Par Béatrice PENAUD
Vice-Présidente chargée de l’application des peines au Tribunal de Grande-Instance de Pontoise
DE L’INFLATION LEGISLATIVE A LA SURPOPULATION CARCERALE : POUR UNE REFORME DES PEINES
Plus les lois se manifestent et plus les voleurs s’accroissent ”
Lao-Tseu ; Tao Te King , 57
Le système répressif actuel est sous l’effet d’une spirale inflationniste dont les caractéristiques sont : la multiplication des lois, la surpopulation carcérale, l’augmentation de la délinquance violente.
Cet emballement appelle pour y remédier une réforme profonde de la politique pénale et pénitentiaire menée par le législateur. Elle conduirait nécessairement à s’interroger sur le processus d’élaboration et d’évaluation des lois pénales. Elle mettrait aussi en cause la prépondérance de la Prison dans l’éventail des peines. La question fondamentale qui soustend ce débat est la suivante : la prison se justifie-t-elle pour tous les détenus actuels ? En termes plus directs, la prison pour qui ?
Moins de lois, de meilleurs lois :
Trop de lois tue la loi. L’inflation législative nuit à la qualité de la loi et à son autorité. Or le volume des lois promulguées en France a quadruplé en 35 ans. En matière pénale notamment, les lois n’ont cessé de s’empiler depuis l’entrée en vigueur des nouveaux codes pénal et de procédure pénale, au gré des alternances politiques et des affaires médiatiques.
Cette prolifération des lois, cette hypertrophie des textes dont le formalisme et la complexité vont toujours croissants et dont les inspirations contradictoires nuisent à la cohérence de l’ensemble, confinent à une forme de névrose sociale. Michel Foucault déjà en 1975 dans “Surveiller et punir ”pointait le moderne avènement de la société disciplinaire qui multiplie les dispositifs de normalisation.
L’on peut se demander si l’inflation législative ne répond pas davantage à des enjeux de pure politique qu’au souci du bon fonctionnement de la Justice ?
Force est de constater que l’élaboration des lois pénales demeure un processus largement idéologique et hièrarchique, sans concertation réelle avec les acteurs de terrain, notamment les magistrats. L’élaboration des lois, à l’instar de tout travail intellectuel, devrait reposer sur une méthode de recherche fondée sur le recueil patient et l’analyse objective de multiples données auprès des professionnels concernés. Hélas, émotion plus que raison , trop souvent sous le coup d’une affaire médiatique , le législateur cherche rapidement à rassurer le peuple par la magie du verbe législatif qu’il impose ; la réforme, toujours répétée ( et toujours déçue ) devient rite propitiatoire.
Quant au citoyen, il est chaque jour abreuvé d’images fantasmées de la délinquance à travers la multiplication des séries télévisées sur les serial killers et les sadiques sexuels et l’on peut se demander quelle signification sociale revêt cette sombre obsession.
Pourtant une approche pragmatique, loin des idéologies et des fantasmes, permettrait d’enrichir le travail législatif en amont et en aval.
Au stade de l’élaboration des lois, l’introduction d’une démarche participative favoriserait la qualité des lois par la prise en compte de l’expérience pratique, le débat fécond et l’exercice de la critique. Des consultations via intranet notamment, pourraient être menées par le Ministère de la Justice auprès des professionnels concernés. La Suisse et le Québec s’essaient déjà à ce mode de cocréation législative au niveau national ( voir par exemple Enitiatives .ch, brainstormingnational ).
En aval, il n’existe pas de procédure d’évaluation des lois ; aucune étude d’impact en matière pénale et carcérale. Ainsi il manque un outil statistique pour évaluer la pertinence des choix de politique pénale, l’efficacité des différentes peines en terme de récidive. Il serait par exemple essentiel de déterminer statistiquement l’efficacité des différents aménagements de peine dans la prévention de la récidive.
Faute de cette approche concrète, bien des dispositifs sont peu appliqués. Ainsi l’ensemble des dispositions sur le suivi psychiatrique des délinquants sexuels (suivi socio-judiciaire), sujet d’importance considérable s’il en est, se heurte à la grave pénurie de psychiatres car la question déterminante de leur recrutement et de leur formation n’a pas été traitée en concertation avec le Ministère de la Santé.
Moins de prison, de meilleures peines :
De 2000 à 2009, la population pénale est passée de 52000 à plus de 66000 personnes. Il faut savoir que la surpopulation pénale atteint un taux d’occupation de 200% dans les maisons d’arrêt. Des détenus cohabitent à trois dans 10 m².
La concentration carcérale est génératrice de violences et de suicides. De 2007 à 2008 104 agressions supplémentaires contre les personnels en détention , 97 de plus entre détenus. Le rythme est en moyenne de deux agressions par jour en détention. Le taux de suicide dans les prisons hexagonales est le double de celui de l’Allemagne ou du Royaume-Uni .Quel remède de fond propose-t-on aujourd’hui ?
Des draps et tenues en papier pour éviter la pendaison des détenus ...
Plus encore l’application de la loi du 10/08/07 sur la récidive instaurant des peines-plancher a renforcé la surpopulation pénale. Entre 2007 et 2008, le nombre des condamnés détenus a augmenté de 8%. Or cette sévérité pénale s’est accompagnée d’une hausse de la délinquance violente . Les violences aux personnes ont augmenté en 2008 de 2,4% et le nombre des vols à main armée a explosé (+ 15,4% ). Ces tendances se confirment en 2009.
