CQFD N°027
De notre envoyé du pénitentier
LA LOI N’EST PLUS LA LOI
Mis à jour le :20 novembre 2005. Auteur : Jann-Marc Rouillan.
http://cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=751
L’article 721 du Code de procédure pénale ne faisait pas l’affaire de l’administration, qui a décidé de le cuisiner à sa sauce en remplaçant un mot par un autre. Résultat : des mois de réduction de peine en moins pour les taulards. S’ils veulent sortir, ils n’ont qu’à se soustraire à la seule loi qui vaille vraiment : celle du pognon.
LES ÉTABLISSEMENTS POUR PEINE connaissent depuis quelques semaines un émoi ayant conduit à des mouvements de protestation et à l’intervention des encagoulés. Les détenus en appellent au respect de la loi et les directions jurent leurs grands dieux que le texte tel qu’il est n’est pas applicable. Sur les coursives, de petits groupes se forment pour lire et relire le fameux article 721 du Code de procédure pénale. En catimini, des imprimantes anonymes crachent leurs formulaires interdits. Et les surveillants tentent d’intercepter les lettres aux autorités judiciaires. Selon le Ministère, une erreur a été commise dans une phrase établissant le quantum des grâces. Il ne faut pas lire ce qui a été écrit : « Chaque condamné bénéficie d’un crédit de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes ET de sept jours par mois. » Dans le langage pénitentiaire, le « et » signifie « ou ». Sans doute un détail de linguistique administrative, mais cela change tout pour des milliers de longues peines. Des mois de réduction de peine sont en jeu. Les chiffres font rouler les yeux des taulards comme des billes de loto. « Ils me doivent vingt-et-un mois. » « À moi quatorze. » Nous, les dix perpètes de l’étage, nous suivons l’affaire avec moins d’intérêt. Nos zigues, nous payons la prison cash, jour pour jour, heure pour heure. Il n’y aura jamais de crédit de peine et on le sait. Mais qu’importe, nous sommes solidaires des copains de chaîne. Et s’il faut aller au rebecca, nous en serons.
Pour l’administration,l’affaire tombe plutôt mal. À notre époque, il n’est pas bon que les prisonniers se posent des questions douloureuses. La situation est gérée au penthotal cathodique et aux pilules d’anxiolytique. La réalité carcérale n’est pas rose. Les condamnations prononcées s’allongent. Les longues peines sortent de moins en moins en conditionnelle, et le plus tard possible. D’ailleurs, à quelques mois de la quille, les gars refusent souvent les contraintes des services de probation et préfèrent aller au bout. Du coup, dans le texte Perben II, les autorités sont parvenues à faire passer l’idée qu’un détenu n’a jamais payé définitivement sa dette. Même ayant accompli la peine en totalité, s’il retombe, il remboursera les mois de grâce accordés durant les détentions antérieures ! Comme les juges n’entendent plus donner de conditionnelle mais qu’ils savent avec pertinence qu’il n’y a rien de plus efficace pour contrôler les récidivistes, ils ont trouvé cet infâme stratagème. La conditionnelle sans la conditionnelle ! Je sais, je sais... Au dehors vous ne saisissez pas grand-chose à nos comptes d’apothicaires, comme nous ignorons tout de vos problèmes d’impôts et de retraite. Ce qui nous unit est certainement notre compréhension de la dégradation actuelle. Comme à l’extérieur, où les plans sociaux, les licenciements collectifs, l’exploitation, le mépris et la galère quotidienne font des ravages, de ce côté-ci pas un mois ne passe sans qu’une nouvelle mesure soit prise pour durcir nos conditions de détention. Et les peines s’allongent, s’allongent... Lorsque j’ai été condamné à perpète, les juges ont dit que je devais effectuer dix-huit ans de prison. À la fin des années 80, la peine moyenne des perpètes était de cet ordre : dix-huit, dix-neuf... vingt ans pour les affaires les plus graves. Aujourd’hui,la moyenne a grimpé à vingt-six ans ! Une croissance d’un tiers ! Et pour sûr, quand j’aurai atteint cette durée canonique, ils me rappelleront que la peine moyenne aura dépassé les trente ans ! Ainsi ils inscrivent la perpète réelle sans qu’on y prenne garde. En douce.
