Chapitre 2. La concurrence externe : égalité
Placés en concurrence avec l’ensemble du public en situation d’exclusion, les sortants de prison ne sont pas placés dans une situation si difficile qu’il y paraît au premier abord. On peut tout d’abord constater une certaine identité socio-psychologique entre ces deux publics (Section 1) et le passage en prison lui-même, s’il pose certainement des difficultés spécifiques lourdes, n’en est pas moins surmontable (Section 2).
Section 1. Caractéristiques socio-psychologiques
Comme on a pu le constater, le nombre de places disponibles dans les structures et les projets d’insertion est très faible. Par ailleurs, peu de ces structures ou projets sont réservés aux sortants de prison. On peut donc se demander si les quelques sortants de prison qui y accèdent sont représentatifs ou non de l’ensemble de la population carcérale et si cette dernière population est fortement éloignée de l’ensemble des personnes qui traversent le domaine de l’insertion.
Il n’existe cependant pas de statistiques précises sur le public de ces activités. Deux raisons à cela, la première est idéologique, la seconde plus matérielle. La raison idéologique résulte d’une volonté de ne pas discriminer un public par rapport aux autres.
Les personnes présentes dans les mécanismes d’insertion sont accueillies dans leur globalité et ne sont pas prises en charge « par public ». Cette volonté est bien sûr tout à fait louable, mais elle ne facilite pas la lisibilité de l’impact de ces mécanismes. Rares en effet sont les statistiques dites de « résultat » qui permettent de retracer les parcours individuels des personnes ayant séjourné au sein de tel ou tel mécanisme. Il est donc difficile, voire impossible, d’analyser ces parcours. La seconde raison est beaucoup plus pratique, il s’agit de la difficulté qu’il y a à définir le terme « sortant de prison ». Comme on le sait, les sortants de prison ne se rendent pas immédiatement dans ce genre de structures, et rares sont ceux qui viennent dans le cadre d’une libération conditionnelle. Le passage en prison peut être plus ou moins lointain et ce n’est pas toujours cet événement qui détermine la venue dans ces structures. On peut toutefois évoquer comme source d’information sur cette question les statistiques des structures réservées aux sortants de prison. A partir de celles-ci il est possible de définir les caractéristiques du public des sortants de prison qui accèdent à des prestations extérieures au monde carcéral. Eu égard au faible nombre de places dans ces structures, on peut supposer que ce public est proche de celui des sortants de prison présents dans d’autres structures d’insertion ouvertes à tous. A partir de là, il est possible d’effectuer des comparaisons entre ce public et le public présent en détention d’une part (§1), et entre ce même public et celui présent dans les structures d’insertion ouvertes à tous d’autre part (§2).
§1. COMPARAISON AVEC LE PUBLIC PENAL
Pour envisager ce public, on se basera essentiellement sur les statistiques issues du rapport d’activité 1999 du CHRS Le Verlant (Paris), structure spécialisée dans l’accueil des personnes ayant été ou étant encore sous main de justice. Ces statistiques incluent des personnes n’ayant pas été incarcérées, mais dans une faible proportion (6,16%). L’effectif total est de 146 personnes, excepté pour les statistiques concernant l’incarcération ou l’effectif n’est que de 137 personnes.
Pour ce qui concerne la population pénale, différentes sources ont été utilisées. La principale d’entre-elles est l’enquête sur l’histoire familiale d’un échantillon de détenus menée par Annie Kensey, Francine Cassan et Laurent Toulemon [1]. Sauf indication contraire c’est à cette enquête qu’il est fait référence par la suite. Dans certains cas, on comparera également les chiffres des sources précédentes à ceux présentés par l’ANPE Espace Liberté Emploi dans le cadre du bilan d’une session de formation - mobilisation [2]. La réunion de ces différentes données ne vise pas une exactitude statistique mais cherche à permettre la mise en évidence des principaux écarts (B) ou rapprochements (A) existants entre les deux publics envisagés, et à en déduire certaines conséquences générales (C).
