CQFD N°026
De notre correspondant permanent au pénitencier
LIBÉRATION AU CONDITIONNEL
Mis à jour le :15 septembre 2005. Auteur : Jann-Marc Rouillan.
http://cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=725
Cet été, notre correspondant permanent au pénitencier comparaissait devant le Tribunal d’application des peines. Mais après seulement dix-huit ans de cabane, une libération anticipée n’est pas dans l’air du temps... Le même jour, la France recevait le criminel de guerre libanais Samir Geagea. Qui, lui, mérite bien sa liberté.
Centrale de Lannemezan, 27 juillet 2005. Le Tribunal d’application des peines de Tarbes siège dans la salle des parloirs avocats. Trois juges, un procureur, le directeur de l’établissement, une stagiaire, une greffière. Des piles de dossiers. Une ambiance de canicule. Depuis 14 heures, les minutes passent. Ils m’ont réservé pour la fin. Je suis le dernier d’une longue litanie de prisonniers quémandeurs. Je peux attendre, je patiente depuis dix-huit ans et six mois. Et je crois que je ne suis pas pressé de connaître le sort qu’ils me réservent. Dans la cage, assis sur le carrelage, je souris au clin d’oeil historique de cette journée. Une citation en guise de morale me vient à l’esprit. Elle dit à peu près ceci : « Si vous avez massacré des milliers de personnes, vous recevrez tous les honneurs, si vous n’êtes accusé que d’un ou deux assassinats, vous serez traité en criminel... »
Ce même après-midi, le gouvernement de la France accueille officiellement les deux assassins de Sabra et Chatila, l’égorgeur et le complice : Samir Geagea et Ariel Sharon [1]. La société est-elle devenue à ce point amnésique ? À l’aube d’un matin de septembre 1982, plus d’un millier de cadavres furent découverts dans le camp palestinien au sud de Beyrouth, essentiellement des vieillards, des femmes et des enfants. Qui se souvient encore ? L’un, israélien, assiégeait et bombardait la ville, l’autre, libanais, achevait la besogne. L’un encercla le camp, l’autre y pénétra pour y perpétrer les crimes, rue par rue, maison par maison. Le chef des Forces libanaises n’en était pas à son coup d’essai. On dirait aujourd’hui qu’il avait le profil d’un multirécidiviste. Tout jeune milicien, il fut de ceux qui déclenchèrent la guerre civile en mitraillant une vingtaine de travailleurs palestiniens dans un bus à Ain-Arroumana, le 13 avril 1975. Puis les massacres succédèrent aux massacres, les viols aux assassinats, encore des femmes et des enfants, celles et ceux des taudis à la Quarantaine le long de la corniche, puis à Tell Al Zatar, après le « nettoyage » de Nabaa, à nouveau des centaines et des milliers de victimes. Et Geagea grimpa jusqu’au sommet de la hiérarchie phalangiste.
Depuis des mois, dans sa grande mansuétude, le gouvernement français pressait son homologue libanais pour qu’il amnistie M. Geagea. Onze ans de prison, c’était vraiment intolérable ! Onze longues années, vous vous rendez compte ! Aujourd’hui ils l’accueillent en héros, il sera soigné dans les meilleurs hôpitaux. Une heure plus tôt, mon camarade Georges Ibrahim Abdallah me précédait devant le Tribunal d’application des peines. Lui, il aura bientôt accompli vingt-deux années de prison et, après la libération de Samir Geagea, il demeure le dernier prisonnier de la guerre civile libanaise. Mais lui combattait dans les tranchées d’en face, celles des défenseurs du Liban contre les envahisseurs israéliens, celles qui protégèrent les quartiers populaires libanais et les camps de réfugiés palestiniens. Il fut de ces combattants-la.
D’ailleurs le procureur le lui reprocha : « Abdallah est un communiste révolutionnaire, il l’avoue lui-même. Vous vous rendez compte, un communiste... » Comme s’il s’agissait d’un crime ! De nos jours, dans les prisons françaises, se revendiquer du communisme constitue la preuve manifeste d’une dangerosité extrême pour la société et la propriété... Au moins, quelque part, cela me rassure. Ainsi,même en négatif, il en reste, avec nous, quelques-uns à croire au projet radical de transformation sociale ! Et Samir Geagea ? Le père Gemayel reconnut sans se faire prier qu’il s’inspira des mouvements fascistes européens d’avant guerre pour fonder l’organisation de M. Geagea. J’imagine que ce genre de politique est bien plus approprié à l’air du temps post-moderne, surtout pour un procureur. Par contre... « Abdallah est un communiste... Il fait même des grèves de la faim en soutien aux prisonniers palestiniens, il va jusqu’à proclamer que l’lntifada vivra... Et après vingt-deux ans de prison, s’il rentre à Beyrouth, pour la population des quartiers pauvres, il sera un martyr... C‘est insupportable ! C’est ce que nous reprocheront les Américains et les Israéliens, voilà pourquoi, monsieur le Président, votre décision est politique... »
17 heures. Ils me font appeler. Sans animosité, le juge confirme que le tribunal n’examinera pas ma demande, certaines enquêtes ne sont pas revenues. Pourtant il tient à préciser que, contrairement à ce que j’ai dénoncé la veille dans une interview à La Dépêche, l’enquête sur le travail a été faite [2]. Elle a été réalisée dans le cadre d’une demande de permission (entre parenthèse, plusieurs mois après, cette demande de permission de sortir n’a toujours pas été examinée). Et quelques minutes plus tard, au téléphone, le directeur des éditions Agone m’affirme une nouvelle fois qu’il n’a jamais été entendu sur le contrat de travail qu’il me propose. La seule demande précise qu’on lui aurait formulée, c’est s’il avait une voiture pour aller me chercher à la gare et s’il pouvait me loger pour la nuit. Qu’importe ! Le juge poursuit en m’interrogeant sur mes contrats d’auteur et le tirage de mes derniers romans... La semaine passée, le directeur m’avait également questionné à ce propos, il avait même évoqué une entreprise visant à organiser mon insolvabilité ! Sur le coup, je me suis retrouvé dans la peau d’un responsable du RPR ou d’un politicard des années 80... Ils me voient peut-être en adepte de la fausse facture, ayant des commissionnaires pour transbahuter des valises en croco entre la Suisse et le Luxembourg ? Avec eux, on s’attend au pire.
Tout d’abord, qu’ils sachent que je fais don de mes droits d’auteur à la solidarité avec les prisonniers politiques, jusqu’au dernier centime... Je ne tire aucun bénéfice pécuniaire de mon écriture, elle demeure un témoignage et, avant tout, un témoignage vécu sur la barbarie carcérale. Secundo, ceux qui me donnent des leçons sur le non-paiement des parties civiles devraient se poser des questions à propos de leur recouvrement. Durant plus de quatre années, j’ai travaillé comme bibliothécaire dans cette centrale. Ainsi, par le jeu normal des prélèvements automatiques, une somme m’était saisie tous les mois afin de payer ma « dette civile aux victimes ». Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque quelques mois plus tard, la soeur du général Audran affirma dans une interview à France Soir (09/05/01) : « L’an dernier, j’ai reçu 6 centimes. » Où est donc passé le reste ? Peut-être entre la Suisse et le Luxembourg ? Ou alors du côté de Neuilly où séjourne M. Geagea ?
Article publié dans le n°26 de CQFD, septembre 2005.