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Billets d’humeur

A propos de l’émission "Envoyé Spécial" : une aussi longue peine.

Mise en ligne : 12 mars 2003

Texte de l'article :

C’est plus qu’un malaise que j’ai ressenti à regarder ce morceau de bravoure. Peut-être parce que dès le début j’ai reconnu le dénommé MAX, (surnom donné par les journalistes pour préserver l’anonymat), fort mal masqué sur l’image : c’était AT. Reconnaissable par moi, car je l’ai rencontré à la maison d’arrêt de GRADIGNAN, et aussi à son accent “bordeluche” qui m’est tout à fait familier. Reconnaissable sans doute, tant le flou était léger, par ceux qui ont vu, en particulier dans le Figaro, la photo du “tueur en cavale”.

Je savais donc qui c’était et qu’il était en cavale. J’ai donc, peut-être, regardé le reportage avec l’idée d’un début de commencement d’explication à cette fuite : j’ai été servie ! La façon dont on traite un homme qui sort d’une très longue peine m’a scandalisée.

Alors, j’ai décidé de dire ce que j’ai sur le cœur. Tout simplement en regardant au plus près ce qui s’est passé sous mes yeux et que, d’instinct, j’avais enregistré. Je ferai donc ici un reportage sur le reportage.

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MAX, donc, sort de CLAIRVAUX pour une première permission destinée à préparer sa sortie en libération conditionnelle.

La voix off d’une journaliste, posée sur les images, nous dit qu’au début il était filmé à son insu car :

- Nous n’avons eu aucun moyen de le prévenir.

Bon. Mais ils savaient très exactement le jour et l’heure de sa sortie. Par qui ? La pénitentiaire ? La justice ? L’association qui le prenait en charge avec deux de ses salariées ? Association créée par Jacques LEROUGE, l’APERI, Aide aux Personnes en voie de RéInsertion et qui sera présente tout au long du reportage sur AT ? Va savoir....

Voix off :

- Après quelques instants de discussion, MAX accepte de témoigner. Il souhaite l’anonymat par égard pour ses victimes.

Nous allons le suivre, escorté de deux jeunes femmes ; Nadia et Jessica, salariées, nous dit-on, d’une association pour la réinsertion des longues peines.

Déjà j’étais mal à l ‘aise en me mettant un peu à la place d’AT qui pour ses premiers pas dehors faisait chacun de ses gestes sous le regard de journalistes : pour une première bouffée de liberté, quelle contrainte !

Les premiers mots d’AT devant la caméra :

- Me voilà dehors, sans menottes et sans chaînes. Quand je sortais, c’était en convoi, avec entraves des mains et des pieds et une escorte... Ma dangerosité a disparu, c’est deux petites nénettes qui viennent me chercher... sans escorte. Je suis sidéré... On change de statut.

Le premier repas d’AT : des fruits de mer, souvenir de sa jeunesse

AT :

- Ça faisait partie de mon arsenal de dragueur, de mon programme de séduction...

La voix off commente : Comme un enfant il doit apprendre à regarder avant de traverser. De fait, on voit AT traverser de façon un peu précipitée suivi en catastrophe de son escorte féminine.

[Nous y voilà. AT est comme un enfant. Notez bien, je m’y attendais]

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Il a donc rendez-vous à l’association.

Voix off :

- Là encore, on voit que la prison a laissé des traces : MAX est conditionné, bien plus qu’il ne veut l’admettre. En effet, on voit AT exiger gentiment de faire quelques pas après ce repas plus riche que ceux de la prison : les nénettes sont sur la défensive Elles auraient sans doute voulu le rembarquer vite fait dans la voiture. L’une d’elle souffle :

- Bon , allez-y et puis on repart.

Pas le plus petit accroc au programme. Ce sont elles qui sont conditionnées, à mon avis. Ces permissions où le prisonnier est transformé en toutou en laisse, ça m’a toujours paru dégradant.

Donc, direction, tout d’abord, le foyer qui accueillera le prisonnier en semi liberté. Là, je me pose une question ; sachant qu’il serait “logé” au centre de semi-liberté, était-il nécessaire, au moins dans ce premier temps, de lui faire visiter un logement collectif dont il n’aurait pas l’usage dès sa sortie ? Était-il nécessaire d’entasser en si peu de temps sur ses rêves d’homme libre contrainte sur contrainte ? Ou était-ce une des idées des médias en accord avec l’association, simplement pour les besoins du reportage ? J’ai mauvais esprit ? Peut-être, mais je maintiens ce questionnement.

Le directeur du foyer lui fait donc visiter les lieux. La voix off précise, à juste titre à ce que je vois, que MAX suit docilement la visite, car il préfèrerait un appartement en ville pour se sentir vraiment libre. On peut le comprendre. Enfin, dans ce foyer on a sa clé !