A. Les rapprochements et les écarts peu significatifs
Différents critères laissent apparaître des différences minimes ou qui peuvent s’expliquer par des considérations extérieures. Ce sont le sexe (1), le pays de naissance (2), la situation conjugale (3), la situation pénale (4) et la durée d’incarcération (5).
1. Comparaison par sexe
Premier rapprochement constatable : la répartition par sexe. La proportion de femmes est de 4,1% dans le CHRS envisagé contre 3,8% en détention. Ce rapprochement doit toutefois être modéré. Un grand nombre de femmes ayant ou ayant eu des difficultés judiciaires se tournent de préférence vers des structures spécialisées dans l’accueil des femmes ayant connu la prostitution ou la toxicomanie. La proportion de femmes ayant ou ayant eu des difficultés judiciaires et se trouvant actuellement dans des structures d’insertion de type CHRS est donc sans doute plus grande que cette statistique ne le laisse penser.
Tableau 18 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par sexe (%).
2. Comparaison par pays de naissance
Autre domaine de rapprochement, la répartition par pays de naissance. Les différences constatées sont relativement faibles dans le cadre du tableau ci-dessous, et elles le sont encore moins si l’on compare les statistiques de la population pénale à celles issues de l’ANPE Espace Liberté Emploi. Dans ce dernier cadre en effet, la répartition selon la nationalité est la suivante : France 73%, Afrique du nord 21%, Autre 6%. L’accès aux mesures d’insertion, tant privées que publiques, semble donc équitable sur le plan de la nationalité.
Tableau 19 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par nationalité (%).
3. Comparaison par situation conjugale
A l’inverse, un très grand décalage existe sur le plan de la situation conjugale, mais ce décalage, de par son importance, ne nous semble pas significatif. Il s’explique largement par la nature de l’hébergement dans le cadre du CHRS envisagé qui, s’il n’est pas collectif, se fait essentiellement en chambre d’hôtel. L’aspect provisoire de cette solution d’hébergement et sa faible adaptation à la vie de famille détournent de cette structure les couples qui, s’ils ne disposent pas de logement, peuvent se tourner vers d’autres structures comme des CHRS spécialisés dans l’accueil des familles.
Tableau 20 : Ré Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par situation partition conjugale (%).
4. Comparaison par situation pénale
La répartition par situation pénale, si elle offre des contrastes importants, ne nous semble pas non plus représentative de la réalité. Bien des écarts peuvent s’expliquer par l’objet premier du CHRS qui est l’hébergement, ce qui, par exemple, intéresse peu les personnes bénéficiant d’alternatives à l’incarcération (TIG, SME, etc.) dans la mesure ou celles-ci sont rarement en situation d’exclusion au point de ne pas avoir de solution de logement. Eviter qu’il en soit ainsi est d’ailleurs le but même de l’alternative à l’incarcération. Il faut toutefois relever la faible proportion de personnes en fin de peine (34,2% alors que le taux de ce mode de libération est de 63,1%). Cela montre bien que l’accès aux structures d’insertion est largement conditionné par le fait de faire l’objet d’un suivi, volontaire ou non. Ainsi, 46,3% des personnes présentes dans le CHRS envisagé viennent dans le cadre d’une procédure quelconque. Cela rejoint d’ailleurs les statistiques de ce même CHRS sur le mode d’arrivée des personnes accueillies. En effet, 83,6% des personnes ayant séjourné au centre en 1999 étaient venues sur demande d’un tiers, ce qui ne laisse que 16,4% de candidatures spontanées. En outre, sur les 122 personnes venues sur demande d’un tiers ce dernier relevait du domaine pénal dans 57,4% des cas.
Tableau 21 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par situation pénale (%).
