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Date : 30-10-2005

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Date : 30-10-2005

Campagne pour le respect du numerus clausus en prison

Mise en ligne : 30 octobre 2005

Dernière modification : 30 octobre 2005

Texte de l'article :

Signer l’Appel pour soutenir la Campagne


Campagne pour le respect du numerus clausus en prison
Automne 2005- été 2007

33 rue Imbert Colomès 69001 Lyon
Tél. 04 78 27 90 04 Fax. 04 78 39 35 34
e.mail : trop@ctrop.fr www.tropctrop.fr
CCP Cimade 503358 B Lyon, mention numerus clausus

Avant-propos

Une campagne est au travail habituel des associations ce qu’un article de presse est à un ouvrage de fond : une partie d’un tout. Une campagne n’a pas la prétention de tout aborder. Elle propose, à travers son objet modeste et singulier, de tenter d’apporter une réponse concrète à cet objet, sans manquer d’attirer l’attention sur la totalité de la question. Un tel événement exige de rompre avec le rythme habituel du quotidien. Il suggère, dans un court temps de vie, de trouver l’élan nécessaire pour franchir un pas. C’est ce que nous invitons à faire en participant à une Campagne pour le respect du numerus clausus en prison. A chacun son approche, sa vision. En commun la conviction que la surpopulation carcérale est à l’origine de grands maux et de mauvais traitements. Y mettre un terme ne tirera pas un trait sur les problèmes de la prison. Quelques dizaines de milliers de personnes détenues réclament pourtant chaque année cette mise en conformité de leurs conditions de détention avec le droit. Pour moins de récidive. Pour une meilleure réinsertion. Pour plus de cohésion sociale. 

Numerus clausus : un objectif fédérateur

Depuis que la prison existe légalement, il s’est trouvé des individus pour en réclamer l’usage le plus répressif et d’autres pour l’humaniser. L’enfermement affecte très majoritairement les plus pauvres : aussi, malgré l’effort toujours réinventé des associations spécialisées et de quelques personnes attentives, la prison n’évolue guère. Quand bien même les médias se font volontiers l’écho des conditions de détention des prisonniers ordinaires.
Chaque organisation précitée tente, au prisme de sa culture, de contenir l’effet dévastateur et contre productif de la prison : qui par la prévention, qui par le rappel du droit et de la dignité, qui par la formation, qui par l’accompagnement personnel, qui enfin par l’aide à la réinsertion de la personne détenue.
Le projet d’instaurer un numerus clausus en prison aura pour effet de mettre un terme définitif à la surpopulation carcérale et aux drames qu’elle induit.
Décider de n’installer qu’une personne là où il n’y a qu’une place relève de l’élémentaire respect, voire du simple bon sens. Toute autre pratique est une gifle à la démocratie. Le responsable politique, le législateur et l’administration disposent, sous réserve d’un meilleur examen et de propositions à venir, de quatre voies pour ajuster le nombre de personnes détenues au nombre de places. Ainsi, ont-ils la possibilité de
- limiter la durée de l’incarcération en obligeant à l’application des mesures prévues par les textes (aménagement de peine, libération conditionnelle, limitation de la détention provisoire... ),
- mettre en œuvre les peines de substitution et les dispositifs alternatifs à la prison déjà présents dans l’arsenal législatif (amende, jour-amende, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve...),
- supprimer la peine d’enfermement pour certains types de délits qui n’impliquent aucune sorte de dangerosité (infraction simple à la législation sur le séjour, par exemple),
- libérer de façon anticipée un détenu en fin de peine pour permettre la mise en détention d’un nouvel arrivant.

Toute présentation qui consisterait à dire qu’une personne prévenue ne saurait entrer en prison au motif que l’établissement est saturé serait dilatoire : cette issue n’a jamais été préconisée. Toute solution qui consisterait à créer des places supplémentaires dans de nouveaux établissements pour prétendre régler cet ajustement serait abusive et tromperait l’opinion publique : on sait depuis le 19ème siècle que l’augmentation de l’offre de places n’a jamais résolu la question du surencombrement des cellules. La construction de plusieurs dizaines d’établissements et de milliers de places dans l’époque actuelle en administre tous les jours la preuve. Enfin, toute personne détenue conservera le droit de partager sa cellule avec une autre, si tel est son choix.

