Animation : Christian Jordaney (directeur de l’UPR de Toulouse)
Interventants : Daniel Nicolle, Tony Chavard (enseignants)
Christian Jordaney
Je suis responsable de l’UPR de Toulouse, et j’ai pratiqué le journal
sur le terrain pendant de nombreuses années. J’ai apporté ici un journal réalisé à la Maison d’arrêt de la Santé dans les années 75. Il représentait une sorte de passage des méthodes Freinet pratiquées en CM2 extérieur chez les adultes en détention. Le matériel typographique était utilisé : caractères en plomb alignés nécessitant une vérification de l’orthographe d’une écriture inversée, avec un miroir.
Ensuite, les journaux scolaires ont, bien entendu, changé avec la technique : photocopies, ordinateurs, scanners.
L’intérêt du journal se décline sur trois axes principaux :
- L’écrit est important et même incontournable en milieu carcéral.
- Cette activité développe la socialisation : dans le comité de rédaction, on apprend à écouter, à respecter l’autre.
- L’intérêt du journal réside aussi et surtout dans l’exercice lié à la production, c’est-à-dire la confrontation à la réalité du tirage.
C’est un événement chaque fois ; « il faut se débrouiller pour tenir les délais ».
Deux collègues vont intervenir :
Daniel Nicolle, Responsable des écoles des établissements pénitentiaires de La Réunion vous présentera une production « classique », c’est-à-dire un produit fini ayant une périodicité assez espacée : travail remarquable, en particulier le dernier sur « la femme », et un numéro spécial Poésie envoyé aux collègues de métropole.
Quant à Tony Chavard, Responsable de l’Unité locale d’enseignement de Villeneuve-les-Maguelonne (Maison d’arrêt de Montpellier), il vous présentera une production qui vaut pour sa discipline de tirage. En effet, le n° 19 d’octobre est la 378e parution hebdomadaire, ce qui sort de l’ordinaire. ! Avec, bien entendu des choses communes, pour l’un comme pour l’autre, mais peut-être aussi des objectifs sensiblement différents. Je laisse à présent la parole à Daniel Nicolle.
Daniel Nicolle
Le « Galet » est le journal réalisé par les détenus du Centre pénitentiaire du Port CPP dans le cadre de l’école. Je vais tenter d’aborder tous les aspects d’intérêt général. Ensuite je ferai passer quelques exemplaires qui justifieront des trois grandes périodes de ce journal.
Le Galet : qu’est-ce que c’est ?
C’est un matériau brut, hautement symbolique à La Réunion. Il est présent dans la vie de tous les jours à plus d’un titre :
- Il est nécessaire à la construction de la case créole.
- Il sert à se défendre comme à manifester, c’est, du reste, une arme redoutable.
- Il est omniprésent dans les cuisines créoles, pour écraser piment et gingembre, et révéler les odeurs et les saveurs.
- Il sert spontanément pour organiser un espace de jeux réglementés dans les terrains vagues.
On le voit, c’est un matériau utile, recherché et craint à la fois.
C’est pourquoi nous avons choisi ce titre pour symboliser les objectifs du journal.
Historique du Galet
Le Galet a paru pour la première fois en décembre 1991 : Il a donc 10 ans aujourd’hui. Le prochain, le n° 49 paraîtra en décembre 2001. 49 parutions en 10 ans, soit 4 à 5 par an, avec un tirage de 500 exemplaires en moyenne. Les principaux destinataires sont les détenus des trois établissements de l’île ainsi que les partenaires.
Nos objectifs ?
Que voulait-on faire avec ce journal ?
Nos objectifs concernaient trois axes de préoccupations :
- Informer pour aider
- Documenter pour développer la culture
- Favoriser l’expression et la créativité.
Pendant ces dix années, nous avons essayé de maintenir le cap sur nos objectifs. Mais on peut constater une chose : chaque équipe a privilégié l’un ou l’autre en fonction de sa sensibilité propre.
1. Communiquer l’information aux détenus.
- Information interne :
Principalement sur le fonctionnement des services de détention, tous renseignements utiles : les démarches à accomplir.
Qui contacter ?
- Information externe, ouverte sur la cité :
Les 2 quotidiens locaux sont lus intra muros, et font l’objet de commentaires dans les colonnes du « galet ».
Parmi les sujets prisés :
- le sport,
- l’environnement, deux thèmes qui permettent au détenu de maintenir le lien social et affectif avec son île.
2. Développer la culture générale et les compétences en lecture des détenus.
À travers des articles documentaires, voire des dossiers de plusieurs pages.
La seconde période du Galet, fertile en dossiers de fond, sur des sujets très divers, distrayants à la manière de la revue « Ça m’intéresse ».