5. Comparaison par durée d’incarcération
Au premier abord, la répartition des publics selon la durée d’incarcération présente un écart beaucoup plus significatif. Les peines de moins d’un an sont en effet sensiblement plus représentées dans le CHRS envisagé que dans la population pénale générale.
Pourtant, si l’on regarde quelle est cette répartition, non pas au sein du CHRS en général mais au sein de ceux qui, hébergés, ont accepté par ailleurs de s’engager contractuellement dans un projet personnel d’insertion pour lequel ils font l’objet d’un suivi spécifique, on constate que les écarts sont nettement moindres. En effet, sur les 81 personnes ayant fait l’objet d’un suivi de ce type, 76 sortaient d’un incarcération qui avait duré moins d’un an dans 32,9% des cas, entre 1 et 5 ans dans 36,8% des cas et 5 ans et plus dans 30,3% des cas. Cette dernière répartition est beaucoup plus proche de celle de la population pénale que de celle de l’ensemble des personnes hébergées dans le cadre du CHRS envisagé. Cette différence peut s’expliquer par le poids important des personnes ayant connu un passage en prison très court (55,8% des personnes ayant passé moins d’un an en prison y ont en fait passé entre 1 et 3 mois). Cette brièveté empêche de mener à bien des demandes d’hébergement plus stables et rend donc nécessaire le passage dans un CHRS comme celui du Verlant pour achever ces démarches. Au final, la relative uniformité de répartition entre personnes suivies et population pénale tend à montrer que la durée de détention n’est pas à elle seule un facteur important de la volonté d’insertion.
Tableau 22 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion selon la durée de l’incarcération (%).
B. Les écarts significatifs
A l’inverse, différents critères font apparaître des différences importantes entre les deux publics, ce sont l’âge (1), le niveau scolaire (2) et la récidive (3).
1. Comparaison par âge
Les écarts existants sur l’âge semblent être beaucoup plus significatifs. La proportion de personnes ayant moins de 24 ans est nettement plus faible dans le CHRS envisagé que dans la population pénale [3] et inversement dans le cadre de la tranche d’âge 30-39 ans. On retrouve une telle différence dans les chiffres de l’ANPE Espace Liberté Emploi où les moins de 26 ans représentaient 2% des stagiaires contre 57% pour les 26-35 ans, 32% pour les 35-45 ans et 9% pour les plus de 45 ans. Ces différences ne peuvent donc pas s’expliquer par la seule spécificité de l’activité des CHRS.
Tableau 23 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par âge (%).
2. Comparaison par niveau scolaire
De même, la répartition par niveau scolaire fait apparaître une sur-représentation dans le CHRS envisagé du niveau « secondaire » ou « supérieur » sur le niveau « primaire ». Cette observation est confortée par les chiffres de l’ANPE Espace Liberté Emploi selon lesquels 14% des stagiaires avaient un niveau « primaire ». Il convient toutefois de relativiser cet écart de trois points de vue. Tout d’abord, les chiffres de l’administration pénitentiaire incluent dans le niveau « primaire » les personnes en situation d’illettrisme, ce qui ne semble pas le être le cas dans les autres données statistiques envisagées ici. Ensuite, les chiffres du CHRS et de l’ANPE Espace Liberté Emploi constatent une situation en sortie de prison, alors que ceux de l’administration pénitentiaire constatent un niveau à l’entrée en détention. Or, entre l’entrée en détention et la sortie, tout détenu peut suivre une scolarisation et voir son niveau progresser. Cela est en partie confirmé par la troisième remarque qui est que si le niveau scolaire du public en insertion est supérieur à celui de la population pénale, il ne l’est pas de beaucoup. Une grande partie du public en insertion a en effet un niveau collège (39% dans le cadre de la formation - mobilisation ANPE et 44,5% dans le cadre du CHRS Le Verlant).
Tableau 24 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion par niveau scolaire (%).
