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Hôpital-prison et prison-hôpital : même combat !

Mise en ligne : 15 avril 2011

Dernière modification : 7 janvier 2012

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Texte de l'article :

Emily-Virginie Raffray-Taddei a envoyé le 10 mars dernier une lettre à ses soutiens dans laquelle elle raconte son terrible parcours : elle est notamment depuis 9 mois dans un hôpital-prison (un UHSI) à Lyon. Elle avait fait condamner la France en décembre dernier pour les traitements inhumains qu’elle avait reçus (*)


Madame, Monsieur,

Je me permets de vous écrire afin de témoigner des graves dysfonctionnements, des humiliations, atteintes à mes droits, vols, intimidations et fausses déclarations qui ont conduit à ma situation actuelle et un diagnostic très réservé, puisque je suis dans l’impossibilité de me soigner correctement. J’ai d’ailleurs déposé plainte dès 2002 pour manquement aux soins, votre tentative d’atteinte à ma vie et, récemment, la cour européenne de justice m’a donné raison et condamné la France.

Je suis rentrée en détention en 2000, d’abord sur un mandat politico-Corse et, dans un premier temps j’ai été envoyé Marseille, à l’isolement total car, lors de l’interpellation, j’avais été touchée à l’abdomen par deux balles. A peine arrivée, je reçois le nécessaire donné à tous les arrivantes, qui m’est remis par une gradée accompagnée de trois surveillantes. Elles sortent , referment la porte qui se rouvre presque aussitôt sur la gradée, seule. Celle-ci me fait savoir qu’elle est en contact avec des corses incarcérés chez les hommes et se propose d’être mon contact privilégié pour obtenir certaines choses, par exemple un téléphone portable. Évidemment, je lui dis oui et lui indique le numéro de téléphone de la personne qui lui paiera ce service qu’elle évalue à 2500 euros. Le lendemain soir, j’ai le téléphone plus les numéros des détenus hommes...

En revanche, sur le plan de santé, rien ne va. Mes demandes de soins sont prises à la légère. Je fais des malaises plusieurs reprises. Pour tout traitement, je reçois du doliprane : c’est le traitement le plus usité en détention, quelle que soit la pathologie, croire qu’ils le reçoivent par camion vu l’utilisation systématique qu’ils en font ! Je vois tout de même un pneumologue car je suis sous oxygène 12H par jour. Mais au fil des semaines, ma fatigue s’aggrave, j’ai une anémie catastrophique qui entraine malaises, amnésie, trouble de la vue, douleur dans le bas ventre, aménorrhée. Le médecin de la prison déclare que j’affabule et simule des symptômes pour attirer l’attention....J e préfère ne plu rien demander pour éviter les sarcasmes.

Au fil des mois, je fais appel à plusieurs reprises à la gradée pour obtenir des livres, du parfum , des produits d’hygiène. Mais ses faveurs sont de plus en plus onéreuses. Un jour, je lui demande une boite de bonbons haribo et quelques gâteaux au chocolat pour lesquels elle taxe mes proches de 50O euros. D’ou une première altercation. Elle exige des versements réguliers pour prix de son silence et pour que les surveillantes ne trouvent pas le téléphone lors des fouilles. Je me sens piégée, perdue. Je n’ose plus appeler mes amis corses qu’elle me dit être désormais sur écoute, je me permets juste d’appeler mes enfants. Quand 9 mois plus tard, j’ai enfin mon premier parloir, j’apprends par ma mère que cette femme leur a extorqué entre 1000 ET 1500 euros par mois....Je jette le téléphone et nous envoyons un ami lui dire, à la sortie de son travail, qu’il n’est plus question de petits services et de versements d’argent. Elle se fait mettre en maladie et laisse à ses collègues la consigne de me "serrer de près" A partir de là, je subis des fouilles quasi journalières, des humiliations, des injures...

Un matin à 7H, on me fait sortir pour une nouvelle fouille ; 1H20 plus tard, alors que je rentre enfin dans ma cellule, je m’aperçois que le classeur où je range mes PV des auditions, les courriers des avocats etc, a disparu : on l’a emporté "pour contrôle". Or ces documents sont soumis au secret, n’ont pas être lus par l’administration pénitentiaire. J’exige qu’on me les rende sur le champs, je refuse de réintégré ma cellule. Altercation, coups et finalement gaz lacrymo... Vu mes problèmes pulmonaires, j’ai cru mourir et me suis réveillée plu tard en réa où je resterais 18 jours, plus de 20 jours en chambre d’hôpital. A ma sortie, je suis immédiatement l’objet d’un transfert disciplinaire Nice, où , sans autre forme de procès, sans être présentée au prétoire en présence de mon avocat, j’ai droit 45 jours de "mitard".

