Paris, le 2 juillet 2002
M. Thierry Levy
Président de la section française de l’OIP
Monsieur le président,
Comme convenu voici une partie des griefs que nous reprochons principalement à Patrick Marest et à son attitude méprisante à l’égard des familles de détenu(e)s, des personnes incarcérées et des sortant(e)s de prison.
Lorsque Ban Public a été fondé, à l’hiver 1999, certains d’entre nous avaient à plusieurs reprises et à titre personnel tenté d’entrer en contact avec l’OIP, ainsi qu’avec d’autres associations en pointe sur les questions liées à l’incarcération et à la détention, afin d’étudier les modalités d’une collaboration visant à rassembler et à organiser le maximum d’informations existantes sur les prisons ; informations souvent confidentielles ou difficiles d’accès. Avec l’OIP ce fut en vain.
La création de Ban Public nous a permis de formaliser un projet plus consistant, que nous pensions de nature à éveiller votre intérêt : un « portail » Internet d’information consacré aux prisons. D’autant que vous ne disposiez pas à l’époque d’un site, et qu’une collaboration semblait tomber sous le sens.
D’ailleurs, lorsque nous croisions des membres de l’OIP, lors de colloques par exemple, et que nous présentions notre projet de créer avec les associations déjà existantes ce « portail », il nous semblait souvent que l’idée les intéressait. Nous avions même proposé notre aide pour vous aider à développer votre site dont la réalisation semblait peiner à démarrer.
Après votre élection, nous avons une nouvelle fois tenté d’établir un contact afin de voir si et comment nous pouvions travailler ensemble. Un rendez-vous avait été pris avec vous, et fixé à votre cabinet le lundi 4 décembre 2000 à 10 heures. Malheureusement lorsque nous nous sommes présentés, votre secrétaire nous accueillait pour nous informer qu’un empêchement vous avait retenu (M. Marest avait, lui, été prévenu). Nous nous attendions à une nouvelle prise de rendez-vous, mais rien ne vint...
Depuis, un certain nombre d’occasions ont semblé démontrer que si nous n’arrivions pas à nous rencontrer, il s’agissait davantage d’une démarche visant à nous ignorer, que d’une simple incompatibilité d’agenda trop chargés. Ce dont nous n’avons pas pris ombrage, tant il est vrai que vous avez parfaitement le droit de ne pas vous intéresser à ce que nous faisons ou de ne pas apprécier nos initiatives.
Mais ce que nous prenions pour du désintérêt a révélé sa véritable intention dans le comportement de Patrick Marest : du mépris. Mépris de ces gens, les (ex-)taulards, qui ne sont décidément pas comme « nous » ; auxquels il n’est pas possible de donner la parole, tout incapables qu’ils sont de s’exprimer calmement… Croyez-vous ? M. Marest a deux talents incontestables : celui de parler à la place des gens – y compris lorsque ceux dont il parle sont présents - ; celui de continuer à les provoquer tant et si bien qu’il ne leur reste plus qu’à lui arracher la parole. CQFD.
C’est ce qui se produisit lors d’un colloque organisé place du Colonel Fabien, le 10 février 2001. Alors, effectivement la réaction fit désordre ; peut-être aurait-il été plus élégant d’attendre la fin des interventions pour s’expliquer « off » avec M. Marest. Forcément, cela ne se fait pas toujours en suivant à la lettre les règles élémentaires du débat courtois. Mais où avez-vous vu qu’il y avait débat, et qu’il était courtois ? Est-il dès lors improbable qu’une personne à qui on dénie le droit de s’exprimer réagisse avec véhémence ?
Au-delà de l’ « incident », tout semble se passer comme si M. Marest s’était constitué un fond de commerce en captant et en instrumentalisant la parole des détenu(e)s, s’en faisant le porte-parole autoproclamé, et défendant son trésor de guerre, l’information, mieux qu’un Arpagon sa cassette.
Est-ce pour cette raison qu’il est souvent difficile pour un(e) sortant(e) de prison de récupérer un dossier personnel qu’il(elle) avait confié à l’OIP – lorsqu’on ne lui répond pas purement et simplement que ce dossier a disparu !
Est-ce cela qui a poussé M. Marest, lors du lancement de l’Observatoire des suicides et des morts suspectes en prison à exiger qu’Information sans frontière avec qui nous avons monté l’opération (et qui vous avait contacté – en vain - pour vous associer à cette campagne) de retirer une citation extraite du Guide du prisonnier d’un dossier de presse ?
Est-ce cela, surtout, qui autorisa M. Marest à contacter des journalistes afin de les dissuader – quitte à recourir à la calomnie - de couvrir l’événement ? Pourquoi empêcher la presse de faire son travail, et de se rendre compte par elle-même si nous sommes de dangereux extrémistes ? Pourquoi avoir tenter de faire échouer ce projet ?
