Rapport 2005 : les conditions de détention en France - Chapitre Addictions
OIP/La découverte, 2005, 288p.
Confrontés à un public davantage touché par les conduites d’addiction que le reste de la population, les services pénitentiaires et sanitaires peinent à assurer une offre de soins satisfaisante. Dans un contexte où les pratiques professionnelles sont systématiquement subordonnées aux impératifs de sécurité, les détenus ne peuvent se prévaloir d’une égalité de traitement. De par ces carences, loin de constituer une opportunité de prise en charge médicale, l’emprisonnement pour les usagers de drogues accroît finalement leur vulnérabilité sociale.
Contexte
Engagée en 2000, la « stratégie sur les drogues » de l’Union européenne supposait que la France « s’engage formellement » d’ici 2004 « à offrir aux détenus des possibilités de soins médicaux comparables à celles offertes hors de la prison » [1]. Pour concrétiser cette exigence communautaire, une note interministérielle [2] a redéfini, le 9 août 2001, les orientations relatives à la prise en charge des personnes incarcérées ayant des problèmes d’addiction. Cinq axes principaux ont été dessinés : le repérage systématique de situations d’abus ou de dépendance de produits psychoactifs, la proposition d’une prise en charge adaptée à chaque détenu, le renforcement de la prévention des risques, la préparation à la sortie et la proposition d’aménagements de peine. En décembre 2004, dressant le bilan de l’application de cette note, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a constaté que ces engagements étaient restés, pour une large part, sans suite. « Le principe de continuité de soins entre milieu carcéral et milieu libre n’est pas encore acquis dans l’ensemble des établissements pénitentiaires » [3], a conclu l’organisme de référence à l’issue d’une enquête qui a concerné 157 sites. Reconnaissant qu’une « réflexion » avait été engagée dans une grande partie d’entre eux, il a relevé que « la formalisation d’un protocole de prise en charge des détenus présentant un problème d’abus ou de dépendance », visant à améliorer la coordination des intervenants, « n’était pas encore pleinement réalisé à la fin de l’été 2003 ». La prise en charge sanitaire et sociale des personnes présentant une dépendance aux produits licites ou illicites ou ayant une consommation abusive rencontre, en effet, encore de nombreux obstacles. Le repérage des situations de dépendance est loin d’être pratiqué systématiquement et bien que 86 % des établissements soient en mesure de prescrire des consultations spécialisées en toxicomanie, l’OFDT déplore l’« articulation insuffisante des services intervenants et de persistantes difficultés pour généraliser l’accès à la substitution ». Conscients de ces déficiences, les ministères de la Santé et de la Justice ont été contraints, en avril 2004, de réaffirmer la nécessité de mettre en œuvre les « orientations » de la note de 2001, dans un Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues [4]. Dans son Plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) a du s’obliger au même exercice. Ainsi, ce plan rappelle que, « conformément à la note interministérielle du 9 août 2001, un repérage des dépendances aux substances psychoactives doit être réalisé par les services sanitaires de l’établissement pénitentiaire dès le début de l’incarcération ». Prenant acte, comme l’OFDT, du fait que « de nombreuses actions ont été menées », la MILDT les considère néanmoins « disparates », « éparses » et « incertaines ». Celle-ci réitère donc son invitation au développement d’un partenariat avec les acteurs de santé publique en addictologie, à la formation des personnels, à l’accompagnement à la sortie, aux programmes de prévention et de réduction des risques en milieu carcéral [5]. Des préconisations formulées de longue date dont le rappel témoigne du retard et des carences qu’endure la mise en œuvre d’une politique de soins aux personnes toxicomanes incarcérées. Cette situation n’est pas sans conséquences pour les détenus concernés comme pour toutes les personnes qui travaillent ou interviennent en milieu carcéral. « La particularité des problèmes que génère la drogue est l’extension du nombre de personnes qu’elle concerne, qu’il s’agisse du ravitaillement, des moyens de paiement, ou des consommateurs. » Au travers de ce constat inséré dans un récent rapport sur la violence carcérale [6], des sociologues exhortent les différents acteurs du champ pénitentiaire à sortir du stéréotype selon lequel une relative tolérance en matière de consommation de drogue se justifierait par ses bénéfices escomptés en termes de pacification des relations. Selon ces chercheurs, « l’entrée de la drogue en prison a les effets les plus dangereux pour l’ensemble de la collectivité, pour les détenus et pour les personnels de surveillance, parce qu’elle permet à ceux qui trafiquent de tenir en coupe réglée un nombre important de détenus et qu’elle est à l’origine de violences diverses. » La circulation de la drogue intra-muros est « à l’origine de racket, compte tenu de la dépendance des consommateurs et de désordres multiples, de règlements de compte dedans et dehors, de bagarres, etc. ». Un tel diagnostic suggère que la réflexion porte autant sur la nature de la prise en charge médicale des personnes incarcérées que sur la recherche d’alternatives à la détention. « Les personnes souffrant d’une dépendance aux opiacés connaissent des besoins et expriment des demandes qui appellent des réponses d’ordre sanitaire et social », souligne en effet le préambule d’une conférence de consensus organisée en juin 2004 [7]. Une évidence écartée par l’institution judiciaire, comme l’indique l’évolution des chiffres relatifs au traitement pénal des questions de toxicomanie. En 2003, 26 745 condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), dont 6 338 pour simple usage, ont été comptabilisées. Des statistiques en forte hausse par rapport à 2002 : 22,8 % pour l’ensemble des ILS (21 777 condamnations) et 34,6 % pour le simple usage (4 707). En outre, 76,5 % des sanctions infligées en 2003 se sont révélées être des peines d’emprisonnement. Dans ce contexte, l’OFDT a néanmoins tenu à souligner la baisse du nombre d’incarcérations pour usage [8]. Une tendance que certains députés de l’UMP ont voulu parachever en proposant, en juin 2004, une réforme de la loi de 1970 [9] qui envisage la « suppression de la prison pour simple usage » [10]. Mais, outre le fait qu’elle n’a finalement pas été adoptée, cette proposition de loi visait moins à limiter la répression de l’usage de drogues qu’à susciter une réponse pénale systématique, par le biais notamment d’une amende. En effet, dénonçant la « quasi-impunité en matière de consommation de stupéfiants », les parlementaires jugeaient que cet « encouragement implicite » n’était « pas acceptable ». Pourtant, cette évolution a été envisagée un temps par les pouvoirs publics. Lors de son audition le 23 avril 2003 par la commission d’enquête du Sénat sur les la politique de lutte contre les drogues illicites, le ministre de l’Intérieur avait souhaité « gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement à l’encontre de simples usagers ». Mais cette perspective a finalement été écartée dans le plan quinquennal de la MILDT, « un changement législatif visant à contraventionnaliser l’infraction pourrait être interprété comme le signe d’une faible dangerosité des stupéfiants ». Une optique répressive partagée par le ministère de la Justice, comme le démontre la circulaire adressée par Dominique Perben aux procureurs de la République, en avril 2004. Dans cette dernière, le garde des Sceaux a préconisé une « réponse systématique », graduée selon des motifs dont les contours se caractérisent par leur imprécision. Il évoque en effet l’usager de drogue qui, ayant dépassé le stade de la « simple expérimentation », est trouvé en possession de « très faibles doses de stupéfiants » dont la consommation se fait dans un lieu « devant faire l’objet d’une surveillance particulière (école, prison) ». Ainsi, au terme de cette circulaire, un usager de cannabis incarcéré qui poursuit une consommation lors de sa détention devra faire l’objet de poursuites pénales « à vocation dissuasive ». Outre qu’elle n’autorise aucun espoir quant à la baisse du nombre global de personnes pénalisées pour leur consommation de produits illicites, cette approche s’inscrit en faux au regard de toutes les recommandations officielles en matière de politique sanitaire et leurs multiples appels à la mobilisation des acteurs de santé publique. Rapportée aux réalités observées dans l’univers carcéral, elle rend encore plus difficile l’application des directives de 2001. Qui plus est, cette démarche laisse de côté à la fois les personnes toxicomanes incarcérées pour d’autres infractions liées à leur dépendance, et les facteurs proprement carcéraux de consommation de drogue ou de produits de substitution. Une étude publiée par l’OFDT en juin 2004 [11] a montré qu’une partie des consommateurs de produits de substitution à l’héroïne en prison n’étaient pas toxicomanes avant leur incarcération. « A l’inverse de l’initiation dans un cadre relationnel où le lien à la personne prime sur l’environnement, explique l’étude, en situation d’incarcération, le contexte carcéral prend une place prépondérante dans ce qui va constituer l’empreinte du début de la consommation », le Subutex© permettant alors « de supporter l’insupportable ».
Le 5 juillet 2004, placé en détention provisoire à la suite du braquage d’une pharmacie avec un pistolet en plastique afin d’obtenir un traitement de substitution à l’héroïne, un jeune toxicomane de 28 ans a fait l’objet d’une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Laval (Mayenne). Lors de sa plaidoirie, son défenseur, Me Michel Barbary, a alerté les magistrats sur les conditions de prise en charge des usagers de drogue en milieu carcéral, déclarant notamment : "Si les prisons étaient efficaces, elles seraient vides alors qu’elles sont surpeuplées. Mon client est malade, l’envoyer en prison, c’est n’importe quoi !" Son appel a été entendu. En dépit de la réquisition du substitut du procureur qui réclamait douze mois d’emprisonnement dont six avec sursis, le jeune homme a été condamné à une peine de dix mois avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve de deux ans et d’une obligation de soins.
La population incarcérée se caractérise par une prévalence élevée des phénomènes d’addiction à l’entrée en prison. Selon une enquête du ministère de la Santé menée en 2003 auprès des personnes entrées en prison [12], huit entrants sur dix ont été jugés « en bon état de santé général » lors de la visite médicale à leur arrivée. Pour autant, constate l’étude, « ils déclarent beaucoup plus de consommation de substances psychoactives - alcool, tabac, drogues illicites, médicaments psychotropes - que l’ensemble de la population » et « pour le quart d’entre eux, des consommations qui se cumulent ». Au regard de la précédente enquête de 1997 qui avait également porté sur la visite médicale d’entrée dans les maisons d’arrêt, la prévalence des consommations à risque de substances psychoactives « a eu tendance à diminuer ». En 2003, un tiers des entrants (33,3 %) déclare avoir consommé des drogues illicites de façon régulière et prolongée dans l’année précédant leur incarcération, du cannabis le plus souvent (29,8 %, en hausse par rapport à 1997), des opiacés (6,5 %, en baisse), de la cocaïne ou du crack (7,7 %, en baisse), des médicaments « utilisés de façon toxicomaniaque » (5,4 %, en baisse), et du LSD, de l’ecstasy, des colles ou solvants (4 %, en hausse). En matière d’alcool, plus d’un entrant sur trois (30,9 %) déclare une consommation excessive lors de la visite médicale d’entrée. En ce qui concerne le tabac, près de quatre entrants sur cinq (77,8 %) déclare fumer du tabac quotidiennement et un sur sept (15 %) consomme plus de 20 cigarettes par jour. Selon les déclarations des entrants qui font état d’une polyconsommation, il apparaît que l’association la plus fréquente, alcool et drogues illicites, « concerne un peu plus de la moitié » d’entre eux et que 42 % des usagers de drogues illicites ont déclaré une consommation excessive d’alcool. Près d’un entrant sur cinq cumule l’usage d’au moins deux substances psychoactives, 7,8 % par exemple ont une consommation excessive d’alcool adjointe à une utilisation prolongée et régulière de drogues illicites dans l’année précédant l’incarcération, 5,3 % en cumulent trois, 2,1 % par exemple cumulent une consommation excessive d’alcool adjointe à une consommation de plus de 20 cigarettes par jour et une utilisation prolongée et régulière de drogues illicites dans l’année précédant l’incarcération et 1,1 % en cumulent quatre.
