui permet de gérer sa vie extra professionnelle et familiale face aux contraintes et aux incertitudes du planning. C’est également un mode de contestation, une façon de manifester son mécontentement face à des conditions de travail qui s’avéreraient trop contraignantes.

« Et c’est à cause de ça qu’il y a beaucoup de maladies, il y a beaucoup de gens qui se mettent malades alors qu’ils le sont pas mais tout ça parce que les gens ils peuvent pas prévoir QUOI. »

Malgré tout, l’usage de la « maladie de complaisance » ou pour usure psychique est assez mal perçu. Ne jamais poser de congés maladie est source de fierté. L’absence des agents se répercute sur le reste de l’équipe qui se retrouve en sous effectif ou sur des « collègues » rappelés pendant leur temps de repos. Par ailleurs, un membre de l’équipe en difficulté renvoie aux autres la conscience de leur vulnérabilité et du danger d’atteinte psychique.

« Une personne qui met de la maladie comme ça, sans se soucier des collègues, [...] qu’il nous fait de la maladie de complaisance, son travail n’est pas fait, c’est d’autres qui vont le faire. Donc [...] notre sécurité est mise en péril pas par les détenus parce que eux ils sont là, ils y sont, par les mecs qui sont pas venus travailler, qui ont fait ça. Ça je dis que ces mecs ils ont pas de figure, c’est des crapules, des personnes qui choisissent la facilité »

Les stratégies d’évitement ont une plus grande importance en terme de volume discursif chez les surveillants en épuisement professionnel.

 4.4.3. Les différentes façons de parler du métier de surveillant

La majorité des thèmes compris dans l’analyse thématique font apparaître un discours commun. Les groupes établis pour les entretiens se distinguent néanmoins du discours commun. Par ailleurs l’analyse lexicale à l’aide du logiciel ALCESTE fait apparaître 3 classes de discours comprenant chacune un vocabulaire spécifique qui renvoie à des thèmes pris en compte dans l’analyse thématique. (Cf. Annexe 3.3 et tableau 2)

Tableau 2 : Résumé de l’analyse Alceste
Classe 1 Classe 2 Classe 3

Nombre d’u.c.e
1203. soit : 48.78 %
 Nombre de "uns" (a+r)
  : 35886. soit : 48.68 %
 Nombre de mots analysés par uce : 9.19

 

Mots étoilés spécifiques de la classe 1 :
 *age_2 (30-40 ans) *couple_0 (vit seul) *etud_2 (niveau supérieur ou égal au bac)
*groupe_2 (profil moyen sur le MBI)
*tpsap_2 (5-10 d’ancienneté)

 

 

Formes associées au contexte A
 ------------------------------
  
essayer
personne
détenu
dire
comprendre
droit
intérieur
caractère
conflit
femme
personnalité
respect
professionnel
attentif
calme
 
Nombre d’u.c.e.  : 653. soit : 26.48 %
 Nombre de "uns" (a+r)  : 19563. soit : 26.54 %
 Nombre de mots analysés par uce : 9.64

 

Mots étoilés spécifiques de la classe 2 :
 *age_3 (40-50 ans) *couple_1 (vit en couple)
*groupe_1 (en épuisement professionnel sur le MBI)
*poste_2 ( poste fixe) *sexe_0 (femme)
*tpsap_3 (plus de 10 ans d’ancienneté)

 

 

Formes associées au contexte B
 ------------------------------
 
directeur
chef
concours
établissement
fonction
niveau
trouver
administration
 hiérarchie
 pénitentiaire
personnel
agent
stagiaire
fixe
bâtiment
 
Nombre d’u.c.e.  : 610. soit : 24.74 %
 Nombre de "uns" (a+r)  : 18274. soit : 24.79 %
 Nombre de mots analysés par uce : 10.44

 

Mots étoilés spécifiques de la classe 3 :
 *age_1(20-30 ans) *etud_1 (niveau inférieur au bac)
*groupe_3 (Niveau d’accomplissement personnel élevé sur le MBI)
*poste_1 (travail en équipe ou en module)
*sexe_1 (homme)
 *tpsap_1( moins de cinq ans dans AP)

Formes associées au contexte C
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matin
neuf
après-midi
cellule
douche
heure
journée
nuit
parloir
porte
promeneur
repos
semaine
soir
tour
 

 

 ? Le métier de surveillant dans le discours commun

 Le métier de surveillant, dans le discours commun est perçu comme un métier difficile, dans lequel on n’entre pas par vocation et qui s’apprend sur le terrain.