Toutefois, mon arrivée à Nice aura quelques effets positifs car un médecin est alerté par es résultats sanguins. Il m’avouera avoir tout fait pour me faire sortir du quartier disciplinaire mais être heurté au refus de la direction. Il me fait hospitaliser et prescrit un certain nombre d’examens. Je suis dans une petite unité de six chambres gardées par la police, des petites chambres de 4 ou 5 m2 , sans sanitaire. Pour aller aux toilettes , il faut taper à la porte, appeler les policiers qui viennent au gré de leur humeur. En revanche, il leur arrive fréquemment d’ouvrir les portes des sanitaires lorsque je suis aux toilettes ou sous la douche !

On tente de prendre en charge mon anémie. Je suis transfusée deux fois mais une semaine plus tard l’anémie est retombée au même niveau. On me soupçonne de cacher une seringue pour me tirer du sang ! Combien de fois suis-je déshabillée et scrutée " la loupe" par les infermières qui tentent de trouver la seringues... Finalement, d’autres investigations sont faites et le verdict tombe : j’ai un cancer de l’utérus. Je commence la chimio. Les séances sont souvent annulées faute d’escorte, ar je ne peux y accéder qu’escortée par le GIGN ;

Je suis restée hospitalisée dans ce service 11 mois sans voir le jour, avec un néon allumé toute la journée. Ces conditions de détention sont tellement déplorables que mes avocats et d’autres détenus font appel à la DDASS, à l’OIP, a la Cour Européenne. Mon état se dégrade, car le suivi médical n’est pas correctement assuré. L’IRM fait apparaitre des métastases à un ovaire. Dans le même temps, on constate un grave déficit en vitamine K, rendant la coagulation très instable : depuis ce jour, je suis sous anti coagulant administré par injection.

Compte tenu des résultats de l’IRM, une biopsie doit être pratiquée et, pour cela, on me fait signer une autorisation d’anesthésie. Amon réveil, je souffre terriblement, je m’aperçois que j’ai des drains dans le ventre. Que s’est-il passé ? On m’explique que la décision a été prise sans mon accord préalable, sans que je sois sure de la gravité de mon état et de la nécessité d’une telle intervention- de pratiquer une hystérectomie totale. Le chirurgien ne semble apprécier ni mes questions ni le fait que je lui conteste le droit de pratiquer ainsi une telle intervention et me précise que le surveillant a signé l’autorisation pour moi. Par deux fois, je tente de porter plainte, par deux fois la plainte s’est perdue...

Un Sénateur, Monsieur BRET, alerté par moi et par d’autres sur ce qu’il se passe dans ce service, va enfin intervenir et grâce à lui, j’obtiens une suspension de peine, compte tenu de mon état physique, assortie d’un contrôle régulier par la JAP qui demande une expertise tous les 6 mois pour savoir si mon état est compatible ou non avec la détention. J’en profite pour consulter et apprend que l’intervention n’a pas été complète dans la mesure où l’ovaire métastasé n’a pas été enlevé ! Je dois donc subir une nouvelle opération, suivie d’une chimio et de séances de radiothérapie. A peine ces traitements terminés, de fortes céphalées inexpliquées nécessitent un IRM qui permet de détecter, en 2005, une tumeur au cerveau placée sous la bulbe.

Je resterais ainsi dehors jusqu’en 2007 mais peine les élections passées, comme tous ceux de notre affaire, je réincarcérée. Je suis interpellée un matin 9h, alors que je venais de déposer mes enfants. Eux et moi, étions alors horriblement traumatisés, un grand deuil, puisque deux jours auparavant mon compagnon avait trouvé la mort devant notre maison. Je ne pourrais même pas assister aux funérailles auprès d’eux.

Je n’ai plus de cheveux, je pèse 49 kilos. Les soins en prison sont aléatoires. Le médecin, irrité par mes constantes demandes, reprend le prétexte de l’affabulation... tout en prescrivant morphine, oxygène, etc...Mais personne ne semble y voir quelque incohérence. Le 21 février, je suis transférée Rennes, alors que, le jour même, je devais passer en commission en Corse pour une demande de suspension de peine ( laquelle le JAP de Corse m’avait indiqué qu’il était favorable). J’y ai été conduite par le GIGN sans avoir été prévenue, à l’improviste, en chaussons, sans aucune affaire de rechange, sans manteau, sans documents, ni papiers...Ce jour là devait être jour de parloir avec mes enfants. Quand ils se sont présentés, il leur a été dit que j’avais été transférée, mais que l’on ignorait où...