A Nanterre (Hauts-de-Seine), la politique du procureur de la République en matière de répression de l’usage de stupéfiants ne s’arrête pas aux portes des prisons. Toute découverte de cannabis dans un établissement pénitentiaire doit « mener le détenu en comparution immédiate avec une peine ferme à la clé ». En 2004, plusieurs personnes incarcérées à la maison d’arrêt de la ville se sont vus infligées une peine supplémentaire d’un an et quatre mois de prison ferme pour détention de stupéfiants. Tout titulaire d’un permis de visite mis en examen pour des faits similaires s’expose, en outre, à un mois d’emprisonnement ferme.
En matière d’offre de soins aux personnes addictives, les services pénitentiaires et sanitaires manquent de moyens et de structures spécifiques. Certains établissements en sont réduits à ne compter que sur la mobilisation du secteur associatif. Alors même que, selon les chiffres fournis par les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) à l’OFDT, 34,7 % de détenus seraient en proie à un problème d’addiction tous produits confondus [13], l’enquête du ministère de la Santé auprès des entrants a montré que seuls 6,3 % d’entre eux ont été orientés vers une consultation spécialisée liée à un usage problématique de drogues illicites et 6 % pour une consommation problématique d’alcool. Le repérage systématique des entrants présentant une conduite addictive préconisé tant dans la note de 2001 que dans le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues est loin d’être une réalité. Dans certains établissements, il est assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et non par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA). L’usage d’un outil de diagnostic commun (dit « grille mini-grade ») n’est pas systématique et, selon la MILDT, « la bonne utilisation » de cette grille est « encore incertaine ». Ainsi, selon un rapport de 2003 portant sur les prisons de l’Oise [14] (maisons d’arrêt de Beauvais et de Compiègne, centre pénitentiaire de Liancourt), « les professionnels » jugent cette grille « trop longue d’utilisation avec une moyenne de quinze minutes pour un détenu usager de plusieurs produits ». Celle-ci n’est donc « pas utilisée ». L’accès aux soins est à ce point disparate que de nombreuses personnes incarcérées n’ont accès à aucune forme de prise en charge autre que médicamenteuse. Ces constats constituaient déjà la raison d’être de la note interministérielle de 2001 qui affirmait la « nécessité d’une plus grande coordination des services appelés à intervenir, tant au sein de la prison qu’au dehors » en vue de pallier au caractère « dispersé » de la prise en charge qui « ne permet pas la mobilisation qui pourtant s’impose ». En matière d’offre de soins, le bilan dressé par l’OFDT est pour le moins mitigé. Il apparaît ainsi que 15,3 % des établissements n’ont initié aucune démarche et qu’un état des lieux des besoins n’a été initié que dans 55 % des structures. Et lorsqu’un protocole d’action a été mis en place, il a « permis de formaliser l’existant » mais n’a pas suffi, « quand la collaboration était problématique, à modifier la situation ». Lors de l’enquête de l’OFDT, certains établissements ont justifié leur réticence à la mise en place d’un protocole par « l’incompréhension de l’intérêt de la démarche » jugée « trop lourde et contraignante alors que nombre de postes sont non pourvus et/ou remplacés, le tout sur fond de surpopulation carcérale » par les intervenants. Dans un cas, le médecin-inspecteur de santé publique a même indiqué que les personnels « ne considèrent pas le problème de la toxicomanie comme prioritaire ». L’OFDT signale également la sous-information des DDASS quant à l’organisation des soins à l’entrée. En effet, 30 % d’entre elles, dont cinq ayant participé à l’état des lieux, se sont révélées incapables de dire qui était en charge du repérage. En outre, un établissement sur cinq (23,8 %) a fait part de sa difficulté à constituer un état des lieux partagé, préalable indispensable à la réalisation d’un protocole de prise en charge. L’absence de réponse quant à l’estimation des personnes présentant une conduite addictive s’est élevée à 52 %. Le motif principalement évoqué par les intervenants est le manque d’effectif, la « pénurie médicale » des départements. De nombreux établissements mettent également en avant l’absence de données de suivi sanitaire, social ou judiciaire, le manque de savoir-faire, mais aussi la réserve de certaines UCSA quant à la possibilité de partager le secret médical dans le cadre d’un protocole, notamment en cas de mauvaises relations entre l’UCSA et le service médico-psychologique régional (SMPR). D’autres pointent aussi la difficulté de motiver le personnel à engager un projet d’intervention du fait des « phénomènes de trafics » qui « rendent illusoire toute prise en charge et démotivent complètement les équipes médicales et para-médicales ». Le manque de structure de prise en charge spécifique est criant. Pour l’ensemble du parc pénitentiaire, on ne compte que quatre antennes d’alcoologie et seulement dix-sept centres de soins spécialisés aux toxicomanes (CSST) intégrés dans des établissements qui assurent, outre la prise en charge sanitaire et sociale des détenus usagers de drogue, la coordination des actions de soins, notamment des traitements de substitution, et la préparation de la sortie en liaison avec des structures extérieures spécialisées. Lorsque les détenus en font la demande, des CSST extérieurs sont en mesure d’intervenir dans quarante et un autres établissements. Certaines prisons peuvent également compter sur l’intervention des centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) en matière de soins ambulatoires (diagnostic, orientation, prise en charge thérapeutique), d’accompagnement social, de réinsertion des personnes détenues présentant une