« On vient pas par vocation, ça c’est sur, on vient pas par vocation dans la Pénitentiaire. [...] Celui là qui vient par vocation, j’en connais pas mais il est pas normal. Pour la sécurité de l’emploi »

La mission du surveillant est essentiellement orientée vers la garde, la sécurité et la surveillance. Ce rôle assigne surveillant de part et d’autre de la "barrière". Le surveillant représentant l’administration et le détenus cherchant à ce soustraire aux contraintes de cette dernière.
 A ce titre l’enjeu de la représentation de la population pénale est de légitimer les pratiques, le traitement qu’on lui assigne. On retrouve donc de façon régulière, une tentative d’évaluer la dangerosité des détenus. Cette évaluation tient compte des différentes formes du risque (agression, contagion, culpabilité...).
 Parmi les dangers que présente la population pénale, le risque de culpabilité n’est abordé que pour s’en défendre.

« Ils vivent sûrement mal leur enfermement, donc souvent ils nous le reprochent. [...] C’est pas nous qui les avons enfermés mais eux ils voient ça comme ça »
« C’est le monde à l’envers, quelque part c’est nous les coupables »

La gestion du risque nécessite de s’adapter aux différents interlocuteurs (« on ne gère pas tous les détenus de la même façon »). Ainsi s’élabore une typologie des détenus dont la dangerosité pénitentiaire ne correspond pas nécessairement à la dangerosité pénale.
Les "longues peines" sont nommés ainsi en relation à la longueur de leur condamnation. Ils sont perçus comme connaissant bien le fonctionnement du milieu carcéral. On les associe souvent au milieu du crime organisé. Cela sous entendrait qu’ils respectent des valeurs, communes à celles des surveillants ce qui les rend plus proches socialement. Ils sont décrits comme assumant leur peine et plus prompt à établir une relation de réciprocité.
A l’inverse, les détenus dont les peines sont généralement plus courtes apparaissent d’autant plus dangereux que les surveillants se sentent démunis vis-à-vis d’eux. Ce sont essentiellement des jeunes dont l’agressivité permanente traduirait l’impossibilité d’établir un dialogue. Ce sont également les toxicomanes ou les personnes souffrant de troubles psychiques, perçus comme ne relevant pas de la compétence des surveillants. Ces catégories dont on ne parvient pas à obtenir la participation à la régulation de la détention sont décrites comme plus imprévisibles et dangereuses.

« Dans la population pénale il y a plusieurs catégories en fait. Il y a les délinquants, enfin les jeunes qui, comment dire, qui nous apprécient pas du tout qui nous dénigrent, ils nous insultent donc il y a pas vraiment de dialogue qui peut s’installer. Après bon, il y a d’autres personnes de la population pénale qui assument ce qu’ils ont fait donc il y a un rapport de respect. Donc ça se passe relativement bien, on peut discuter, on peut entamer un dialogue avec eux, on peut plaisanter, là à ce niveau là, ça se passe très bien. »

L’évaluation de la dangerosité varie également en fonction de la situation. Les détenus seraient plus dangereux en groupe. Le risque d’émeute, de mouvement collectif (refus de réintégrer les cellules) est présent derrière tout rassemblement de détenus. Ainsi les promenades, les douches, les parties de carte en cellule sont des situations vécues comme dangereuses, où le rapport numérique est défavorable au surveillant.

« En promenade c’est comme ça, parce que bon c’est pas pareil, les mecs ils sont tous entre eux, ils font plus ou moins les fanfarons. Parce qu’après vous les avez seul à seul, ça change tout [...] Seulement quand ils sont en groupe, ils se la donnent un peu »
« Plus il y a de mouvements, plus il y a de personnes sur la coursive, plus c’est difficile à gérer et plus il y a de risques de conflits »

 Le deuxième axe le plus utilisé pour aborder le métier de surveillant est ce lui du rapport à la hiérarchie, à l’administration et des relations entre surveillants. Dans le discours commun la hiérarchie apparaît comme carriériste. La logique étant la suivante. Si il y a des tentatives d’évasion, des suicides ou des émeutes, on risque de penser que la direction ne sait pas tenir son établissement, il est donc nécessaire de "ne pas faire de vagues". La hiérarchie serait donc poussée à prendre des décisions allant dans le sens des détenus et dont le bien fondé échapperait aux surveillants. Les différents court-circuitages, le manque de suivi des dossiers disciplinaires, les situations où le surveillant perd sa légitimité vis-à-vis du détenu, sont plus mal vécus que l’attitude de la population pénale. Le mépris, le manque de considération et de reconnaissance envers les surveillants se traduirait par une absence de contact, de dialogue, de concertation et l’absence de la hiérarchie dans l’espace de travail des surveillants.

« On s’occupe beaucoup des détenus, on s’occupe pas beaucoup des surveillants il faut le dire »
« Le surveillant est court-circuité, c’est à dire que le surveillant va dire non à un détenu, le chef va passer derrière va lui dire oui, c’est ça le pire, c’est qu’après vous perdez toute crédibilité »

 Les chefs de service pénitentiaire ou anciens surveillants chefs portent l’uniforme comme les surveillants et les premiers surveillants. D’ordinaire c’était d’anciens premiers surveillants qui étaient promus surveillants chef en fin de carrière sur un rapport classique entre ancienneté et statut hiérarchique. Aujourd’hui le concours de chef de service pénitentiaire est ouvert à des personnes "de l’extérieur", c’est-à-dire des personnes n’ayant pas d’expérience préalable comme surveillant. Le fait que ces personnes soient perçues comme incapable de gérer la détention n’est pas étranger à la tentative du groupe de surveillant de maintenir une distance entre l’intérieur (corps professionnel) et l’extérieur.