A la lumière de ces constats d’échec, c’est tout l’édifice des peines qui doit être reconsidéré.
La prison est une forme de châtiment psychique adaptée à notre société qui répugne à voir la réalité de la souffrance et la relègue derrière les murs d’établissements spécialisés, tel l’hôpital ou la maison de retraite.
Un quart des détenus souffre de troubles psychiatriques. Le nombre des condamnés jugés irresponsables pénalement a considérablement chuté .
La prison accueille des individus présentant des carences affectives, éducatives ou sociales et elle accroît encore leur déséquilibre par un cadre anti-physiologique : absence d’espaces verts, bruit , défaut de douche quotidienne, absence d’espace intime, privation sexuelle, limitation des contacts humains. Ces problèmes appellent des mesures concrètes. Des conditions de vie plus décentes impliqueraient aussi une étroite réglementation des fouilles corporelles pratiquées trop systématiquement et le réaménagement des quartiers
disciplinaires ; est-il tolérable qu’une sorte de cage y tienne lieu d’espace de promenade ?
Triste constat : le prisonnier a un cadre de vie inférieur à celui de l’animal captif dans un parc zoologique !
Si des efforts certains ont été réalisés dans le domaine des activités proposées aux détenus ( art, culture, sport, formation, groupe de parole, suivi psychologique...), une attention particulière devrait être portée à l’environnement carcéral , à ses effets physiques et psychologiques , dans le cadre d’une réflexion sur l’écologie de la peine.
Déjà en Norvège s’expérimente avec succès le premier centre pénitentiaire sans barreaux, sur l’île de Bastoy où les condamnés vivent et travaillent selon des normes écologiques .
L’interaction du psychisme et de l’environnement est actuellement étudiée par de nouvelles disciplines que sont l’écopsychologie et la domologie. A l’heure où la construction de nouvelles prisons est programmée, une déontologie du Bâtir devrait s’y appliquer - pour que le monstrueux gigantisme d’un Fleury-Mérogis ne soit pas reconduit.
Au delà de la nature de la peine de prison définie par son cadre se pose la question de la place de la prison dans l’arsenal des peines .
Nous vivons sur un a- priori, celui du caractère nécessairement, naturellement prépondérant de la prison dans le panel des peines. Or l’Histoire enseigne que la prison en tant que peine, et peine dominante, est une invention récente à l’échelle des siècles, âgée de deux cent ans.
La surpopulation pénale, l’inefficacité des peines d’emprisonnement manifestée par l’accroissement des violences obligent à affronter la question de sa prédominance.
Mettre fin à sa domination conduirait non seulement à rééquilibrer le système répressif entre milieu ouvert et milieu fermé mais aussi à le clarifier par un traitement plus différencié des niveaux de délinquance. Une telle perspective implique de repenser la nature des peines en fonction de la gravité des infractions commises. Une nouvelle échelle des peines pourrait se concevoir selon les principes suivants ;
- limiter la prison aux crimes ou au non respect des aménagements de peine.
Ce ciblage permettrait non seulement d’améliorer les conditions de vie en détention mais aussi de renforcer la qualité du suivi des délinquants jugés dangereux ou ancrés dans la délinquance. Le temps de l’enfermement, par le choc moral et l’éloignement du milieu d’origine qu’il engendre, s’il est accompagné d’un suivi de qualité, peut être en effet propice à la prise de conscience salutaire du détenu, gage de son évolution favorable.
Réserver la prison aux criminels ou aux condamnés irrespectueux des peines alternatives et aménagées limiterait enfin le phénomène bien connu d’apprentissage de la délinquance des jeunes condamnés auprès des détenus chevronnés.
-généraliser en matière correctionnelle les peines alternatives ou aménagées ; à cet égard les lieux d’exécution des travaux d’intérêt général pourraient être étendus aux établissements publics et collectivités locales que sont le département ou la région ...Cette généralisation suppose un vaste redéploiement des moyens en personnel au profit du milieu ouvert, à travers notamment le Service pénitentiaire d’insertion et de probation dont le rôle est largement méconnu.
-créer un niveau intermédiaire d’enfermement à temps partiel : semi-liberté ( une partie des établissements pénitentiaires pourrait être reconvertie dans cette optique ) ou assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique ; un tel système est expérimenté avec succès aux Pays-Bas.
La gradation proposée remplit un triple objectif : favoriser la réinsertion des condamnés, soutenir l’indemnisation des parties civiles par la préservation de l’emploi du délinquant, supprimer la surpopulation pénale et ses coûts humains et matériels ; à cet égard , informons le citoyen que la prison est la plus chère des peines, un détenu coûtant en moyenne 1600 euros par mois aux contribuables français.
Depuis le 19è siècle la Prison est la peine de référence. Mais le système pénal s’étouffe sous le poids de sa prépondérance. Aussi, comme parait l’annoncer le récent essor des aménagements de peine * dont l’utilisation accrue du bracelet électronique ( 3400 mesures simultanées en 2008 ), le 21è siècle verra t-il le déclin de la Prison ?
De l’économie des lois à l’écologie des peines, il s’agira de bâtir un système pénal plus mesuré. En se souvenant avec le philosophe Sénèque que “ toute vertu est fondée sur la mesure ”, y compris celle des lois et des peines.
* L’aménagement de peine : une révolution méconnue par Béatrice Penaud sur Larousse.fr et lextenso.fr