Nous n’avons pas de volonté de puissance sur les personnes incarcérées. Nous ne décidons pas qui a droit à l’information. Nous diffusons gratuitement les informations que nous collectons, non pas pour nous les approprier ni faire du « dumping » sur l’information, mais pour les diffuser plus largement (avec mentions de leur source et adresse sur le Web), les rendre plus accessibles et donc utiles au plus grand nombre.
Vous comprendrez que dès lors que certains de nos membres étant sous main de justice, nous estimons avec eux qu’ils ont besoin du Guide du prisonnier, et qu’il est aussi leur propriété : parce que c’est grâce à eux (et au financement public) que vous pouvez réaliser cet indispensable outil ; parce que vous répétez à l’envi que ce guide est accessible gratuitement pour les prisonnier(e)s ; parce que nombreux sont ceux qui en tant que prisonnier(e) ou ancien(e) prisonnier(e) revendiquent le droit de partager ce savoir.
D’ailleurs, s’agissant de la propriété intellectuelle, aviez-vous les mêmes scrupules lorsque l’éditeur ayant publié Paroles de détenus a remis un chèque à l’OIP ? Quid des prisonnier(e)s ayant donné leurs textes, et qui, en dehors du fait de ne pas avoir été intéressé aux bénéfices des ventes, ont été spoliés de leur propriété intellectuelle parce qu’on leur a dénié le droit d’être crédité de leurs écris ? Nous pouvons d’autant mieux en parler que certains de nos membres et de leur connaissances proches ont fait partie de ceux dont les écrits ont été ainsi détournés.
Une dernière remarque quant à la publication du Guide du prisonnier : nous vous rappelons que nous avons choisi de ne pas le publier en version téléchargeable, et qu’au contraire, nous avons fait un lien vers le bon de commande en-ligne de votre site. D’autre part le désagrément inhérent à la consultation en-ligne d’un tel volume de texte, le temps et le coût d’une impression des pages - largement supérieur au prix d’achat du Guide - rend son détournement impossible.
Vous parlez sans cesse de droit d’expression des prisonnier(e)s. Alors pourquoi avoir refusé de nous rencontrer et de débattre ? Pourquoi refuser de relayer nos pétitions ? N’est-ce pas une étrange façon de défendre les droits des prisonnier(e)s, sans faire en sorte de se battre pour l’expression directe des personnes concernées ?
Comment pouvez-vous continuer à agir sans entendre celles et ceux qui ont subi(e)s l’incarcération, et qui bien souvent subissent les doubles peines ? Notre expérience de la détention aurait pu vous servir, mais surtout servir les familles de détenu(e)s et les détenu(e)s eux(elles) mêmes.
C’est cet aveuglement qui fonde la différence entre l’OIP et nos partenaires, toutes les associations avec lesquelles la supériorité de la raison et le sens des responsabilités individuelles et collectives prennent le pas sur les divergences d’affinités.
Honnêteté, Pragmatisme, et obligation de résultat vis à vis des gens avec et pour qui nous luttons : Ces principes élémentaires devraient suffire à nous permettre a minima de coexister pacifiquement, voire à pouvoir travailler ponctuellement ensemble.
Nous n’avons pas la volonté de vous nuire, bien au contraire. Notre souhait est plus que jamais de construire avec d’autres un réseau puissant qui puisse faire contre poids à la politique de destruction de l’Administration pénitentiaire. Ce réseau ne peut se construire que dans le respect mutuel et l’indépendance de chacun.
Nous renouvelons donc une fois encore notre offre d’échanges d’informations, de documents, de communiqués, et de tout ce qui peut être utile pour faire évoluer la lutte contre la machine carcérale, et pour la dignité humaine.
Nous restons, enfin, optimistes quant au devenir de nos relations avec l’OIP, lorsque nous constatons dans la presse récente ou dans le compte rendu de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme du 11 juin dernier, que les sujets sur lesquels vous avez décidé de vous engager, concernant notamment les suicides en détention, relayent les campagnes que nous suscitons et menons avec d’autres associations, ou bien lorsque nous apprenons que vous ouvrez désormais le Conseil d’administration de l’OIP à un ancien prisonnier. Profitant de cet élan nous permettons de vous rappeler pour finir que nous proposons toujours une pétition en faveur de la liberté d’expression des personnes détenues.
Nous nous tenons à votre disposition pour organiser une table ronde à l’Estran, en vous laissant le choix de la date de cette rencontre qui ne saurait avoir lieu sans la présence de M. Marest.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.
Ban Public