consommation d’alcool à risque ou une dépendance alcoolique. Leurs moyens sont cependant limités. Ainsi, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le rapport d’activité 2003 de l’Unité fonctionnelle d’accueil et de traitement des toxicomanes (UFATT) intervenant à la maison d’arrêt signale que la mise en place d’un dispositif permettant « une consultation médicale hebdomadaire » et « deux consultations d’éducatrice spécialisée par semaine » est « tout à fait insuffisant » et manifeste « l’extrême modestie des moyens face à une augmentation régulière tout à fait significative de patients incarcérés pouvant bénéficier de soins ». La prise en charge se limitait alors à la prescription de traitements de substitution et les patients n’étaient suivis que « de loin en loin par le médecin prescripteur, certains sortants parfois sans avoir rencontré l’UFATT ». « Si l’on considère que ces traitements de substitution ne sont pas intrinsèquement thérapeutiques, poursuivait le rapport, force est de s’en remettre à l’usage plus ou moins éclairé qu’en fera chacun, de regretter de ne pouvoir aider que trop partiellement à donner un sens à cette prescription, et donc à notre intervention. »
Comme le souligne l’OFDT, la prise en charge de l’alcoolisme a connu des progrès indéniables. Lors de son enquête, 80 % des établissements ayant fourni une réponse (soit 102) était en mesure de prescrire une consultation spécialisée contre seulement deux en 1997. « Pour autant, tempère l’OFDT, l’offre de soins n’est pas à la hauteur de l’enjeu : dans certains établissements (...), un détenu sur deux déclare une consommation problématique d’alcool, et près de un sur quatre répond aux critères de l’alcoolodépendance ; or, l’intervention en milieu carcéral de consultations extérieures en alcoologie reste encore limitée et soumise à des délais rédhibitoires, parfois supérieurs à la durée d’incarcération ». Le rapport 2003 de la commission de surveillance de la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) fait état d’une diminution du nombre des consultations d’alcoologie - le centre Magellan, une structure de soins en alcoologie, n’assurant plus qu’une vacation par semaine au lieu de deux - et d’une diminution des crédits octroyés par la MILDT. Le rapport d’activité pour l’année 2004 de la même maison d’arrêt fait état d’une baisse des consultations de 51 % par rapport à 2003. Pour l’OFDT, « ces carences de l’offre sont d’autant plus dommageables que les personnes dépendantes à l’alcool tendent à occulter leur pathologie : elles formulent donc rarement une demande de soins, voire la refusent ». D’où sa recommandation de mettre en place « une offre de soins qui révèle la demande ».
Dans son Etude sur les droits de l’homme dans la prison, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rappelé en mars 2004 au gouvernement que « l’accès aux soins et les questions relatives à la santé sont encore trop peu considérés », notamment en matière « du suivi d’un régime spécial des drogués (et les problèmes de sevrage) » [15]. En dépit des incitations répétées des pouvoirs publics à assurer la poursuite d’un traitement de substitution en prison, voire d’en initier un, « l’objectif étant de donner aux personnes détenues les mêmes possibilités de traitement qu’à l’extérieur » [16], sa délivrance n’est, de fait, pas assurée dans tous les établissements. Le rapport de la conférence de consensus tenue en juin 2004 considère que « la situation reste insatisfaisante », notamment en raison des « disparités selon les régions et les types d’établissements ». Selon le bilan de l’OFDT, « pour 22 établissements sur les 109 pour lesquels une réponse est connue (20 %), la DDASS a signalé un problème d’acceptation de la substitution », ajoutant que « ces établissements "réfractaires" sont des structures importantes, de 316 places en moyenne, en majorité des maisons d’arrêt ». Une enquête de la Direction générale de la santé (DGS) relative aux traitements de substitution en milieu carcéral menée en février 2004 [17] a, par ailleurs, montré que la prescription d’au moins un traitement par méthadone n’était assuré que dans 74 % des établissements. La distribution est, en outre, très inégalitaire et disparate puisque « neuf établissements pénitentiaires représentant 20 % de la population carcérale prescrivent à eux seuls 33,1 % des traitements de substitution, l’un d’entre eux en assure 10,8 % », et sept établissements, principalement des centres de détention, « initient plus de traitements qu’ils n’en poursuivent ». D’autre part, souligne l’OFDT, du fait de leur éthique personnelle, certains médecins continuent à opposer « un refus de principe à l’égard de la substitution » et interrompent systématiquement tout traitement. « Vous êtes en prison, il faut en profiter pour faire le sevrage », explique ainsi un médecin de l’UCSA d’une maison d’arrêt de l’Oise [18], exposant ainsi sa « stratégie » de traitement : « en cas de substitution, [je] contacte le prescripteur pour contrôler la véracité du traitement, puis [je] diminue de moitié la posologie et [j’] arrête en 4 à 5 mois ». De même, à la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire), le rapport d’activité 2004 signale que « si le patient est déjà substitué à l’extérieur, après vérification auprès de son médecin traitant, sa médication est maintenue mais souvent à des doses inférieures à celles prescrites à l’extérieur ». Toutes pratiques allant clairement à l’encontre de la recommandation de la conférence de consensus qui expose que le traitement de substitution doit être « maintenu aussi longtemps que nécessaire », car ce n’est qu’« après une phase de stabilisation avec arrêt de la consommation d’opiacés illicites et une évolution personnelle » que peut être entreprise « une diminution très progressive du traitement, décidée d’un commun accord