« Les gens de l’extérieur qui arrivent qui connaissent rien et qui vont nous commander. C’est pas que je veux critiquer les chefs de services pénitentiaires mais pour moi c’est quelque chose qui devrait se faire à partir de la base. Parce qu’ils arrivent et BON, je suis désolé mais ils savent rien du boulot, et ils sont tranquillement sur leurs ronds de cuir pendant que l’autre il est en train de transpirer, il fait beaucoup de social à l’étage, il en peu plus et l’autre il prend des décisions sans savoir ce qui se passe en haut »

Si les griefs ne s’expriment pas contre la hiérarchie, ils s’expriment contre l’Administration Pénitentiaire. Malgré une relative absence de représentation de l’administration, elle est de toute façon perçue comme une administration en déclin, coupée de sa base, fonctionnant de façon peu logique et disposant de moyens archaïques, une fois encore au détriment du surveillant.

« Ça me fait bien marrer quand on voit à Arles, attaque de miradors à la kalachnikov, c’est des armes de guerre les kalachnikov et nous en face on a des fusils automatiques, enfin, bref, on va pas entrer dans les détails, mais bon je sais pas. Il faut voir au niveau de l’armement, il y a déjà des trucs à revoir au niveau sécuritaire »
« Il y a toujours ce décalage entre la réalité du terrain et puis ceux qui réfléchissent dans les hautes sphères »

Les relations entre surveillants s’étendent de la sphère professionnelle à la sphère personnelle. Dans la sphère professionnelle, les relations entre surveillants sont généralement abordées du point de vue des pratiques professionnelles. Leur disparité donnerait lieu à des tensions. On distingue plusieurs figures du surveillant. D’un extrême à l’autre on trouve le laxiste, le cool, le dur et le "shérif". Personne ne se réclamant laxiste ou "shérif" ce sont surtout des figures symboliques.

« Il y en a qui sont, il y en a qui sont carrés, il y en a qui sont laxistes d’autre qui sont entre les deux »

Le laxiste cherche à faire le moins d’efforts possibles, autorise tout aux détenus pour ne pas entrer en conflit avec eux quitte à franchir certaines règles élémentaires de sécurité. Puisqu’il n’accomplit pas sa tâche, le laxiste laisse donc tout le travail à ses collègues, notamment celui de réinstaurer une discipline au sein de l’étage après lui. Il expose ainsi ses collègues à plus de conflits, attitude peu solidaire. Soumis au bon vouloir de la population pénale il serait plus sujet à la corruption.

« Surveillant laxiste c’est celui qui laisse les portes ouvertes [..] Ouvre aux détenus pour aller en promenade quand c’est pas l’heure. »

Le cool est orienté vers l’aspect relationnel, la réinsertion. Il est plus enclin à assouplir le règlement, à autoriser des douches aux détenus dont ce n’est pas le tour, à permettre des échanges entre cellules. Il tâchera chaque fois de rendre service au détenu si c’est dans ses prérogatives mais ne perd pas de vue la nécessité de respecter certaines règles.

« Par rapport à certains détenus, tout dépend comment je le ressens si ils sont corrects avec moi, donc je laisse faire plus de, plus de souplesse mais en respectant les règles de sécurité »

Le dur est attaché au respect du règlement et surtout des règles de sécurité. Néanmoins il a conscience des droits des détenus eux-mêmes énoncés dans le règlement. Il reconnaît aussi que certaines règles ne sont pas applicables, mais les conditions de dérogation au règlement sont plus strictes.

« Je leur donne ce qu’ils ont le droit d’avoir et le reste je leur donne pas »

Le "shérif" cherche à « bien faire comprendre au détenu qu’il est en prison ». Il abuse de son pouvoir, s’emporte rapidement et respecte le règlement de façon excessive. Le qualificatif de shérif est utilisé pour qualifier une attitude martiale, provocante à l’égard des détenus.

« Puis le surveillant un peu trop dur c’est le surveillant qui applique le règlement vraiment, pour moi c’est le surveillant qui applique le règlement à la lettre. Si le règlement date par exemple de 94, il faut savoir évoluer, il faut savoir évoluer. Il faut être un peu plus souple »
« Il y en a d’autres qui vont un peu trop jouer le rôle disons du shérif, qui vont vraiment chercher des petits hic là où il y en a pas »

 Dans la sphère du privé, les affinités s’établissent à partir des différentes façons de travailler, mais elles semblent devoir être utilisées avec parcimonie.