Voix off :

- Il rêve déjà d’un autre avenir. Il veut s’inscrire à un club de jeux pour faire des rencontres... Au pis aller ce foyer.

Voix off :

- Quel serait pour vous le meilleur des cas ?

AT :

- Retrouver une femme. S’insérer, c’est reconstruire une famille ;

L’une des deux nénettes sourcille.

- Il faut d’abord vous reconstruire vous-même.

AT :

- Je pense que je ne peux pas avoir été déstructuré par la prison... en prison, je me suis structuré.

- Justement , dit-elle, vivement.

Le sent-elle lui échapper en quelque sorte ?

AT :

- Peut-être faut-il que je me reconstruise différemment ?... Mais rien de mieux qu’une femme pour se reconstruire.

[Il faut être docile, mon brave ]

La nénette hésite un peu dans le choix de ses mots :

- Une des conditions de la réussite de votre réinsertion, c’est d’y aller doucement... parce qu’il y a un paquet d’années quand même ! c’est énorme quoi !

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Voix off :

- Pour obtenir une libération conditionnelle, il faut un travail. MAX aura un emploi d’agent d’entretien en CES dans l’association. Salaire : 430 €.

Nous voyons alors AT faire la démarche d’une demande de RMI avec l’aide de Nadia pour remplir le formulaire. Comme s’il ne savait pas lire. D’ailleurs son aide semble paumée : à la case “situation professionnelle”, elle ne sait pas quoi lui faire inscrire : puisqu’il aura un CES mettons “agent d’entretien”. Non, finalement on lui fait écrire “je sors de prison” !

[Voilà donc le bracelet social en lieu et place de l’électronique, tout pour entraver la liberté, pour marquer l’individu]

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On assiste alors à un interrogatoire kafkaïen par une permanente d’accueil de l’association qui constitue sans doute son futur contrat de travail.

- Vous avez un avis d’imposition ?

- Non

- Vous une carte bancaire ?

- Non

- Vous avez un chéquier ?

- Non. Je ne suis pas interdit bancaire, tout simplement je n’ai jamais eu de compte en banque, ce sera le premier que j’aurai en travaillant ici.

[Sourions un : avant, il allait chercher tout ça dans les coffres, directement : pas d’agios !]

Pourquoi poser des questions aussi bêtes dans une association qui est en contact permanent avec des sortants de prison ? Encore les besoins d’une émission soigneusement préparée ?... Pour ma part j’ai très mal reçu cet entretien bidon cumulant de petites humiliations gratuites.

- Vous semblez assez sûr de vous quant à vos capacités à réussir et à emmagasiner très vite toutes les choses de la vie que vous ignorez.

[Toujours ce cliché de l’infantilisation... ]

AT : - Je ne sais pas si c’est l’impression que je donne. Je n’ai aucune anxiété face à l’avenir... Tout simplement parce que ce qui me paraît difficile à moi, c’est de survivre en prison, de vivre en prison, de résister à cette usure, à cet enfermement, à cette destruction de l’être. Une fois qu’on est à l’extérieur tout me semble facile.

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La permission touche à sa fin.

Voix off :

- Après une nuit sans sommeil, il vit les dernières heures de sa permission. Il demande à s’arrêter devant un bureau de poste où il glisse quelques cartes postales. Une des nénettes lui demande :

- À qui avez-vous écrit ?

(De quoi je me mêle ? J’ai souvent ressenti, chez mes anciens collègues travailleurs sociaux une espèce d’instinct de possessivité qui s’insurge chaque fois q’une parcelle de ce pouvoir semble leur échapper sur la personne qu’ils “protègent” ; de façon, à mes yeux, totalement irrespectueuse de la personne]

AT (un peu sur la défensive) : - Oh, à des personnes qui me sont chères et auxquelles je souhaite faire parvenir quelques petits mots, mes premiers mots d’homme libre.

[Docilité, docilité....]

Voix off :

- Vous êtes dans quel état d’esprit au moment de repartir à la centrale de CLAIVAUX ?

AT :

- Je m’étais conditionné....

