La prise en charge et le traitement des séroprévalences en milieu carcéral apparaissent ainsi, huit ans après une réforme sans précédent, encore bien limités au regard des prescriptions fondamentales censées les réglementer. Même si la situation française peut s’avérer plus favorable que dans la plupart des pays, c’est la santé en tant que telle, plus largement entendue, que l’on sent, à travers ce prisme spécifique, bien malmenée par la détention.
Les causes de ces écueils sont pour la plupart identifiés, et les moyens de les résorber sont pour beaucoup d’ores et déjà connus. Ils semblent d’ailleurs peu à peu vouloir s’affirmer si l’on en croit certains écrits, certaines mesures encore timides.
Mains ne peut-on pas malgré tout s’inquiéter de constater la récurrence de certaines violations des droits en détention ? Nombre des constats d’aujourd’hui dénoncés l’étaient déjà il y a 50 ou 100 ans : ainsi que le souligne Patrick Marest, le ministre responsable des prisons en 1830 remarquait déjà que « à mesure que les constructions s’étendent, le nombre de prisonniers augmente » [1]. Las ! Un nouveau programme de construction de 7000 places vient d’être décidé, dans un contexte ultra sécuritaire et du tout carcéral peu enclin à l’ouverture. Or, la surpopulation carcérale est visiblement la source de nombre des difficultés relevées en termes sanitaires, qu’il s’agisse du seul souci somatique ou de l’attention préventive globalement entendue.
Aussi, et compte tenu tant de la définition de la santé que des enjeux éthiques, déontologiques, juridiques qu’elle implique, le constat ainsi dressé n’a-t-il pas pour signification que la santé en elle-même, et à plus forte raison la maladie, sont purement et simplement exclusives de l’enfermement carcéral ?
Il est certes malaisé de trancher rapidement un tel enjeu. Il faut probablement pour ce faire distinguer les diverses composantes de la notion de santé.
Il paraît de fait évident que la santé telle qu’entendue par l’OMS ne saurait prévaloir en détention, lieu intrinsèquement opposé à un bien être « mental et social » : l’enfermement, la privation de liberté d’aller et de venir s’opposent de fait à une telle vivacité morale et à une réelle vie sociale. Toutefois, il convient de rappeler que l’objectif de la prison doit rester la réinsertion, qui passe par un travail psycho-social à même de mettre l’individu en mesure de carcéral tel que le connaît le système français ne remplit d’ores et déjà pas ses objectifs, et les progrès restent à faire en termes de maintien des relations sociales et familiales, de liberté conditionnelle et de permissions de sortie.
En outre, et si une certaine tolérance semble pouvoir s’entendre en matière de bien-être mental et social, tel ne peut pas être le cas de l’essence même de la santé, c’est-à-dire de sa composante physique, somatique, thérapeutique.
Or, on l’a vu, malgré une situation sans commune mesure avec celle qui prévalait il y a dix ans, le constat sanitaire des populations carcérales françaises est alarmant, et le système actuel de soins qui leu est offert se révèle on ne peut plus limité, source de nombreuses violations des prescriptions internes ou supra-nationales qu’il est pourtant censé respecter.
Des voies sont proposées aux fins d’amélioration de ce schéma, mais le constat reste en toute hypothèse cinglant et interpelle : dès lors que le système carcéral n’est pas à même de maintenir les personnes dont il a la charge en bonne « santé », dès lors même qu’il est patent que ce système s’avère pathogène, n’est-ce pas à dire que le débat ne saurait se poser u’en terme d’exclusion réciproque des notions de santé et de prison ?
S’il semble de fait malaisé de considérer qu’un condamné malade doit en tant que tel être libéré, il n’est pas plus facile d’accepter de le maintenir en détention tout en sachant que ses droits élémentaires à la santé et à la solidarité nationale, à l’intimité, au respect de sa dignité, sont bafoués quotidiennement.
Mais alors, quoi ?
D’abord engager les réformes attendues : limiter les incarcérations, dépeupler les prisons, rénover les établissements, faire face aux réalités par une réelle politique de santé publique à laquelle serait enfin reconnu le primat qui lui est nécessaire.
Car la clé semble justement résider dans les priorités que l’on décide d’accorder aux politiques publiques, à même de permettre la réforme globale du monde carcéral français que tous les acteurs reconnaissent nécessaire.
L’optique strictement pénale et répressive à laquelle se voit contrainte la France en cette année 2002 ne semble toutefois pas celle qui s’avèrera à même de résoudre la dichotomie relevée entre les prescriptions fondamentales et leur mise en pratique dans le cadre carcéral.
Au contraire, s’agissant des fléaux que représentent le Sida et les hépatites, les constats précités tendent à démontrer la nécessité impérieuse de faire d’une politique de santé publique largement entendue la priorité essentielle, notamment en détention.
S’il semble utopique de considérer que la nécessité sanitaire doit interdire la détention, i l faut reformuler les données du problème : la prison ne doit pas être exclusive du soin, encore moins de santé. Si elle ne saurait devenir un hôpital, il ne peut non plus être toléré que les établissements pénitentiaires interdisent aux individus d’accéder aux soins dans le respect es règles supérieures, ni, à plus forte raison, que la détention se révèle pathogène.
Alors que faire ?
A défaut d’une « révolution », poursuivre la dénonciation, l’éducation, la formation, la proposition... En un mot, militer ?