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Courrier adressé à des parlementaires sur l’usage disproportionné de la violence à la MA de Fleury-mérogis

Mise en ligne : 11 avril 2007

Dernière modification : 28 décembre 2010

Texte de l'article :

La Rochelle, mercredi 11 avril 2007

Objet : Usage gratuit et disproportionné de la violences à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis

Madame, Monsieur,

Je m’adresse à vous afin de vous apporter mon témoignage de ce que j’ai été amené à vivre, très récemment, lors d’un emprisonnement à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. De cet établissement pénitencier, j’ai été libéré samedi sept avril, après un peu plus de trois mois d’incarcération.

Fin novembre deux mille six, j’apprends, par hasard, en faisant des démarches pour l’obtention d’un passeport, que je suis sous le coup d’une fiche de recherche. Responsable et aimant les dates symboliques, je fais le voyage de La Rochelle à Paris pour me constituer prisonnier, au commissariat de police du neuvième arrondissement. La date du procès verbal établi par le fonctionnaire de police qui m’a entendu porte la date du vingt cinq décembre deux mille six. Purger ma "dette envers la société" est mon cadeau de noël. Les fonctionnaires de police qui m’entendent pensent sur le moment que je suis un déséquilibré tant cette démarche est inhabituelle pour eux.

Cette fiche de recherche est la conséquence d’un jugement rendu, par défaut, par le tribunal de Saint Nazaire, le mardi dix janvier deux mille quatre. Cette affaire, qui remonte à deux mille deux, est connue au greffe de ce tribunal sous le numéro 02011382 (vol, vol à l’aide d’une effraction, conduite d’un véhicule sans permis). Je suis condamné à huit mois d’emprisonnement. Trois mois de cette peine sont graciés. Bien que recevable, je ne fais pas appel.

Entendu le lendemain, le vingt six décembre, par Monsieur le Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Paris, j’explique que j’ai choisi Paris pour me constituer prisonnier car, d’après ce que je sais, les dispositions du Code de Procédure Pénale sont rigoureusement appliquées dans les prisons parisiennes. Je pense alors à la prison de la Santé. J’ai en mémoire ce que j’ai eu à vivre, peut avant, au centre de détention de Châteaudun. Expérience qui m’est restée en travers de la gorge (trois semaines de grève de la faim pour contraindre l’administration pénitentiaire a respecter les droits fondamentaux des détenus, et plus particulièrement, à respecter la confidentialité des échanges entre les détenus et leurs avocats). Monsieur le Procureur de la République m’apprend qu’il n’est pas surpris et qu’il a déjà reçu des échos similaires de cet établissement pénitencier.

J’ai un pincement au cœur quand Monsieur le Procureur m’informe qu’il va m’emprisonner à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, car, d’après ce que j’ai entendu dire, cette prison est la pire de France. Monsieur le Procureur m’explique qu’il me dirige sur cet établissement car « vous y trouverez plus d’activités » (sic).

Arrivé à Fleury Mérogis, immédiatement, je me rends compte que cet établissement est à la hauteur de sa réputation. Je n’avais jamais vu un tel mépris, une telle haine, du service pénitentiaire envers les détenus. Pire encore, la violence physique y est palpable. Le lendemain matin, dans la cours de promenade, les messages distillés aux détenus par le système de sonorisation donnent le ton : « Untel, à la porte. Tout de suite », « Arrivants, vous remontez. Immédiatement. ». Des ordres aboyés qui sonnent comme : « Chiens, au pied ».