3. Ouvrir un espace d’expression et de créativité.
En suscitant la production d’écrits personnels : poésie, textes libres, témoignages, lettres ouvertes. En intégrant, sous formed’illustrations, les collages réalisés par des détenus.
C’est grâce à l’acquisition de nouveaux outils informatiques que la nouvelle équipe a pu développer cet aspect.
À qui s’adresse ce journal ?
En priorité aux publics des trois établissements pénitentiaires, soit environ 1 000 détenus en moyenne dont les caractéristiques sont les suivantes (Référence LPP).
- Illettrisme grave (AB) : 16 %
- Illettrisme avéré : 7 %
- Difficultés en lecture : 29 %
- Réussite au bilan : 48 %.
Niveau d’arrêt de la scolarité :
- Primaire : 12,7 %
- Enseignement supérieur, lycée : 8,2 %
- CPPN, ou collège avant la 3ème : 28 %
Les âges :
- Moins de 18 ans : 13,5 %
- 18/25 ans : 54,1 %
Formation professionnelle :
- Aucune : 69,8 %
- Préqualification : 18,4 %.
Aspect linguistique :
La majorité du public est créolophone. Contrairement à la métropole, très peu d’étrangers et de non-francophones. Quelques Comoriens, Malgaches, Mauriciens... La plupart des détenus sont en situation de dyglossie, ce qui ne facilite pas l’apprentissage du français.
En outre, cette situation devient chez beaucoup une position de principe, l’utilisation de la langue maternelle étant souvent un signe de résistance, d’opposition. Sans oublier que, le personnel carcéral étant lui-même pour une grande part créolophone, l’essentiel des échanges se fait en créole.
Comment fabrique-t-on le « Galet » ?
Le journal est financé en partie sur le budget de l’établissement, en partie par le SPIP et l’association socio-culturelle Les numéros spéciaux sont financés par un partenaire extérieur.
Le coût de la réalisation est en moyenne de 5 000 F par numéro tiré à 600 exemplaires, et de 20 à 30 000 F pour un numéro spécial tiré à 1 000 exemplaires.
Le journal est réalisé au centre ressources multimédia, qui dispose d’un matériel de PAO (Mac et PC).
La reproduction se fait sur duplicopieur au centre pénitentiaire du Port. Pour les numéros spéciaux, nous avons recours aux services d’un imprimeur.
Qui conçoit le Galet ?
-Le comité de rédaction dont l’effectif varie de 5 à 8 personnes selon les périodes se charge de la conception du journal.
-Le rédacteur en chef, enseignant spécialisé, opère un contrôle régulier sur l’ensemble des articles produits. Depuis le début, trois enseignants spécialisés s’y sont succédé.
Actuellement, deux comités de rédaction sont constitués au centre pénitentiaire, l’un au centre de détention, l’autre à la maison d’arrêt.
C’est ce dernier qui centralise tous les articles pour la publication.
Les membres du comité de rédaction sont recrutés sur la base du volontariat, du niveau scolaire, des talents divers (dessinateurs, public maîtrisant l’outil informatique).
Des sous-comités de rédaction sont également constitués au sein des groupes-classes, des groupes de la formation professionnelle, des participants aux activités socio- culturelles.
Les articles sont fournis en grande partie par les détenus du centre pénitentiaire du port. Quelques écrits proviennent du quartier des femmes de la maison d’arrêt de St Denis.
-Les membres du comité de rédaction relatent, sous forme de reportage, les événements qui se sont déroulés dans l’établissement : les spectacles, les visites, les conférences, les expositions, et réalisations diverses (peinture, artisanat, exposition de meubles...).
Les enseignants de la maison d’arrêt de Saint-Pierre ont créé depuis quelques mois leur propre journal, « Le Petrel des barreaux ».
Rôle du comité de rédaction
Il propose des thèmes, sélectionne des articles, les corrige, procède à la mise en page. 10 à 15 personnes participent à la réalisation d’un numéro.
Je vous invite, à présent, à observer quelques articles tirés du journal. J’ai tenté une sélection qui vous illustrera les trois époques du Galet, dont la dernière est en cours.
Le dernier numéro paru est un « Spécial poésies ». Les poésies sont en partie en créole, en partie en français. Les tableaux sont réalisés par les détenus. Ils ont été exposés et vendus.
Quelques thèmes de questionnement :
Ce journal, peut-on le vendre ?
- À qui ?
- À quel prix ?
- Faut- il l’autocensure ?
- Quel contrôle de l’équipe enseignante, avant l’avis de la direction ?
- Quelles précautions doit prendre le rédacteur en chef ?
- Son rôle particulier ?
- Quelle reconnaissance pour le journal ? Quels sont les impacts ?
