Animation : Patrick Gambier (directeur de l’UPR de Lille)
Intervenants : Georges Bouhélier (professeur), Marylen Eiselé (professeur-coordinateur)
C’est une formation lourde, post-bac, dont il convient de mettre en avant le sens pour un public carcéral.
Il s’agit d’un BTS action commerciale : bac plus deux années d’études supérieures. La formation, comme le diplôme sont comparables à la formation dispensée à l’extérieur.
Créée en 1994 en milieu carcéral, elle s’inscrit dans un domaine professionnel où il y a de l’emploi. Un CD Rom a été fabriqué en 2000 avec comme maxime : « la formation est un temps d’avance sur l’avenir ».
Caractéristiques du BTS
Le BTS se déroule sur deux ans avec des activités professionnelles.
Les périodes de formation alternent avec des stages (8 semaines) et il faut réaliser des activités commerciales dans la prison sur le temps de formation dans des conditions similaires à elles des étudiants extérieurs.
Les méthodes d’apprentissage mises en oeuvre sont semblablesà celles développées au dehors, notamment ce qui touche aux relations avec les professionnels (conférences des professionnels à l’intérieur de la prison, rencontres, aide sur les terrains de stages). Des actions motivantes sont engagées. À titre d’exemple l’activité Évasion par le sport a abouti à une manifestation sportive à l’intérieur de l’établissement à laquelle s’est rendue la ministre de la Jeunesse et des Sports, Marie-George Buffet.
Il y a, en détgention, durant toute la période de formation, un mouvement qui déplace le détenu de l’individuel vers le collectif nécessaire dans toute activité professionnelle. Chaque apprenant dispose de deux années pour passer du « moi-passé composé » au « nous-présent » pour un « je-futur ».
Les étudiants sont considérés comme des professionnels dès l’entrée en formation. Ce qui veut dire qu’ils doivent écrire, prendre des contacts, téléphoner, faxer... agir comme de vrais professionnels.
Ils travaillent donc en permanence et en continuité avec l’extérieur.
Le BTS action commerciale est donc un moyen de réorienter les parcours individuels.
Question posée à l’intervenant : Qu’en est-il de l’insertion professionnelle, combien de ces jeunes, à la sortie de la prison, trouvent du travail ?
Réponse : Beaucoup sont embauchés par le maître de stage et se sont insérés dans un métier logiquement consécutif au diplôme ; mais à l’inverse l’un des étudiants a poursuivi par le passage d’un diplôme de moniteur sportif, un autre s’est intégré dans une entreprise d’informatique. Il faut dire que la formation, dès le départ, par la réalisation d’actions en faveur des autres détenus, l’utilisation d’outils informatiques et le soutien du groupe d’apprenants et de l’équipe pédagogique les mettent dans une situation de réussite.
Remarque de l’assistance : La formule semi-liberté est porteuse avec des stages à l’extérieur !
Conditions de réussite
Les étudiants sont impliqués complètement dans les activités et les stages extérieurs. Durant la première semaine de stage, séparée des suivantes, ils doivent se débrouiller seuls pour montrer leurs capacités et prouver leur compétence. À titre d’exemple, durant un stage, un étudiant fut accueilli par un dirigeant d’entreprise pris par des tâches annexes. L’étudiant resta une journée seul avec de la documentation générale et précise sur l’entreprise. Le lendemain, à la grande surprise du dirigeant, cet étudiant fournit un rapport complet et détaillé sur l’entreprise. Il l’avait rédigé durant la nuit. Il fut embauché peu après sa sortie et l’obtention de son diplôme. Il est aujourd’hui, 5 ans après, responsable commercial d’un produit et son patron le freine car la production n’arrive pas à suivre le carnet de commandes qu’il remplit...
Question de l’assistance : Qu’en est-il de la recherche des terrains de stage ?
Réponse : Les stages se trouvent auprès des connaissances des formateurs, des contacts pris pour l’organisation des actions en centre de détention ou par la prospection des étudiants eux-mêmes.
