à Madame JOSSET, Directrice départementale du S.P.I.P. (Service pénitentiaire d’insertion et de probation)
Le 20 juillet 1999 Tarbes
Le SPIP est la nouvelle instance qui assure désormais le suivi des personnes condamnées, en milieu ouvert comme en milieu fermé. Ce courrier n’a eu aucune suite... Madame, Deux missions sont confiées à l’Administration pénitentiaire : assurer la mise à exécution des décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou ordonnant une incarcération provisoire, assurer la garde et l’entretien des personnes en détention (Art. D. 188 CPP) ; assurer le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prendre toutes les mesures destinées à faciliter leur intégration dans la société (Art. D. 189 CPP). Force est de constater que la première partie des missions confiées à l’Administration pénitentiaire est assurée avec une certaine réussite, pour ne pas dire une réussite certaine. L’ordre règne dans les prisons de France. Et les rares candidats à la liberté sont bons pour l’exécution du haut des miradors (voir les Baumettes et la Guyane il y a peu). Mais qu’en est-il de la seconde mission consistant à " assurer le respect de la dignité inhérente à la personne humaine " et à " prendre toutes les mesures destinées à faciliter (leur) intégration dans la société " ? Mon expérience personnelle m’amène à vous dire avec gravité que l’Administration pénitentiaire faillit à sa mission, ne respecte pas les textes votés par les représentants de la nation et mène une action contre productive avec les deniers de l’Etat. Ne voulant nullement viser des personnes à titre individuel, ou mettre en cause tel ou tel service défaillant, je m’abstiendrai de toutes dénonciations pour ne m’adresser qu’à vous madame, qui êtes (depuis la signature du décret n° 99-276 du 13 avril 1999) à la tête du Service pénitentiaire d’insertion et de probation départemental (SPIP). Vos fonctions vous amènent en effet à jouer un rôle majeur à l’avenir, dans l’établissement dans lequel je me trouve détenu. Si dans les cellules du type de celle que j’occupe, était mis non pas un homme mais un cheval, il n’y aurait pas de problème majeur. En effet, comme dans tous les haras, les repas nous sont délivrés à heures fixes. Les moyens de nettoyage sont là. Et les " promenades " et autres horaires autorisant l’activité sportive nous permettent de garder la forme. ( Je note quand même que dans les haras, les chevaux ont droit aux saillies, mais en France pas de droit à une vie sexuelle pour les détenus...). Mais voilà, si le cheval peut se contenter d’un tel programme, il n’en est pas de même pour l’être humain. A la différence du cheval ou de toute autre animal, nous sommes dotés d’une intelligence, nous avons le don de création, et sommes sensibles à la beauté et à tout un panel d’impressions, de sensations, offertes par la vie. Le problème est bien là. Déchirant pour qui en prends conscience et le vit. Le détenu est traité comme l’on traite un cheval. Ni plus ni moins. Ce qui nous différencie de l’animal nous est nié, n’est pas reconnu par l’Institution, puisque non pris en compte dans la gestion de notre quotidien. Madame, faites entrer la Culture en prison ! Nous avons soif d’émotions et faim de créativité. Nous crevons petit à petit de vivre dans un univers dénué de beauté, dénué de sentiments et aliénant à n’en plus pouvoir. Notre temps d’incarcération n’est qu’une longue suite de journées sans saveur, sans odeur, sans couleur. C’est ainsi que l’Institution fabrique des êtres désocialisés, insensibles et incapables d’affirmer leur humanité de façon harmonieuse et paisible. Aider le détenu à sa réinsertion commence par le reconnaître dans toute sa dimension humaine, dans tous les compartiments de sa nature. Redonner vie à un " corps sans souffle " ( c’est souvent le cas des " longues peines " ) passe par une nourriture pour l’esprit, une ré oxygénation des sens. Un seul remède ; la culture ! Bien sur, il y a de temps à autres des activités socio culturelles. Bien trop rares. De piètre qualité. Mal organisées. Toujours imposées sans la moindre concertation ou écoute des souhaits des détenus. Bien sur, vous me direz que rares sont les détenus qui y participent. Quoi de plus normal ? En effet, voilà parfois 10, 15 ou 20 ans que nombre de détenus se voient mis au rang de " cheval ", n’ont plus accès à la culture, n’ont que la télévision comme support " culturel ". Comme on réamorce une pompe, il faut effectuer un long travail de réamorçage de la pompe du désir chez le détenu. Lui donner envie d’avoir envie. Aiguiser son appétit de culture. Cette tache peut et doit être faite. Vous en avez les moyens légaux. Vous trouverez si vous le souhaitez des détenus, mais aussi des visiteurs(ses) et autres intervenants qui vous soutiendront, apporteront leurs idées et projets. (...)
Recevez, Madame JOSSET, mes plus sincères salutations
Gabriel Mouesca