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Insécurités

Mise en ligne : 25 avril 2002

Texte de l'article :

 A quoi s’attendait-on ? Parmi les raisons du vote FN, arrive en tête, à 58 %, l’insécurité. Ce truc dont tout le monde parle, que tout le monde redoute, mais que, fort heureusement, beaucoup n’ont jamais expérimenté. N’est-il pas étrange que la « réaction à l’insécurité » soit avancée par les électeurs de M. Le Pen dans le village qui a le plus massivement voté FN, alors que, de leur aveu même, ils n’ont jamais été victime ou témoins d’un des nombreux méfaits listés dans le pourtant très oecuménique catalogue des violences quotidiennes (qui exclue bizarrement l’insécurité économique, sociale, alimentaire) ?

Non, car en opacifiant et en tronquant une réalité sociale, en refusant de s’interroger sur sa nature, sa complexité, sur les questions quelle pose, on a créé un monstre protéiforme : le sentiment d’insécurité. Une peur latente suspendue comme une épée de Damoclès. Un étrange pack conceptuel, issu d’une culture développée par des politiciens de carrière, des boutiquiers de la sécurité, des consultants tarifés, et relayée par une presse qui a marketé un bon block buster d’épouvante. Quitte à instrumentaliser la douleur des victimes… Alors merci à tous d’avoir ouvert une voie royale à M. Le Pen, et bravo pour avoir engraissé avec ce bon vieux bizness de la peur.

L’avantage de ce fourre-tout, est de bénéficier d’une marge confortable pour décréter qui seront les prochaines cibles : après les « sauvageons » de Chevènement qui fournissent déjà la chair à maton après le grand bal des comparutions immédiates, bientôt les « immigrés du tiers monde » de Le Pen, « les jeunes des citées » de Mégret, et puis pourquoi pas, les intermitants de Kessler, les chômeurs de Selière, les syndicalistes, les protestataires, les gêneurs
 ?

Il ne s’agit pas de nier, au contraire, l’existence des problèmes de « sécurité quotidienne ». Il s’agit, maintenant que chacun peut constater le résultat de cette manipulation intellectuelle, de refuser de jouer à se faire peur en mélangeant tout pour un faire un gros paquet bien immonde dans lequel chacun pourra piocher de quoi se faire une bonne trouille et réclamer la main sur le cœur, la tolérance zéro et la création de toujours plus de prisons
.

Comme le disait il y a peu, un nostalgique croisé à la Bastille : « Quand les SS étaient dans Paris, il n’y avait pas d’insécurité » ; ça dépend pour qui.

Jérôme Erbin