Je me souviens en 1986, quand un toxico arrivait en prison, on lui donnait la fiole, une sorte de camisole chimique. Aujourd’hui, en 2005, il est tout de suite orienté vers un traitement de substitution. Je me souviens que « traitement de substitution » consiste à donner des pochettes contenant des médicaments pour quinze jours de traitement. Je me souviens que les filles s’empressaient de tout avaler, faisant OD [1] sur OD pour oublier l’endroit où elles étaient enfermées. Je me souviens de toutes ces filles, transportées d’urgence vers l’hôpital d’Evry pour subir un lavage d’estomac. Je me souviens que les médicaments servaient aussi de monnaie d’échange pour les cantines (tabac etc.). Je me souviens à quel point c’était choquant et triste de voir des filles aussi malheureuses. Je me souviens des mères avec leurs enfants, obligées de les laisser garder par les matonnes, pour aller travailler, gagner de quoi acheter leurs cigarettes. Elles savaient qu’à quinze mois on allait leur enlever. Très peu avaient une famille, elles savaient qu’ils seraient places. On dit que les femmes sont très dures entre elles, moins solidaires que les hommes, mois si elles le sont, c’est d’abord parce qu’elles sont très dures avec elles-mêmes.
Nadia
Je me souviens ma cellule. Je me souviens d’un drôle de monde. Je me souviens que ce n’était pas très beau. Je me souviens avoir beaucoup réfléchi. Je me souviens surtout d’en être sorti. Je me souviens d’un grand ennui. Je me souviens aussi d’un grand dépit Je me souviens d’un instinct de survie. Je me souviens d’une grande envie. La prison, malgré I’extrême rudesse de son système, m’a donné le temps pour essayer de réfléchir sur mon passé, mon présent et mon avenir. Penser à mon avenir veut dire transformer ma conception de la vie, ma vie, afin de ne plus réitérer les actes qui m’ont conduit dans ce lieu. Peu importe la manière ou les voies à suivre, le temps que j’ai mis à la réflexion est la partie la plus importante. Quel que soit notre parcours, quelles que soient les circonstances qui nous ont amenés à franchir le seuil d’une prison, l’individu qui se sert de cette privation de liberté et la transforme en temps de réflexion sur lui-même, cet individu dira que la prison lui a donné le plus bel exemple de liberté.
Djamel
Je me souviens d’un jour très dur et triste. De cet endroit très froid avec des humiliations. Je me souviens de la cour de promenade qui n’était pas plus grande qu’un appartement. Je me souviens des contrôles systématiques dès qu’on allait d’un endroit à un autre de la prison. Je me souviens de ma cellule qui faisait 2,5m, et des matons qui y entraient à n’importe quelle heure. Je me souviens d’un mec qui s’appelait Ali. Il s’était suicidé après le ramadan. Il n’avait pas trente ans. C’était un bon ami. Je n’ai toujours pas compris les raisons de son acte, mais je suppose qu’il ne supportait plus l’attente de son procès qui lui aurait donné une date de sortie. Je regrette le comportement de la police française et de ses lois qui m’ont conduit deux fois derrière les barreaux sans aucun motif. Pendant mes gardes à vue, ils n’ont même pas autorisé mon avocat à avoir une entrevue avec moi. J’ai été victime de racisme de la part des juges, qui, même sans motifs, m’ont condamné à des peines de prison fermes. Par la suite, je regrette d’avoir abusé de l’alcool et de la cocaïne qui m’ont amené à foire toutes ces choses qui m’ont reconduit directement an prison. Je regrette presque la prison de Bois-d’Arcy, car au moins là-bas, on pouvait travailler, écrire pour demander des aides, faire du théâtre et consulter des médecins qui nous écoutaient. Tout le contraire de Fresnes.