Arrivée Rennes, je devais, comme toute arrivante, rencontrer l’assistante sociale. Celle qui m’avait été désignée étant en congé pour encore 12 jours, je me retrouve à l’isolement et, d’autant plus impuissante que mon pécule n’avait pas suivi. Donc pas de cantine, mais surtout pas de téléphone ni de timbre, impossible de joindre et rassurer mes enfants. En fin l’AS de Rennes rentre de vacances. D’emblée, le contact est mauvais : elle m’apprécie pas que j’ai effectué moi-même ma demande de suspension de peine. Je lui fais état de mes problèmes de santé et surtout de mon désir urgent d’entrer en contact avec mes enfants, qui sont sans nouvelles depuis des semaines. Elle me répond qu’elle n’est pas une cabine téléphonique et, après longue discussion, consent à me donner une enveloppe timbré tarif lent.

Je ne vais pas bien. Je continue de maigrir. Je souffre d’anorexie grave. L’AS doit établir un rapport pour la commission chargée d’étudier ma demande de suspension. Lorsque j’obtiens copie de ce rapport je découvre que, selon elle, je souffre en fait du sydrôme de MUNCHAUSEN (sic !) et que mes ont été placées, faute de famille pour les accueillir, tandis que mon fils "en totale déchéance et délinquance", àa disparu de la circulation et on ne sait où il vit... Or, j’ai de la famille en Corse du Sud, qui accueillait alors mes enfants pendant les week-end et les vacances, mais mes filles avaient préféré l’internat pendant l temps scolaire pour ne pas quitter la région de Bastia. Quant à mon fils, adulte, qui travaillait déjà , il venait d’être envoyé à titre professionnel pour 18 mois sur un chantier à Nîmes où il réside toujours avec sa compagne et leur petit garçon dont je devais apprendre la naissance trois mois plus tard. Dès que le courrier peut être rétabli, je reçois enfin au moins une fois par semaine des lettres de mes enfants à qui j’écris tous les deux jours. Dès que je reçois mon pécule, je peux enfin appeler quotidiennement.

Pour m’occuper, je m’inscris au BEP compta. Mais l’AS dans son rapport le nie alors que c’est bien le responsable de l’enseignement en détention qui m’a inscrite à l’examen. De plus, par correspondance, j’entame une formation météo sur quatre ans à l’école de Toulouse. Les cours arrivent régulièrement mais là aussi, l’AS n’en semble pas informée. Elle réfute également le fait que j’ai un brevet de pilote. Bref, son rapport est tellement négatif que a demande de suspension est bien sûre rejetée. Mais le pire est que, malgré l’avis du psychiatre de Roanne qui m’a suivi pendant six mois et dément formellement le pseudo diagnostic de syndrome de MUNCHAUSEN, ce sera répété dans tous les rapports et attesté par des experts psychiatres capables de poser un diagnostic après quatre minutes d’entretien...

J’ai aujourd’hui toutes les preuves de ce que l’on m’a fait subir pendant ma détention, du refus de soins adaptés, du déni de mes réelles pathologies (tel un courrier de la Directrice indiquant que je n’ai jamais eu de cancer, que je e rasais pour faire croire à une calvitie liée aux traitements) et toutes les preuves de ce que j’avance (telle ma licence de pilote, tels des compte- rendus opératoires, etc...

Je suis ensuite transférée à Roanne où, mon dossier m’ayant suivie, le même type de traitement se poursuit : inutile d’avoir de la compassion pour une simulatrice. A mon arrivée, la surveillante-chef m’arrache mon foulard dans le couloir, devant toutes les autres détenues, parce qu’il est interdit de porter un foulard. Honte, humiliation. Pendant tus les mois passés à Roanne, je n’ai pas pu sortir dans la cour, j’ai souffert quotidiennement en raison de l’ambiance provoquée par l’administration pénitentiaire qui à même réussi à semer le doute à mon égard lors de la visite de deux contrôleurs mandatés pour enquêter à Roanne par le Contrôleur Général des lieux de privations et des liberté.

