Contrôleur des prisons : recommandations quant à la gestion du désastre
En septembre, la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône a été visitée par le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, Jean-Marie Delarue. Le rapport complet a été communiqué à la garde des sceaux et à la ministre de la santé, lesquelles ont fait connaître leur réponse. Suite à cela, le contrôleur a décidé de rendre publiques [1] six des recommandations formulées, lui paraissant présenter « un degré de généralisation important ». La première concerne le parcours d’exécution des peines, un des points de la future loi pénitentiaire - si elle cesse un jour d’être en éternelle gestation. A partir de l’initiative menée à Villefranche, (« parcours individualisé des détenus »), J-M Delarue constate que « ce parcours consiste à opérer un tri parmi les condamnés, en proposant une évolution à certains d’entre eux et en laissant les autres sans espoir d’amélioration de leur sort. Les premiers sont gratifiés d’un « "contrat" quelquefois bien réel, mais parfois aussi vide de tout contenu (...) ; » Autre constat : quand des prisonniers veulent se plaindre de décisions prises à leur encontre, la possibilité de recours est insuffisante. « les lettres peuvent être ouvertes par celui dont on se plaint ; leur acheminement n’est pas garanti ; elles peuvent demeurer sans réponse. Certes, beaucoup sont vouées à l’échec, certaines sont abusives. Mais, même maladroite ou erronée, la demande du détenu ne saurait être ignorée. » Troisièmement, les directeurs d’établissement et leurs adjoints, accaparés par les nombreuses tâches incombant à leur fonction, passent trop peu de temps en détention et n’ont donc pas une bonne connaissance de celle-ci et des personnes qui s’y trouvent. « Il est nécessaire que l’emploi du temps des responsables d’établissement leur permette (...) de recevoir ceux des détenus qui le souhaitent en audience, de répondre à leurs demandes écrites (...) » La quatrième recommandation - sur laquelle ont complaisamment titré d’inqualifiables journaux - désigne les cours de promenade comme « les lieux de tous les dangers : menaces, rackets, violences, jets de projectiles, trafics... », où « le personnel ne s’introduit jamais (...) ». « Elles constituent paradoxalement un espace dépourvu de règles dans des établissements soumis à des normes multiples et incessantes. » Face à cette situation, l’administration pénitentiaire doit avoir pour objectif « la reconquête des cours de promenade ». Le point suivant concerne les grillages, épais et aux mailles très serrées, posés aux fenêtres en remplacement des barreaux, dans le but de diminuer la pratique du yoyo (transmission d’objets de cellule en cellule) et les jets de détritus à l’extérieur. Ils ont pour effet « de plonger les cellules dans la journée dans une quasi-obscurité, donnant aux détenus une forte impression d’isolement et d’ombre. Ces dispositifs peuvent même avoir pour effet de les priver de toute vision du ciel. Ils aggravent la vie cellulaire déjà difficile ou très difficile, attisent les sentiments dépressifs ou de colère. » Enfin il a été constaté que les personnels du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) « surchargés de tâches bureaucratiques et de cas à traiter » ne peuvent plus rencontrer les prisonniers et prendre en considération leurs demandes. « La prise en charge sociale de la plupart des détenus est défaillante aujourd’hui. » Ce point est à rapprocher du point 3 : c’est entre autres « un effort constant d’écoute » qui, selon J-M Delarue, permettra de « restaurer la qualité de cette prise en charge ». Ecoute par les directeurs (et leurs adjoints)... des psycho-socio-directeurs, en quelque sorte ? Ecoute par les personnels des SPIP... Ecoute par les surveillants... des psycho-socio-matons, pour ainsi dire ? Diantre ! Si les recommandations de M. le contrôleur général étaient suivies d’effets, la prison risquerait de devenir le lieu numéro un de l’écoute ! Notons de plus que les recommandations 1, 4, 5 et 6 contiennent une référence plus ou moins directe aux moyens insuffisants, réalité qui n’est ignorée ni par le ministère, ni par la pénitentiaire. Depuis longtemps, la priorité a été donnée à la sécurité, au détriment du reste. A quoi peut-il donc servir de réclamer plus de moyens ? Au premier abord, à rien. Mais si cette demande est précédée par une argumentation visant à démontrer l’intérêt des recommandations en ce qui concerne la sécurité et, accessoirement, les suicides - qui actuellement font mauvaise presse à l’administration pénitentiaire -, elle pourrait éventuellement bénéficier de quelques euros... Le contrôleur Delarue a longuement commenté ses recommandations choisies. Tout en précisant que les trois suicides survenus à Villefranche en 2008, avant son "inspection", ne lui ont pas semblé remettre en cause le fonctionnement de la maison d’arrêt, il a déclaré : « Les suicides sont évidemment liés aux conditions d’existence. La tension dans les établissements pénitentiaires est un facteur évidemment aggravant de suicides. Le suicide, je le rappelle, c’est le moyen de défense des gens qui n’ont rien d’autre pour se défendre. » Revoilà cette psychologisation - et comment pourrait-il en être autrement ? Elle envahit tout ! - qui permet de soutenir n’importe quel type de discours et d’adapter la perception de la réalité aux besoins du pouvoir. L’acte-même d’emprisonner, nous le rappelons, est un acte destructeur, le "suicide" est pour une personne emprisonnée la phase ultime d’un processus de destruction subi. Le reste n’est que considérations secondaires participant à la construction d’une représentation erronée de la réalité, le but recherché étant que cette représentation consensuelle molle diffuse dans un maximum de cerveaux disponibles. J-M Delarue, toujours : « Si ces quatre conditions étaient assurées [la confidentialité du courrier de recours du prisonnier, sa transmission, sa lecture et la réponse donnée à ce courrier], il y aurait des protestations qui pourraient se faire beaucoup plus normalement et c’est un facteur de diminution de la tension et de la violence. C’est ce que nous demandons. C’est pas le fruit d’élucubrations de quelques intellectuels en chambre, c’est le fruit de visites approfondies, qui ont duré plusieurs jours, avec plusieurs personnes sur place et dans une écoute contradictoire des personnels et des détenus. » Résumons : à côté des demandes pouvant être « maladroites ou erronées » des prisonniers et des « élucubrations d’intellectuels en chambre », ces recommandations constituent le seul discours qui vaille, car rigoureux, objectif, issu d’un travail de terrain approfondi. Et réellement indépendant, également ? C’est à ce discours tenu que l’on voit que Delarue a commencé à tenir le rôle que le pouvoir attend de lui : celui de la personne-alibi qui, par ses belles paroles, va donner l’illusion qu’en haut lieu on se soucie des prisonniers et qu’on a la réelle volonté d’agir pour améliorer leur sort. Par exemple, par rapport aux "suicides", dont le nombre, depuis le début de l’année, n’a jamais été aussi élevé [2], le ministère de la justice doit continuer à donner l’illusion qu’il fait quelque chose et l’on voit que les premières recommandations du contrôleur servent, entre autres, à cela. Là où certains rêvaient à la mise en place d’une véritable instance de contrôle des pratiques pénitentiaires, apparaît une simple variante de l’exercice des pouvoirs judiciaire et carcéral. Mais terminons sur une note pragmatique, en phase avec la qualité première de ces recommandations : dans six mois, cela ne fait aucun doute, M. le contrôleur général et ses collaborateurs seront revenus à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône constater la disparition des grillages aux fenêtres...
Jean-Luc Guilhem, 18 janvier 2009