Je terminerai en vous citant un proverbe créole qui me semble bien résumer la vocation du Galet : « Si zot i vé, détak la lang pou démay lo ker vien voir a nou. Lo galet lé la pou sa. Dé ».
Finalement, on pourrait traduire que : « là où il y a de la parole, la liberté commence ».
Christian Jordaney : « Pour la suite de la séance, je propose que Tony présente son journal, et qu’ensuite les questions soient posées, qu’elles soient communes ou particulières, et selon leur importance. »
Tony Chavard
Sans que l’on se soit concertés le moins du monde, lorsqu’on m’a demandé de parler de notre journal Hector, j’ai préparé un texte intitulé : « un journal, balises et bouées », dont la référence maritime est assez amusante après ce que l’on vient d’entendre !
Balises et bouées, parce qu’à mon sens, tout tourne autour de plusieurs pôles de repérage. Le plus important est certainement donner du sens.
Le journal est une activité scolaire comme une autre. Au niveau du sens, je ne me démarque pas par rapport à une classe qui prépare un examen, par exemple. Je prépare un journal, qui a une périodicité particulière. On va en parler tout à l’heure.
L’intérêt d’un journal, c’est de pouvoir mettre en avant cette problématique de construction, de mettre le détenu - l’élève, le rédacteur, au centre de quelque chose, de ce qui pourrait être sa propre vie. Cela paraît ambitieux dans la mesure où il donne à voir quelque chose de lui même, c’est-à-dire quelque chose de différent de ce que l’on donne à voir généralement quand on est en prison : bien souvent à cause de la ségrégation des délits, l’imprégnation de la prison sur la personnalité des gens.
Le journal, c’est une prise de risques : dans la périodicité, dans ce que l’on montre, dans ce que l’on va dire.
Comme il paraît difficile de mettre en place un apprentissage à la citoyenneté, on peut croire tout de même qu’un outil, un objet, peut amener les gens à se comporter comme des citoyens.
Dans la mesure où le journal dont je vais parler est pour moi une entreprise, un cours, une réalisation pour faire passer quelque chose, je crois que l’on touche tout d’abord à quelque chose de personnel, d’individuel, avant de le noyer dans une collectivité, dans une situation où il faudra échanger avec l’autre.
Je tenterai de montrer plus tard par l’exemple, comment dans le fonctionnement du journal Hector on travaille à ces deux niveaux individuel et collectif.
Mon collègue a insisté sur la symbolique du nom, ça me permet de faire le lien avec la citoyenneté : notre journal s’appelle Hector.
Depuis l’antiquité grecque, Hector est le symbole de la citoyenneté.
C’était surtout le guerrier citoyen qui portait le combat à l’extérieur de la cité, au-delà des remparts où il rencontrait son ennemi, et où, à la fin de la journée, on disait : « demain, on continuera à s’affronter ».
Je crois également que l’on ne peut passer tout son temps à parler de sa condition.
Il faut aussi passer au stade supérieur : On est mal placé quand on est en prison pour parler de la prison. Nous avons donc choisi de faire un journal qui ne parle pas de la prison, ou qui en parle le moins possible ; pour ne pas ramener les gens, autant les réalisateurs - les créateurs - que les lecteurs, à leur propre condition.
La personne qui m’a beaucoup aidé dans cette prise de conscience et
avec qui nous avons étudié la situation d’enfermement est le psychiatre Michel Ribstein qui employait l’image de « spirale fermée » pour évoquer le réflexe compulsif de celui qui est enfermé et qui ne peut parler
d’autre chose que de son enfermement. Nous avons pensé que l’intérêt de l’enseignement et des actions scolaires comme le journal était d’ouvrir cette spirale pour la dérouler vers l’extérieur.
Ce journal se veut donc une espèce de fenêtre ouverte vers l’extérieur qui permet aux gens qui le font de prendre ce qui est intéressant à l’extérieur, pour le donner à voir ou à lire à ceux qui sont à l’intérieur, de manière à leur ouvrir aussi, à leur tour, une espèce de fenêtre.
Il est parfois difficile de tenir ce cap car comme vous le savez, les détenus ont plutôt tendance à parler d’eux-mêmes et de ce qu’ils subissent.
Au début, ça pose des problèmes. Actuellement, on est dans une phase où le rodage est largement passé, puisqu’on est à 384 hebdos, je crois, et 10 ans d’existence, et 56 bimestriels et 14 ans d’existence. On fait quatre numéros par an, c’est à peu près la même périodicité que pour le Galet.
Pourquoi ces deux parutions ? trois si l’on compte Hector junior, l’hebdomadaire réalisé par les mineurs ?
