De Gilles
A Ban Public
Paris, le 16 août 2002
Bonjour à tous,
Bravo pour votre engagement et, à en juger par la célérité de vos réponses, votre dynamisme. Vos objectifs sont tout à fait louables et je vous encourage à les poursuivre. Mais la tâche sera rude et vous risquez de vous heurter aux habituelles résistances. La France est un pays qui excelle dans l’illusionnisme : pays des droits de l’homme, démocratie, liberté de penser, dignité de la personne détenue, souci de réinsertion des prisonniers, etc. Blablabla ! En réalité il s’agit d’une petite dictature où la justice est au service du pouvoir politique et les droits de l’homme un rideau de fumée pour étourdir l’opinion publique qui ne s’émeut d’ailleurs guère du traitement des condamnés. L’accès aux textes de loi est on ne peut plus difficile en prison et se résume à quelques poussiéreuses éditions du code de Procédure Pénale et du code Pénal consultables à la bibliothèque. Aucune information n’est dispensée aux détenus pour les informer de leurs droits, ce qui n’est absolument pas dans l’intérêt de l’administration car les abus dénoncés seraient plus nombreux. Un « ancien » m’a indiqué que, dans les années 70, il se trouvait nombre d’avocats « engagés » membres d’associations qui avaient tenté de nettoyer le cloaque judiciaire et s’étaient finalement heurtés à une résistance invincible au plus soucieux de victoires morales que financières ; il est donc à craindre que les choses demeurent en l’état quelques temps encore.
Sans être vindicatif, je constate en toute simplicité que la prison, autrement dit l’Etat à travers l’administration pénitentiaire, ne joue aucun rôle utile ou positif, sinon aux yeux des démagogues, des naïfs qui les écoutent, des victimes désirant obtenir réparation, et des extrémistes de l’ordre et de la morale. Les criminels sont jugés, condamnés et enfermés pour un temps variable ou infini durant lequel il ne se passe à peu près rien pour les aider à réfléchir, à changer ou à construire une vie meilleure qui leur permettrait de trouver une place et de jouer un rôle profitable pour la société. Des crédits pharaoniques sont dilapidés pour une armée de fonctionnaires qui assurent une « mission » imprécise, pour laquelle ils manquent de personnel et de moyens, raison son échec. Les peines françaises sont de plus en plus longues sans que cela amène quoi que ce soit, sinon une surpopulation carcérale, tout comme la peine de mort n’avait aucun effet dissuasif, comme le prouvent les statistiques de la criminalité avant et après l’abolition dans de multiples pays. Si je considère les surveillant(e)s comme des personnes avant tout, des être humains que je respecte en tant que tels, je suis passablement gêné par le quotidien abrutissant, infantilisant et déstructurant qu’ils sont tenus de nous faire vivre, auquel je résiste heureusement très bien. Les décideurs me semblent à peu près tous étroits d’esprit, passablement incompétents, susceptibles de l’être, et peu soucieux des détenus. De formidables brasseurs de courants d’air qui se perdent en notes, briefings, réunions, stages, etc. Les ambitieux passent des concours internes pour avoir encore plus de pouvoir, de responsabilités, toujours plus à l’écart des réalités de la détention. Ils constituent le plus grand frein à l’évolution du système (ou la garantie de son immobilité). Clemenceau disait très justement : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : ceux qui sont placés le plus haut sont ceux qui servent le moins ». L’organisation pyramidale assure une inertie générale : aucune décision n’est prise sans l’aval du sommet, auquel on n’accède qu’avec un guide de haute montagne et un masque à oxygène. Ainsi, par exemple, j’ai demandé copie d’une note de service qui nous informait de certaines conditions liées aux visites d’avocats. La direction a refusé. La direction régionale n’a pas répondu. J’ai donc saisi la CADA qui a émis un avis en ma faveur auprès du ministère, lequel a alors déclenché une avalanche de télécopies, jusqu’à ce qu’un chef me convoque pour me remettre ladite note de service. Cette dépense d’énergie illustre le fonctionnement général de l’Administration Pénitentiaire, obtus, désorganisé, inefficace et souvent oublieux des textes de loi.