La perspective de mise en œuvre du numerus clausus en prison rencontre déjà l’assentiment de responsables de l’administration pénitentiaire et des personnels de surveillance, des travailleurs sociaux et des personnels de santé.
Qui voudrait voir perdurer un processus dégradant et coûteux pour la collectivité ? : un détenu agressé obtient la condamnation de l’Etat pour non-respect du droit à l’emprisonnement individuel (Le Monde, 11 juin 2005). L’administration pénitentiaire reconnaît sa faute après avoir placé un détenu sans passé carcéral dans la cellule d’un homme qui l’assassinera et qui attendait sa comparution aux assises pour « actes de torture et de barbarie » sur l’un de ses précédents compagnons de cellule (Libération, 10 septembre 2005).

Chacun s’accorde à penser que nos sociétés traversent une grave crise : chômage, exclusion, perte du crédit des élus politiques, repli sur soi, surconsommation pour les uns, grande pauvreté pour les autres, désengagement. La conduite d’une campagne nationale pour le respect du numerus clausus en prison et son aboutissement administreront la preuve qu’une idée simple et respectueuse du droit, si marginale soit-elle, est génératrice de sens, fédératrice d’énergies, qu’elle transcende les querelles partisanes. Travailler en commun à l’amélioration des droits de la personne contribue à restaurer des liens dont chacun semble déplorer, impuissant, qu’ils se délitent.

Nous gardons en récente mémoire la question dite de la double peine, relativement modeste en matière de nombre, hautement symbolique en matière de droit : elle a trouvé un début significatif de résolution en 2003, au terme d’un effort d’explication mené par un nombre important d’organisations. Nous savons d’expérience que l’opinion publique demeure réceptive aux questions les plus complexes et les plus exigeantes dès lors qu’est entrepris le travail indispensable d’explication.
Le respect de la personne détenue n’effacera jamais la rigueur de l’enfermement. Il aura la qualité de ne pas ajouter de souffrance inutile et destructrice au gâchis collectif enduré par les victimes... comme par les auteurs d’infractions.

Bbz sept.-05

Le numerus clausus appliqué à la détention

Art. 719 du CPP. Les condamnés sont soumis dans les « maisons d’arrêt » à l’emprisonnement individuel de jour et de nuit, et dans les « établissements pour peines », à l’isolement de nuit seulement, après avoir subi éventuellement une période d’observation en cellule.
Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement temporaire ou des nécessités d’organisation du travail.

Art. D. 83 « Le régime appliqué dans les maisons d’arrêt est celui de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure ou la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale. »

Art. D 84 Dans les maisons d’arrêt cellulaires, ou dans les quartiers cellulaires de ces établissements, il ne peut être dérogé à l’emprisonnement individuel qu’à titre temporaire, en raison de leur encombrement ou, pendant la journée, en raison des nécessités de l’organisation du travail.

La notion de numerus clausus en matière de détention suggère un strict respect du code de procédure pénale : chaque personne doit être détenue dans une cellule individuelle. La campagne pour le respect du numerus clausus en prison a pour objectif que cette disposition soit inscrite, sans dérogation possible, dans la loi.

Le bénéfice attendu :
- améliorer de façon significative les conditions de détention si l’on considère qu’un nombre important des difficultés rencontrées par les personnes détenues et par les personnels de surveillance trouvent leur origine dans l’encombrement de certains établissements.

Les moyens proposés :
- limitation de la durée de l’incarcération en obligeant à la mise en œuvre des mesures prévues par les textes (régime de semi-liberté, demandes de mise en liberté, libérations conditionnelles, détentions provisoires trop longues, etc. )
- mise en œuvre des peines de substitution et des dispositifs alternatifs à la prison déjà présents dans l’arsenal législatif (amende, jour-amende, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve)
- suppression de la peine d’enfermement pour certains types de délits (infraction simple à la législation sur le séjour)
- libération anticipée d’un détenu en fin de peine pour permettre la mise en détention d’un nouvel arrivant.