L’un des intérêts essentiels de cette tentative de travail sur un journal à parution régulière est de proposer à la personne incarcérée un moyen de structurer son temps.
En prison, le temps n’a pas de relief. Le détenu n’est jamais acteur de son propre temps, il le subit, parce qu’il ne sait jamais quand il sera jugé, quand il mangera, quand on changera ses draps, quand l’avocat s’occupera de lui, ou que sa famille lui rendra visite, etc.
Tout cela est un temps informe et, peut être que, mettre du volume, des repères à ce temps peut permettre de structurer la personnalité et non de la détruire. Quand on s’est installé dans le nouvel établissement, le premier du programme des 13 000, prévu pour pouvoir accueillir environ 700 détenus, nous nous sommes retrouvés dans des conditions différentes. Par exemple, l’éloignement, la distance, entre le centre scolaire et nos élèves était une gêne très importante par rapport aux conditions de travail préalables. Les élèves incarcérés dans le vieil établissement au centre de Montpellier et qui faisaient le journal bimestriel ont dit : « il faut faire un journal beaucoup plus rapide ». Nous, les enseignants, nous avons ressenti le même besoin.
La communication avec « la population pénale », terme que je déteste, était très difficile, les affiches que nous apposions sur les panneaux ne tenaient pas la journée. Dès le premier mois de notre installation à Villeneuve-les-Maguelonne, on a mis en place une Feuille, la Feuille d’Hector, qui est très vite devenue hebdomadaire.
C’est pour cela que, après 11 ans et quelques mois d’existence, on en est à 384. Les fameuses 36 semaines multipliées par 11...
On a bien là un rythme, une périodicité qui est la base de la mission.
Si on veut structurer le temps, qui est informe, il faut tenir
coûte que coûte la périodicité hebdomadaire et bimestrielle.
Continuer à travailler avec les mêmes personnes sur deux temps différents permettait d’avoir deux repères dans le temps. Je vous laisse imaginer tout ce que cela implique au niveau obstacles à franchir avant le tirage sur le photocopieur pour que tout soit prêt le vendredi matin, et pour être prêts à recommencer le lundi.
C’est très intéressant car cela permet de se raccrocher à un objet qui évite le face à face avec un détenu à qui on va dire : « Aujourd’hui, on va faire ça... » On fait ensemble quelque chose que l’on a choisi ensemble.
Au niveau du recrutement et de la composition du groupe qui réalise le journal, nous agissons de la même manière que pour la composition d’une classe ordinaire, c’est-à-dire au regard de l’intérêt de l’élève. Bien sûr on a des gens qui demandent à venir à l’école uniquement pour travailler dans ce journal. Parfois ce sont des élèves qui ont participé a des actions scolaires très objectivées par un examen ou une formation et qui ont envie de passer à autre chose. Mais dans la plupart des cas, nous proposons le journal comme une activité « par défaut » lorsque les autres classes sont pleines ou la date d’inscription aux examens dépassée...
Trois groupes sont alors réalisés : le noyau dur de la rédaction, un groupe chargé de la revue de presse et les mineurs.
Le noyau dur est composé d’une dizaine de détenus, scolarisés, chargés d’une rubrique et d’une responsabilité chaque gars a en charge quelque chose de personnel et quelque chose de collectif.
Personnel au niveau de ses propres réalisations, et collectif dans ce qu’il est tenu d’apporter à l’autre, soit une information, soit de l’aide technique, afin que l’ensemble puisse voir le jour indépendamment des difficultés rencontrées par l’un ou l’autre des rédacteurs.
La réunion de rédaction du lundi matin est la base du travail hebdomadaire.
Nous y discutons du contenu du journal en nous référant en permanence à la cohérence de la ligne éditoriale notamment lors du choix et après discussion du sujet de première page, l’événement de la semaine. Deux pages contiennent des rubriques régulières volontairement repérantes : « Montpellier/la comédie » du nom de la place centrale, un événement local, « Hérault en Languedoc Roussillon », une curiosité historique, géographique, touristique, scientifique... de notre région, « La leçon d’Europe », consacrée à la construction européenne, et « Hector civique », dont le but est d’inciter nos lecteurs à connaître le fonctionnement de nos institutions et de prendre part au débat...
Chaque rubrique, le plus souvent tenue par la même personne d’une semaine sur l’autre, fait l’objet d’une discussion ou de choix.
Une page contient des infos relatives au centre scolaire et aux activités que nous mettons en place et des infos éducatives destinées à alimenter des actions qui se déroulent dans l’espace sociopédagogique.
C’est un rédacteur qui est responsable de la collecte de ces infos et qui doit les transcrire en langage « Hector ».
Un élève est également chargé de réalisation d’une page « jeux » et d’une page « télé ».