Il y a une enquête préalable de la gendarmerie ou de la police nationale sur les entreprises accueillantes pour vérifier la « réalité » de l’entreprise et le degré de conscience ou de volonté du dirigeant maître de stage. Mais parfois l’excès de zèle de ces autorités aboutit à des situations de remise en cause du processus.
Question de l’assistance : Ont-ils une rémunération ?
Réponse : Oui, la formation est rémunérée par dérogation. Dans le domaine commercial, le poids de l’image est très fort. Ces étudiants ont à gérer un budget et doivent soigner leur présentation qui, pour leur futur métier, s’avère indispensable. Mais un autre fait est à souligner. La formation les oblige à faire des démarches de retour auprès de personnes qu’ils ont rencontrées dans des conditions difficiles, le juge principalement. Ils doivent se soumettre à des procédures, des autorisations nécessaires à leur apprentissage.
Ils changent. C’est ainsi que dans l’activité Échecs en prison, Antenne 2 et FR3 sont venues filmer (ces faits se déroulaient en 1995 avant la loi sur l’anonymat des détenus). L’apprenant a accepté d’être filmé ce qui a permis de le valoriser lui et l’ensemble du groupe sur des compétences personnelles mais surtout Au-delà du bac brevet de technicien supérieur action commerciale professionnelles avérées. C’est par un travail vers l’autre et avec l’autre que nous les conduisons.
Question de l’assistance : Quels sont les échecs ?
Réponse : Nous ne disposons pas de chiffres en pourcentages, nous pouvons dire qu’il y a réussite dès qu’il y a insertion professionnelle et obtention du BTS mais durant la période conditionnelle de nombreuses choses peuvent se passer. Il nous manque des éléments de suivi que nous essayons de mettre en place avec le service d’insertion.
Question de l’assistance : Lorsqu’ils sortent en conditionnelle, entre 6 mois et un an, il y a un suivi par les SPIP, mais il n’y a pas de retour.
Réponse : Comme formateurs, nous mesurons leur progression durant les deux années de formation, leur réussite à l’examen et nous avons des nouvelles de ceux qui se manifestent après. Mais c’est un peu une situation
commune à tous les enseignants de ne pas savoir toujours ce que deviennent leurs élèves ou leurs étudiants.
Question de l’assistance : À propos de la présentation préliminaire et de l’intérêt pour l’atelier, la dimension professionnelle doit intéresser l’ensemble des participants au colloque d’autant qu’il y a un caractère transférable de ce qui est mené par votre équipe.
Réponse : Cet atelier touche d’autres champs tels celui de l’écriture, de la communication à des fins professionnelles et techniques.
Il faut dire aussi que ces étudiants montrent aussi à leurs codétenus qu’ils sont capables de réussir des choses positives.
Ils ont aussi une pression de ce côté là. Les actions les responsabilisent dans un monde où tout se sait très vite. La fonction de surveillant elle-même est interrogée par ces multiples actions.
Tous les acteurs (Éducation nationale, Pénitentiaire, SIP) sont concernés et s’impliquent en fonction de leurs possibilités mais plus souvent en fonction de leur degré de motivation dans chaque action pour favoriser la ré-insertion de chaque étudiant. Par exemple, le projet cheval en détention a abouti à une étude du cheval à travers les âges, jusqu’à faire venir des chevaux dans la prison que les codétenus ont pu monter.
Question de l’assistance : Y a t il des oppositions syndicales ?
Réponse : Non. Il n’y a jamais eu d’opposition de ce type, les seules qui se sont exprimées sont individuelles et surtout minoritaires.
Équipe et contenus pédagogiques
Il faut dire qu’il y a, parmi les étudiants, des personnes titulaires de licences en Sciences économiques et sociales par exemple ce qui est motivant pour les enseignants. Parmi les activités proposées, il y a eu :
- Une enquête sur les tentatives de suicide (Il s’agissait d’une commande institutionnelle avec une dizaine d’entretiens à synthétiser dans un rapport d’opportunité).
- Une journée gourmande.
- La semaine des 4 zarts.