On me propose du travail et j’accepte, n’ayant pas d’argent et n’escomptant aucune aide de l’extérieur. Je suis affecté aux ateliers pénitentiaires. Je travail juste une après-midi et donne immédiatement ma démission, tant il est évident que ces ateliers, animés par des prestataires privés (et donc soumis aux lois du marché et de la rentabilité maximale), exploitent la misère humaine. Aux nouveaux venus, administration pénitentiaire et prestataires privés servent aux détenus leur argumentation phare : « C’est vous qui faites vos payes. Plus vous travaillez, plus vous gagnez ». On croirait entendre le patronat. Dans la réalité, ces prestataires mettent à l’ouvrage les détenus sur de nouveaux arrivages. Après une ou deux journées de travail, ils font des moyennes statistiques qui déterminent le prix payé aux détenus pour leur labeur. Un prix toujours calculé au plus bas du plus bas, de manière à dégager la marge maximale. J’avais évalué, l’après midi où j’avais travaillé, qu’en œuvrant d’arrache-pied, je ne pouvais guère espérer gagner plus de trois euros par jour de travail. Les fiches de paye de mes compagnons détenus que j’ai eu l’occasion de voir confirment mes à priori : trente euros, soixante et un euros, une fois quatre vingt euros pour un mois de labeur (voir les documents numérotés de 1 à 6 joints à ce courrier et reproduits avec l’autorisation de son propriétaire).

Deux mois se passent sans qu’il n’y ait de problème particulier. Jusqu’à ce matin du samedi vingt quatre février.

Le matin, vers sept heures trente environ, les auxiliaires d’étage et un surveillant procèdent à la distribution de l’eau chaude pour le petit déjeuner et à la collecte des ordures ménagères. L’auxiliaire d’étage qui me sert ce matin-là, connus des détenus pour avoir adopté l’attitude de mépris envers la population pénale de ceux qui le rémunèrent à, une fois encore, un geste déplacé envers moi. Mal luné, je fais l’erreur de lui montrer le fond de ma pensée en le traitant de "connard". N’en croyant pas ses oreilles, il me demande de répéter, ce que je fais.

À ce moment, cet homme se trouve dans ma cellule, hors de vue du surveillant d’étage. Il me crache au visage et tente de me porter un coup. J’anticipe et j’enserre son torse de mes bras. N’ayant aucune aptitude physique, je sais d’expérience, qu’en se collant à son agresseur, il devient très difficile pour celui-ci de vous porter des coups significatif. L’agresseur, en tentant de vous meurtrir et de se dégager de votre emprise perdra, très rapidement ses forces et son souffle, le rendant automatiquement nettement moins dangereux. Je procède donc de la sorte et pousse mon agresseur dans le couloir de manière à ce que le surveillant d’étage puisse intervenir pour nous séparer et ramener le calme.

Ce surveillant se saisit de moi et me plaque au sol, mains dans le dos. Comprenant qu’il se méprend et qu’il ne sert à rien de protester, je me laisse faire. Très rapidement, plusieurs de ses collègues arrivent au pas de charge. Aussitôt, je me retrouve menotté dans le dos, le visage et la cage thoracique écrasés contre le sol. Je ressens une vive douleur sur mon front où porte le sol. Très rapidement, je m’asphyxie au point que je commence à avoir peur pour ma vie.

Je tente de me dégager pour essayer d’aspirer un peu d’air. Immédiatement les coups pleuvent dans mes côtes et dans mon dos. Les détenus de l’étage qui entendent les coups et mes cris de douleur et de peur frappent sur les portes pour que cessent ces violences. Ces surveillants, sentant que la situation devient critique, me soulèvent et me traînent au sol pour m’évacuer du couloir.

Plus tard, des prisonniers m’ont raconté qu’un gros gabarit de l’administration pénitentiaire est allé trouver dans leurs cellules les détenus qui protestaient, un par un, en leur disant qu’il valait mieux qu’ils se taisent s’ils ne voulaient pas connaître le même sort que moi.

Traîné dans les couloirs, l’emprise de ces surveillants est si forte, ils font preuve d’une telle violence, la douleur est si vive, que je crains qu’ils ne me cassent un bras ou ne me luxent une épaule. Ils m’amènent dans une cellule vide, au rez-de-chaussée, me retirent les menottes et m’ordonnent de me déshabiller. Tremblant de tous mes nerfs, je me lève et leur fait face. Pour la première fois depuis le début de ce cauchemar, je vois leurs yeux. Ce sont les yeux de bêtes fauves.