3. Comparaison sur le critère de la récidive
Autre écart important et significatif, celui de la proportion de personnes « récidivistes ». Ce terme doit ici être entendu comme l’existence dans le passé judiciaire de la personne d’une condamnation quelconque en plus de celle ayant donné lieu à la dernière incarcération. On constate une nette sur-représentation de ces personnes dans le cadre du CHRS envisagé.
Tableau 25 : Répartition du public pénal et du public post-pénal en insertion selon l’existence d’infractions antérieures (%).
C. Analyse
Une fois regroupées, ces données laissent apparaître une certaine unité. Les écarts constatés portent en faible proportion sur les critères classiques de l’insertion et d’autres facteurs montrent une importance inattendue comme la récidive. Globalement toutefois, on ne peut pas dire que le public des sortants de prison présents dans des mécanismes d’insertion post-pénal soit fortement différent du public pénal.
Pourtant, quelques différences existent. On peut se baser pour les identifier sur la description du public fréquentant l’ANPE Espace Liberté Emploi : « Ce sont essentiellement des hommes ayant entre 32 et 35 ans. A cet âge ils font preuve de plus de maturité et sont plus stables affectivement, ce qui compte beaucoup. Ils ont peu ou pas d’expérience professionnelle et un faible niveau de formation (6ème-5ème) mais veulent s’en sortir après une énième incarcération. » [4] Cette description recoupe fortement celle issue des chiffres évoqués précédemment : un public relativement âgé, ayant connu plusieurs incarcérations et à niveau scolaire relativement faible. Plus que tout autre facteur c’est donc la volonté qui semble déterminer l’entrée et l’admission dans les mécanismes d’insertion post-pénal.
« Notre critère de sélection c’est essentiellement le projet dans la restauration, on ne recherche pas de personnes de trop haut niveau, on vise les moins qualifiées. » [5]
§2. COMPARAISON AVEC LE PUBLIC PRESENT DANS L’ENSEMBLE DES STRUCTURES D’INSERTION
Sur cette question il faut à nouveau préciser que les données statistiques existantes sont rares et difficilement compatibles entre elles. On utilisera ici principalement deux sources : une enquête menée en 1997 et 1998 sur les personnes hébergées par les CHRS [6] et l’analyse que nous avons menée sur la base des fiches de synthèse des rapports remis en 1999 par les entreprises d’insertion du département des Hauts-de-Seine. Dans une moindre mesure il sera fait référence à un rapport remis en 2000 par l’Union Régionale des Entreprises d’Insertion de l’Ile-de-France sur les entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine [7] ainsi qu’à une étude menée par l’INSEE en 2001 sur le travail non qualifié [8]. A l’aide de l’ensemble de ces données nous allons essayer de déterminer la part du public pénal dans l’ensemble du public en insertion (A) avant de procéder à une comparaison de ces deux publics (B) et d’en analyser les résultats (C).
A. Part du public pénal dans l’ensemble du public en insertion
Un premier élément de réflexion porte sur la place des sortants de prison ou des personnes placées sous main de justice au sein des mécanismes d’insertion. Cette part est évidemment faible, environ 2,8% des personnes présentes dans les entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine connaissent ou ont connu des difficultés judiciaires [9], c’est de loin la difficulté la moins rencontrée. De même, 4% des adultes hébergés en CHRS viennent d’un établissement pénitentiaire [10]. Cette faible proportion n’a pas de quoi surprendre dans la mesure ou la population pénale reste très minoritaire dans l’ensemble de la population. A l’inverse, cela indique clairement que les sortants de prison ne constituent pas un public prioritaire dans l’accès aux mesures d’insertion.
Tableau 26 : Fréquence des principales caractéristiques sociales du public en insertion des entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine.
B. Comparaison des deux publics
Différents critères ont pu être isolés à des fins de comparaison : le sexe (1), le niveau scolaire (2) et l’âge (3).
