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cet été 2008, pour moi aussi la prison est entrée dans ma vie

Mise en ligne : 14 mai 2009

Dernière modification : 18 mai 2009

autre témoignage d’une mère dont le fils est incarcéré

Texte de l'article :

 

mai 2009

La prison est entrée dans ma vie moi aussi, pour la première fois ; on dirait presque le titre d’un roman, d’un roman noir. Je me suis complètement retrouvée dans ce passage biographique ; j’étais presque rassurée ; non seulement c’est-ce que j’ai ressenti mais aussi ce que j’ai vécu et ce que je vis mais aussi de voir que ça n’arrive pas qu’aux autres.

A ce jour, ma vie n’a toujours pas de goût : je survis, je subsiste et je me sustente. De sa prison à ma mort, il n’y a qu’un pas ; j’ai souvent pensé au suicide et pourtant je n’ai pas franchi ce pas, par peur de l’inconnu non pas pour moi (il faut bien mourir un jour et je souffre tellement dans ma chair et dans ma dignité) mais pour mon fils. Ma mort serait sa peine de mort, en plus de la prison (dedans aujourd’hui et demain dehors) ; je n’ai pas le droit de le rendre plus coupable que ce qu’il est, coupable de ma mort, de ma fuite et de ne pas être là pour lui aujourd’hui et demain. Je suis sa mère pour le meilleur et le pire, dans le pire jusqu’au meilleur ; je dois lui tenir la main dans le pire pour l’amener au mieux, au meilleur. Voilà mon combat, ma raison de survivre et de me survivre.


J’ai été terrifiée et à la fois abasourdie (heureusement) quand ils sont venus chercher mon fils ; ils étaient 5 dont une femme, avec des brassards oranges au bras, un lundi vers midi et demi comme dans un film policier, un mauvais polar ; deux d’entre eux ont fouillé sa chambre, trois sont restés à « nous » surveiller. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient ; c’était probablement, sûrement une erreur. De témoin il est devenu suspect et menotté. J’ai eu un cri de douleur quand ils lui ont mis les menottes et emmené. J’étais toujours persuadée qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il serait relâché ; avec son père, on s’est dit qu’il se remettrait d’une garde à vue, pourvu que tout se passe bien ! Le lendemain, on nous a téléphonés et convoqués pour le matin même, les parents et la petite amie ; on a été interrogé sur l’emploi du temps de notre fils le vendredi de 19 H à 19 H 30 : où il était, comment il était habillé, avec qui … Trois jours après, pas facile de dire à la minute près les détails et puis on était bousculé et j’étais encore abasourdie ; je confondais les endroits, les heures…
 
J’ai eu un moment de révolte quand un inspecteur m’a décrit mon fils comme un voyou, une racaille, un fainéant ; ce n’était pas du tout son profil : mon fils est un garçon gentil au casier judiciaire vierge (une erreur de jeunesse, vol dans un magasin, alors qu’il était mineur) et travailleur (récolte des melons chaque été, tri dans une décharge, distribution d’annuaires récemment) ; ils se trompaient comme d’autres se sont trompés sur son compte : il a été « accusé », à tort ou plutôt entendu comme témoin pour des tags, alors que le coupable (un Français au visage pâle) a été arrêté. Il a été souvent contrôlé (contrôles d’identité) sans suite ; au lycée on a cru entendre sa voix lors d’insultes envers un prof ; il a la gueule, la couleur, la tenue vestimentaire, l’origine du domicile du délit de faciès.
J’avais commencé à me renseigner sur la diffamation, la discrimination, auprès d’une association, mais j’ai laissé tomber, trop difficile à prouver.
 