- Lire entre les lignes sur l’alphabétisme avec un atelier d’aide à la lecture où les détenus ont proposé à leurs codétenus des outils et une formation à la lecture.
- Le Club Investir avec la création d’un club d’investissement fictif et d’un logiciel spécifique qui aurait pu aboutir à sa commercialisation dans le cadre d’une entreprise créée par les étudiants dès leur sortie.
- Un semi-marathon avec vente d’articles de sport.
Pour chaque activité, les étudiants inventent des solutions professionnelles,
créent par exemple des affiches promotionnelles. Le principe des stages nécessite une période de découverte, des contacts préalables avec les maîtres de stage ; une année même ce fut un petit-déjeuner d’affaires préparé et offert à l’intérieur de la prison à des dirigeants d’entreprises, futurs maîtres de stages.
En fait, cette formation lourde impose à l’étudiant de s’isoler au coeur de la détention mais aussi de s’insérer dans un groupe d’étudiants et de formateurs pour pouvoir oublier les difficultés extérieures, se reconstruire une personnalité pour rebondir. Ils passent tous ainsi d’un comportement d’affrontement à un comportement de négociation y compris avec le juge d’application des peines et de tous les personnels puisque les stages sont présentés en commission.
Question de l’assistance : Quelles compétences ont-ils développées ?
Réponse : Des compétences d’adaptabilité et des compétences d’observation qui sont particulièrement importantes en prison.
Ce sont des compétences comportementales qui concernent plusieurs niveaux :
- L’aimer-faire
- Le savoir
- Le savoir-faire
- Le savoir-être
- Le savoir-devenir
Remarque de l’assistance : En prison, les détenus apprennent tous à gérer leur devenir.
Réponse : En BTS action commerciale, il faut savoir ce qu’on est capable de faire, se projeter. Il faut cibler ses actions, ses stages, ses possibilités d’embauche pendant la conditionnelle ou pour la sortie définitive là où il faut. Les étudiants s’inscrivent professionnellement et personnellement dans une relation de gagnant/gagnant. Il leur appartient de l’appliquer à leur sortie après avoir appris à la mettre en oeuvre pendant leur formation.
Des échanges très productifs
Remarque de l’assistance : Certains détenus attendent tout de la pénitentiaire...
Réponse : C’est moins le cas en BTS action commerciale, ça arrive parfois, au début. C’est qu’il y a un contrat que nous passons avec eux dès leur sélection (commission tripartite composée des formateurs, du JAP, de la pénitentiaire et du SIP) comme dans toute section de technicien supérieur en action commerciale de l’éducation nationale et surtout pendant toute la durée de la formation ; cette idée est essentielle et sa réalisation est incontournable.
Question de l’assistance : Une des difficultés c’est le rythme justice / pénitentiaire et entreprise...
Réponse : Oui. Les maîtres de stage, eux, suivent l’évolution du marché de leur activité ce qui est différent de celui de la justice.
Mais nous comptons aussi d’anciens détenus qui ont passé le BEP, le Bac puis le BTS en prison et qui ont été constamment aidés dans leur progression.
Toutes les différences de rythme peuvent s’annuler quand tous les partenaires restent impliqués dans un projet commun de réinsertion ou d’« inclusion » de chaque étudiant-détenu... Même si cette volonté est plus individuelle qu’institutionnelle, elle n’en reste pas moins la condition sine qua non de la réussite de chacun.
En conclusion il est possible de dire que cette formation - certes élitiste - est le champ d’expérience privilégié de nombreuses avancées de l’aide à l’insertion des détenus. De l’aimer-faire au savoir-devenir en passant par l’apprentissage des règles essentielles de savoir-lire, écrire, compter- pour certains, aux savoir-dire, exprimer, reformuler- pour d’autres et au savoir-s’exprimer, convaincre, conclure- pour tous, la formation collective au sein de l’éducation nationale à la préparation d’un diplôme de niveau bac +2 nous semble être l’ensemble des points de passage obligés de toute formation auprès d’un détenu.