Je m’exécute et me déshabille. Une surveillante dit, à l’attention de ses collègues, goguenarde et satisfaite : « Et dire que ça se prend pour un homme ». Constatant sa présence, je demande à ce qu’elle sorte de la pièce. En effet, il est précisé, dans le Code de Procédure Pénal, que le personnel féminin de l’administration pénitentiaire ne doit pas assister à une fouille intégrale d’un détenu masculin. Aussitôt, je me vois gratifié d’une gifle et d’un coup de poing au visage.

La fouille terminée, ces surveillants quittent la cellule, me laissant nu, à même le sol. Je ne trouve que la force pour cacher ma nudité en remettant mon slip et leur dis : « Jamais, jamais, jamais je n’oublierai ce que vous venez de me faire », puis, très choqué, j’entre en état de prostration.

Comprenant, peut-être, qu’ils avaient été trop loin, moins d’une dizaine de minutes après, une personne se déclarant médecin, entre dans cette cellule. Je suis tellement choqué que, sur le moment, je considère tout personnel pénitentiaire comme une menace. Je refuse de le regarder, de lui répondre, recroquevillé dans un angle de la cellule.

Plusieurs heures se passent et la porte s’ouvre sur deux surveillants qui me demandent de les suivre. Je suis alors dans un état de prostration extrême, chaque cellule de mon corps rejetant tout ce qui peut venir des hommes vêtus en tenue de commando.

Ces individus me prennent par les bras et me traînent dans une autre cellule où mes effets personnels ont été amenés. Ils me déposent à même le sol, sur le béton, et l’un d’eux me jette au visage la poubelle de la cellule avant de refermer la porte.

Je suis tellement choqué par tout ces évènements, par l’attitude scandaleuse de ces personnes que je décide, pour protester, comme une évidence, de ne plus m’alimenter, de ne plus boire, de ne plus parler et de ne plus bouger, offrant à leur vindicte un corps inerte. Je suis allongé, à même le sol, dans la même position depuis qu’ils m’ont changé de cellule.

Les heures passent et ces surveillants semblent inquiets. Régulièrement, ils passent derrière la porte de la cellule pour m’observer par l’œilleton. La porte s’ouvre : « Pernot, vous vous habillez. Dans cinq minutes je viens vous chercher pour la promenade ». Je ne bouge pas. À midi, le repas arrive. Je n’y touche pas, je ne bouge toujours pas. Plus tard, la porte s’ouvre de nouveau sur deux surveillants. Dialogue : « Il bouge pas » L’autre : « On n’a qu’à lui retirer son slip ». Un de ces surveillant entre dans la cellule pour ouvrir la fenêtre afin d’exposer mon corps dénudé aux températures de ce mois de février. Plus déterminé que jamais, je ne bouge toujours pas.

Toujours plus tard, en fin d’après-midi, de nouveau, la porte de la cellule s’ouvre sur plusieurs surveillants. Ils essayent de me faire le numéro du gentil après m’avoir fait celui du méchant. Vieille technique policière un peu démodée. Paternaliste, l’un d’eux me dit : « Alors Pernot, tu es de La Rochelle ? Je connais bien La Rochelle. De quel quartier es-tu ? Laleu ? La Pallice ? Aytré ? Ou... Lafond ? (ce quartier est connu pour abriter un hôpital psychiatrique) ». Aucune réponse de ma part.

Ils vont chercher une civière, évacuent et bloquent les étages afin qu’aucun détenus ne soient témoin de la scène. Ils me déposent sur la civière. L’un de ces surveillants dit : « Il est lourd. Il ne ferait rien pour nous aider ce salopard ». Puis, ils me transportent à l’infirmerie.

Un médecin m’examine : pression artérielle, pouls, mouvements des bras, des jambes et de la nuque. Sentencieux, il dit : « Il simule ».

Durant l’examen, un des surveillants dit à ce médecin : « Les traces qu’il a au visage sont dus aux coups qu’il a échangé avec un détenu ». Depuis des heures, le visage me brûle. Je me dis qu’ils ont du réussir à me faire un bleu.

Le médecin et un surveillant parlent ensemble. Le médecin va chercher mon dossier médical et devant mes yeux éberlués le consulte et le commente avec ce surveillant. Il a accès à l’ensemble de mon dossier médical, y compris à la fiche de l’entretien que j’ai eu avec la psychologue du Service Médico-Psychologique Régional.