[Je ressens, effectivement, une relation étrangement fausse, et désobligeante à tout le moins pour cet homme qui fait ses premiers pas dehors tant d’années d’enfermement. Je pense à ce que j’ai vécu avec mon homme, il y a douze ans. Lui aussi perpète. Il est sorti d’un seul coup, sans permission préalable. Parce qu‘il avait une femme et de la famille. Il n‘avait pas eu à chercher un logement. Certes, on s’attendait à ce que le petite bourgeoise venue se donner des frissons au parloir le laissât tomber ou que ce fût lui qui se carapate. On m’avait contrainte à réitérer ma volonté vraie, devant officier de police et sur PV, de vivre avec lui. nous nous étions mariés en prison. Il avait les contraintes de la conditionnelle. Mais il n’était pas passé par cette période de sûreté qu’est la permission encadrée par une association, ce substitut de famille étroitement lié à la justice. Une étape visiblement destinée à briser les rêves, les aspirations, et même la dignité. Voir cet homme ballotté comme un incapable m’a affligée tout au long de ce reportage. Dès sa sortie, mon homme a eu les clés de la voiture, permis récupéré, et ma carte bancaire : il ne m’est pas venu à l’idée de lui dire comment s’en servir. Il sait lire que je sache. Mais, moi, je le respectais, et j’étais très attentive à ne pas l’humilier... ]

Le premier reportage s’achève. La voix off conclue :

- Il arrive juste à l’heure. Il a l’air bien agité. Presque pressé de retourner en prison. Dans un mois, sauf incident, il sortira pour une période de semi-liberté de six mois. Nous serons là pour l’attendre.

[Au lieu de bras chaleureux, l’association et les caméras... Faut aimer]

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Deuxième reportage. Jacques LEROUGE vient chercher AT/Max à CLAIVAUX.

La voix off précise :

- Jacques LEROUGE a été condamné à mort pour avoir tué un homme lors d’une cavale. Il a passé dix-huit ans en prison dont trois à CLAIRVAUX. Qui mieux que lui, l’ancien braqueur, peut savoir ce que va vivre MAX ?

Comme l’avait fait mon mari, AT sort le dos tourné à l’extérieur : cela m’avait fait bien rire à l’époque : ils sortent en traînant leur parquetage. Rien à voir avec l’image radieuse du prisonnier qui sort en regardant, ébloui, le soleil de la liberté, les bras tendus vers sa famille éperdue d’émotion...

Jacques :

- Vous êtes habillé comme pour un dimanche.

On va lui reprocher sa façon de s’habiller à cet homme qui vit enfermé depuis 27 ans. Il en arrivera à changer de look, pour satisfaire aux exigences de cet entourage....

Nous nous retrouvons dans la voiture.

Voix off :

- C’est un vrai moulin à paroles ! (Toujours cette condescendance amusée). Jacques LEROUGE écoute, à la fois ému et amusé. Il se souvient de sa propre sortie.

Jacques :

- Faire sortir une longue peine c’est pour moi comme si je sortais à nouveau..

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AT va donc effectuer sa semi-liberté comme ouvrier d’entretien dans les locaux de l’association.

Voix off :

- Jacques LEROUGE tient à mettre tout de suite les points sur les i.

Alors commence un moment important de ce parcours que je regarde avec une vraie gêne. L’ancien taulard conduit le sortant dans les couloirs ;

Jacques :

- Ici, vous avez mon bureau...

Jacques LEROUGE vouvoie le prisonnier à peine un peu libre. On pose les distances en même temps que les conditions. En regardant ça, je pense à mon homme : quelle chance il a eu en sortant d’avoir de l’amour et pas une distante présence liée à la Justice. Je me pose une question sans réponse : est-ce bien le rôle d’un ancien prisonnier de jouer les interfaces entre un autre prisonnier et la Justice ? Mais, bon, pourquoi pas ?

Jacques :

- On vous a offert une nouvelle vie. On est bien d’accord ?

AT esquisse un remerciement à l’intention de Jacques qui continue :

- C’est la société qui vous donne... pas une nouvelle vie, mais la dernière...

Il prononce ces mots le doigt levé, comme un maître d’école qui menace le gamin.

- C’est la dernière vie qui vous reste, c’est la dernière carte qu’il y a à jouer... Je ne ferais pas mon boulot si vous retourniez au trou quoi... Je suis celui qui va vous enquiquiner, mais avec beaucoup d’amour. C’est pas de la tarte, six mois ;

AT sorti de la pièce, Jacques va se confier à la journaliste.

Voix off :

- Jacques LEROUGE sait que comme tous les sortants de prison MAX se fait beaucoup d’illusions. Il se voit déjà écrivain ou, pourquoi pas , attaché de direction.

Jacques : - Quand il était en prison, c’était quelqu’un, c’était un caïd, entre guillemets. Avec toutes les études qu’il a faites, y a pas de problèmes, il sort de l’ordinaire en prison. Ici, il va s’apercevoir qu’il n’est pas extraordinaire, qu’il est un numéro lambda encore plus anonyme dans la société que dedans. .. Il va faire des travaux manuels. Dans 2/3 mois, quand le soufflet va tomber, on va l’amener vers des travaux plus intellectuels qui vont le valoriser....