Le mardi après-midi, on nous rappelle pour nous dire que notre fils a avoué sa participation mais ne veut pas dénoncer ses complices ; on me l’a passé au téléphone : j’ai hurlé de douleur et pleuré. Son père lui a parlé, conseillé de dénoncer, en vain. On est allé au tribunal pour trouver des adresses d’avocat. Un nom a retenu mon attention car il est « vieux » donc expérimenté, célèbre donc il a défendu de nombreux cas et bien défendu, je crois. Le mercredi, j’ai téléphoné à l’avocat choisi et il nous a dit de passer de suite (il allait être déféré le jeudi matin). Je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai écrit déjà une première lettre ; j’avais les yeux boursouflés d’avoir pleuré. L’avocat nous a rassurés : il a l’habitude, il a déjà eu des affaires similaires… Décontracté, confiant, il a passé quelques coups de fils : il avait l’affaire dans une main et il lui manquait le chèque dans l’autre. Pas le choix, pas le temps ! Le jeudi matin, mon fils passait devant le juge. On a pu le voir dans le bureau du juge avant qu’il aille en maison d’arrêt : livide, pas rasé, fatigué, menotté. Je ne voyais que lui. Je l’ai serré dans mes bras ; une larme a coulé sur son visage puis une autre… Il m’a dit de ne pas m’inquiéter, de partir en vacances voir ma mère et de prendre soin de sa copine et de la petite. Il ne pensait même pas à lui à croire qu’il ne réalisait pas où il allait, ni le temps pendant lequel il allait rester ; ou alors il avait tellement vu de jeunes y aller et en sortir. Avant les jeunes allaient au service militaire, aujourd’hui ils vont en prison…
 
J’étais anéantie : pourquoi ? comment ? S’il était coupable, je l’étais aussi : coupable d’avoir été une mère qui n’a rien vu venir, qui n’a rien pressenti et coupable de le voir souffrir, coupable face à la victime et à la société d’avoir un fils délinquant. On parle beaucoup de la responsabilité des parents et je me sens responsable : ce que j’ai fait ou pas fait, ce que j’aurais dû faire notamment ne pas habiter une cité, mettre mes enfants dans une école privée, plus les surveiller (même à 21 ans) et les empêcher d’avoir des mauvaises fréquentations… Et même si mes voisins, amis ont été surpris de ce qui m’arrivait, de ce qu’avait fait mon fils, même s’ils me rassuraient sur mes qualités de mère, j’étais (et je le suis encore) persuadée que j’ai failli dans l’éducation que je lui ai donnée et peut-être même dans l’amour qu’on se devait.

J’étais effondrée car il s’agit aussi d’une trahison de la part de mon fils, quoiqu’on me dise. Je remets en question, je suis dubitative de l’amour de mon fils pour moi, pour nous ; s’il avait pensé 5 minutes, 5 secondes à ce que j’allais connaître, ressentir, subir, il n’aurait pas fait ce qu’il a fait. On me dit que ça ne se passe pas comme ça : c’est un acte irréfléchi, un « pétage de plomb » qui peut arriver à tout le monde quelque soit son âge, son éducation, son origine… Si j’en suis convaincue pour les autres, je ne le suis pas pour mon fils : s’il m’aimait, il n’aurait pas dû !
Anéantie et effondrée, il a bien fallu que je consulte mon médecin pour ne pas tomber, pour ne pas craquer : un médicament pour le jour, un antidépresseur (séroplex) et un pour la nuit, un tranquillisant/somnifère (stilnox) pour éviter la mort et la folie.
 
Je suis honteuse au point de ne pas en avoir parlé à ma famille qui est loin, à mes collègues de travail qui me respectent et m’apprécient ; de toute façon, ils ne pourraient rien faire pour moi, pas même me conseiller : une telle situation leur est inconnue ; à mon travail, mes collègues parlent de leurs enfants et de leurs grandes études, de leur métier qu’ils ont choisi, de leur vie professionnelle et familiale pleine d’avenir… Je serai la risée, la victime d’un fils ingrat et « monstrueux » au point que je ne pourrai plus supporter les regards, les messes basses ou les sous-entendus au point de ne plus venir travailler. Si certains, ceux qui travaillent avec moi dans le même bureau, le « savent », savent qu’il est arrivé quelque chose de grave et de pas bien à mon fils, ils font preuve de pudeur et ne discrétion et je les en remercie.
Ma mère est à des milliers de kilomètres, malade, tout comme mes grands-parents très âgés et malades ; ma sœur aussi fait une dépression. Un jour, elle disait que si l’un de ses enfants devait connaître la prison, elle se pendrait… Dois-je me pendre plutôt que de faire comme si de rien n’était ? Connaissant mon fils gentil, calme, affectueux, respectueux, très proche de moi (un jour on l’a pris pour mon mari) presqu’un exemple dans la famille, ça serait un choc.
 