Ce médecin me parle. Il me dit que je suis un simulateur et que tout cela ne me mènera nulle part. Je sors alors de mon mutisme pour lui dire que je suis en grève de la faim, de la soif, du mouvement et de la parole.

Peu après ce toubib me fait une injection intramusculaire, dans la jambe droite, d’un tranquillisant.

L’examen médical est terminé. Un surveillant me dit : « C’est bon maintenait Pernot. Tu te lèves, on te ramène en cellule ». Je refuse de bouger et de répondre. À deux, ils me soulèvent et me traînent dans les couloirs. L’un d’eux me glisse doucement à l’oreille : « Ha tu veux jouer avec moi, hein salope ? Attends, bouge pas. Demain, c’est dimanche. Tu vas voir comment je vais te la défoncer ta gueule ». Une fois encore, je brise mon vœux de silence pour lui dire : « Tu as raison, vas-y, fais-toi plaisir ». Surpris, il me demande de répéter. Ce que je fais.

Je fais ici une parenthèse dans le récit de ces évènements. Ce surveillant qui m’a menacé de représailles physique est le seul qui est venu me trouver, quelques jours plus tard, pour s’excuser. Je tenais à le préciser.

Les deux surveillants me déposent sur le matelas de la cellule où je reste jusqu’à minuit environ. Le tranquillisant a fait son office. Je réfléchis bien mieux maintenant et je sais comme est vaine cette forme de protestation. Je comprends que la seule forme de lutte efficace pour prévenir le renouvellement de tels actes est de témoigner et de diffuser largement ces informations. La mise en application de cette stratégie, vous l’avez en ce moment entre vos mains.

À contrecœur, je me lève, m’habille et fais mon lit. Sans appétit, je mange un yaourt. Je me rends au lavabo pour me laver les dents. Le miroir accroché au dessus me renvoie une image qui me glace le sang. J’ai une énorme bosse, surmontée d’un hématome, sur le front, là ou avait porté le sol quand ils m’ont écrasé le visage par terre. Le sang a coagulé sur la plaie. J’ai deux yeux « au beurre noir » et une bosse au dessus de la pommette droite. Plus inquiétant, mon œil droit a souffert. Une partie du blanc de l’œil est remplacé par du sang. Je m’examine. J’ai des ecchymoses sur l’épaule droite, le coude droit est éraflé. J’ai des hématomes sur la cuisse gauche et dans le dos. Les orteils sont blessés d’avoir été traîné, pieds nus, dans les couloirs (curieusement, ce sont ces blessures qui mirent le plus de temps à cicatriser). Je ressens des douleurs musculaires dans le dos et dans les jambes. Consterné par ce pitoyable spectacle, j’écris une lettre au médecin du bâtiment afin d’être reçu en consultation. Je suis alors surtout inquiet pour mon œil.

Le lendemain matin, le réveil est difficile tant j’ai des courbatures. Je remets la lettre que j’ai écris pour le cabinet médical au surveillant d’étage, au ramassage du courrier. À son regard, je devine qu’il a reçu des consignes spéciales me concernant et je comprends que mon courrier n’atteindra jamais le médecin. J’écris une deuxième lettre que je poste directement dans la boîte aux lettres de l’infirmerie, lors de la sortie en promenade. Jamais je ne serais appelé en consultation.

Dans la matinée, un gradé de l’AP vient me trouver pour me dire que l’auxiliaire d’étage que j’avais "agressé" avait obtenu un certificat médical et qu’il avait déposé plainte contre moi. Je comprends que l’administration pénitentiaire, pour se couvrir et justifier, à posteriori, sa violence gratuite et disproportionnée, à aidé leur kapo pour qu’il obtienne un certificat médical de complaisance et engager des poursuites à mon encontre, pour me couper l’herbe sous le pied. Cette technique est à la mode ces temps-ci, dans les milieux policiers français (voir à ce sujet le rapport deux mille cinq de la Commission Nationale de la Déontologie de la Sécurité). Je suis écœuré et je fais l’erreur grossière de lui dire que je comprends fort bien leur manœuvre et que, quoi qu’ils fassent, la Commission de Surveillance en sera informé. Il me répond que, de toute façon, je ne suis qu’un détenu et que même si je ne suis pas content, c’est comme cela. Je préfère me taire car je juge alors qu’il est inutile de lui rappeler que je suis détenu certes, mais également un usager du service public pénitentiaire, qu’à ce titre, j’ai des devoir mais aussi des droits et que ce service est financé avec mes impôts directs et indirects. Nos points de vue sont diamétralement opposés, comme sont opposés sur le plan politique l’extrême droite de l’extrême gauche.