 « Je pense que la façon de travailler, crée des affinités chez les gens, ça regroupe »
« Je ne vais pas me faire de relation entre pénitentiaires, pour moi le boulot... [...] Parce que le problème c’est que, si je lie d’amitié avec ces personnes on va parler systématiquement boulot, boulot[...] les seuls collègues que j’ai de la pénitentiaire, c’est un collègue que j’avais eu dans ma promotion »

 La solidarité semble assez bonne dans la sphère professionnelle mais absente et disparue dans la sphère personnelle. Le premier élément qui favoriserait la solidarité est la nature du régime pénitentiaire. Plus le régime serait dur plus les surveillants seraient solidaires.

« Plus on travaille d’une manière stricte, plus on met entre guillemets la pression sur la population pénale et plus elle nous met la pression en retour. Et fatalement on est obligés de se souder beaucoup plus en travaillant d’une manière stricte parce qu’on sait très bien que BEN les détenus déjà ils sont un peu énervés de pas avoir tout ce qu’ils veulent, donc le moindre problème, c’est vrai que, déjà il y a des problèmes donc HEU, on est obligés d’être tous ensembles et dans un bâtiment où les détenus font un peu ce qu’ils veulent il y a beaucoup moins de conflits »

L’éloignement de la région d’origine et de la sphère familiale facilite aussi les liens entre surveillants. Parmi les éléments qui vont à l’encontre de la solidarité on trouve la taille de l’établissement, des conditions de détention trop souples, l’individualisme des nouvelles générations de surveillants qui ne souhaitent pas faire carrière dans cette profession et les différences de pratiques professionnelles.

« C’est une grosse maison d’arrêt, donc ça tourne beaucoup. Avant ça bougeait pas, les surveillants restaient longtemps, des années ensembles, la prison était plus dure aussi, c’était avant les lois sociales. C’était plus dur, plus violent, donc ils étaient plus soudés. Ensuite il y a eu toutes les lois sociales, les équipes ont complètement explosé, pour les trois quarts, même moi je connais pas leur nom, c’était inimaginable ça avant, de pas connaître un nom ! Donc moins de solidarité. »

Les témoins de la solidarité sont les capacités à se mobiliser pour défendre des revendications et le nombre de personnes qui se déplacent lorsqu’un surveillant sollicite un soutien face à une urgence.

« Enfin moi j’essaie de dire à chaque fois qu’il faut qu’on fasse quelque chose, mais bon, ça suit pas donc je commence à me résigner. [...] Mais je trouve qu’on n’est pas assez solidaires pour pouvoir entamer une action »
 
Les règles tacites de bonne entente entre surveillants reposent sur le fait qu’ils soient tous surveillants avant tout et qu’il n’y a pas de remarques à faire sur le travail des autres.

 La question du rapport intérieur extérieur trouve probablement son expression la plus parlante dans l’évocation de l’image sociale de leur métier et l’organisation entre vie professionnelle et vie extra professionnelle.
 La gestion de la vie extra professionnelle consiste à effectuer une coupure entre le travail et la vie privée. Elle se manifeste par l’interdit tacite de penser à son travail une fois sorti de l’établissement, exercice difficile à mener surtout en début de carrière. Si l’on ne peut pas s’empêcher d’y penser, il faut au moins ne pas en parler quitte à ne pas dire qu’on est surveillant. Cette coupure s’adresse à l’agent et à son entourage. C’est une protection contre des personnes mal intentionnées qui voudraient utiliser le surveillant. Une protection également contre l’inquiétude que pourrait susciter une réelle connaissance de l’environnement de travail du conjoint ou parent. Protection au final contre la désapprobation sociale.

« J’essaye de pas trop en parler[...] c’est pas un métier facile, j’essaye de montrer le côté positif pour pas que elle, justement elle, ça se répercute dans sa tête à elle, qu’elle se fasse des idées noires, je vois que quand elle est inquiète j’essaie de la rassurer »

Les surveillants sont particulièrement attentifs à l’image sociale de leur corps professionnel. Chauvenet et al (1994) Soulignent que la méconnaissance de la prison substitue à un espace de débat, la production de mythes. Celui auquel sont particulièrement sensibles les surveillants, est celui de la "prison bagne", du détenu victime et du surveillant brute, ignare et alcoolique.

« On est vu comme, j’allais dire, un sous métier, comme des gens qui n’ont rien dans la tête, qui n’ont aucune éducation en général, qu’on a tous des œillères, qu’on n’est pas capables de voir plus loin que le bout de notre nez, cette image de la pénitentiaire elle date d’une quarantaine d’années, elle a pas évoluée ce qui est compréhensible parce que la prison c’est un milieu fermé »
« On a l’impression qu’on n’est pas très bien vu alors qu’on est nécessaire à la société »

 Enfin, si l’on n’a pu remarquer que la sphère personnelle était loin de faire l’objet d’une protection "étanche", il en va de même pour la sphère intra individuelle. Les sources de démotivation évoquées par les surveillants atteignent la personne dans sa totalité et les changements personnels perçus témoignent que quelque chose "filtre" de l’extérieur (la sphère professionnelle) vers l’intérieur (la sphère personnelle).
 Les sources de démotivation renvoient en majorité à des thèmes déjà évoqués, il s’agit du manque de considération de la hiérarchie, l’attitude jugée décevante de certains surveillants, les différences de pratique professionnelle, l’image sociale, les sollicitations incessantes de la population pénale, l’incapacité de certains à vivre en dehors de la prison.