Saïd
Je me souviens en 94, je suis allé voir mon frère à la Maca pour lui apporter de la nourriture. Je me souviens d’avoir vu mon frère entre les mains des flics. Je me souviens des cellules de prison. Je me souviens quand j’ai vu mon frère mal à l’aise. Je me souviens quand mon frère est tombé malade en prison. Je me souviens quand mon frère me parlait des cellules. Je me souviens quand mon frère voulait à tout prix retourner en prison. Je regrette d’avoir vu mon frère dans les mains des flics. Je regrette le retard que mon frère a eu sur son âge. Je regrette que mon frère ait perdu ses droits de paternité, à la suite de son incarcération.
Albert
Moi toute seule, face à mon sursis. Moi toute seule, pour la première fois, pour un kiff. Moi toute seule, j’ai été énormément déçue. Moi toute seule, je suis en colère. Moi toute seule, j’ai pris un an ferme et six mois de sursis. Moi toute seule, j’ai pris plus parce que je suis étrangère. Moi toute seule, alors que le modou, lui, il prend quatre mois. Moi toute seule, je me suis sentie une poussière dans le grand espace du dépôt. Moi toute seule, je me suis assise par terre. Moi toute seule, les policiers m’ont pris mes cigarettes. Moi toute seule, ils m’ont piqué aussi mon soutien-gorge, mon sac à dos et mon épilateur. Moi toute seule, je me suis vraiment sentie toute seule. Moi toute seule, le procureur a écrit une lettre pour que je récupère mes affaires. Moi toute seule, parce que je suis usagère
Kateline
Il y avait celui qui avait violé un enfant et qui avait tout ce qu’il lui fallait en prison (télé, ordinateur...), il était protégé. Il y avait celui qui avait braqué une banque et qui était cool avec tout le monde, qui partageait facilement ; celui qui cirait les pompes du chef et qui a été nommé comptable du travail au sein de la prison, et qui a profité de son statut pour « faire sa loi » : celui que j’aimais bien, que je connaissais bien et qui est mort au mitard, soi-disant suicidé.
Je me souviens qu’au début on avait droit à deux douches par semaine. Après l’émeute, ils en ont accepté trois. Je me souviens pour consulter le médecin, il fallait écrire à l’infirmerie et attendre au moins une semaine pour avoir une réponse pas toujours positive. Je me souviens qu’ils ont mis un détenu avec des problèmes psychiatriques dans ma cellule, j’ai écrit plusieurs fois à la directrice, au surveillant chef, bref à toute autorité susceptible de prendre la décision de le transférer dans le service adéquat.
Je me souviens que je n’ai reçu aucune réponse. Je me souviens que j’ai craqué. Je me souviens que j’ai mis le feu à ma cellule. Je me souviens qu’ensuite j’ai tenté d’expliquer mon cas à la directrice. Je me souviens qu’elle ne m’a pas entendu. Elle m’a collé deux fois quarante-cinq jours au mitard. Je me souviens que pour les chrétiens il y avait un prêtre, que pour les juifs il y avait un rabbin. Je me souviens qu’il n’y avait pas d’Imam pour les musulmans. Je me souviens je me demande encore pourquoi. Je me souviens que le seul réconfort ou sein du centre de détention fut une relation presque amicale avec quelques surveillants compréhensifs et quelques infirmières, mais pas toutes. Il y avait aussi le foot qui me détendait et quelques activités comme le théâtre et l’informatique où il y avait une prof gui était vraiment très gentille. Avec elle, on oubliait vraiment tout.
Je me souviens qu’au niveau de ma sortie, rien ne m’a été proposé, aucune démarche pour me mettre en relation avec les associations qui s’occupent des sortants de prison. Les A. S. des prisons c’est vraiment la merde ! Il y en a une pour 300 ou 400 détenus ! Autant ne rien faire du tout à ce moment là.
J’aurais simplement aimé qu’on me propose des choses concrètes pour préparer ma sortie et ma réinsertion. C’est vrai qu’il y a des trucs à faire, mais tellement de demandes pour si peu de possibilités. Autant dire mission impossible.
Heureusement, j’avais des amis qui ne m’ont pas lâché et qui m’ont soutenu, sinon je crois que j’aurais vraiment craqué. Je plains ceux qui n’ont ni famille ni amis. Je suis resté en prison 7 ans et 2 jours.
Mourad