Mon frère qui est plus près mais quand même à des centaines de kilomètres est au courant et ne peut pas faire grand-chose sinon me téléphoner et me remonter le moral, me donner du courage et écrire à son neveu. Les amis, les voisins qui le voyaient vivre n’en reviennent pas : un garçon poli et serviable, un fils sage, un frère gentil et pas autoritaire et un bosseur. La seule inquiétude était qu’il sortait avec une fille-mère et que pour son jeune âge c’était lourd, mais que pouvais-je faire sinon le soutenir dans cette relation (il est amoureux) et l’aider ? En plus, il remplissait le rôle de papa à merveille ; je le voyais quand il ne travaillait pas emmener la petite à l’école, se soucier quand elle était malade, veiller à ce qu’elle ne manque de rien… Il nous l’amenait comme si nous étions ses grands-parents, ce que nous sommes, des grands-parents de cœur.
Honte aussi pour ma famille dont le nom, la réputation, l’honneur sont et seront traînés dans la boue, dans les faits divers, dans les journaux. Moi qui marchait la tête haute, pour moi et mes enfants, je marche la tête basse, je rase les murs à cause de mon fils alors que j’étais toujours fait en sorte d’avoir et de garder mon honneur : j’ai toujours travaillé, payé mes dettes, essayé d’être irréprochable en tant qu’épouse, mère, citoyenne, pour ne pas avoir honte et pour que mes enfants n’aient pas honte et aujourd’hui je suis habillée de honte.
 
Je suis résignée à vivre cette peur, cette souffrance, ce déchirement, ces insomnies, cette honte et ces humiliations dans le regard des autres (les matons, les administrations, puis bientôt le tribunal, la victime, le public…) car je ne suis pas la seule ; ça n’arrive pas qu’aux autres. Une leçon d’humilité : on croit que ça n’arrive qu’à une catégorie de personnes (des hommes, des personnes d’origine étrangère, des pauvres gens…) qu’on est épargné parce qu’on est des gens de bonne famille, que personne dans notre famille n’a connu la prison, parce qu’on travaille…Et on se retrouve là, avec des gens qu’on ne connaît pas, qu’on aurait jamais dû connaître, des gens habitués, calmes, des personnes d’origine étrangère… Tels des moutons de Panurge, on se suit, on marche en groupe, on se regarde, on se sourit du bout des lèvres (un sourire de compassion et de souffrance), on avance, on attend qu’on nous appelle, on passe sous un portique et sous le regard méprisant du personnel. On attend l’arrivée d’un proche, d’un fils, d’un père, d’un mari qu’il soit voleur, dealer, braqueur, violeur. Je suis oppressée, résignée et presque heureuse de le voir, coupable d’être heureuse alors que je sais que je vais sortir et qu’il va rester, repartir dans sa cellule que j’essaie d’imaginer chaque soir. Je rentre ; je suis lessivée, malgré le Séroplex ; vivement ce soir que je prenne mon Stilnox !
 