Je tente, pour me protéger des manœuvres de l’administration pénitentiaire, d’obtenir, moi aussi, un certificat médical, avant que mes blessures ne soient cicatrisées. J’écris une lettre à un médecin extérieur qui consulte régulièrement dans cet établissement et que j’avais rencontré auparavant (je ne cite pas son nom volontairement mais je le tiens à disposition de la Commission de Surveillance de l’établissement de Fleury Mérogis dans le cas où celle-ci m’en ferait la demande). J’explique rapidement à ce médecin ce qui m’est arrivé et lui demande de me faire appeler. Ce médecin le fera, quelques jours plus tard. L’administration pénitentiaire lui répondra que j’avais refusé sa convocation, ce qui est faux car jamais je n’ai été appelé.

Le lundi matin, dans la cours de promenade, mes compagnons d’infortune, impressionnés par mon visage tuméfié et connaissant mes mésaventures, me font preuve de signes de compassion et de solidarité. Ce qui est rare.

Quelques jours plus tard, je suis convoqué par une gradée de l’AP. J’entre dans son bureau et m’assied. Elle me dit que je suis convoqué pour répondre de la "violente agression" d’un auxiliaire d’étage.

Je tiens à le rappeler ici, aucun, je dis bien aucun coups n’a été échangé avec ce détenu.

À ces mots, comprenant que je vais faire l’objet d’un procès stalinien, outré, je me lève et quitte sur-le-champ le bureau de cette fonctionnaire pour retourner dans la salle d’attente. Presque immédiatement, la porte s’ouvre derrière laquelle se tient cinq surveillants qui, très excités, m’ordonnent de retourner immédiatement dans le bureau. Je refuse. D’autres détenus qui, à ce moment attendent eux aussi dans cette salle d’attente, m’invitent à obtempérer, tant il est évident à leurs yeux que ces surveillants n’attendent qu’un refus de ma part pour user de violences. Contre mon gré, je suis retourné dans ce bureau et ais adopté la seule attitude que l’on puisse prendre dans ce cas de figure : se murer dans le silence et refuser de signer le moindre document.

Ce qui est arrivé ensuite est la procédure classique. J’ai reçu une autre convocation d’une gradée de l’administration pour me signifier que j’allais comparaître devant la commission de discipline. Comme je refusais de répondre à ses questions, elle m’a dit, un amical sourire aux lèvres, que pourtant elle était là pour m’aider.

Plus tard dans la matinée, un surveillant m’a apporté, en cellule, deux pages de documents agrafés, dont vous trouverez une copie ci-joint (documents portants les numéros 7 et 8). Il s’agit d’un compte rendu d’incident (document numéro 7). Vous constaterez que ce rapport est anonyme. Le fonctionnaire qui l’a rédigé n’ayant pas eu le courage de signer son faux témoignage de son nom ou de son matricule. C’est à la lecture de ces documents que j’ai appris que l’administration pénitentiaire avait décidé que je n’avais pas besoin d’avocat pour me défendre lors de ma comparution devant la commission de discipline (document numéro 8).