 « Moi je l’ai déjà dit à ma directrice, cette façon d’agir ça nous amène à être démotivés, à ne plus s’investir et, par la force des choses à devenir comme ces surveillants, à plus faire ce qu’il faudrait »

 La démotivation peut être générée par les conditions et le rythme de travail. Les bâtiments de l’établissement constituent l’environnement matériel des surveillants. En contact permanent avec la population pénale ils vivent une forme d’enfermement et sont autant exposés au bruit et à l’insalubrité.

 « On est confrontés à l’insalubrité souvent. [...] Tous les jours on est confrontés à toutes les maladies inimaginables qui n’existent plus à l’extérieur [...] l’insalubrité des locaux, la saleté, sans compter les multiples petites bêtes, cafards, souris, chats qui traînent sur les coursives »

A cela s’ajoute un matériel (notamment de sécurité) obsolète, des salles de repos qui manquent d’hygiène et de confort en vue du service de nuit. Les conditions matérielles seraient la traduction du manque de considération dont ils sont l’objet.

 Le rythme de travail prend d’autant plus d’importance que les problèmes d’effectif amènent les surveillants à faire beaucoup d’heures supplémentaires exacerbant l’importance du temps de repos pour évacuer la tension psychique. A cela s’ajoute la fatigue du travail de nuit, l’irrégularité du rythme de travail et le décalage avec le rythme de l’entourage.

 « Et puis les nuits c’est fatiguant, puis tous les cinq jours, votre rythme de sommeil il est chamboulé. Et puis les congés ils sont, ils mettent longtemps à arriver, donc la fatigue elle s’accumule et ce n’est pas bon non plus »

L’inconvénient de travailler les nuits, les week-end, les jours fériés, ne pas choisir ses périodes de congés, cela n’est pas toujours compensé par les deux jours de repos en semaine ou le salaire. De plus, l’imprévisibilité du planning due aux problèmes d’effectif, l’impossibilité de prévoir augmente la dépendance vis-à-vis de l’organisation et génère de formes de résistance (congés maladie,...).
 Ainsi, l’incidence des conditions de travail semble être plus psychique que physique, ce que les surveillants regroupent sous le thème de fatigue facilite l’ébranlement du système de défense.
 Les changements personnels perçus sont entendus comme les témoins de l’incidence du métier de surveillant sur la sphère intra psychique. Première chose, c’est un métier qui change, tous ont constaté une évolution depuis qu’ils sont surveillants, quel que soit l’age auquel ils sont entrés dans l’administration. Deuxième chose, chez une même personne, le changement peut avoir des aspects positifs et négatifs. Les évolutions perçues comme positives vont dans le sens d’une plus grande affirmation de soi, on apprend à relativiser, on s’assagit, on a plus les pieds sur terre. Les plus jeunes sentent qu’ils ont mûri, qu’ils sont plus sereins. Il y a généralement une part de découverte de soi, de prise de conscience qui vient corroborer ce sentiment.

 « Je me suis endurcie. Et puis oui, je me suis forgée un caractère parce que quand je revois mes amis, ils disent que j’ai changé, que j’ai une plus forte personnalité, enfin un plus fort caractère »

Le revers de cette évolution personnelle est un retranchement social, une plus grande intolérance au tracas de la vie quotidienne.

« Ça m’amène à de moins en moins supporter, à moins supporter les petits désagréments de la vie, la bêtise et même l’agressivité des gens même à l’extérieur. Quand on la supporte toute la journée, forcément on n’a pas envie de la supporter dans la rue...Et d’être de moins en moins tolérant, pour ma part je suis de moins en moins tolérant. »

Certains font état d’une augmentation de l’agressivité qui se manifesterait jusque dans la vie familiale. Ces irruptions de violences ne sont pas sans inquiéter les surveillants. Certains évoquent un changement de leur vision de la nature humaine, d’autres témoignent de leur intolérance croissante au bruit et à la lumière. Le constat de ces changements réveille l’image du surveillant à ses débuts, lorsqu’il était fougueux, motivé. Pourtant les débuts dans le métier de surveillants ne se font pas sans difficultés. Les détenus cherchent à profiter du manque d’expérience du jeune surveillant qui est lui-même tenté d’appliquer le règlement à la lettre.

