Mort mystérieuse d’un détenu italien : l’appel de la mère à Carla Bruni
« Prison assassin. Vous me l’avez tué deux fois » était écrit sur le drap que la mère de Daniele Franceschi avait amené pour protester contre l’attitude des autorités françaises. Une attitude de fermeté depuis le début du cas.
Daniele Franceschi est un Italien décédé le 26 août dans la prison de Grasse.
Très peu de medias français ont parlé du cas lorsque il s’est produit et encore moins en ont parlé quand lecorps du jeune italien a été transporté en Italie. Et personne n’a parlé de ce qu’a subi sa mère, Cira Antignano, arrêtée vendredi pendant qu’elle était en train de protester au dehors de l’hôpital de Nice. Elle a eu trois côtes fracturées selon France Info.
Franceschi, accusé d’avoir utilisé frauduleusement une carte de crédit, depuis le début avait écrit que la détention se passait très mal. Dans des lettres à sa mère, Daniele décrivait des vexations etintimidations qu’il subissait de la part des gardiens et c’est pour ça que Cira ne croit pas à la version des autorités françaises. Elle a dû attendre un mois et demi pour, enfin, voir le corps de son fils à Viareggio, sa ville. De plus, elle a dénoncé l’absence des organes dans le corps et donc une deuxième autopsie en Italie sera très difficile à faire ; autopsie qu’elle avait demandée depuis le décès du fils (dont elle a été informée après trois jours et sans même pas pouvoir voir le corps !)
En Italie, dans cette dernière année, on s’est interrogé beaucoup sur les conditions de détention, surtout suite à des cas suspects de jeunes hommes morts en prison, comme Stefano Cucchi, et à la condamnation de certains officiers de police. La situation des prisons italiennes n’est pas des meilleures, on a des gros problèmes de surpopulation, une bombe prête à exploser surtout l’été selon une enquête de l’hebdomadaire Espresso ; une torture d’état selon Adriano Sofri.
Vendredi 15 octobre, Cira a envoyé une lettre à Mme Carla Bruni : « Je vous écris le jour après que le corps de mon fils est rentré en Italie, pour vous adresser un appel afin que vous interveniez pour faire toute la lumière sur sa mort ».
Après les explications du cas de son fils, la mère continue :
« Seulement une mère peut comprendre la douleur pour la mort d’un fils, mais encore plus grande est la douleur pour ne pouvoir pas donner à son propre fils une digne sépulture. Daniele est rentrée en Italie sans ses organes ; ils me seront rendus, peut-être à la fin de décembre. Je ne pourrai même pas lui donner le dernier adieu : son corps est en stade avancé de décomposition parce que, durant 51 jours, ils ne l’ont pas tenu à la température de -22 degrés. Il m’a plusieurs fois écrit qu’il subissait beaucoup de vexations ».
Après la mort de Franceschi, donc, on a pu voir qu’en France les conditions de détention sont également catastrophiques et il y a eu aussi beaucoup des morts suspects. On a demandé plus d’infos àBan Public, une association « qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues ».
Qu’est-ce que Ban Public ? Quel est son but ?
C’est une association, loi de 1901, areligieuse, adogmatique et apolitique, qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues. Par son nom, l’association se veut un lien symbolique entre le dedans, caché parce qu’infâme aux yeux du monde, et le dehors qui ne sait pas ou n’accepte pas son reflet, son échec. Nous voulons ouvrir les portes et les yeux, afin que la prison devienne l’affaire de tous.
Elle est composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations, de juristes, de citoyens etc., tous bénévoles.
L’objectif du site internet est double :
1. Créer une plate-forme d’information et de réflexion accessible et pédagogique, le site ayant pour objet l’échange et la production d’information et, plus globalement, la mise en relation de celles et ceux qui travaillent sur les prisons et pour les détenu(e)s.
2. Accroître la visibilité du problème de la détention et sensibiliser le grand public à ces questions.
Quelle est la condition réelle des prisons françaises ?
Très vaste question car plusieurs éléments sont à prendre en compte :
- Les conditions matérielles de la prison ;
- Les obligations de l’administration pénitentiaire.
Très peu de rapports publics sont rendus par les autorités françaises concernant les prisons.
Dès qu’un évènement grave ou ayant un fort retentissement médiatique a lieu, les parlementaires mettent en place des commissions d’enquêtes, ce qui fut le cas en 1999-2000 suite à la révélation faite par le Médecin chef de la Prison de la Santé (Véronique VASSEUR) sur les conditions de détention.
Cependant, si quelques mesures sont prises, elles sont surtout des effets d’annonce.
N’oubliez pas que dans la conscience collective du citoyen libre, le prisonnier n’a que ce qu’il mérite…et peu de citoyens se préoccupent de cette société parallèle qu’est la prison, jusqu’à ce qu’il y soit confronté.
Concernant les conditions matérielles de détention : les prisons françaises ne sont pas adaptées à la population pénale dans la mesure où les places sont insuffisantes. On estime que le nombre de places en prison et de 55000 environ et que le nombre de prisonniers et de 62000. Cette surpopulation n’est pas sans conséquence sur le double objectif de la peine : la sanction d’une part, la réinsertion d’autre part. Etre à 4 ou plus dans une cellule de 9m², engendre tensions, manque d’hygiène et violence.
