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http://www.survivreausida.net/article5757.html
En 1995, Alain Moreau, un vidéaste responsable de la télévision interne à la Maison d’arrêt de la Santé, avait gratté un budget au Ministère de la santé pour faire un film sur le sida et l’immigration. Il accouchera d’un monstre en vidéo, qui porte le nom Le sida... sauf votre respect. Le Ministère en est très fier, et a diffusé gratuitement plusieurs milliers d’exemplaires de cette cassette maudite. Le problème porte sur le contenu du film, mais d’abord sur la façon dont il a été fait.
En effet, quand j’avais rencontré Moreau en octobre 1996, il m’avait déclaré qu’il avait utilisé des détenus d’origine arabe à la Maison d’arrêt de la santé car, m’avait-il expliqué, il ne connaissait pas d’autres immigrés et (je cite) ; « il fallait que je fasse ce film à la Santé, parce qu’il y avait des maghrébins qui étaient là en grand nombre, qui n’ont qu’une seule envie, c’est de faire quelque chose… » [1]
Presque 10 ans plus tard, en 2004, ce film est montré par défaut : en effet, il y a presque rien d’autre qui traite de ce sujet. C’est pourquoi, quand j’ai appris qu’il était programmé dans un festival de vidéoactivisme à Marseille, j’ai sauté au plafond et j’ai décroché le téléphone. Compte-rendu d’un énième coup de fil et coup de gueule…
Alain Moreau : public captif, du vidéoactivisme à l’art carcéral
L’endroit que j’ai appelé s’appelle « la compagnie » [2]. Ils ont monté une série de rencontres et de projections de films et de vidéos autour de l’installation de yann beauvais, genre artiste contemporain, avec la prétention de « de montrer comment et pourquoi l’art est indispensable dans la réponse sociale et collective contre la maladie ».
Le film passe sous silence le fait que ceux qui prennent la parole sont des détenus, et il enterre ainsi l’histoire et l’expérience des enfants de l’immigration maghrébine face à la seringue, la prison et la Double peine [3].
Le film de Moreau est donc une insulte aux gens malades et pauvres, en particulier ceux qui ont connus la prison.
Moreau a utilisé des détenus parce que, comme il l’avoue lui-même dans l’interview, il ne connaissait pas d’autres arabes. Mais le film passe sous silence le fait que ce sont des détenus (ce qui aurait pu se justifier, à la limite, par exemple si c’était à la demande des concernés mais ce n’est pas le cas) et tous les propos abordant la situation des malades en prison ont été expurgés par Moreau, car ne faisant pas partie de la commande ministérielle.
Qui a programmé Le sida sauf votre respect ?
À la compagnie, organisateur du festival, on n’avait pas encore vu la cassette d’Alain Moreau. Alors qui a programmé ce film ?
Le sida… sauf votre respect est programmé pour le 6 février, sous un titre un peu prétentieux : les enjeux de l’épidémie en Afrique et plus particulièrement dans le Maghreb. Les intervenants sont un anthropologue, Sandrine Musso, et un médecin, Kemal Cherabi, que nous connaissons bien.
Avant de diffuser le film de Moreau, Musso et/ou Chérabi aurait dû avoir la décence d’informer les organisateurs de la façon dont il a été produit.
Musso et Chérabi connaissent très bien l’histoire de ce film, et se rendent donc complices de sa diffusion en la passant sous silence. Cela ne nous étonne pas de leur part, étant donné leur collaboration active avec les institutions qui ont nié pendant des années l’existence de l’épidémie chez les immigrés et qui veulent nous réduire au silence pour mieux parler à notre place. Ce n’est pas la première fois — ni, sans doute, la dernière — que ces institutions et ceux qui les servent se permettent de mépriser notre histoire, car ils semblent profondément convaincus de l’avoir mieux compris ou d’être mieux capables d’en rendre compte que nous qui en sommes les premiers concernés.
Avertissement à toux ceux qui volent nos images ou méprisent notre mémoire :
Voir ce film qui est une commande du Ministère diffusé en 2004 fait mal, parce que nous, les familles vivant avec le sida, nous avons été témoins de nos proches crever en prison, nos images, nos histoires, nos paroles ont été volées, violées et confisquées par Moreau et bien d’autres.
Si vous montrez ce film, prenez alors vos responsabilités. Le jour où nous aurons les moyens de régler nos comptes avec les pourritures de Ministère qui ont commandés ce film et les complices qui l’ont fabriqué et diffusés, vous aurez de nos nouvelles.
Quant aux gens à Marseille qui verront ce film, j’ai confiance qu’ils ne seront pas dupes.