par le patient et ses soignants ». Les moyens en personnel médical ne permettant pas de contrôler la prise au-delà de la distribution, la maison d’arrêt de Béthune (Pas-de-Calais) a opté pour « la règle des 8 mg » qui consiste à ne distribuer que des piluliers de Subutex© de moins de 8 mg et ainsi diminuer les risques de trafic. Comme l’explique son rapport d’activité 2003, l’UCSA de la maison d’arrêt de Reims (Marne) a tenté une solution inédite : « la dispensation des traitements de substitution ayant toujours été aussi délicate, nous essayons depuis janvier 2004 un nouveau mode de dispensation : la substitution en présentation pilée ». Le traitement est alors dispensé en cellule par le personnel infirmier de façon à éviter toute prise « aléatoire » et « invérifiable », « ce qui implique une bien meilleure observance du traitement et un moindre trafic ». Le SMPR de la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne (Marne) - où, selon la DDASS, 60 % des détenus présenteraient une conduite addictive - a adopté la même pratique jusqu’en juin 2004. A cette date, le laboratoire qui fabrique le Subutex© a alerté sur la « perte d’efficacité » du produit qui résultait d’une telle manipulation, le traitement requerrant une prise sublinguale sans fractionnement. En vue « d’harmoniser les pratiques professionnelles », le ministère de la Santé avait pourtant confié la rédaction d’un « guide des bonnes pratiques de substitution en milieu carcéral » à deux membres de la Commission nationale consultative des traitements de substitution. Un document dont le garde des Sceaux avait annoncé la diffusion aux personnels pénitentiaires « au cours du premier trimestre 2004 » [19], un engagement resté sans suite. En juin 2004, la conférence de consensus sur les traitements de substitution n’a pu que formuler de nouveau ces recommandations : « formation des équipes de soignants et des agents de l’administration pénitentiaire (...), élaboration d’un guide des bonnes pratiques conçu par la Direction générale de la santé, l’administration pénitentiaire et les acteurs sanitaires et sociaux, qui faciliterait la mise en place des traitements de substitution aux opiacés et permettrait un suivi des détenus dans de meilleures conditions ». L’établissement de ce guide est d’autant plus nécessaire que le Guide des bonnes pratiques pour les équipes hospitalières de liaison et de soins en addictologie, publié par le ministère de la Santé en décembre 2003 reste muet sur l’accès aux soins en détention.
A la maison d’arrêt d’Angoulême (Charente), un détenu non fumeur est passé en commission de discipline à la suite de son refus d’intégrer une cellule à partager avec un fumeur. Verdict : un placement au quartier disciplinaire. Quelques semaines plus tard, il s’est vu proposer par l’administration de rejoindre une autre cellule, hébergeant elle aussi des détenus fumeurs. Nouveau refus, nouvelle sanction de mitard. Saisi en annulation de ces sanctions, le tribunal administratif a purement et simplement rejeté la requête le 6 avril 2004.
Incarcéré pour une période de quatre mois à la maison d’arrêt de Nîmes (Gard), un jeune homme de vingt ans, sportif et non-fumeur, a partagé dés son arrivée une cellule « sans tabac » avec un ou deux autres détenus. Quinze jours avant sa libération, l’administration pénitentiaire a voulu lui imposer de déménager dans une cellule de six places déjà occupée par cinq fumeurs, ce qu’il a refusé. Il a été condamné à 20 jours de « mitard » - dont quinze jours ferme - par la commission de discipline de l’établissement, en janvier 2005.
En matière de tabagisme, la possibilité pour les non-fumeurs de bénéficier d’un espace d’hébergement spécifique fait partie des recommandations du ministère de la Santé comme de la MILDT. « Les personnes détenues dépendantes au tabac exprimant le souhait de s’abstenir de toute consommation doivent pouvoir solliciter l’affectation en cellule "non-fumeur" au sein de la détention », pose le Guide méthodologique. Quant au Plan gouvernemental, il se fixe comme objectif la « mise en place de cellules non fumeurs dans les établissements » dans la période 2004-2008. Dans un contexte de forte surpopulation, une telle perspective relève, en particulier pour les maisons d’arrêt, d’un vœu pieu. En 2003, d’après l’OFDT, seuls 26 établissements ont déclaré disposer de cellules « non fumeur » ; par ailleurs, la prise en charge tabacologique demeure tributaire des initiatives locales. Une minorité d’établissements dispose de consultations en ce domaine. L’accès aux substituts nicotiniques sur prescription de l’UCSA, figurant également parmi les objectifs de la MILDT, n’est encore possible, selon l’OFDT, que dans 67 établissements sur les 157 ayant répondu à l’enquête. Les financements permettant une distribution gratuite notamment aux personnes repérées par l’administration comme « indigentes » sont rarement pérennes et, de fait, l’accès gratuit aux substituts nicotiniques reste cantonné à un nombre « limité » d’établissements [20]. Dans ces conditions, la démarche initiée au sein de la maison d’arrêt de La Santé (Paris) demeure isolée. En 2004, tous les détenus ayant suivi une consultation en vue d’un sevrage tabagique ont pu bénéficier d’un traitement de substitution. En effet, le rapport d’activité 2004 de la maison d’arrêt de Reims (Marne) note à l’inverse que, suite à l’augmentation des prix des substituts, les demandes d’aide de détenus ne pouvant plus les acquérir se sont multipliées. Le souhait, exprimé en mai 2004 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, de mettre gratuitement des substituts à disposition des personnes incarcérées, est loin d’être réalisé [21]. Pourtant, relève l’OFDT, selon une évaluation menée à la maison d’arrêt de Meaux (Seine-et-Marne), l’efficacité des traitements est « comparable à celle de l’extérieur ».