Là aussi, au niveau de la structuration du temps, reprendre simplement, un programme télé et proposer quelques émissions ciblées me semble important pour les aider à faire leur propre choix, surtout, depuis que la télé est devenue obligatoire dans chaque cellule, et qu’elle participe à l’uniformisation du temps.
Enfin, les deux dernières pages sont réalisées à partir d’une revue de presse faite par un groupe de six élèves réunis sept heures par semaine : lecture de la presse, choix des articles, saisie des résumés sur traitement de textes, proposition à la correction... dont la mise en page est conçue par un rédacteur du noyau dur qui en a la responsabilité.
Deux jeunes mineurs participent à la réunion de rédaction. Ils sont chargés de participer au choix de la première page d’Hector junior : la personnalité de la semaine. Là aussi, il est intéressant de procéder à un balayage de l’actualité et de remettre du sens dans les coups de coeur des adolescents téléphages. Hector junior est hebdomadaire, c’est un quatre pages.
L’enseignant ciblé quartier mineur, psychopédagogue intervenant en heures supplémentaires, trois génépistes et l’emploi-jeunes/ enseignement collaborent à cette création qui existe depuis l’ouverture du quartier Mineurs en janvier 1997.Nous en sommes au n° 140. On tient à présent pratiquement les 35 numéros par an, après n’avoir sorti que 20 numéros les deux premières années.
Au plan pratique, on fait le numéro des jeunes en début de semaine, et si on ne rencontre pas de difficultés particulières, on arrive à la censure le mercredi à midi. Le jeudi, c’est au tour des adultes.
Ensuite, il est temps de passer à l’épreuve du photocopiage. Là aussi, deux membres de l’atelier journal en sont responsables.
La séance de pliage et la distribution, unité de vie par unité de vie, ont lieu le vendredi matin.
Christian Jordaney : J’aurais une question à poser aux participants, car j’imagine qu’on s’inscrit à un « Atelier Journal », soit parce qu’on a déjà son journal et qu’on veut voir chez le voisin comment ça se passe, ou parce qu’on s’interroge et quand on veut démarrer un journal, en se disant « Je vais me lancer là dedans ».
Je pense que les questions seront sensiblement différentes par rapport à ces deux positions.
J’aurais également souhaité qu’on parle de la censure.
Est-ce le directeur qui exerce la censure, ou bien y a-t-il un comité de censure ?
Comment ça se passe, rapidement, l’un et l’autre ?
Daniel Nicolle : Initialement, il y a eu une forme d’auto censure.
Le rédacteur en chef contrôle les articles, sans être trop directif.
Car, comme on le disait tout à l’heure, dans un journal, on ne peut pas laisser tout dire.
Est-ce qu’on peut faire de l’humour sur les moeurs ? Pour cela, quand même, il faut une forme d’autocensure.
Le journal peut construire, mais il peut détruire également.
Tony Chavard : Nous, c’est ce que j’ai dit précédemment, nous avons contourné la censure à 98 %, 99 %., en choisissant de ne pas parler de la prison. On ne parle pas plus que cela de la prison, car il ne faut pas que les gens reviennent sur leurs propres problèmes. Et pour que l’objet soit réalisable - un hebdomadaire - si on attend trop la censure, et si on choisit des articles sensibles, on ne pourra pas en assurer la périodicité.
Mais c’est un exemple ! Ce n’est pas du tout pour le sortir tout le temps qu’on a décidé de ne pas parler de la prison, c’est que le sujet ne m’intéresse pas a priori.
CJ : J’aurais envie de dire que l’autocensure a quelque chose d’assez négatif dans la mesure où cela risque d’affadir, me semble-t-il, le traitement et l’éventail des sujets. Ce n’est pas plus mal lorsque la vague de la création monte jusqu’à la censure représentée généralement par la direction. J’ai bien entendu ce que vous avez dit l’un et l’autre.
Certains journaux (journal scolaire ou journal d’établissement), prennent pour définition de contenu : « Y trouver ce qu’on ne trouve pas ailleurs ».
Inutile de produire une copie fade et beaucoup plus coûteuse qu’une production extérieure commercialisée.
Sachant cependant que la rentabilité, en l’occurrence, n’a pas trop de sens.
Intervenant 1 : Concernant l’autocensure : un détenu qui écrit un article, il n’est pas question de le censurer, je ne pense pas.
Mais revenir sur son article permet d’analyser un peu les choses. C’est cela notre rôle. Est-il capable, lui, de se remettre en question ? C’est sans doute dans cet état d’esprit qu’il faut agir.
Intervenant 2 : Je me demande quel est le sens de l’acte pédagogique en milieu carcéral. Il y a des paradoxes. La réponse comme celle du journal est une réponse extraordinairement forte sur le sens même du travail des enseignants en milieu carcéral. (Est évoquée la question du statut des journaux en milieu carcéral).