[Alors, là, je suis consternée. Alors, il faut encore le casser, le rabaisser, le “dégonfler”. S’il a des acquis intellectuels pourquoi ne pas lui avoir trouvé dès sa sortie un travail qui lui permette, justement, d’avoir le sentiment qu’il n’a pas fait tout ça pour rien ? Pourquoi ce passage par la case lavage de crâne ? Essorage de la volonté par mesure de sa capacité à résister à une dévalorisation systématique et “pédagogique“ ? Et le tout cautionné par un ancien taulard. Les bras m’en tombent.]

- Notre boulot ajoute-t-il, est inversement proportionnel : quand il va commencer à descendre, nous, on va monter la mayonnaise.

[On croit rêver à entendre dire, tranquillement qu’il faut le faire “descendre”, autrement dit l’humilier, l’obliger à se coucher aux pieds, pour lui donner sa chance... Je suis navrée, indignée. Oui, pour tout homme, de tels propos sont indignes. De quel droit des gens s’arrogent le libre pouvoir de déstructuration d’un autre au nom de la morale sociale ? La sortie, c’est donc le goulag obligatoire quand on a la malchance de ne pas avoir de tendresse agissante pour vous recevoir ?]

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Cinq semaines plus tard...

Voix off  :

- Comment ça va depuis la dernière fois qu’on s’est vus ?

AT :

- De jour en jour de mieux en mieux...

Voix off (en direction des téléspectateurs) :

- Sur le chemin du travail, une chose saute aux yeux : il a totalement changé d’apparence. Nouvelles chaussures, nouvelle veste.

AT :

- Mon entourage va tout à coup être satisfait de constater que je m’habille moins flash, moins voyant, plus ordinaire, plus travailleur.

Voix off :

- Vous vous trouviez trop flash ?

AT :

- Non, pas moi. Mais on me disait que je n’étais plus de l’époque.

[Docile, AT. On va jusqu’à lui suggérer “l’uniforme” d’honnête travailleur manuel ! On ne fait pas des raccords de peinture en costard-cravate, pas vrai ?]

Voix off :

- La première fois qu’il a fait le trajet seul, il s’est perdu, mais maintenant il a fini par trouver ses marques. Pour l’instant, il fait de l’entretien et de petites réparations. Comme son look, son discours a évolué. Il admet avoir eu à faire face à des difficultés imprévues.

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Nous le retrouvons à table au milieu des “collègues” de l’association. Il reconnaît, dit la voix off, avoir eu les yeux plus grands que le ventre. [Sacré petit gamin, va !]

AT :

- Je pensais que j’aurais au bout d’un mois déjà commencé à me reconstruire un foyer, localisé un logement, trouvé un boulot plus intéressant financièrement, et je n’ai pas évolué aussi vite que je le pensais.

Voix off :

- Pour Jacques LEROUGE, tout se passe comme prévu, son protégé est en train de tomber le masque.

[Ah ! oui. Le petit gamin a eu les yeux plus gros que le ventre : quel mépris bien pensant ! Et on en rajoute : il tombe le masque, ce faux jeton...]

Jacques :

- Au point de vue du comportement, il est déjà mieux. Il est moins artificiel. Le personnage qu’il s’était construit entre les murs est en train de se fissurer de partout. [comme il dit, avec beaucoup d’amour !]. Il va acquérir, dans les 2 ou 3 mois à venir, un nouveau personnage , qui est, on l’espère, le vrai. Celui de Monsieur Tout le Monde, de façon à ce qu’il se rende compte que dans la rue il est un citoyen comme tout le monde pour un citoyen qui passe.

[Quelle condescendance vis à vis de l’homme que l’on tient en laisse !]

Nous allons suivre encore quelque temps l’homme à la casquette de travailleur qui aime se promener au marché et qui se rend compte que son charme n’attire plus les femmes jeunes.

- Je suis un vieux, dit-il, il va falloir que j’oriente mes regards sur des femmes de mon âge...

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Conclusion : AT s’est fait la malle ! Ça vous étonne ? MAX a-t-il été nommé ainsi par les journalistes car ils savaient en montant le reportage qu’AT s’était mis en cavale, un dimanche soir. Il avait omis de regagner le centre de semi-liberté... Peut-être une nénette l’a-t-elle entraîné vers Cythère ?

Tu avais raison, AT. Des moralisateurs compassés en guise de famille après tant d’années pour t’attendre à la sortie, c’est pas le mieux. La semi-liberté, après tant d’années d’incarcération et organisée avec cet amas effarant de petites vexations, d’une dépersonnalisation forcenée et délibérée, bien pensante, c’est juste pour donner bonne conscience à ceux qui t’ouvrent la porte à contrecœur.

Prends bien soin de toi, vieux, on ne te ratera pas....

Duszka Maksymovicz