De nos jours, les détenus ne peuvent plus préparer leur libération, mais seulement y rêver. Quoi qu’il en soit les taulards sont en pétard. Les lettres recommandées abreuvent les parquets locaux : « Application de la loi ! » Les procureurs refusent d’examiner les requêtes et répondent laconiquement : « Adressez-vous au Conseil d’État ! » Comme si un détenu pouvait saisir directement le Conseil d’État... La colère monte. Il est amusant de voir combien ceux qui nous saoûlent la tête avec leur récitation sage de la loi inventent des artifices grossiers pour ne pas l’appliquer lorsqu’elle ne leur convient pas. Au fameux « la loi est la loi », ils opposent aujourd’hui leur interprétation de la loi. Et question interprétation, c’est un véritable orchestre philarmonique ! La greffière interprète le grand air, le directeur y va de sa voix de baryton et le procureur s’égosille... Si ça ne touchait pas à des mois et des mois de prison, je dirais que nous sommes à l’apothéose d’une farce grotesque. Ayant appris que dans d’autres établissements, des détenus attaquent en justice les directeurs pour faux et usage de faux à la suite de l’affichage de leur opinion sur la loi, à Lannemezan, les responsables ne signent plus les notes de service concernant cette affaire. Du coup, ce sont des lettres anonymes que le directeur envoie aux détenus... Et pour ne pas oublier que nous sommes en prison, les menaces pleuvent. Comme il se doit, certains des plus faibles se sont rendus à l’opinion de la direction. D’autres poursuivent et les avocats leur donnent raison.
La semaine dernière, une nouvelle note de service a été envoyée aux récalcitrants. Elle les avertit sans détour que les grâces supplémentaires ne leur seront plus accordées automatiquement, même s’ils ne sont pas passés par le mitard. Le détenu doit travailler à plein temps. « Et/ou » il doit payer volontairement les parties civiles. Nous y voilà rendus ! Car telle est la philosophie de la nouvelle application des peines : « tu paies ou tu ne paies pas. » Simple affaire de fric ! Comme à la grande époque des indulgences catholiques, quand le tartuffe lâchait quelques picaillons pour une messe afin d’être instantanément lavé de tous ses pêchés ! Aujourd’hui, si le taulard travaille, ils lui piquent jusqu’à 45 % de son salaire, mais il faut encore qu’il allonge volontairement 20 % pour se refaire une virginité. On peut se poser la question : à partir de quel taux horaire finit le salariat et commence l’esclavage ? La lessiveuse carcérale fait péter le porte-monnaie jusqu’à la caricature d’une prison où selon que tu sois riche ou pauvre l’application des peines sera à géométrie variable. Les pauvres sont voleurs et criminels, c’est bien connu. Certains affirment déjà comme à la fin du XIXe siècle que leur agressivité est génétique. On leur concède des avocats d’office. Et nous savons ce qu’il advient face aux tribunaux. La justice est le reflet d’une société inégalitaire et raciste, pourquoi en douter ? Finalement, on affirme à ces malchanceux que pour eux l’application des peines ne danse pas puisqu’ils n’ont pas une thune à mettre dans le juke-box. Après tant d’années de bagne, nous étions bien naïfs ma foi ! Nous pensions « la loi est la loi » et/ou « la loi est égale pour tous. » L’administration pénitentiaire nous éveilla en nous démontrant le contraire. La loi est la loi quand ils jugent qu’elle est à nos dépens. Et elle n’est égale que pour ceux qui ont les moyens pécuniaires de la faire jouer en leur faveur. Il s’agit d’un simple rapport de forces. Que de leçons citoyennes en si peu de temps !
Article publié dans le n° 27 de CQFD, octobre 2005.