« Cette évasion pour nous, c’était une bouffée d’oxygène... »
Jeudi a débuté à Paris le procès des auteurs et complices présumés d’une tentative d’évasion de la centrale de Moulins-Yzeure en 2003
Dans le box : les braqueurs Michel Ghellam et Jean-Christophe Pedron et Régis Schleicher, ancien membre d’Action directe
C’était le 12 février 2003, au centre socio-culturel Baudelaire de la prison de Moulins-Yzeure (Allier). La centrale est réputée pour son système, on la dit « la plus sécuritaire d’Europe ». Ici, se purgent de très longues peines. Le surveillant Moreno prend son service, seul, il est environ 8h. Michel Ghellam toque à la porte. « Je n’ai rien remarqué de spécial, a raconté le surveillant aux policiers, sauf qu’à la réflexion j’ai trouvé curieux que Ghellam demande l’ouverture de l’atelier peinture, alors qu’il n’est pas peintre. Et puis il portait un pantalon alors qu’habituellement, il est en short ». Moreno se rend à son bureau inscrire l’arrivée de Ghellam. Dix minutes plus tard, Régis Schleicher frappe à son tour à l’entrée du « socio », comme disent les détenus. Puis c’est Jean-Christophe Pedron qui entre. Et Ghellam a surgi avec une arme de poing, un Glock 9mm. « Bouge pas ! Crie pas ! Tout se passera bien ! » « Déconnez pas, j’ai une gamine ! », supplie le surveillant.
Trois ans après une spectaculaire belle par hélicoptère (« Libération » du 10 juin 2000), la tentative d’évasion a commencé. Le surveillant est ligoté avec du large ruban adhésif. Pedron lui bouche les oreilles avec ses pouces. Deux explosions. La porte du « socio » saute. Voilà les trois qui courent sur une terrasse. Depuis un mirador, un surveillant ouvre le feu. Pedron tombe, blessé au bras. Cinq minutes après, Ghellam et Schleicher lèvent les bras en l’air, ils se rendent.
Les voilà, jeudi, tous les trois dans le box de la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Des « RCP », réclusion criminelle à perpétuité. De gauche à droite, Ghellam, le braqueur, 46 ans et déjà condamné pour une tentative d’évasion de Clairvaux. Un moustachu aux gros biceps. Un beau parleur aussi, qui se défend tout seul. Régis Schleicher, 48 ans, un ancien d’Action directe qui porte son tee-shirt noir, signé rouge « Vive la liberté ! » et qui sourit à ses copains, qui dans la salle, arborent le même tee-shirt que lui. Jean-Christophe Pedron, 36 ans, un braqueur, crâne rasé, mains jointes sur la poitrine.
Ce procès, ils veulent que ce soit celui de la prison et des longues peines. Et, c’est étrange, ils rigolent. Me Jacques Vergès, l’avocat de Schleicher, avait confié avant l’audience : « Les faits, je vous le dis, Régis et moi on s’en fout ! Etant donné les conditions de détention, la longueur des peines, il existe un devoir de s’évader ! ». Et Schleicher raconte au président. « En 1997, à la centrale de Clairvaux, j’ai fait l’objet d’une tentative d’assssinat (il a été grièvement blessé à la tête à coups de barre de fer, NDLR) et à l’origine l’on a retrouvé un membre de l’administration pénitentiaire. En 1999, ayant achevé ma période de sûreté, j’étais théoriquement proposable pour une libération conditionnelle, mais le greffe avec les procureurs et le juge de l’application des peines ont décidé que pour moi, les périodes de sûreté se cumulaient, c’était une aberration juridique, mais on a mis du temps à le faire juger. En 2001, un magistrat s’est permis de mettre en cause mon avocat, Me Vergès. Alors, j’ai compris que la libération conditionnelle me serait toujours refusée, et j’ai fait savoir dans la prison que j’étais candidat à cette évasion... ». Pedron résume : « Les prisons sont des mouroirs, cette évasion pour nous, c’était une bouffée d’oxygène... ».
Malgré cela, les faits aussi sont l’occasion de pointer des zones peu explorées de l’enquête. « Elle n’a pu déterminer les conditions d’entrée des armes et des explosifs, les éventuelles complicités internes ou externes (autres que celles des mis en examen) n’étant pas élucidées », est-il écrit dans le réquisitoire. Alors comment ? Car les trois étaient en possession de six détonateurs, trois pains d’explosifs, sans compter le Glock et douze cartouches 9mm. Et puis un portable et sa puce que Ghellam a tenté de machouiller pour la détruire avant sa reddition. Voilà l’explication de Ghellam : « En prison, circule beaucoup de matos. On sait qui vend ceci ou cela... ». Selon lui, une fouille générale devait avoir lieu le 14 février, « certaines personnes m’ont proposé les explosifs et l’arme, alors j’ai fait le tour des candidats à cette évasion, c’était le jour ou jamais, sinon tout cela aurait été perdu.... C’était dommage... ». Certaines personnes, mais qui ?, veut savoir Etienne Fradin, le président. Et les prisonniers, sans répondre, prennent des airs mystérieux. Les explosifs étaient cachés dans la trappe des toilettes et dans les enceintes audio d’une salle du « socio ». Me Vergès sourit aux juges : « Je vous demande de noter que les explosifs se trouvaient dans une salle qui n’était accessible qu’aux gardiens. Ces derniers n’ont même pas été interrogés... Révélateur, non ? ». Et l’arme ? En pièces détachées ? Malgré les portiques de sécurité ? Pas facile, mais possible selon l’enquête, tant le portique semble sonner de manière aléatoire.
Sur les tirs des surveillants, l’enquête a été assez succinte. Ghellam : « Ils nous ont tiré dessus à maintes reprises, j’ai entendu les balles siffler à au moins dix reprises ». Pedron : « Il m’a tiré à la tête, atteignant mon bras, puisque j’avais les bras en l’air. Et voilà... C’est des gens, on leur tire dessus, on essaye de les tuer, il n’y a pas de balistique ! C’est rien, c’est normal, c’est la France ! ». Schleicher, lui ne dit rien. « Je joue le rôle du prévenu taisant puisque le tribunal a refusé d’auditionner ce surveillant ».
Et ce portable ? Ghellam hausse les épaules : « il y en plein qui circulent dans toutes les prisons. C’est un petit espace de liberté, un moyen de communiquer un peu avec l’extérieur ». Ce portable lui a servi à téléphoner à sa femme Marie. Mais aussi à son avocate Françoise Luneau avec qui il avait lié des relations - particulières, selon l’accusation. C’est elle qui lui a fourni la puce. Elle aussi qui, pour l’aider, aurait retiré 4000 euros, peu avant la tentative d’évasion. Elle encore qui lui envoyait 300 euros chaque mois.... Elle comparait pour complicité. Libre, après un an de prison, assise sur le même banc que Marie Ghellam. Le procès se tient sur deux semaines, en quatre jours, les jeudi et vendredi.
Libération du 25 novembre 2005
par Dominique SIMMONOT