« Au début on m’appelait le militaire parce que j’étais... maintenant je me suis calmé. »
« A vingt ans on est plus fougueux, plus vif, on est moins ouverts peut être[...] On est plus dynamique, on croit plus à certaines choses, on est plus naïf, on se laisse plus facilement berner etc. »

Peu à peu se construirait une identité et une pratique professionnelle, plus souple et plus assurée. La modification de la théorie de la nature humaine est une forme de rationalisation qui peut se traduire dans les pratiques extra professionnelles poussant certains à rentrer dans les rangs pour être plus cohérent avec l’image de la fonction qu’ils exercent.

 

 ? Profil moyen et champ de l’ordre négocié

 La première classe de discours est construite essentiellement à partir d’unité discursives issues d’entretiens réalisés auprès d’hommes célibataires, entre 30 et40 ans, ayant leur BAC, travaillant dans l’Administration Pénitentiaire depuis plus de 5 ans et correspondant au profil moyen des surveillants du CPM sur le MBI. (Cf. Annexe3.3)
 Les formes associées à cette classe sont « essayer, personne, détenus, dire comprendre ». La projection réalisée par le logiciel associe les termes suivants : « détenu, droit, reconnaître, limite, savoir jouer, éviter conflits, imposer, vraiment calmement, respecter, règlement, tenue, femme, sens, appliquer, dire facilement, discuter, apprendre situation ». Ces termes renvoient au champ du respect des places institutionnellement assignées (appliquer, règlement, limite, tenue) et à celui du dialogue (dire, discuter). Ces deux champs rejoignent celui de l’ordre négocié (savoir jouer, éviter conflits). D’un point de vue thématique on retrouve plus particulièrement chez eux la conscience d’être une surface projective pour le détenu, l’agressivité des détenus serait avant tout tournée vers l’institution et non vers eux.

 « Je dirais qu’ils repoussent tout ce qui est autorité, c’est souvent les plus difficiles à gérer parce que ce qui les a amenés ici en général c’est un défi des lois ou de l’autorité donc forcément à l’intérieur ils continuent malgré les décisions de justice »

 Dans la gestion de la vie extraprofessionnelle, ils sont les plus nombreux à évoquer des dérogations à l’interdit tacite de parler de son travail, d’y penser à l’extérieur (4/7 au lieu de 1/7 pour le groupe burnout et 0 pour le groupe accomplissement personnel).

 

 ? Burnout et identité professionnelle

 La deuxième classe de discours est construite essentiellement à partir d’unités discursives issues d’entretiens réalisés auprès de femmes, de personnes ayant entre 40 et 50 ans, qui ont plus de 10 ans d’ancienneté, qui occupent des postes fixes. Ces personnes vivent majoritairement en couple et sont pour la plupart, en burnout. (Cf. Annexe 3.3)
Les formes associées à cette classe sont les suivantes « directeur, chef, concours, établissement, fonction, administration hiérarchie, pénitentiaire » C’est le champ de l’identité professionnelle. La projection réalisée par le logiciel associe les termes suivants :
« jeunes, relation, adapter ». La nécessité et la difficulté de s’adapter aux populations telles que les jeunes détenus, est évoquée plus fréquemment par les personnes en burnout (13.95% des évocation de la population pénale portent sur ces populations chez les personnes en burnout contre 4.65% dans le groupe moyen et 9.43% dans le groupe accomplissement personnel). On trouve seulement chez les personnes en burnout l’idée que les détenus sont des « rebus de la société », des personnes pour qui ils risquent parfois leur vie et qui n’en valent pas la peine.

 « Plus ça va plus la population pénale est dure à gérer, elle est de plus en plus jeune, de plus en plus toxicomane, il y a de plus en plus de personnes qui ont des troubles psychologiques voire même psychiatriques »
« On pratique une population c’est un peu le rebus de la société »

L’association « stage, écrit » évoque les débuts comme surveillant, quand on est stagiaire, où l’on a tendance à avoir recours à l’écrit (rapports d’incident, cahier d’observation). Petit à petit, on abandonne l’écrit pour recourir à des moyens plus personnels pour veiller à maintenir le calme en détention, le manque de suivi de la hiérarchie est généralement à l’origine de cette évolution.

 « Ça pour un jeune c’est pas évident, un jeune qui arrive il a plutôt tendance à faire les choses bien. C’est normal d’ailleurs, mais il va peut être faire faire les choses un peu trop bien et là des fois il y a un hic. »

« Sein, internes » associés ils témoignent de l’activité psychique du sujet qui consiste à maintenir une étanchéité dans le rapport intérieur extérieur.
Les associations liées à la hiérarchie, « rare, brigadier » et « mois, directeur, fixe », renvoient à l’absence de la hiérarchie dans l’espace de travail des surveillants et à la façon de gérer les carrières professionnelles (« poste, muter »).

« Il y a un manque de contact avec la hiérarchie, entre la direction et les surveillants, on n’a pratiquement aucun contact avec notre direction, aucun [...] On a des contacts si quand ils nous convoquent pour nous remonter les bretelles des trucs comme ça, mais des contacts avec la direction on en a très peu »

Le thème de la considération, ici présent, souligne la sensibilité particulière des personnes en burnout vis-à-vis de cette question.