1. Comparaison par sexe
La répartition par sexe du public en entreprise d’insertion est relativement proche de celle du public pénal ou post-pénal (16% de femmes). Cette proximité n’est toutefois pas probante dans la mesure où la proportion de femmes varie fortement selon le mécanisme d’insertion envisagé. Les associations intermédiaires notamment connaissent traditionnellement une plus grande proportion de population féminine (62,5% dans les Hauts-de-Seine en 1999), cette différence est due à un positionnement de ces associations sur des secteur d’emploi plus féminins que pour les entreprises d’insertion [11].
Au niveau de l’insertion par l’économique la répartition est donc finalement assez équilibrée. En 2000 la proportion de femmes dans le public en insertion dans le département des Hauts-de-Seine était de 54,5% [12]. On constate donc un équilibre global hommes - femmes mais une répartition assez inégalitaire selon les mécanismes. Pour ce qui concerne les CHRS on ne retrouve pas le même équilibre puisque seulement 39% des adultes hébergés sont des femmes.
Tableau 27 : Répartition par sexe du public en insertion des entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine.
2. Comparaison par niveau scolaire
La répartition par niveau scolaire montre quant à elle une véritable proximité avec le public pénal ou post-pénal. Le niveau scolaire est essentiellement un niveau collège. Le public pénal ou post-pénal n’est donc pas très éloigné sur ce point de l’ensemble du public en insertion (dont il ne constitue qu’une faible part).
Tableau 28 : Répartition par niveau scolaire du public en insertion des entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine.
3. Comparaison par âge
L’âge est plus spécifiquement un élément de concordance entre le public pénal et le public en insertion. L’interprétation des données fournies par les rapports des entreprises d’insertion est rendue difficile par la grande variété des découpages par tranches que l’on y rencontre [13]. On a donc cherché ici à identifier approximativement l’âge médian en ne retenant, sur différents âges types, que la partie de la population correspondant aux données exploitables pour la tranche d’âge envisagée. Les âges où la population se répartie le plus équitablement sont 35 et 30 ans avec un écart beaucoup plus important avant et après cette tranche d’âge, l’âge médian de l’ensemble de la population doit donc se situer entre ces deux âges.
Tableau 29 : Répartition par tranches d’âge du public en insertion des entreprises d’insertion des Hauts-de-Seine.
Lecture : Sur les 415 personnes dont on est sûr qu’elles ont soit plus de 50 ans soit moins de 50 ans, 13 (3,1%) ont plus de 50 ans et 402 (96,9%) ont moins de 50 ans.
Pour aller plus loin, on peut essayer de reconstituer de façon approximative la répartition du public en insertion par tranche d’âge. Pour se faire on considérera comme représentative de l’ensemble chacune des répartitions effectuées dans le tableau précédent. On obtient alors les proportions suivantes :
Tableau 30 : Tableau comparatif des différentes proportions de tranches d’âge dans les entreprises d’insertion et dans la population pénale.
La comparaison entre les deux répartitions, malgré des tranches d’âge légèrement différentes, laisse apparaître une grande proximité. On ne retrouve pas dans cette population les écarts constatés lors de la comparaison entre public pénal et public postpénal.
Il est difficile de porter l’analyse plus loin eu égard au manque de précision des données concernant le public en insertion. On peut toutefois apporter une précision, la catégorie 30 - 35 ans évoquée plus haut comme âge médian se trouve être également une partie peu représentée (6,5%) à la différence des tranches 26 - 30 ans (23,1%) et de la tranche 35 - 40 ans (17,8%). Ce creux est d’autant plus surprenant qu’on ne le retrouve pas dans les CHRS [14]. On ne peut guère expliquer cette particularité que par le fait que les entreprises d’insertion accueillent fondamentalement deux types de publics, des personnes jeunes et sans expérience professionnelle cherchant à entrer dans le monde du travail d’une part, et des personnes plus âgées et peu qualifiées ayant perdu leur travail et cherchant à en retrouver un. La tranche d’âge 30 - 35 ans semble donc être relativement charnière en ce qui concerne la motivation à l’insertion.