DN : Il y a 10 ans, la Direction générale d’Outre-Mer nous a demandé des éléments pour le dépôt légal et la possibilité d’avoir un statut véritable.
Il faut une dimension sociale de reconnaissance.
Sans vouloir faire de politique, il faudrait l’expliquer à l’administration pénitentiaire.
TC : On a parfois à faire face à de très grandes difficultés. J’avais le sentiment, en faisant ces journaux, qu’il était plus dangereux d’aller expliquer pourquoi le déclarer comme un organe de presse reconnu nationalement, qu’en disant tout simplement, c’est un journal scolaire qui ne regarde que l’école.
Dimension sociale, reconnaissance sociale.
CJ : Il y a eu des exemples de journaux « déclarés » qui étaient vendus dans deux librairies de Toulouse, et aussi dans deux kiosques ; c’était très lourd. Il fallait fournir je crois jusqu’à 25 numéros à chaque sortie. Cela crée un effet de dissuasion.
Il y a journal et journal. Certains journaux dans de petites maisons d’arrêt sont très fragiles, en fonction de leur parution, et des contraintes liées à celle-ci.
Intervenant 3 : Si on parle de réalité sociale, je crois qu’on devrait reparler de la censure, dans la mesure où on souhaite qu’un journal corresponde à une réalité sociale,
Il y a une censure qui consiste à dire aux responsables du journal « vous écrivez ce que vous voulez » et l’administration pénitentiaire se chargera de mettre son veto si quelque chose lui déplaît.
Il y a trois niveaux de censure :
- l’autocensure, où l’expression n’est jamais totalement libre,
- le filtre exercé par le comité de rédaction (et là, je ne suis pas d’accord),
- la censure exercée par le chef d’établissement
Intervenant 2 : Il ne faut pas confondre la censure avec les conditions de contrôle. (Il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire, des choses publiques, des noms...). Ce n’est pas se censurer que de se contrôler et ne pas écrire n’importe quoi. On n’a pas le droit d’injurier quelqu’un, de mettre sur la place publique un certain nombre de choses.
Il faut redéfinir ce qu’est la censure. La censure, c’est ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie avec la presse française.
Intervenant 3 : Donc, utilisons le terme de contrôle pour les deux premiers paliers, et celui de censure pour le troisième palier.
TC : On peut parler de différence de contrôle, entre oral et écrit : ce que l’on dit, dans un débat et ce que l’on donne à lire. La censure prend des formes très vulgaires, alors, quand elle s’exerce au niveau du chef d’établissement.
En dix ans, des établissements m’ont censuré, une fois pour une page sur la reprise des essais nucléaires au Pakistan. C’était comme autrefois la France à Mururoa, qui passait outre ses engagements ; une autre fois la pollution de l’eau dans certaines zones de Bretagne ou de Normandie à cause des lisiers de cochon. Nous avions noté « la Générale des eaux a augmenté les prix pour cette zone là », et ce fut censuré parce que la générale des eaux était partenaire du groupement privé du programme des 13000 places.
Autre exemple : le calendrier des prières du ramadan, On avait fait un dossier sur l’euro et on y a inséré le calendrier du ramadan. Ca a fait du foin !
DN : Il faut dire que c’était conjoncturel avec une réflexion pénitentiaire sur « Qu’est-ce qui se passe dans nos prisons ? ». C’est certes marginal, je ne voudrais pas que l’on croie qu’il n’y a pas de censure spécifique quelque part ; il ne faut pas en dire n’importe quoi.
Intervenant 4 : Les résistances institutionnelles sont présentes au quotidien.
Y a-t-il des textes écrits ? Est-ce que ça fait partie des objectifs pédagogiques en cours ? Quelle fréquence de publication adoptez- vous pour essayer de réguler le temps en prison, de mettre des repères, etc. ?
D’autres petites questions également autour des notions de :
- contournement,
- public fragile,
- institutionnel,
- intérieur/extérieur...
Quelle représentation avez-vous de ce public incarcéré ? Est-ce que la priorité de la sortie du journal est obligatoire et à quelle fréquence ?
TC : Ce n’est pas mon objectif, ou je fais en sorte que ce ne soit pas que le mien, mais l’objectif du groupe qui le réalise. Pour le journal des adultes par exemple, j’aide les personnes à le faire.
Ce sont eux qui me sollicitent pour la correction des articles, et le signalement des fautes. Ils me les donnent le lundi soir ou le mardi matin et je le leur rends le mercredi matin. J’en profite alors pour établir des progressions, des choses à revoir etc. Ce sont bien des élèves qui participent à une réalisation en commun.