Les étapes de la Campagne pour le respect du numerus clausus en prison

Juin 2005- décembre 2005 : les travaux préparatoires

1. Un séminaire sur la question du numerus clausus, animé par Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, a réuni une quarantaine de personnes, les samedis 25 juin et 10 septembre 2005 à Paris. Son objectif a été de mieux cerner cette disposition et de commencer à préciser les termes de la plateforme qui sera soumise aux structures et aux personnes désireuses de s’associer à la campagne.

2. Création d’un site Internet dédié à la Campagne. A l’adresse www.tropctrop.fr, chacun aura accès, à partir de décembre, à l’ensemble des ressources documentaires disponibles, au panorama des actions entreprises dans le cadre de la campagne partout en France et à leur calendrier. Des liens seront établis avec les associations engagées.

3. détermination des actions qui ponctueront la Campagne (premières suggestions : 1. le lancement ; 2. Les actions urgentes ; 3 Le secteur associatif se mobilise ; 4. Un colloque national ; 5. Le public répond à l’appel ; 6. Des personnalités s’engagent ; 7 La culture au service de la Campagne ; 8 Les candidats aux élections présidentielles sont interpellés ; Grand meeting à Paris)

4. Création graphique de la Campagne (identité visuelle, affiches, tracts/flyers, plaquette et autres...)

5. Recherche de financements.

6. Donner une dimension européenne à la Campagne

Janvier 2006- été 2007 : la campagne à l’œuvre

1 Conférence de presse de lancement. Vraisemblablement en janvier à Lyon

2 La rencontre nationale, samedi 14 janvier. Hôtel de Ville de Lyon. La vocation éthique et scientifique de la rencontre sera entièrement tournée vers l’action.

3 les actions urgentes, adressées par tous les partenaires de la Campagne aux autorités et à la presse selon les informations recueillies, informeront des difficultés souvent gravissimes rencontrées par les personnes détenues dans les cellules surpeuplées.

4 Les actions judiciaires. Publicité faite aux actions judiciaires engagées, du fait de la Campagne ou non

5 La mobilisation du secteur associatif sera signifiée par le nombre des structures en tous genres (éducatives, sociales, culturelles, syndicales, politiques, de solidarité, ...) qui rejoindront la plateforme. Obligation faite aux acteurs de la Campagne d’élargir le cercle, d’expliquer, de convaincre. Leur nom est mentionné sur le site de la Campagne.

6 Le public répond à l’appel. Les acteurs de la Campagne, impliqués dans le réseau associatif en France, font signer massivement par des individus l’appel pour le respect du numerus clausus en prison.

7 1. La culture au service de la Campagne. Les compagnies de cirques et des arts de la rue font la promotion de la Campagne jusqu’à son terme à l’occasion des spectacles qu’elles présentent.
2. Un film (recherche en cours) accompagne les réunions publiques organisées dans les villes par les acteurs locaux et nationaux de la Campagne.

8 Des personnalités s’engagent. Les acteurs de la Campagne invitent le plus grand nombre de personnalités à signer l’appel. Leur nom est mentionné sur le site de la Campagne.

9 Les candidats aux élections présidentielles sont interpellés. Un travail d’explication est entrepris auprès de chacun(e) des candidat(e)s à l’élection présidentielle de 2007 et de leur parti politique. Les parlementaires sont partout rencontrés par les acteurs locaux de la Campagne.

10 Le grand meeting à Paris. Une réunion publique mêlant prises de paroles et arts du cirque vient clore la Campagne peu avant les élections.

