L’abolition
de Robert Badinter, Fayard, 2000, 326 p., 134F.
C’est le 30 mai 1791 que pour la première fois une assemblée, laquelle, puisqu’il s’agit de la Constituante, avait voté deux ans plus tôt la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, refusa de d’abolir la peine de mort. Elle se contenta d’exiger l’égalité de tous les condamnés en que « tout condamné à mort aura la tête tranchée », et elle porta l’ombre sanglante de la guillotine sur le chemin de la liberté qu’elle venait d’ouvrir. Le 4 novembre 1848, lorsque la Seconde République supprima la peine de mort uniquement en matière politique, Victor Hugo ne fut pas écouté lorsqu’il exigea son « abolition pure, simple et définitive » ; et la Chambre des députés resta sourde à l’appel pathétique de Jean Jaurès le 8 novembre 1908. Le 30 septembre 1981, le Sénat conservateur, par 160 voix contre 126, votait dans les mêmes termes la proposition de loi que l’Assemblée nationale de gauche avait adoptée le 17 septembre, par 363 voix contre 117, qui proclamait « la peine de mort est abolie ». C’était la fin d’un long combat. Depuis dix ans, un homme avait été en première ligne, inlassable, acharné, présent sur tous les fronts, poursuivi par la haine. Et c’est lui qui venait d’arracher le vote du Sénat. Robert Badinter, notre ami, est ainsi entré dans l’histoire de la conquête de la liberté.
C’est son combat qu’il raconte. Celui d’un militant et d’un avocat tout d’abord. Après l’effroyable échec que fut l’exécution de Roger Bontems et de Claude Buffet, le 24 novembre 1972, qu’il a narré dans un livre bouleversant, L’Exécution, Robert Badinter s’engage. L’avocat huppé qui a son cabinet à quelques pas de l’Élysée et professe le droit, part en campagne. Il court les réunions dans ces salles tristes où quelques militants déjà convaincus réchauffent leur ardeur à l’écoute de sa parole enflammée. Giscard d’Estaing est élu. Il a déclaré en privé son aversion pour la peine de mort, fait abaisser l’âge de la majorité à dix-huit ans, et laisse Simone Veil faire adopter la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Il serre la main d’un prisonnier à Lyon. On se prend à espérer malgré les foucades de Michel Poniatowsky, contre lesquelles proteste la Ligue des droits de l’homme. Mais, l’affaire Patrick Henry éclate à Troyes. Un crime horrible. Un enfant enlevé pour obtenir une rançon puis massacré. « La France a peur » . Bruno T., un mineur condamné à mort à Amiens, est certes gracié, mais Christian Ranucci, dont on sait depuis le Pull-over rouge qu’il était peut-être innocent, est exécuté. Robert Badinter comprend que Patrick Henry sera exécuté s’il est condamné à mort. Il nous conte donc de l’intérieur le travail d’avocat qu’il fait alors, combat judiciaire où le droit commun devient politique, mené sous les hurlements de la foule. Derrière le théâtre judiciaire et médiatique, l’angoisse de tous les instants, les choix qu’il faut faire. Patrick Henry n’est pas condamné à mort. Mais il y a tous les autres et par six fois Robert Badinter va, après que la Cour de cassation eut cassé des verdicts de mort, obtenir que les nouveaux jurés rejettent le châtiment suprême.
Chacune de ces victoires est un événement immense puisqu’une vie est sauvée, mais le problème est politique. Les cours d’assises condamnent à mort de plus en plus souvent, et Philippe Maurice n’a plus qu’une improbable grâce présidentielle comme obstacle sur le chemin de l’échafaud. Robert Badinter s’est engagé aux côtés de François Mitterrand et, à la veille des élections de 1981, il est profondément touché, comme tous les abolitionnistes, par le courage du candidat qui, interrogé sur ce sujet et alors que les sondages sont massivement en faveur de la guillotine, dit : « Dans ma conscience, dans la foi de ma conscience, je suis contre la peine de mort ». La suite est connue, mais Robert Badinter nous dit l’envers du décor, le premier conseil des ministres auquel il assiste et son ultime plaidoirie à la tribune de l’Assemblée.
Un livre beau et utile alors qu’il nous faut aujourd’hui continuer ce combat, lui donner une dimension universelle pour empêcher que ne se perpétue l’assassinat d’État, non seulement dans les tyrannies sanglantes mais aussi dans la « première démocratie du monde » .
Henri LECLERC