En termes de politique de réduction des risques de contamination au sida et aux hépatites B et C, les services pénitentiaires et sanitaires font preuve d’une grande frilosité. La modestie des réalisations se donne à voir dans la comparaison entre la note interministérielle de 2001 et les objectifs affichés par la MILDT. Dans son Plan 2004-2008, cette dernière recommande la « mise en œuvre des mesures préconisées à la suite du rapport sur la réduction des risques en milieu carcéral [22] », qui a été rendu en décembre 2000. En 2001, la note affirmait déjà la nécessité d’une large diffusion par les personnels sanitaires des modalités d’utilisation de l’eau de javel comme produit de désinfection des matériels d’injection. En effet, utilisée sans respecter strictement son protocole d’usage, l’eau de javel perd son efficacité. Elle recommandait donc que ce protocole soit rendu accessible par des brochures d’informations et des affiches. Trois ans plus tard, la MILDT recommande « la libre mise à disposition des outils de prévention (préservatifs, eau de javel et documents d’information) » et une « information largement diffusée à la population pénale par les personnels sanitaires » sur « l’utilisation de l’eau de javel comme produit de désinfection ». Qu’a-t-il été fait entre temps ? Le rapport de 2003 sur la prise en charge de la toxicomanie dans les prisons de l’Oise [23] a confirmé les carences de la mise en œuvre des recommandations sur la réduction des risques, voire parfois son absence. Dans un établissement, « à aucun moment n’a pu être vérifié si les détenus pouvaient disposer du protocole sous la forme des affichettes » et, alors qu’un « livret d’hygiène de la cellule » était sur le point d’être finalisé, il ne faisait « aucune mention de la désinfection des matériels pouvant être en contact avec le sang ». En outre, si l’ensemble des directives des pouvoirs publics prévoient bien la nécessité d’informer les détenus sur « les protocoles de rinçage » à l’eau de javel, force est de constater leur silence quant aux programmes d’échanges de seringues. En 2004, au terme d’un examen comparatif des données et expériences internationales [24], le Réseau juridique canadien VIH/Sida a pourtant publié un rapport dont les conclusions ne souffrent pas d’équivoque. Il a en effet montré que, dans les prisons où de tels programmes étaient mis en œuvre, en Allemagne, en Suisse, en Espagne ou en Moldavie, la « sûreté des établissements » s’était accrue, les risques de transmission et les autres infections réduits. De plus, la consommation de drogue au sein des établissements n’avait « pas augmenté » et le suivi des détenus toxicomanes s’était amélioré. Ce rapport insiste également sur le fait que de tels programmes ne concernent pas nécessairement de petites unités, mais aussi des prisons de plus de 1 000 détenus en Moldavie, et 1 600 en Espagne. La situation observée en matière de réduction des risques au sein des prisons françaises est d’autant plus dommageable que, hors champ carcéral, cette même politique a obtenu des résultats encourageants, dont témoignent les résultats de l’enquête menée en 2003 auprès des entrants. Les déclarations recueillies lors de la visite médicale d’entrée font apparaître une forte baisse du recours à l’intraveineuse par rapport à la précédente enquête menée en 1997. 6,5 % des entrants (contre 11,8 %) évoquent une pratique intraveineuse au moins une fois dans leur vie et 2,6 % (contre 6,2 %) durant l’année précédant leur incarcération. Néanmoins, parmi eux, un peu moins de 20 % n’ont jamais effectué de test de dépistage. En outre, on constate une nette diminution de la prévalence du VIH parmi les usagers de drogues par intraveineuse, liée notamment à l’accès facilité aux seringues stériles.
Trois cents agents de l’administration pénitentiaire ont investi le centre pénitentiaire de Nantes (Loire-Atlantique), le 23 juin 2004, afin de procéder à une fouille générale. Bilan : quelques grammes de cannabis découverts, des cellules sans dessus dessous, des vêtements éparpillés, des papiers et photos personnelles déchirés, des toiles de peintures lacérées, des fiches de rendez-vous de consultations médicales déchirées, des traitements médicaux distribués sous forme de piluliers hebdomadaires par l’UCSA et d’une valeur d’environ 250 € jetés à la poubelle.
Face aux multiples problématiques liées aux pratiques addictives, la mobilisation des services pénitentiaires semble essentiellement se concentrer sur la lutte contre le trafic de produits illicites en détention. Dans ce domaine, le ministère de la Justice entend développer « une action déterminée sur l’offre de drogues illicites » [25], renforçant les contrôles aux parloirs, les fouilles des visiteurs, la pose de grillage pour « éviter les jets de petites quantités de produits au-dessus des murs ». Les extractions de détenus font également « l’objet d’une attention particulière dans la mesure où les sorties programmées sont sensibles et favorables au trafic ». Par ailleurs, les fouilles générales des établissements, qui constituent « un axe majeur de la politique de sécurité car elles contribuent à renforcer l’autorité de l’État et à rassurer les personnels dans l’exercice de leurs missions », se sont répandues. Ainsi, en 2004, outre 77 fouilles générales « dont 7 par le bureau de la sécurité pénitentiaire », ont été effectués « 45 contrôles antistupéfiants avec l’aide de brigades cynotechniques ». En mars 2004, la CNCDH avait pourtant qualifié de « notoire », la « disproportion entre les effets négatifs des fouilles sur la vie des détenus et les résultats qu’elles offrent » [26]. Outre son inefficacité, cette volonté de juguler l’offre de drogues illicites se double généralement d’une crainte d’un usage détourné des produits de substitution à des fins de trafics, ce qui constitue un frein supplémentaire à leur distribution. Ainsi, peut-on lire dans le rapport d’activité 2003 du centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais) : « plus qu’une source d’apaisement, les traitements de substitution et prescriptions médicamenteuses font l’objet de comportements divers (échanges, trafics, rackets, bagarres, insultes) engendrant directement ou indirectement un nombre important de procédures disciplinaires ». Une approche que l’on retrouve dans l’Oise en 2003 - et partagée par certaines UCSA - et selon laquelle tout non-respect des règles de prise entraîne l’arrêt du traitement, en insistant sur la nécessité de « fliquer » les détenus pour éviter les « fraudes ». Au centre de détention de Neuvic (Dordogne), des contrôles urinaires sont effectués sur les détenus en cours de médication en vue de rechercher « tous les dérivés de produits toxiques qui pourraient être absorbés illégalement et être à l’origine de troubles de traitement ». Toutes démarches qui sont en complète contradiction avec les recommandations des autorités sanitaires et de la conférence de consensus sur les traitements de substitution. S’agissant de personnes en situation de précarité, cette dernière préconise « de tolérer une souplesse dans la régularité des prises, et la réintégration du patient sur les mêmes bases, après abandon éventuel du traitement de substitution aux opiacés ». La conférence a exhorté, non pas de subordonner les traitements de substitution à la gestion de la détention, mais de former « des équipes de soignants et des agents de l’administration pénitentiaire, à la prise en charge dans un projet thérapeutique incluant évaluation, approche socio-psychologique, aux difficultés rencontrées en pratique », et notamment « les mauvaises utilisations des stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés » comme les « trafics ».