Question : Je voudrais savoir quel est le temps passé par un enseignant, pour une parution régulière ?
TC : Je fais un mi-temps ; je corrige les articles chez moi. Par contre, pour l’autre mi-temps qui est administratif, je suis disponible... C’est un vrai bazar !
Mon bureau est ouvert, je travaille, les élèves rentrent, que je sois au téléphone ou non, ils demandent ce dont ils ont besoin. C’est ouvert !...
Sur mon mi-temps d’enseignant, je participe à la réalisation de six pages écrites, il y a les jeux et la télé, les petits commentaires ; ce n’est pas infaisable.
Si on le fait tout seul, ça représente cinq à huit heures de travail. Mise en page etc.
Ils sont nombreux : huit rédacteurs de la revue et six pour la revue de presse.
Je rapporte les journaux de la semaine qui précède, ils les lisent, extraient des articles intéressants, écrivent le résumé, et comme ils se forment au traitement de texte, après le premier, puis le second jet, je corrige et le leur redonne le mercredi matin pour le mettre en forme. On peut faire cela à 14 : ce n’est rien du tout !
Je fais la rédaction commune adultes et mineurs. Parmi ces derniers, l’un est chargé de la première page. Les adultes mettent en première page eux-mêmes l’événement qui a marqué le monde ainsi que la personnalité de la semaine. Au-delà des deux choix, une discussion s’instaure, qui soulève les idées à faire apparaître.
Chaque rédacteur continue alors avec le support de son choix pour la première page.
Pour Hector Junior, la deuxième page est faite par une collègue psychopédagogue, les deux dernières par le collègue travaillant dans le quartier mineur avec des personnes travaillant aussi dans le quartier mineur.
Je suis le garant de la sortie de l’objet.
CJ : Il me semble important de préciser qu’à Villeneuve-les-Maguelonne, le niveau primaire est couvert par une unité locale, ainsi que les niveaux collège et lycée. Tony Chavard est le Responsable local de l’enseignement, à demi déchargé.
DN : Pour le Galet, il y a un comité de rédaction qui se réunit le mardi après midi. On apporte les articles cinq ou six détenus, qui font partie du comité de rédaction s’occupent de la mise en page, et de la correction.
Récit d’une expérience d’un journal ayant fonctionné trois ans (un « quasi-cadavre », 10 numéros) pour lequel la censure a fonctionné « à bloc » ; 16 pages, 150 abonnés. Le problème n’est pas ce qui se trouve dans le journal, mais que celui-ci existe. (« l’ombre du zèbre »).
Intervenant : J’aurais une question sur la vie du journal.
TC : La feuille d’« Hector » sort à 750 exemplaires.
Il est distribué dans chaque cellule, le vendredi matin.
Intervenant : Mais il y a un autre problème : le coût.
Réponse : À la fin de l’année, on « tire un peu la langue ». Quand on fait des photocopies « maison », 4 pages à 250 exemplaires reviennent à 250 F. Sur le budget enseignement, c’est difficile. Cela doit correspondre à 60 000 F par an. Se présente alors la nécessité de faire financer par quelqu’un d’extérieur.
La Drac ?
Intervenant : Fait une remarque sur son agréable surprise concernant la longévité et le rythme des deux journaux présentés. Et fait état de sa crainte sur la petite structure de Saint-Malo : 90 détenus, avec un matériel restreint (quelques logiciels de PAO seulement).
« Le numéro 0 sort prochainement. Cette périodicité est extraordinaire pour soi-même, car il est vrai que faire un journal prend un temps fou ! On a peur de ce qu’on écrit, de ce qu’on attend, on ne sait pas trop si ça cadre ou non ».
DN : Au Galet, nous avons commencé avec trois, quatre feuilles seulement.
Autre intervenant : L’exigence de la parution, c’est que ça ne doit pas paraître quand ça peut mais quand ça doit !
TC : Il y a une logique - négative chez les jeunes, de l’immédiateté, dans laquelle ils sont plongés. On peut critiquer pour modifier.
Ne pas oublier que, même sur des périodes très courtes,on peut accrocher un mec sur trois semaines ! Un mineur qui vient pour un mois, on peut l’amener à travailler au journal. Il peut même voir la différence, sur trois numéros, de sa production. Il peut critiquer la forme du journal dans la semaine où il est entré. Ne pas oublier que, même sur des périodes très courtes, on peut accrocher un mec sur trois semaines ! Un mineur qui vient pour un mois, on peut l’amener à travailler au journal.
Il peut même voir la différence, sur trois numéros, de sa production ? Il peut critiquer la forme du journal dans la semaine suivante où il est rentré.