Cependant s’il y a surpopulation carcérale, c’est avant tout dans les Maisons d’arrêts et non dans les centres de détention ou les maisons centrales.
Sur le travail en prison : très peu de travail est disponible (on estime que seul 25% des prisonniers travaillent).
Sur la santé en prison : le suivi psychologique des prisonniers est souvent très mauvais, faute de moyen. Ce qui est paradoxale car le prisonnier doit, dès lors qu’il demande un aménagement de fin de peine, prouver son suivi psychologique.
On estime que près de 50% de la population pénale souffrent de troubles psychologiques.
Sur l’insalubrité : tout dépend des prisons. Certaines sont neuves et non encore dégradées. D’autres sont vétustes et sont contraires à la dignité humaine.
A titre d’exemple, l’Etat a d’ailleurs été condamné récemment en raison des conditions attentatoires à la dignité humaine au sein de la prison Bonne nouvelle de Rouen.
En Italie on a dépassé depuis quelques mois la capacité maximum des prisons et la situation est catastrophique, mais j’ai lu que en France la situation n’est pas meilleure…
La France est sans doute pire…
Souvent épinglée par le Conseil de l’Europe pour ses prisons, par la Cour européenne des droits de l’homme, la surpopulation carcérale atteint fréquent les 120% (ratio personnes incarcérées/places disponibles).
Mais ceci est avant tout vrai dans les maisons d’arrêts (établissement pénitentiaires où les prisonniers sont en attente de jugements ou condamnés à des peines inférieures ou égales à 2 ans).
Est-ce que la législation française sur la détention a fait des progrès avec Sarkozy ?
Sous le gouvernement SARKOZY la loi dite « pénitentiaire » a été votée le 24 novembre 2009.
Elle avait pour but de redéfinir le cadre notamment en harmonisant les conditions de détention et les obligations de l’administration pénitentiaire.
Présentée comme LA loi qui allait résoudre les problèmes, elle n’a été en faite qu’une reprise (pour beaucoup de ses articles) de ce qu’il existait déjà dans le code de procédure pénale.
Au centre de cette loi se posait notamment la nécessité de répondre aux problèmes liés à la surpopulation carcérale en affirmant que l’encellulement individuel devait être la règle. Mais ceci était déjà prévu par le Code. Sauf que par cette loi, ce problème a été renvoyé à 5 ans.
Le point positif a été la réduction des peines de « mitard » ou quartier disciplinaire : lorsqu’un prisonnier contrevient aux dispositions du règlement intérieurs ou de la loi, il est « jugé » par le directeur de la prison. La peine maximale était de 45 jours de quartier disciplinaire. Elle est passée à 30 jours.
Il ne faut pas perdre de vue que cette loi répondait avant tout à la nécessité de la France se mettre en conformité avec la législation européenne, suite aux nombreuses condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme.
J’ai vu que sur votre site vous comptabilisez les suicides et morts suspectes ? Comment est la tendance ? Quelle est l’attitude du Gouvernement ?
Il y a une grande différence entre les chiffres communiqués par le gouvernement sur les décès en prison et notre décompte car notamment, ne sont pas pris en compte, les décès qui surviennent suite à la tentative de suicide hors la prison : si un prisonnier décède de ses blessures à l’hôpital, il ne sera pas compté par le gouvernement comme étant un décès en prison.
La tendance est à la hausse.
L’attitude du gouvernement n’est pas de prévenir les suicides mais de les empêcher.
L’idée d’un « kit anti-suicide » a été mise en place : dès lors qu’un prisonnier présente des risques suicidaires, il lui est remis des draps en papier et un pyjama en papier. Ainsi il ne pourrait pas se pendre….
Nous dénonçons cette solution qui est une atteinte à la dignité humaine et qui ne résout nullement le problème du suicide.
Il y a quelques semaines, un détenu italien est mort dans la prison de Grasse. Sa mère a indiqué que son fils lui avait envoyé des lettres dans lesquelles il accusait ses gardiens de violation et abus. Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est tout à fait possible.
Le Ministre français Bernard Kouchner a dit que la France ferait tout son possible pour aider à résoudre le problème. Est-ce qu’on peut le croire ?
Ce serait une grand première….
Est-ce normal que la mère de Franceschi ait appris la mort de son fils après trois jours et que, lorsqu’elle est arrivée, elle n’ait pu voir son corps ?
Non. Elle aurait dû être prévenue sans délai.
Non, elle aurait du pouvoir voir le corps à la morgue au moins.
Elle aurait du être reçue par les autorités et aidée tant sur le plan juridique que psychologique mais aussi matériel et placée dans des conditions de confort maximum afin de la sécuriser et entreprendre toutes les démarches nécessaires, accompagnée par ces mêmes autorités, afin d’obtenir toutes les informations sur le décès de son fils.
Est-ce qu’il est compris dans votre compte ?
Oui bien sûr.
Et la presse ? Comme se positionne-t-elle face à cette question ?
Il semble que la presse française face à cette question ne s’interroge pas sur le suicide ou la mort suspecte en tant que telle mais davantage sur les réactions du gouvernement italien et du gouvernement français.