11 Travailler avec un autre pays européen.

Rencontre nationale
Hôtel de Ville de Lyon
samedi 14 janvier 2006

Les maisons d’arrêt sont surpeuplées. Le constat n’est plus à faire : les rapports existent. Ils sont sur les bureaux de tous les responsables politiques et rien ne change. A moins de deux années d’échéances électorales importantes et pour signaler le lancement d’une campagne pour le respect du numerus clausus en prison, s’impose l’organisation d’une rencontre nationale sur le problème de la surpopulation carcérale endémique et les façons concrètes de le résoudre.
Il s’agit pour nous d’organiser, samedi 14 janvier 2006 à l’Hôtel de Ville de Lyon, une rencontre action, ouverte à chacun : la dignité de la personne, fût-elle en prison, est l’affaire de tous. Aussi, la journée du 14 janvier verra se croiser les approches des personnes concernées -le détenu et sa famille- et du magistrat, du surveillant et du travailleurs social, du médecin et de l’étudiant, de l’avocat et du militant associatif ou syndical, du chercheur et du sociologue, de l’élu et de l’artiste. Pas pour un énième constat forcément accablant. Pour organiser l’action.
Toute personne s’estimant concernée sera invitée à se mobiliser dans sa région de résidence, à s’approprier les outils de la campagne et à contribuer à la réussite de nos travaux collectifs.

9 h-9 h 30 accueil

9 h 30-13 h apport de connaissances utiles à l’action (droit, démographie, statistiques, santé publique...).

13 h-14 h 30  déjeuner sur place

14 h 30-17 h  des paroles tournées vers l’action

17 h-17 h 45  des parlementaires de l’ensemble des formations politiques s’engagent.

17 h 45-18 h conclusions

les travaux préparatoires à la rencontre sont en cours
Le nombre de places est limité
Les inscriptions sont ouvertes au secrétariat de la Campagne

Arts du cirque et de la rue

Le principe même d’une campagne est de s’adresser à tous, de ne pas se parler « entre soi ». Les artistes nous permettent de faire partager notre projet à des personnes que nos mots n’atteindraient pas. En demandant à des artistes de cirque et de la rue de nous aider à porter, dans l’opinion, la question de la surpopulation carcérale et nos travaux pour y remédier, nous avons la conviction que nous serons mieux entendus.

Trois démarches simultanées seront proposée à chaque artiste ou compagnie :
- faire état, sur tout document édité, de sa participation à la Campagne
- diffuser, à l’occasion de chaque spectacle, l’Appel destiné à être signé par le public (sous forme de flyer au format carte postale)
- organiser une soirée, autour de son spectacle, qui réunira la compagnie et les associations locales mobilisées sur la Campagne pour une rencontre avec le public.

Une quarantaine de compagnies sont d’ores et déjà sollicitées pour participer, dimanche 18 décembre 2005, aux Subsistances (laboratoire de création artistique / Lyon) à une rencontre avec les animateurs de la campagne puis à la création du spectacle Tangentes, par la Compagnie Les mains, les pieds et la tête aussi et enfin à une soirée de fête composée par le musicien Akosh Szevelenyi.

Prenez l’initiative de mobiliser un artiste de cirque, une compagnie
autour du propos de la Campagne.
Merci de nous mettre en relation.

Les chiffres

POPULATION SOUS ECROU
Au 1er septembre 2005, l’effectif de la population sous écrou est de 57 582 (métropole et outre-mer). En excluant les 755 condamnés placés sous surveillance électronique et les 232 condamnés placées à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale de 56 595 pour 51 129 places opérationnelles, soit 111 détenus pour 100 places.

6 établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 p.100., 42 ont une densité comprise entre 150 et 200, 72 entre 100 et 150.

On notera les densités des maisons d’arrêt de Béziers (235 p. 100 places), de Lyon Montluc (223 détenus pour 100), du Puy (211 p . 100), de La Roche sur Yon (207 p. 100), de Lyon Perrache -Saint Paul et Saint Joseph (202 p. 100), ...

La proportion de prévenus, parmi l’ensemble des personnes écrouées, est de 35 %.

NB. Des chiffres essentiels que l’on cite rarement !

a- Population des centres de détention (CD), maisons centrales (MC) et quartiers CD ou MC des centres pénitentiaires : 16 869 personnes détenues pour 18 018 places opérationnelles, soit 1 149 places inoccupées (6,5 % de ce parc).

b- Population des Centres de semi-liberté (CSL) autonomes : 385 personnes détenues pour 638 places, soit 253 places inoccupées (40 % de ce parc)

c- Population des maisons d‘arrêts (MA) et CSL non autonomes et des quartiers MA des centres pénitentiaire : 39 341personnes détenues pour 32 473 places.
Il manque donc 6 868 places (soit 21 % du parc existant).