Les conditions dans lesquelles s’effectue la libération des détenus toxicomanes s’avèrent extrêmement aléatoires. Au terme de son évaluation de la mise en œuvre de la note de 2001, l’OFDT a relevé que la continuité des soins à la sortie de prison est identifiée parmi les « contextes de prise en charge identifiés comme les plus problématiques » dans deux tiers des établissements observés, le cadre d’aménagement de la peine dans un tiers d’entre eux. Plus grave, pour l’organisme public, « l’objectif de favoriser les aménagements de peine pour les détenus présentant un problème de consommation abusive ou de dépendance, de façon à organiser leur retour à la liberté dans un cadre socio-médical structuré, ne semble pas avoir évolué de façon notable ». Un diagnostic confirmé en décembre 2003 par le ministère de la Santé qui estime que la continuation des soins et les relais après la libération constituent la « difficulté majeure » [27]. Sur le modèle du « quartier intermédiaire sortant » (QIS) mis en place à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) en 1992, des « unités pour sortants » (UPS) ont été intégrées à quelques sites pilotes avec comme objectif de préparer les détenus toxicomanes à leur sortie de prison. Outre le fait que celles de Metz et de Strasbourg ont déjà fermé, ces UPS ne concernent qu’un nombre très restreint de détenus. Et, de fait, dans de nombreux établissements, les personnes sortent en état de manque, dépourvues d’ordonnance et sans l’assurance d’une prise en charge extérieure. Ainsi, le rapport d’activité 2003 de la maison d’arrêt de Nancy (Meurthe-et-Moselle) déplore « l’augmentation constante du nombre de toxicomanes » mais également le manque d’effectif, la longueur des délais d’attente pour une consultation pouvant atteindre deux mois et demi et les « difficultés, voire les impossibilités à préparer » la sortie. Quant au rapport d’activité 2004 du centre pénitentiaire de Maubeuge (Nord), il évoque notamment « l’impossibilité d’obtenir la couverture maladie universelle (CMU) avant la sortie » et « l’insuffisance de la préparation à la sortie des détenus sous traitement de substitution due au manque de moyen en personnel afin d’assurer le relais avec l’extérieur ». Une situation d’autant plus regrettable que, depuis la note de 2001, les pouvoirs publics recommandent expressément qu’une « ordonnance de Subutex© / Méthadone soit fournie à la personne sous traitement de substitution lorsque sa sortie est programmée afin qu’elle puisse attendre la consultation sans rupture de médicament ». C’est dans ce contexte qu’en 2004 la conférence de consensus sur le suivi des personnes placées sous traitement de substitution a recommandé d’améliorer « l’anticipation de la sortie en lien avec les partenaires extérieurs, la généralisation des consultations en addictologie, visant en particulier à favoriser l’accès aux soins, réduire les risques et prévenir la survenue de surdoses à la sortie ». Cette dernière préconisation fait suite aux résultats pour le moins inquiétants d’une étude [28] rétrospective de la mortalité des sortants de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) qui a constaté en 2003 une « surmortalité particulièrement élevée » des sortants de moins de 55 ans par overdose. Les chercheurs ont établi que « le risque de décès par overdose des 15-35 ans » est « multiplié par plus de 120 par rapport à la population générale » et par « plus de 270 pour les 35-54 ans ». Ces derniers ont également 14 fois plus de risque de mourir par cirrhose alcoolique. Prenant acte du « faible nombre de sujets passés au QIS », l’enquête n’a pas permis de vérifier « si le passage avait un rôle protecteur vis-à-vis de la mortalité à la sortie de prison ». L’étude en a déduit logiquement que « l’emprisonnement pour les usagers de drogues peut tant constituer une opportunité de prise en charge médicale (dépistage, vaccination, programme de prévention, contact avec un psychiatre ou un intervenant en toxicomanie) et sociale (inscription à la Sécurité sociale, contact avec une assistante sociale) qu’accroître leur vulnérabilité sociale et médicale ».
Témoignages
« Des types qui sortent sont devenus accrocs en prison »
Témoignage d’un gradé de maison centrale, cité dans le rapport « La violence carcérale en question », A. Chauvenet, M. Monceau, F. Orlic, C. Rostaing, CNRS-EHESS, juin 2005.
Ce qui a pourri toutes les détentions, c’est la drogue ; et là on est impuissant. (...) Cela a atteint une certaine ampleur, et il y a même des détenus qui n’avaient jamais touché qui commencent en prison et sortent toxicomanes. (...) Pour certains la drogue ce n’est plus assez. Ils bouffent des cachetons, ils font des mélanges. (...) Les détenus qui sont là depuis dix, quinze ans le disent : ça a gangrené les détentions. Il y a les trafiquants, les dealers ; et s’il y a des dettes, c’est boum dans les douches. Ils font n’importe quoi pour pouvoir se la payer, et ils s’y habituent. C’est pour ça que statistiquement, il va y avoir de plus en plus de récidive et de moins en moins de réinsertion. Des types qui sortent sont devenus accrocs en prison.
« Les personnes censées m’aider me mettent un boulet aux pieds »
Personne détenue dans une maison d’arrêt, juin 2005.