Depuis neuf mois, je suis incarcérée à l’UHSI de l’hôpital Lyon Sud : pas de promenade, pas de pratique de culte, pas d’activités, pas d’ordinateur (il y en a un dans une salle dite d’activités à laquelle je n’ai pas accès) pas de journaux.... J’ai du me battre pour avoir un simple droit de dessiner et peindre, pour obtenir la possibilité-ouverte à tout détenu en principe- de me faire remettre un colis de Noel. Toutes mes demandes de suspension de peine pour raison médicale ont été jusqu’alors refusées. L’un des prétextes invoqué pour ce refus fut même que je n’aurais fait "aucun effort de réinsertion en détention". Malgré les cours que j’ai voulu suivre... J’ai porté plainte devant la cour Européenne de Justice qui m’a donné raison. Peine perdue.

Je suis à moins d’un an de peine, ce qui devrait me permettre de demander une liberté conditionnelle et, en tout état de cause, rapprochement familial à BORGO. On me propose pour seule alternative une hospitalisation à St Etienne en milieu fermé. Une autre forme de prison en somme, encore plus éloignée de ma famille, de mes enfants que je n’ai pas vus depuis plusieurs années, dont ma petite de 13 ans.

J’ai besoin d’aide et de soutien. J’ai peur de ne pas tenir le coup. J’aurais encore beaucoup à dire sur les conditions de détentions, Rennes notamment , qui ne ressemble en rien au reportage idyllique que j’ai pu voir la télé il y a quelques mois. Je veux sortir pour témoigner, dire qu’est la prison, l’apprentissage de tous les trafics, toutes les magouilles, dire comment on casse et spolie les détenus.

Mais j’ai presque plus de forces. Je pèse 32 kilos pour 1m64, j’ai des débuts d’escarres, le moindre geste me fatigue, j’ai perdu le goût de tout même de vivre.

Avant qu’il ne m’arrive le pire, je voudrais laisser à mes enfants que j’aie tant et dont l’absence m’est insupportable la preuve que j’ai fait une action, que j’ai tenté de faire bouger les choses pour les autres car je ne suis pas seule dans ce cas. Je me souviens d’une jeune femme handicapée de naissance, croisée à la prison de Rennes, qui n’avait même pas le droit à une cellule adaptée, aucune aide pour les cantines... Je fais appel à tous ceux qui sont susceptibles de faire savoir que la FRANCE bafoue les Droits de l’Homme.

Merci de l’aide que vous pourrez m’apporter et croyez à on profond respect.

Le 10 mars 2011

Emily-Virginie RAFFRAY-TADDEI

 

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(*) STRASBOURG - La CEDH condamne Paris pour traitements inhumains en prison

(Reuters) - La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France mardi pour traitements inhumains envers une détenue qui n’a pas bénéficié des soins ni de l’environnement adaptés à son anorexie.

Virginie Raffray Taddei, qui purge depuis 1998 une série de peines pour escroquerie, abus de confiance, vol ou recel, souffre d’asthme, d’insuffisance respiratoire, d’anorexie et du syndrome de Münchhausen, un trouble caractérisé par le besoin de simuler une maladie.

La juridiction du Conseil de l’Europe constate dans un arrêt que si les troubles respiratoires ont fait l’objet d’un suivi médical, l’anorexie de cette femme de 48 ans, qui ne pèse plus qu’une trentaine de kilos, n’a pas été prise en compte.

Plusieurs avis médicaux préconisant son transfert dans un établissement spécialisé sont restés sans effet.

"La Cour est frappée par la discordance entre les soins préconisés par les médecins et les réponses qui y sont apportées par les autorités nationales, celles-ci n’ayant pas envisagé un aménagement de peine qui eût pu concilier l’intérêt général et l’amélioration de l’état de santé de la requérante", lit-on dans l’arrêt.

La Cour s’étonne en outre des "délais procéduraux longs et inappropriés", eu égard à la situation, en notant qu’une demande de suspension de peine pour raison médicale n’a obtenu une réponse définitive qu’au bout d’un an et demi.

Elle relève enfin les transferts successifs de la requérante, passée de Rennes à Fresnes puis à Roanne, alors qu’elle est originaire de Corse où réside sa famille.

L’ensemble de ces éléments, concluent les juges, étaient de nature à provoquer chez elle "une détresse qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention".

Gilbert Reilhac, édité par Jean-Baptiste Vey
http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/la-cedh-condamne-paris-pour-traitements-inhumains-en-prison-21-12-2010-1277872_240.php