On y recense 20 228 prévenues et ... 19 113 condamnés. Ainsi, il y a
pratiquement autant de condamnés que de prévenus dans les maisons d’arrêt [1]

Dit d’une autre manière, il y a 6 868 condamnés de trop en maison d’arrêt.

Attention : ce raisonnement devrait être affiné en prenant en compte séparément chaque établissement (il existe des maisons d’arrêt avec une densité inférieure à 100 : Mont de Marsan, Pau, Châlons en Champagne, Nevers, Arras, Aurillac, Ajaccio, Versailles, etc.)

document élaboré par Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS

Libération

L’Etat jugé pour l’état de ses prisons
A Caen, début du procès intenté par une association de détenus contre la surpopulation carcérale.
Par Jacqueline COIGNARD
jeudi 13 janvier 2005 (Liberation - 06:00)
 
Caen envoyée spéciale
L’Etat français viole depuis longtemps et de manière permanente les règles qu’il a lui-même édictées en matière d’incarcération. C’est sur ce constat que repose l’action engagée devant le tribunal de grande instance de Caen par deux détenus et l’association A4DF (Association pour la défense des droits et de la dignité des détenus et de leur famille). La surpopulation est telle dans les prisons en général, et à la maison d’arrêt de Caen en particulier, que les demandeurs attaquent l’Etat pour faute lourde.
Une première : « Il n’y a de notre part aucune volonté de provocation », prévient leur défenseur, le bâtonnier Xavier Morice, plaidant hier devant la chambre civile du TGI. « Pour la première fois, nous voulons poser le débat devant la juridiction la plus naturelle : le juge judiciaire et non pas le juge administratif. » L’association considère que les magistrats sont responsables de la situation en continuant à envoyer des gens derrière les barreaux sans se préoccuper de savoir s’ils peuvent être accueillis dans les conditions prévues par la loi. Et non pas l’administration pénitentiaire qui ne peut refuser les détenus et qui ne cesse de tirer les sonnettes d’alarme. « La main droite de l’Etat ne peut continuer à ignorer ce que fait sa main gauche », résume Me Morice.
Des surveillants aux présidents de cours, tous s’alarment de la situation. Les avocats ont lancé un appel, organisé une journée de mobilisation l’an dernier. Pour quel résultat ? « Ces actions sont restées lettre morte », constate l’avocat de A4DF.
D’où l’idée de passer au stade de l’action judiciaire. A la maison d’arrêt de Caen s’entassent 411 détenus pour 310 places. Me Morice énumère les différents articles du code de procédure pénale qui prévoient l’encellulement individuel, l’incarcération des condamnés à des peines supérieures à un an dans des établissements pour peines (et non dans des maisons d’arrêt) ou encore la séparation entre récidivistes et primodélinquants.
Or, Patrick Rolland, l’un des détenus à l’origine de cette procédure, est resté trois ans à la maison d’arrêt de Caen après sa condamnation à douze ans de prison. Ce qui veut dire promiscuité, difficulté d’accéder à des formations ou à des ateliers, moins de parloirs, et au finale incapacité à préparer un retour à la vie à l’extérieur. « A la maison d’arrêt de Caen, plus de 60 % des détenus sont des condamnés. L’exception est devenue la règle. Un tiers d’entre eux, condamné à des peines supérieures à un an, est donc en situation illégale », martèle Me Morice.
La lecture du rapport établi en 2003 par le docteur Piednoir, médecin de la Ddass et membre de la commission de surveillance de la prison, est édifiante. Le médecin écrit qu’il n’y a pas de chauffage, que la moitié des douches sont « immondes », que les détenus ne peuvent laver leur linge que dans l’eau froide du lavabo de leur cellule...
Selon l’association, l’institution judiciaire doit mesurer les conséquences des décisions qu’elle prononce. Et donc s’organiser pour adapter la population pénale au nombre de places disponibles. Une position que réfute Me Jean-Marc Delas, avocat de l’Etat : « C’est un problème sociétal et politique avant d’être judiciaire. » Et si dysfonctionnement il y a, il doit être dénoncé devant la justice administrative, dit-il en demandant au tribunal de se déclarer incompétent : « Les conditions matérielles d’incarcération sont du ressort exclusif de l’administration. » C’est aussi l’avis du procureur, qui se place aux côtés de la défense de l’Etat.