Tout le monde ici semble obnubilé par les trafics, notamment de Subutex©. Mais heureusement qu’il y en a, sinon je ne survivrais pas. Je subis le manque chaque jour parce que le médecin ne veut pas me filer la dose de Subutex© que l’on me prescrivait à l’extérieur. J’avais pourtant une ordonnance lorsque je suis entré. Comment peut-on faire ça si ce n’est par désir punitif ? A moins que l’on cherche à réaliser des économies de bout de chandelle à nos dépends. Sérieusement je ne comprends pas. Les médecins s’acharnent à trouver des moyens de lutter contre les trafics de Subutex© tout en nous mettant en situation d’avoir besoin de s’en procurer. C’est aberrant. Alors que je commençais à m’en sortir, je me retrouve comme avant, à me préoccuper de savoir si je vais trouver ma dose. C’est fatigant, ça me ronge la tête. Dehors, grâce au traitement, j’arrivais à penser à autre chose mais comment faire ici je suis tributaire des autres. Je me sens vulnérable à tous les niveaux. J’ai peur que mon fournisseur tombe, j’ai peur de me retrouver dans des logiques de racket, j’ai peur des fouilles... Je passe mon temps à craindre que mon équilibre précaire s’effondre alors que je voudrais me concentrer sur tout sauf ma dépendance. J’ai une vie à reconstruire. Je n’y arriverais jamais si les personnes censées m’aider me mettent un boulet aux pieds.
« La santé des détenus ne doit pas compter pour les politiques »
Personne détenue dans un établissement pour peine, août 2005.
Dernièrement, en regardant le journal télévisé j’ai vu que certains politiques envisageaient d’interdire la consommation de cigarettes dans tous les lieux publics, y compris les bars et boîtes de nuit. La colère est vraiment montée. Sommes-nous des « moins que rien » en prison pour que l’on ne se préoccupe pas de nous ? Alors que l’on en est à bannir la cigarette des espaces publics, pas moyen ici de se mettre à l’abri du tabagisme passif. Aucune cellule non fumeur n’est prévue dans l’établissement. Aucune procédure de regroupement des non-fumeurs n’est organisée. Chaque jour, on nous laisse subir la fumée des autres en lieux clos. Qu’en conclure si ce n’est que la santé des détenus ne doit pas compter pour les politiques ?
« je dois m’arranger avec mes codétenus »
Personne détenue à la maison d’arrêt Saint-Paul de Lyon (Rhône), juillet 2005.
En dépit de toutes mes démarches et avis favorables en vue d’obtenir un placement en cellule non-fumeur, je n’ai jamais obtenu ce droit. Chaque fois il m’est répondu que la maison d’arrêt ne peut fournir cette garantie, et que je dois, par conséquent, m’arranger avec mes codétenus, ce qui revient à me laisser à la merci des nombreux changements de cellule. Bref, j’attends avec impatience d’aller en maison centrale.
« la porte de ma cellule s’ouvre brusquement »
Personne détenue dans un centre pénitentiaire, mars 2005.
20 janvier, 22h30, la porte de ma cellule s’ouvre brusquement. Une dizaine de personnes, certaines cagoulées, me sautent dessus en me disant de ne pas bouger alors que je suis dans mon lit. Accompagné du procureur et de gendarmes munis de chiens, les surveillants se mettent à fouiller les lieux alors que je suis menotté. Deux heures se passent, ils ne trouvent rien de suspect, me font signer un procès-verbal et s’en vont. Le lendemain, j’apprends que plusieurs détenus ont cité mon nom dans une affaire de trafic de stupéfiants et alcool organisé grâce à la complicité de surveillants.
« chaque fois je replonge »
Personne détenue à la maison d’arrêt de Lille-Séquedin (Nord), avril 2005.
Plusieurs fois incarcéré en raison de petits trafics organisés pour assurer ma consommation, la prison ne m’a jamais permis de décrocher. Chaque fois je replonge. Les sevrages successifs que l’on m’impose en détention ne servent à rien. Ce n’est pas l’administration de médicaments divers destinés à contrecarrer l’état de manque qui me permettra de m’éloigner définitivement de ma dépendance. Tout cela est plus profond qu’une simple question d’absorption de substances qualifiées d’illicites et de répression pénale. Dans ce contexte, je ne trouve personne en mesure de comprendre ma détresse, et ne voit pas bien comment me sortir du cercle des retours réguliers en détention. Tout ce système est mal foutu. Je me drogue parce que je vais mal, on m’incarcère parce que je fais du mal à la société, mais personne ne m’aide. Il suffirait simplement de cela pour que tout s’arrête.
« je me sens mal ici, pas à ma place »
Personne détenue à la maison d’arrêt de Caen (Calvados), janvier 2005. Condamné pour conduite en état d’ivresse, je me demande chaque jour ce que je fais là, entre quatre murs, à côtoyer des personnes tombées pour viol, meurtre ou autres affaires de mœurs.
Je me sens mal ici, pas à ma place. Si l’alcoolisme est une maladie comme on le dit partout sur les plateaux des émissions télévisées pourquoi m’a-t-on mis là plutôt que m’orienter vers des structures spécialisées ? J’ai le sentiment que l’on veut me punir plutôt que me soigner. J’ai conscience que mon problème avec l’alcool peut mettre la vie d’autres personnes en danger, notamment ma famille, mais je n’ai pas l’impression qu’être ici va le résoudre. J’ai vu des médecins, participé à un groupe de parole, mais je ne sais pas si c’est vraiment efficace. Loin de mes proches je souffre encore plus. La promiscuité me rend irritable, souvent je me dis que je m’enfonce. J’ai peur de ne pas pouvoir remonter la pente. Je ne sais pas comment ce sera à la sortie, comment me regarderont les autres, mes enfants. Jusqu’alors j’étais inséré socialement, aujourd’hui j’ai peur d’être marqué du sceau de la prison.