« Ce que j’ai constaté, c’est qu’on est pas trop bien considérés par notre hiérarchie, très peu considéré, très peu, ça c’est l’expérience, BON après...Enfin moi pour moi on est très peu considérés et après ils s’étonnent qu’il y a des problèmes »

 Les personnes en burnout sont aussi plus sensibles aux contraintes de l’institution et aux doubles injonctions issues de la hiérarchie (4 évocations sur 6 du manque de logique certaines décisions émanent de personnes en burnout). Pour Lhuilier et Aymard (1990), cette dernière souhaitant se ménager une part de pouvoir discrétionnaire, elle demande au surveillant de tolérer ce qui est interdit et d’interdire ce qui est toléré. Le surveillant est d’autant plus sensible à ces doubles injonctions qu’il sera dans tous les cas responsable de tout manquement.

« Mais je leur dit tout le temps le jour où il y aura un problème ils vont commencer à faire tomber des têtes et vous verrez que ce sera d’abord des têtes de surveillant »

A cela s’ajoute un vécu quasiment persécutif du rapport à la hiérarchie, ils voient en son absence sur le terrain une manifestation de son mépris pour les surveillants, les situations professionnelles citées en exemple, illustrent un manque de dialogue et de considération (Toutes les personnes en burnout évoquent au moins une situation professionnelle relative à l’attitude de la hiérarchie contre seulement 4 personnes dans le groupe moyen et aucune dans le groupe accomplissement personnel). Les décisions de l’encadrement apparaissent tournées contre les surveillants en général ou contre eux même.

« On se demande des fois si c’est pas des idées qui sortent de nulle part quoi. On se dit qu’est-ce qu’ils nous ont pondu aujourd’hui, c’est quoi cette nouvelle note de service, on va se prendre la tête, c’est quoi ce truc. [...] Nous on pense après, en tant que surveillant que c’est pour nous compliquer la tâche, vous comprenez nous on est aux premières lignes, on est sous le feu quoi, alors chaque fois on se dit, on va se prendre la tête »

La situation de double contrainte génère chez eux un sentiment d’étrangeté, de bizarrerie, l’usage de l’ironie est souvent requis pour souligner l’absurdité de certaines situations.

 « C’est bizarre qu’il y ait des gens qui puissent sortir des notes de service, quand on essaye de les appliquer on vient nous voir et on nous dit l’application il faut savoir gérer »

 Les termes de fonction ou fonctionnaire sont utilisés pour évoquer les sources d’intérêt du métier, pour les personnes en burnout, ils sont surtout externes à la nature de la fonction.
 La mission du surveillant est essentiellement une mission de garde et de sécurité incompatible avec la mission de réinsertion. Cette notion d’incompatibilité n’est évoquée aussi clairement que par les personnes en burnout. Cette incompatibilité peut porter sur principe ou une impossibilité matérielle.

« Parce que je pense pas que c’est aux gens en uniforme à faire la réinsertion des détenus. C’est pas un rôle... on peut pas se prendre la tête avec quelqu’un et le lendemain, lui cirer les pompes. »
« On parle de réinsertion, il faut savoir réinsérer, je suis d’accord mais c’est pas facile QUOI, parce qu’en une demie journée de travail, une demi journée, six heures de travail, on peut pas réinsérer cent dix personnes, il y en a cent dix à l’étage, même une, on va passer combien de temps, dix minutes à discuter avec. Dix minutes avec une personne, j’appelle pas ça de la réinsertion, c’est impossible ».

Le sentiment d’inutilité ou d’impuissance vis-à-vis de la population pénale est surtout évoqué par ce groupe.

 « Des fois on se demande, il y a pas d’intérêt en fait, aucun intérêt. Ça nous blase un peu, parce qu’on fait un boulot puis on voit pas le résultat »

 Dans les relations entre surveillants, les personnes en burnout sont plus sensibles aux conséquences négatives des différences de pratiques professionnelles et à l’aspect conditionnel de la solidarité (parmi les évocations négatives de la solidarité, 13/22 émanent des personnes en burnout).