Etienne Noël, avocat, a défendu des prisonniers victimes de violences :
« ça me choque toujours le prix d’une vie humaine »
Par Jacqueline COIGNARD
 samedi 10 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Combien vaut la vie d’un homme ? Celle d’un détenu de 26 ans, battu à mort par son codétenu, a été évaluée hier à 30 000 euros. L’administration pénitentiaire a reconnu avoir commis une faute en plaçant ce délinquant sans passé carcéral dans la cellule d’un homme qui attendait de passer aux assises pour « actes de torture et de barbarie » sur l’un de ses précédents compagnons de cellule. Dans le cadre d’un accord amiable, elle propose de verser 10 000 € à chacun de ses trois frères. Me Xavier Iochum, son avocat, se réserve la possibilité de saisir le tribunal administratif pour obtenir un montant supérieur. Réactions d’Etienne Noël, avocat à Rouen, membre de l’Observatoire des prisons, qui a défendu plusieurs détenus victimes de violences en prison, ou des familles de détenus qui s’y sont suicidés.
Cette indemnité de 30 000 euros, c’est la valeur d’un détenu ?
Ça me choque toujours, la valeur accordée à une vie humaine par les tribunaux administratifs, même quand ils reconnaissent la défaillance de la pénitentiaire. C’est déjà une victoire de faire reconnaître la faute. Mais en matière d’indemnités, on manque de références. Moi je demande des sommes importantes, symboliquement. Toutefois 30 000 euros, c’est mieux que ce qu’on m’a accordé pour des suicides ou des viols. Récemment, la femme et l’enfant mineur d’un homme qui s’est suicidé en prison ont obtenu 4 500 euros chacun, par exemple. Pour un détenu qui a subi, en prison, des violences proches d’actes de torture, l’indemnisation a été fixée à 3 000euros. Les parties civiles dans les procès de cour d’assises, comme la famille d’un homme victime d’un meurtre, sont mieux traitées.
Pourquoi ?
Quand il s’agit d’un détenu, son statut de victime n’est pas vraiment reconnu. On considère qu’il n’est pas pour rien dans ce qui lui arrive. On le voit comme un taulard avant tout. Or, cela devrait être le contraire ! L’administration pénitentiaire est le seul service public que les gens utilisent contre leur gré. En détention, ils se trouvent pieds et poings liés face à l’administration, qui est d’autant plus garante de leur sécurité. Les tribunaux administratifs se démarquent davantage et hésitent de moins en moins à condamner l’Etat. Le droit pénal administratif se développe. Cependant, la jurisprudence est très ténue, et il n’existe pas de barèmes pour les indemnisations.
Les victimes d’infractions pénales sont mieux indemnisées ?
Leur cas est examiné par la commission des victimes d’infractions qui est présidée par un magistrat, et les indemnités sont prélevées sur un fonds de garantie alimenté par une cotisation sur les contrats d’assurances. Dans ces cas, il existe des barèmes, des jurisprudences, dont les magistrats se servent pour fixer les indemnités. En matière de préjudices corporels très graves, les sommes peuvent atteindre 700 000 ou 800 000 euros, voire davantage. Les préjudices économiques doivent se justifier parfois à l’euro près : pertes de salaires, notamment. Et il existe des forfaits pour les personnes qui ne justifient pas de revenus, comme les écoliers ou les femmes au foyer. Quant au préjudice moral, c’est une notion plus immatérielle, difficile à appréhender et à chiffrer. Mais il est certain que les enfants d’un patron d’entreprise recevront plus que ceux d’un RMiste, car le défunt rapportait plus d’argent à sa famille.

