Daniel Nicolle
Le « Galet » est le journal réalisé par les détenus du Centre pénitentiaire du Port CPP dans le cadre de l’école. Je vais tenter d’aborder tous les aspects d’intérêt général. Ensuite je ferai passer quelques exemplaires qui justifieront des trois grandes périodes de ce journal.
Le Galet : qu’est-ce que c’est ?
C’est un matériau brut, hautement symbolique à La Réunion. Il est présent dans la vie de tous les jours à plus d’un titre :
- Il est nécessaire à la construction de la case créole.
- Il sert à se défendre comme à manifester, c’est, du reste, une arme redoutable.
- Il est omniprésent dans les cuisines créoles, pour écraser piment et gingembre, et révéler les odeurs et les saveurs.
- Il sert spontanément pour organiser un espace de jeux réglementés dans les terrains vagues.
On le voit, c’est un matériau utile, recherché et craint à la fois.
C’est pourquoi nous avons choisi ce titre pour symboliser les objectifs du journal.
Historique du Galet
Le Galet a paru pour la première fois en décembre 1991 : Il a donc 10 ans aujourd’hui. Le prochain, le n° 49 paraîtra en décembre 2001. 49 parutions en 10 ans, soit 4 à 5 par an, avec un tirage de 500 exemplaires en moyenne. Les principaux destinataires sont les détenus des trois établissements de l’île ainsi que les partenaires.
Nos objectifs ?
Que voulait-on faire avec ce journal ?
Nos objectifs concernaient trois axes de préoccupations :
- Informer pour aider
- Documenter pour développer la culture
- Favoriser l’expression et la créativité.
Pendant ces dix années, nous avons essayé de maintenir le cap sur nos objectifs. Mais on peut constater une chose : chaque équipe a privilégié l’un ou l’autre en fonction de sa sensibilité propre.
1. Communiquer l’information aux détenus.
- Information interne :
Principalement sur le fonctionnement des services de détention, tous renseignements utiles : les démarches à accomplir.
Qui contacter ?
- Information externe, ouverte sur la cité :
Les 2 quotidiens locaux sont lus intra muros, et font l’objet de commentaires dans les colonnes du « galet ».
Parmi les sujets prisés :
- le sport,
- l’environnement, deux thèmes qui permettent au détenu de maintenir le lien social et affectif avec son île.
2. Développer la culture générale et les compétences en lecture des détenus.
À travers des articles documentaires, voire des dossiers de plusieurs pages.
La seconde période du Galet, fertile en dossiers de fond, sur des sujets très divers, distrayants à la manière de la revue « Ça m’intéresse ».
3. Ouvrir un espace d’expression et de créativité.
En suscitant la production d’écrits personnels : poésie, textes libres, témoignages, lettres ouvertes. En intégrant, sous formed’illustrations, les collages réalisés par des détenus.
C’est grâce à l’acquisition de nouveaux outils informatiques que la nouvelle équipe a pu développer cet aspect.
À qui s’adresse ce journal ?
En priorité aux publics des trois établissements pénitentiaires, soit environ 1 000 détenus en moyenne dont les caractéristiques sont les suivantes (Référence LPP).
- Illettrisme grave (AB) : 16 %
- Illettrisme avéré : 7 %
- Difficultés en lecture : 29 %
- Réussite au bilan : 48 %.
Niveau d’arrêt de la scolarité :
- Primaire : 12,7 %
- Enseignement supérieur, lycée : 8,2 %
- CPPN, ou collège avant la 3ème : 28 %
Les âges :
- Moins de 18 ans : 13,5 %
- 18/25 ans : 54,1 %
Formation professionnelle :
- Aucune : 69,8 %
- Préqualification : 18,4 %.
Aspect linguistique :
La majorité du public est créolophone. Contrairement à la métropole, très peu d’étrangers et de non-francophones. Quelques Comoriens, Malgaches, Mauriciens... La plupart des détenus sont en situation de dyglossie, ce qui ne facilite pas l’apprentissage du français.
En outre, cette situation devient chez beaucoup une position de principe, l’utilisation de la langue maternelle étant souvent un signe de résistance, d’opposition. Sans oublier que, le personnel carcéral étant lui-même pour une grande part créolophone, l’essentiel des échanges se fait en créole.
Comment fabrique-t-on le « Galet » ?
Le journal est financé en partie sur le budget de l’établissement, en partie par le SPIP et l’association socio-culturelle Les numéros spéciaux sont financés par un partenaire extérieur.
Le coût de la réalisation est en moyenne de 5 000 F par numéro tiré à 600 exemplaires, et de 20 à 30 000 F pour un numéro spécial tiré à 1 000 exemplaires.
Le journal est réalisé au centre ressources multimédia, qui dispose d’un matériel de PAO (Mac et PC).
La reproduction se fait sur duplicopieur au centre pénitentiaire du Port. Pour les numéros spéciaux, nous avons recours aux services d’un imprimeur.
Qui conçoit le Galet ?
-Le comité de rédaction dont l’effectif varie de 5 à 8 personnes selon les périodes se charge de la conception du journal.
-Le rédacteur en chef, enseignant spécialisé, opère un contrôle régulier sur l’ensemble des articles produits. Depuis le début, trois enseignants spécialisés s’y sont succédé.
Actuellement, deux comités de rédaction sont constitués au centre pénitentiaire, l’un au centre de détention, l’autre à la maison d’arrêt.
C’est ce dernier qui centralise tous les articles pour la publication.
Les membres du comité de rédaction sont recrutés sur la base du volontariat, du niveau scolaire, des talents divers (dessinateurs, public maîtrisant l’outil informatique).
Des sous-comités de rédaction sont également constitués au sein des groupes-classes, des groupes de la formation professionnelle, des participants aux activités socio- culturelles.
Les articles sont fournis en grande partie par les détenus du centre pénitentiaire du port. Quelques écrits proviennent du quartier des femmes de la maison d’arrêt de St Denis.
-Les membres du comité de rédaction relatent, sous forme de reportage, les événements qui se sont déroulés dans l’établissement : les spectacles, les visites, les conférences, les expositions, et réalisations diverses (peinture, artisanat, exposition de meubles...).
Les enseignants de la maison d’arrêt de Saint-Pierre ont créé depuis quelques mois leur propre journal, « Le Petrel des barreaux ».
Rôle du comité de rédaction
Il propose des thèmes, sélectionne des articles, les corrige, procède à la mise en page. 10 à 15 personnes participent à la réalisation d’un numéro.
Je vous invite, à présent, à observer quelques articles tirés du journal. J’ai tenté une sélection qui vous illustrera les trois époques du Galet, dont la dernière est en cours.
Le dernier numéro paru est un « Spécial poésies ». Les poésies sont en partie en créole, en partie en français. Les tableaux sont réalisés par les détenus. Ils ont été exposés et vendus.
Quelques thèmes de questionnement :
Ce journal, peut-on le vendre ?
- À qui ?
- À quel prix ?
- Faut- il l’autocensure ?
- Quel contrôle de l’équipe enseignante, avant l’avis de la direction ?
- Quelles précautions doit prendre le rédacteur en chef ?
- Son rôle particulier ?
- Quelle reconnaissance pour le journal ? Quels sont les impacts ?
Je terminerai en vous citant un proverbe créole qui me semble bien résumer la vocation du Galet : « Si zot i vé, détak la lang pou démay lo ker vien voir a nou. Lo galet lé la pou sa. Dé ».
Finalement, on pourrait traduire que : « là où il y a de la parole, la liberté commence ».