Je suis seule, je me sens seule ; comment partager cette douleur, cette « maladie » infamante avec les autres même s’ils compatissent, me plaignent, me demandent des nouvelles ? Pour eux, la vie continue. Même mon mari et mes filles, je ne peux exiger d’eux qu’ils souffrent autant que moi ; ils se disent eux aussi que ce qui est arrivé est de sa faute à lui, qu’il est responsable et qu’il doit assumer la sanction ; on fait notre devoir de parents : on va le voir, on lui lave son linge, on suit l’affaire, on paye l’avocat, on fait les mandats… Les voisins, les amis, la famille eux écrivent mais les courriers s’espacent même ceux de la petite amie ; pour les mandats, il ne faut compter que sur soi, sur nous - ses parents - et ses sœurs : plus de collègues et pas trop de famille tout à coup ! Je tiens moi-même à préparer son linge. Je lui écris plusieurs fois par semaine même si je vais le voir régulièrement ; je lui écris des mots d’amour, lui raconte notre vie au jour le jour, je lui fais des poèmes, parfois des reproches même si je me retiens ; je me retiens tellement que j’écris des lettres de reproches et presque de haine que je ne lui envoie pas. Je reste la seule à lui écrire tout comme je veux être seule à porter cette croix, sa croix, avec lui. Il répond à chacune de mes lettres, me dit des mots d’amour, me demande pardon, me fait des poèmes ; il dit qu’il m’aime ; il ne me l’a jamais autant dit. Il avait des actes insignifiants d’amour : il m’offrait des fleurs, il faisait à manger, il était gentil, il me caressait les cheveux quand j’étais allongée sur le canapé, il me servait, il s’occupait de ses sœurs, il nous obéissait et nous respectait, ça me suffisait. Ces actes insignifiants me manquent. Alors je lis et relis ses lettres, je regarde les albums de photos et je pleure. Comme dit ma dernière, je pleure dedans et dehors, je travaille, quand je ne suis pas au travail, je pleure ; voilà ma vie aujourd’hui : la prison de mon fils et mon travail, plus trop de place pour le reste, mes filles et mon mari, pour les joies de la vie, les autres.

Je suis inquiète ; je vis dans la peur à chaque fois que je vois la police, une voiture de police qui s’arrête, quand on sonne à ma porte ; je revis chaque instant de l’arrestation de mon fils. Je vis avec la peur pour aujourd’hui et demain ; comment vit-il matériellement, moralement sa détention, sa vie derrière les barreaux pour la première fois ? Je regarde les reportages, les articles sur la vie en prison : les viols, les bagarres, les conditions (la cellule, la nourriture, la douche), les règles, les matons… Et s’il est malade ? Quand je vais au parloir, mon cœur palpite : comment vais-je le retrouver ? Je ne parle pas beaucoup, je l’observe : il est mal rasé, ses dents … J’étudie son regard et ses expressions pour deviner son moral qu’il essaie de me cacher comme moi je cache ma détresse, mes angoisses quotidiennes, diurnes et nocturnes, pour aujourd’hui et demain. Quand va-t-il sortir et comment va-t-il sortir ? dans quel état ? S’il était grillé (par sa couleur, son faciès, son manque de diplôme et d’expérience, son âge), là il est carbonisé avec un casier judiciaire. Avant, comme il dit, malgré un petit diplôme de comptabilité, il faisait des boulots « de merde » (ingrats, durs et mal payés) maintenant, que va-t-il trouver ? Et sa petite amie va-t-elle l’attendre, l’amour sera-t-il plus fort, le nôtre oui mais le sien ? Je ne lui en voudrai même pas : elle a une petite et ce n’est pas un futur évident avec un ex-détenu. L’amitié a ses failles, ses limites, l’amour avec un grand A aussi.
Et lui, comment va-t-il vivre cette séparation forcée, contre son gré alors qu’il a tout donné, beaucoup donné, peut-être trop voulu donner ? S’il ne l’a jamais dit, c’est peut-être un peu pour elle qu’il est « tombé », par amour. Le jour où il le dira, où il se l’avouera et qu’elles seront parties, que va-t-il se passer ? Des remises en questions aux questions, des questions aux craintes, difficile de survivre et de se survivre …
 
Même si mon fils sort de cette prison – et il sortira – la prison, elle, va t-elle sortir un jour de notre vie ?
 
 
Mimi