Ma prochaine escarmouche va concerner les biens de consommation qui nous sont vendus, laquelle m’a lancé en quêtes d’informations. Grâce aux coordonnées d’organismes que vous m’avez fournies et que j’ai contactés, je vais peut-être réussir à faire mettre de l’ordre dans certaines augmentations de prix étranges (120%) au sujet desquelles on me donne des réponses empreintes de la meilleure mauvaise foi (« l’article que vous achetez depuis des années a changé de marque, donc le prix double », ceci alors que l’article n’a évidemment pas changé). Ma quête va donc porter simplement sur le respect de l’information aux consommateurs que nous sommes, enfin que je suis, car la solidarité n’a pas cours entre détenus, qui me permet de demander : l’affichage des prix à l’unité, au kilo ou au litre, de la marque et de la quantité livrée. N’importe quel épicier se ferait aligner pour un tel manquement. Ici, cela dure depuis toujours (et il n’est pas dit que cela change). Mon indignation est uniquement liée à ma précarité financière : si j’avais les moyens, je ne m’attarderais pas sur ces petits trafics. Malheureusement, je compte mes sous et je supporte mal de devoir payer subitement le double pour un produit alimentaire dont l’achat est nécessaire au regard des abominables « repas » (très coûteux) que nous jetons généralement à la poubelle et qui nous laissent avec d’irréparables carences.
Si je n’ai jamais eu le plaisir de surfer sur Internet (qui s’est développé alors que j’étais déjà privé de téléphone) je suis familier de ses mécanismes techniques car je fais de la programmation web. Après avoir passé un DUT en 1999, j’ai entamé une licence informatique avec Paris VII qui s’étalera de 2001 à 2003. Ma situation pénale est simple : âgé de 34 ans, je suis condamné à vie (ou à mort ?) et déjà dans ma seconde décennie de bannissement. Grâce à un modeste soutien financier j’ai toujours eu la chance de pouvoir refuser le « travail » avilissant proposé à des conditions indécentes en prison et qui permet de faire pression sur les détenus. Parallèlement à mes études, j’ai entamé en 1999 une prospection pour proposer mes services de programmeur aux entreprises informatiques régionales (nombreux mailings + 350 contacts téléphoniques + nombreux rappels, durant 1 an et demi) dont une trentaine se sont dites intéressées à condition de travailler... par e-mail. Un patron qui se serait contenté d’échanger le travail par courrier sur CD gravés s’est tout de même déplacé et, après rencontre avec la direction, a révisé à la baisse le salaire qu’il m’annonçait au téléphone. Je l’ai remercié. La chance m’a finalement souri avec un enseignant, patron d’une petite SSII, qui a accepté de me confier du travail payé à la commande. Hélas, l’absence de moyens de communication modernes [1] multiplie les délais et je peine à finir une application web intranet pour toucher (enfin) de quoi survivre moins confortablement. S’il ne souhaitait simplement m’aider, il m’aurait déjà abandonné depuis longtemps.
Etant très hostile à Microsoft et aux logiciels ruineux et de mauvaise qualité que Windows oblige à acheter, j’ai adopté LINUX et les logiciels gratuits disponibles sur ce système. J’ignore sur quoi vous hébergez votre site et votre base de données mais n’hésitez pas à me demander conseil si vous souhaitez réduire vos coûts en adoptant des outils gratuits (actuellement, pour mon travail, j’utilise le serveur web Apache, le langage PHP 4 et la base de données PostgreSQL, tout cela sans bourse délier). Mais il est probable que vous utilisez simplement un espace dédié sur un site dont vous n’avez pas à assurer la maintenance technique.
Avec tous mes remerciements, dans l’attente d’un contact par téléphone (prochainement), je vous renouvelle mes encouragements pour votre action.
Gilles
PS : Si parmi vos relations se trouve un(e) avocat(e) connaisseur du droit administratif susceptible de m’aider pour des procédures liées à mes conditions de travail, sans me demander immédiatement une contrepartie sonnante et trébuchante, je suis preneur.