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Il y a toujours le mur devant toi. Tu regardes le mur.

Mise en ligne : 26 mars 2004

Texte de l'article :

Dans la vie normale, il y a des problèmes. On s’en pose toujours, qu’on le veuille, qu’on ne le veuille pas. On peut se dire : Ou irai-je ce soir ? Que mangerai-je ? Comment mangerai-je ? Qui verrai-je ? En cellule, on ne peut jamais. Il n’y a pas de problème. Pas d’échappatoire. Il n’y a pas de refus possible. Il faut subir. Sur place. Dans la cage. Les mains vides.

On ne peut rien.

Vous dites : l’impuissance. Vous ne savez pas ce que c’est. Vous ne savez pas la force incommensurable qu’acquiert ce mot au long des jours et des nuits, des nuits et des jours, qui envoient dans la cellule leur ombre et leur lumière à travers les carreaux dépolis de la fenêtre.
On songe à l’impuissance. On y resonge. C’est la hantise. On ressasse et ressasse l’impuissance, la fatigue et l’épuisement de lutter contre les coups, les murs, le vide.

Voilà. Tu es dans ce ridicule espace. Tu fais trois pas, tu te cognes au mur. Tu marches en diagonale maintenant, et tu fais des crochets, parce que tu sais qu’ainsi, au lieu de trois pas, tu pourras en compter six, surtout si tu raccourcis ta foulée. Tu peux crier, cogner, te meurtrir le point contre cette porte, te labourer le crâne contre la serrure de cette porte, te déchirer le front contre le guichet obturé de cette porte, elle ne s’ouvrira pas. Il y a toujours le mur devant toi. Tu regardes le mur.

- Quand en sortirai-je ?

Si tu en sors. Car tu ne sais pas. Tu ne sais rien. Et tu n’oublies jamais que tu ne sais rien, que depuis ton incarcération toute certitude s’est éteinte au fil du temps, que tu es là comme un tas de chair qu’on prend par moment pour le meurtrir puis qu’on ramène, que tu es depuis des éternités de calvaire dans ce trou où tu ne vois rien, où tu ne peux rien, où tu ne sais rien.

Anonyme