Intervenant : On se débrouille pour sortir un magazine avec un apéro, à la veille des vacances scolaires. Il reprend certaines rubriques, mais pas sous la même forme. Il parle un peu de l’actualité, vue ou non, du moment.
Question sur les détenus déscolarisés : Y en a-t-il qui ne font que le journal ?
Réponse : Oui ! En général, ceux qui ont un certain niveau, d’autres qui ont échoué à un examen, par exemple (un qui a échoué deux fois au Brevet, on ne peut pas lui proposer de continuer au Brevet). Par ailleurs, certains gars ont plus de 15 ans à faire. Le problème, c’est quand ils partent. Certains autres restent longtemps.
Un autre a passé le Bac. À la Fac (au Cned), il a échoué. Il est retenu pour la première page du journal.
Question : Comment s’inscrivent les publics en difficulté ?
Réponse : Il y a plusieurs façons : d’abord, la revue de presse. Il faut savoir lire un minimum et savoir écrire. Actuellement, il y en a deux qui écrivent phonétiquement. Ils sont capables de prendre l’information sur le journal - je ne veux pas savoir de quelle manière, visuellement, match de foot à la télé, etc. - capables de sortir quelques lignes. Moi, j’en ai profité pour leur monter une progression (règles de grammaire etc.).
On a l’idée que les familles B et C y accèdent. À plus ou moins long terme (dans l’immédiat, impossible).
Remarques sur les différences de tâches attribuées aux membres de l’équipe d’un journal.
TC : J’ai travaillé avec des gars de très bas niveau qui se chargeaient eux-mêmes du photocopiage et de l’organisation de la distribution. Cela ne me semble pas disqualifiant. L’objectif n’estil pas de développer la lecture ? J’ai invité certains collègues à faire paraître, sur ces deux pages, ce qu’ils veulent : l’un qui faisait de la philosophie, des concours deux/trois fois par an, le Génépi, qui vient, de temps en temps, pour de la biologie, ou de l’-
histoire...
On peut, effectivement, imaginer. (l’idée étant de montrer que le journal était ouvert aux enseignants qui le souhaitaient) que certains en profitaient, d’autres non...
En histoire contemporaine, chaque mois, le conférencier laisse un texte qu’on retape.
Mais on pourrait imaginer une demi-journée de plus pour rester avec les élèves et travailler avec eux.
Question : On a tendance à penser que l’intérêt se situe du côté du rédacteur.
Réponse Pourquoi pas du côté du lecteur ? Un groupe de bas niveau finira par entraîner des personnes.
Question : Celui qui écrit doit savoir qu’il doit être lu.
La brièveté est nécessaire, pour maintenir l’intérêt, mais aussi la clarté. En tant qu’objectif pédagogique, c’est d’abord un moyen d’expression.
Participant : (Lit un poème du journal). « Quand je lis cela, je trouve que ce poème a d’abord été écrit pour lui, l’auteur. »
Question : Peut-on comparer avec un journal de presse ?
Réponse : On a des missions dans le milieu pénitentiaire qui sont d’intégrer les publics de bas niveau. C’est un bain culturel. Dans un journal, on peut faire que quelque chose se mixte (poésie etc.).
TC : Pas d’accord ! Il faut définir au préalable (cf. « Hector », fenêtre sur l’extérieur). Quelque chose de mélangé rend le journal illisible. Par exemple, lors de la Coupe du Monde, nous avons tardé pour relater l’événement. Du coup, l’intérêt en a été annulé.
Si l’intérêt est d’être lu, notre intérêt d’enseignant est de structurer, avec des règles et des étapes à franchir... Les élèves font leur emploi du temps eux-mêmes qui est un repère. C’est à eux, ensuite, de s’organiser pour réaliser ce à quoi ils se sont engagés, sinon c’est du bricolage de dernière minute.
On a commencé le journal ; en annonçant qu’il y avait une école. (« Vous pouvez passer le bac »). Le journal est un outil pédagogique (exemple « arrivée de l’Euro », ou « l’arrêt des frappes de guerre »).
Tout le monde peut s’exprimer à condition que le journal paraisse.
Questions sur l’existence de matériel (scanner, photocopieur etc.)
Réponse : Dans un lieu, il en existe un, dans l’autre, il en existe un également mais « cadenassé ». Il ne doit pas être en libre accès.
Un intervenant souligne que dans certains lieux, les photocopieuses sont interdites.
Remarques sur des budgets d’enseignement parfois étriqués (« à la fin de l’année on tire la langue »)
TC : Le directeur d’établissement a demandé que mon budget soit doublé cette année. (et il n’a pas été suivi par sa direction régionale... !)
Des exemplaires du Galet et d’Hector sont mis à la disposition des participants.