C. Analyse
Malgré le nombre limité de points de comparaison dont nous disposons, on ne peut manquer de remarquer la grande proximité qui existe entre le public pénal et l’ensemble du public en insertion. Cela ne surprend guère, les problématiques de ces deux publics sont les mêmes, ce qui montre à nouveau combien l’entrée dans la délinquance s’explique plus par des considérations subjectives (moralité, contrainte sociale, psychologie) que par des considérations objectives et économiques [15]. « Le trait commun de presque tous ceux qui sont ici c’est une jeunesse difficile. Beaucoup sont d’anciens de la DDASS, ont été battus ou maltraités... L’histoire de ces gens commence très tôt. » [16] De fait, ces difficultés se retrouvent en détention, l’enquête sur l’histoire familiale d’un échantillon de détenus montre que les personnes en détention arrêtent tôt leurs études, avant 16 ans pour 27,7% et avant 18 ans pour 72% d’entre eux (contre 24,5% et 49,1% pour l’ensemble de la population) [17]. Les origines sociales des personnes en détention sont également modestes, 47% des pères étaient ouvriers et 54% des mères étaient inactives. Enfin, le départ du domicile parental est précoce dans ce public puisque « 15% des détenus sont partis avant 15 ans, la moitié avant 19 ans (soit trois ans avant l’ensemble des hommes), 80% avant 21 ans. » [18] A nouveau on peut constater une grande proximité. En fait, « il y a de moins en moins de différences entre les sortants de prison et les autres personnes en insertion. » [19] Cette égalité ne doit pourtant pas faire oublier les spécificités du public post-pénal en insertion mises en lumières précédemment. A ce stade de l’analyse, on peut penser que ces spécificités par rapport au public pénal et à l’ensemble du public en insertion sont liées à la problématique de l’incarcération elle même, tant dans son déroulement que dans son origine, et son effet sur l’insertion. On peut notamment s’interroger sur l’impact du passage en prison dans le cadre d’une recherche d’emploi.
Section 2. Le passage en prison et l’emploi
« Les ex-détenus qui trouvent rapidement un emploi à leur sortie de prison et ceux qui réussissent sur le marché du travail récidivent beaucoup moins que ceux qui restent chômeurs ou qui rencontrent des échecs dans leur emploi. » [20] Cette remarque de Maurice Cusson montre l’importance de la réflexion sur l’impact du passage en prison stricto sensu sur la recherche ultérieure d’emploi. Si l’incarcération pèse sur la recherche d’emploi, elle produit alors un effet contraire à son objectif en favorisant la récidive.
On peut envisager différentes causes à l’influence négative du passage en prison sur l’emploi. Les unes sont liées au séjour en détention lui-même (§1), les autres sont liées à l’impact du seul passé pénal dans la recherche d’emploi (§2).
§1. L’IMPACT DU SEJOUR EN DETENTION
L’une des conséquences directe de la privation de liberté est de mettre le détenu à l’écart du marché du travail. Cette rupture dans le cursus professionnel n’est pas sans conséquences. Toute cessation d’activité est un handicap certain dans une recherche d’emploi dans la mesure où les employeurs sont sensibles à la continuité du travail. En outre, si l’incarcération est longue elle peut entraîner une perte de compétence importante du fait de l’évolution des techniques de travail.
