Avant-propos
J’avais présenté à l’Artothèque de la Roche sur Yon, mon exposition sur le thème de la lecture intitulée "Des livres et Vous" ainsi que l’ouvrage qui l’accompagne.
Lors de cette inauguration, j’ai rencontré Nelly Le Carrou, responsable de l’enseignement à la maison d’arrêt de cette même ville et qui anime régulièrement des ateliers d’écriture.
Elle désirait que l’expo soit montée aux détenus et que je puisse faire une intervention pour parler de mon travail de créateur e de ma passion pour la lecture.
C’est avec un intérêt non dénué de curiosité et de plaisir que j’acceptais sa proposition.
J’ai toujours pensé que les artistes se devaient aussi de conntaître cette réalité existante derrière les murs ainsi que celle des personnels de l’administration pénitentiaire.
L’accueil que je reçus fut chaleureux.
Après un moment d’observation réciproque, au cours de cet après-midi passé ensemble, les questions ont fusé et sans avoir jamais oublié dans quel lieu je me trouvais - la moindre porte fermée me donne des angoisses - je me devais de répondre sans me dérober.
Celles-ci m’étaient posées de façon directe avec beaucoup de délicatesse, comme s’ils craignaient de me brusquer et que je reparte vivement sans me retourner.
Je n’avais à leurs égards ni compassion ni attendrissement. Ils "payaient".
Mais la question la plus fréquemment posée fût :
"Que faites-vous dehors et quelle liberté implique votre démarche de photographe ?"
A la suite de cette rencontre, la réflexion suivante m’est apparue brutalement :
Un photographe de nos jours est tenu de demander des autorisations pour pouvoir exercer son art et en vivre. Pour ce qui conceerne le droit à l’image des personnes et du respect de leur privée, on comprendra que je suis scrupuleux de cette notion ; elle est aussi notre liberté.
Mais lorsqu’il s’agit de ne plus pouvoir photogaphier des monuments, des sites, des chiens, un vêtement exposé en vitrine etc...(la liste est longue...) cette demande devient alors une contrainte et ma vision du monde se retrouve réduite comme enfermée.
Eux, à l’intérieur voient avec leurs imaginaires " en toute liberté" et sont tenus de le faire pour survivre. A ma grande surprise, la présentation de cette exposition sur le thème de la lecture et de l’écriture a créé un contact fusionnel, stimulant en quelque sorte le pouvoir d’imagination des personnes présentes.
Comme pour confirmer la réflexion de Gaston Bachelard, évoquant "la fécondité des images".
Cette question se pose pout tout photographe :
Savoir si le spectateur "basculera" dans ce qui est un espace de papier et d’illusion.
Ils me demandèrent donc de donner corps à leurs imaginaires et de l’investir dans la part de réel que comporte toute photographie.
Le lecteur comprendra aisément dans ce cas précis et pour ce lieu la difficulté d’un tel projet, de sa mise en oeuvre, de sa complexité et de sa réalisation.
Pour certains, (comme la femmes de Loth transformée en statue de sel pour s’être retournée sur Sodome) cet "exercice" a été un retour vers le passé et a engendré parfois une profonde douleur.
Hormis les questions inhérentes à l’administration pénitentiaire pour ce type de publication, il me faut parler de la confiance à établir auprès des détenus et surtout de celle qu’ils doivent avoir entre eux afin d’être un groupe cohérent sans se préoccuper de l’acte - à juste titre réprimendable par la seule justice - de tel ou tel autre.
Et ce, afin d’être animé par le même enthousiasme pour réaliser si j’ose dire, un bout de chemin ensemble.
Ma crainte était comment rencontrer des personnes habituées au petit écran fait non pas d’images mais de mots et surtout appréciéraient-ils le silence de mes photos ?
En effet, par la télévision, les bandes dessinées et aussi les revues de photos qu’ils feuillètent dans leur cellule, la prison est un endroit où les images d’apathie sont constamment présente, c’est à dire : celles qui ne requièrent aucune attention particulière, déjà oubliées lorsqu’elles ont été montrées.
Ainsi, j’ai été pour eux, à leur demande, le "témoin oculaire de leurs rêves imagés" et de ce qui leur manquait le plus, en laissant bien entendu, la voie ouverte à leurs interprétations.
Les photos de ce livre sont reliées entre elles par un fil invisible.
A leurs lectures lors du choix définitif, j’ai découvert le même dénominateur commun voulu par ces hommes : elles sont toutes une représentation de l’espace et comme un reflet de leur état d’esprit du moment. La dérision en est nullement absente.
Par mes illustrations, j’ai voulu en quelque sorte, détourner les situations décrites.
Rire de soi est sérieux et n’est anodin pour personne.
Etre le regard d’un autre implique une double acuité afin de préserver sa liberté d’appréciation et son humour.
Il ne me fallait donc pas tomber dans la facilité de clichés mièvres et racoleurs ni chercher "le sensationnel ou l’extraordinaire".
Lorsque la voix et le regard sont en harmonie alors le visage devient humain.
Les textes denses et concis de cet album le démontrent.
Si ce livre est la trace d’un travail de création commune, il peut aider aussi à garder en mémoire le présent qui fut accompli dans cet atelier d’écriture, autour des photos présentées.
Il n’a pas d’autre prétention que celle de suggérer qu’il est possible d’apprendre à lire des images comme nous lisons des mots.
Mon propos n’est ni volontarisme, ni militant, il se veut simplement un moment de découverte d’être qui existent là, juste à côté... Et qui pour la plupart peuvent dire "c’est la faute à pas de chance". Cela n’excuse rien, n’explique rien.
Leurs histoires sont aussi dans cet album...
Henri Zerdoun
Photographe
Cette rencontre a donné le livre "Les Murs, l’Image et les Mots..."