« Disons au niveau professionnel oui, quand même, quand il y a un incident, une agression, enfin, je sais pas une tension au sein du travail QUOI, là il y a une solidarité, ça c’est le boulot qui le veut [...] Maintenant, de là à ce qu’il y ait la même solidarité pour d’autres problèmes plus personnels, je sais pas »

La pénibilité du travail de nuit et des trajets est plus fréquemment évoquée (ils sont 6 à évoquer ces thèmes contre 3 dans le groupe moyen et 1 en accomplissement personnel).
 Les personnes en burnout sont plus sensibles à l’image sociale de leur métier, certains dissimulent leur profession. Ils sont aussi plus attentifs à respecter les interdits tacites qui consistent à ne pas parler, ne pas penser au travail en dehors de celui-ci. (Si on additionne le fait de ne pas dire que l’on est surveillant, l’interdit d’en parler et l’interdit d’y penser, 6 évocations sur 10 de ce thème proviennent de personnes en burnout)

 

 ? Accomplissement personnel et gestion de la charge de travail
 
 La dernière classe de discours est construite à partir d’unités discursives issues d’entretiens réalisés auprès de personnes qui sont majoritairement des hommes, qui ont entre 20 et 30 ans et qui sont dans l’Administration Pénitentiaire depuis plus de cinq ans. Ces personnes travailleraient essentiellement en service posté, leur niveau scolaire serait majoritairement inférieur au BAC, ils sont majoritairement en accomplissement personnel. (Cf. Annexe 3.3)
 Les formes associées à cette classe appartiennent à plusieurs champs qui renvoient tous à la gestion de la charge de travail, qu’elle soit physique ou psychique. Le champ de l’environnement matériel (cellule, douche, porte, parloir, hygiène, clim., promenade, crier, fouiller) renvoie aux conditions matérielles de travail et rejoint les champs de l’organisation temporelle du travail (matin, après midi, heure, journée, nuit, semaine, soir, lundi, samedi, week-end) et du rythme de travail (repos, tour, dormir, récupérer, reprendre, rythme, prévoir). On retrouve ensuite le champ de la gestion de la population pénale et du risque (sécuritaire, carré, urgent, masque (garder le masque), interdit, autoriser).
 La projection réalisée par le logiciel associe les termes suivants. « accident, mouvement », « bonhomme, cellule » et « deuxième, parloir » qui renvoient aussi à la gestion du risque et de la population pénale. D’autres termes renvoient une fois de plus au rythme de travail (après midi, heure, matin, semaine...)
Les personnes en AP évoquent plus souvent les sources internes d’intérêt pour le métier, l’aspect relationnel mais surtout le travail avec les collègues, en équipe, ou les « montées d’adrénaline dans les interventions ». (4/6 évoquent le côté enrichissant du métier et l’intérêt de travailler en équipe contre 2/7 dans le groupe moyen et 0 en burnout)

« Les points positifs c’est ça et que j’ai connu des gens extraordinaires comme surveillants [...] c’est d’ailleurs ce que j’aime dans ce métier, c’est être poussé à avoir des montées d’adrénaline et pas céder à la panique et faire ce qu’il faut pour que tout soit remis dans l’ordre avec un minimum de dégâts. »

Ils sont d’ailleurs les plus nombreux à aborder les relations entre surveillants, le bon esprit d’équipe, les bonnes relations. La solidarité, malgré son aspect conditionnel apparaît comme une obligation tacite et il n’y a pas d’amertume à ce qu’elle ne s’exprime pas dans la sphère du privé. (4 évocations sur 5 des bonnes relations ou du bon esprit d’équipe émanent de personnes en accomplissement personnel)

« Oui, la solidarité, oui. C’est vrai que quand l’alarme elle péte de suite il y a tout le monde qui monte pour voir ce qui se passe. Ou quand on appelle au Motorola, il y a les collègues qui arrivent de suite. Il y a un bon esprit d’équipe »

Ils voient dans l’absence de la hiérarchie une responsabilité, une occasion d’investir à leur manière l’écart entre le travail réel et le travail prescrit (Lhuilier et Aymard, 1990) et de mettre en avant leurs spécificités personnelles, l’un ses capacités de dialogue, l’autre son impartialité. Ils sont les seuls à évoquer le fait de rendre compte à la hiérarchie comme rôle à part entière du surveillant.

« Eux (la hiérarchie) c’est suite aux observations des surveillants quand ils rendent compte qu’ils avancent »

Dans la perception de la population pénale on retrouve l’idée que ce sont des hommes et des femmes comme les autres qu’il ne s’agit pas de rejuger, en rapport numérique largement supérieur et qui cherchent à se soustraire aux contraintes de l’institution.

« Les détenus ce sont des hommes et des femmes comme n’importe quelle autre personne, ils sont faits comme n’importe qui, ce qu’ils ont fait tout le monde est capable de le faire. [...] Ils sont là pour nous casser les couilles, nous on est là pour faire appliquer le règlement, donc c’est pas, ça dérange pas »

Quant à la gestion de la vie extra professionnelle, ils sont très succincts sur ce thème et évoquent uniquement la nécessité de faire une coupure.

« Il faut arriver quand on sort à évacuer tout ça, sinon si on reste, si on pense qu’à son travail, aux problèmes qu’on a eu dans la journée, on vit plus.
Autant il faut laisser ses soucis personnels quand on entre au travail, autant quand on sort il faut faire le contraire. [...] Je pense que j’ai fais correctement mon boulot et puis c’est terminé, je suis tranquille avec moi-même, je peux sortir tranquillement du boulot c’est terminé »