Peu après, la police est venue me trouver. Convocation auquel j’ai refusé de répondre, étant dans l’impossibilité de pouvoir me défendre. Une fois encore, des surveillants m’ont menacé physiquement si je n’obéissais pas à leurs ordres alors que, une fois encore, la loi me reconnaît le droit à rejeter une convocation policière en milieu carcéral. Ce détenu a déposé plainte contre moi, car l’administration pénitentiaire lui a fait miroiter que, de cette façon, il pourrait percevoir de l’argent grâce aux dommages et intérêts. Je le sais car ce détenu s’est vanté du bon coup qu’il m’avait joué à ses compagnons de toxicomanie. Ses compagnons désœuvrés, trop content de pouvoir raconter une histoire intéressante, l’ont répété, à satiété, à qui voulait l’entendre. Cette histoire a fait le tour des cours de promenade du bâtiment. Les détenus, écœurés eux aussi par cette sordide histoire, ont fait comprendre à cet auxiliaire d’étage qu’il ne lui serait fait aucun cadeau s’il descendait en cours de promenade. Depuis, cet individu se terre dans sa cellule, de peur de représailles physiques.

Encore plus tard, le détenu qui se trouvait dans ma cellule au moment de ma prétendue "violente agression" m’a raconté que des surveillants étaient venus le trouver en cellule pour lui demander de témoigner contre moi, le jour de mon passage devant la commission de discipline. Au moment des faits, il se trouvait dans son lit et dormait.

Je suis passé devant la commission de discipline (documents numérotés 9 et 10). Mon audition a été de courte durée puisque l’unique réponse à leurs questions était : « Je n’ai rien à déclarer et je ne signerai aucun document ». Observez ce document et notez l’interprétation qui a été faite de mes propos par l’administration pénitentiaire (paragraphe "Explications du détenu"). Verdict : douze jours de cachot. À la sortie de cette commission de discipline, un gradé de l’administration pénitentiaire m’a confisqué mon dossier disciplinaire et ne me l’a jamais restitué.

Au cachot, la lumière restait allumée toutes la nuit (excepté trois nuits toutefois), me forçant à me couvrir les yeux d’une serviette pour trouver le sommeil. Pas une seule fois, je ne fus appelé pour aller en promenade alors que le Code de Procédure Pénale, et la convention des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (que la France a ratifié en mille neuf cent cinquante, si j’ai bonne mémoire) spécifient qu’un détenu ne peut pas être privé d’au moins une heure de promenade journalière.

Un jour, alors que je déjeunais dans ma cellule du quartier disciplinaire, j’ai découvert un poil pubien dans ma nourriture. J’ai le sentiment, mais je peux me tromper, que ce corps étranger a été placé intentionnellement dans mon alimentation. Par la suite, je devais voir toute nourriture d’un œil suspicieux.

Est-ce un signe ? Au cours de cette détention au quartier disciplinaire, un après-midi, un surveillant m’a remis un livre, au hasard. Il s’agissait de l’Espèce humaine de Robert Antelme.

Usage gratuit et disproportionné de la violence, faux témoignages, fabrication de fausses preuves, refus de l’assistance médicale, menaces, viol du secret médical, viol conscient et régulier du Droit, coups bas pour tuer dans l’œuf toute possibilité de défense, simulacre de procès où l’administration pénitentiaire est juge et partie. Vous avez ici réunis tous les ingrédients du système policier totalitaire.

Ai-je besoin, Madame, Monsieur, de vous préciser tout le dégoût et le mépris que m’inspirent ces techniques employées par l’administration pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis ?

Je ne fais ici que témoigner de ce que j’ai personnellement vécu. Je ne rapporte pas les témoignages d’autres détenus qui, eux aussi, ont eu à vivre des expériences similaires à la mienne, en pire parfois. Ces mêmes détenus, qui, faute d’un niveau culturel suffisant, ne témoignent jamais par écris de leurs mésaventures, ni ne les communiquent à leurs élus, par manque de confiance dans nos institutions.

La quantité de témoignages édifiants et concordants qui me sont parvenues m’invite à penser que cette dérive de l’administration pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis n’est nullement un fait sporadique ou isolé mais est une constante. Il m’apparaît évident que le cercle de direction de cet établissement pénitencier autorise, implicitement tout au moins, les fonctionnaires sous sa responsabilité à user de ces méthodes.

Je vous remercie, Madame, Monsieur, d’avoir eu la patience de prendre connaissance de mon témoignage.

Éric Pernot