Le Monde

Trois détenus obtiennent de la justice administrative une inspection inédite des prisons de Lyon
LE MONDE | 01.09.05 | 14h11
Mis à jour le 01.09.05 | 14h11
LYON correspondance

Un huissier s’est présenté, mercredi 31 août, à la porte de la maison d’arrêt pour femmes de Montluc, dans le 3e arrondissement de Lyon. Il a accompagné Eric Waltz, géomètre-expert, pour une visite assez inhabituelle. L’expert avait été désigné par le tribunal administratif de Lyon, en vertu d’une ordonnance du juge des référés du 21 juillet, pour constater les conditions de détention dans l’établissement.
L’ordonnance précise que l’expert doit décrire l’état des cellules et des parties communes, déterminer le volume des pièces et leur système de ventilation, se faire communiquer tous les documents par l’administration pénitentiaire. Il doit également entendre "toute personne dont le témoignage est nécessaire à l’ ! accomplissement de sa mission" .
Jeudi, la démarche devait se répéter dans les établissements de Saint-Paul et Saint-Joseph, dans le quartier de Perrache. Le tribunal attend un rapport sur l’ensemble des prisons de Lyon avant le 30 septembre. "Nous sommes à l’entière disposition de cet expert à la demande du tribunal administratif, la visite sera totalement libre" , assure David Schots, directeur adjoint des prisons de Lyon, qui reconnaît qu’il s’agit bien là d’une "première" .
Cette expertise résulte d’une demande formulée par l’avocat lyonnais Jacques Debray, au nom de trois détenus, actuellement emprisonnés dans ces établissements. L’avocat souhaite que les résultats de l’expertise soient comparés aux règles du code de la construction et de l’habitation, applicables aux locaux de détention, selon un décret du 30 janvier 2002.
Le code prévoit notamment les surfaces et les volumes dont doit bénéficier chaque détenu. Si l’expertise venait ! à soulever des anomalies, la procédure pourrait donner lieu à ! une demande d’indemnités en réparation de conditions de détention dégradantes, ou à une injonction adressée à l’Etat pour une remise en conformité des locaux.
A travers ce bras de fer juridico-administratif, l’avocat entend dénoncer l’état des prisons lyonnaises, surnommées "la marmite du diable" depuis un reportage diffusé dans l’émission Envoyé spécial , sur France 2, en 2000, en raison de la promiscuité et de l’insalubrité dans des bâtiments où l’on peut, par exemple, croiser d’énormes rats (Le Monde du 3 avril 2000). En juillet, la prison Montluc affichait un taux d’occupation de 300 %, avec 72 détenues pour 24 places. Mardi 30 août, le nombre était redescendu à 56. Saint-Paul et Saint-Joseph comptaient 861 détenus pour 361 places, soit un taux d’occupation de 237 %. Mardi, ils étaient 754.
"A Lyon, les conditions carcérales sont extrêmement pénibles, sans doute les plus criantes sur le territoire national" , estime Bertrand ! Sayn, représentant local du Syndicat des avocats de France (SAF). Le syndicat veut lancer une campagne similaire dans plusieurs régions, en proposant même un "kit juridique" à ses adhérents. Une expertise a ainsi été obtenue à Nantes, le 28 janvier, concernant la maison d’arrêt pour hommes. Le personnel pénitentiaire observe de près cette initiative, avec une pointe de réserve. "Nous avons fréquemment évoqué l’état de délabrement des prisons de Lyon, si la démarche vise au respect de la dignité on ne peut lui donner tort, mais nous n’en connaissons pas toutes les motivations" , dit Pascal Rossignol, secrétaire général adjoint de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (syndicat de surveillants, UFAP) Rhône-Alpes-Auvergne. La construction d’un nouvel établissement pénitentiaire de 600 places est annoncée pour 2006, à Corbas, à l’est de l’agglomération lyonnaise.
Richard Schittly Article paru dans l’édition du 02.09.0

Notes:

[1] On a pu lire, dans un essai récent, que l’on trouvait, en maison d‘arrêt, le 1/3 des détenus. En fait la proportion est d’environ 70 % ! 1/3 c’est, en gros, la proportion de prévenus dans l’ensemble de la population carcérale. Que de confusion dans les esprits !