Pour compenser ces effets négatifs on peut invoquer le développement du travail et de la formation professionnelle en détention. On a pu reprocher à ces deux actions une certaine inefficacité du fait des techniques et du matériel démodé qui serait utilisé en prison ainsi que du rythme de travail inférieur à la normale qui y régnerait [21]. Ces critiques sont de moins en moins d’actualité. Les formations organisées en détention le sont sur le modèle pratiqué à l’extérieur et l’Administration cherche à améliorer la qualité et l’intérêt du travail organisé en détention. D’ailleurs, si le travail en détention ne représente pas une réelle expérience professionnelle pour les employeurs (sauf quand elle est très spécifique ou liée à une formation), il permet au moins de justifier d’un activité. Le travail, même occupationnel, montre que la personne a conscience des horaires de travail, sait respecter des consignes, etc [22]. Ce sont autant d’éléments positifs dans une recherche d’emploi, mais il n’en reste pas moins que seule une minorité de détenus peut accéder à ces activités, pour une importante majorité d’entre eux la prison reste un lieu d’inactivité et de perte de compétences.
A cela s’ajoute l’image que le travail donne de lui même dans le cadre d’une détention. Précaire, mal payé, souvent répétitif et peu motivant, le travail en détention, malgré les efforts de l’administration pénitentiaire, n’est pas de nature à susciter l’envie de travailler à l’extérieur.
§2. L’IMPACT DU PASSE PENAL
Il s’agit ici d’envisager le poids du seul fait d’avoir connu une détention sur la recherche d’emploi. Cet élément est constitutif d’une difficulté bien réelle (A) mais également surmontable (B).
A. Une difficulté certaine
Dans son ouvrage Le contrôle social du crime [23], Maurice Cusson rapporte les conclusions de différentes études menées sur la question. La première, menée en 1962 aux Etats-Unis [24] avait consisté en l’envoi à 100 employeurs d’un même secteur professionnel d’un curriculum vitae. Tous ces documents étaient identiques à ceci près que certains faisaient mention d’une condamnation pour voie de fait et d’autres non. Les dossiers faisant état du passé pénal connurent un taux de réponses favorable de 4% contre 36% pour les autres. Dans une expérience similaire menée en 1971 aux Pays-Bas [25] les dossiers indiquant une condamnation pour vol connurent 36% de réponses positives contre 52% pour les autres. Dans un cas comme dans l’autre, la simple mention du passé pénal provoque une nette diminution du taux de réponses positives. Cela confirme la situation telle qu’elle est ressentie sur le terrain : « Le casier judiciaire pèse beaucoup face à l’employeur, c’est assez rédhibitoire. » [26]
B. Une difficulté surmontable
S’il est clair que le passé judiciaire a un impact négatif sur la recherche d’emploi, il ne constitue pourtant pas un obstacle insurmontable. La seconde étude évoquée précédemment laissait d’ailleurs apparaître un taux de réponses positives important (36%), surtout si l’on tient compte du fait que la demande reposait sur un simple courrier et que l’infraction annoncée était de nature à susciter une certaine inquiétude. En fait, le problème posé par le passé judiciaire peut être surmonté si l’employeur est associé à la démarche. « En faisant état de son passé pénal la personne montre sa bonne volonté et l’employeur peut vivre ça comme une preuve de confiance. Cela devient un défi pour lui et il donnera une chance à la personne concernée. » [27] Tout repose alors sur la relation personnelle qui s’établit entre le sortant de prison et l’employeur et, de fait : « les employeurs connaissent assez fréquemment le dossier criminel de leurs employés » [28]. Une autre étude américaine citée par Maurice Cusson avait ainsi montré que 44% des anciens détenus suivis dans le cadre de l’enquête avaient informé leur employeur de leur passé pénal [29].
Au-delà de la question du casier judiciaire, l’autre difficulté liée au passage en prison est l’absence d’activité professionnelle sur une période plus ou moins longue. Cette difficulté n’est toutefois pas différente en elle-même de celle rencontrée par tout chômeur de longue durée.
Enfin, il convient d’évoquer le cas spécifique de la fonction publique où le poids du casier judiciaire est infiniment plus fort puisque dans de nombreux cas il constitue un critère rédhibitoire à l’inscription aux concours.