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L’affaire Hakkar, 20 ans de combat pour le droit et la justice

Mise en ligne : 19 septembre 2007

Texte de l'article :

Le 29 août 1984, à l’issue d’un hold-up qui a mal tourné à Auxerre dans l’Yonne (fusillade en pleine nuit avec des policiers dont l’un décédera), Hakkar Abdelhamid, qui niera toujours être l’auteur des coups de feu, était arrêté avec neuf autres personnes, toutes de nationalité françaises.

Le 8 décembre 1988, ils seront jugés tous ensemble par la Cour d’assises de l’Yonne. De toutes les personnes accusées et condamnées en même temps que Monsieur Hakkar, il sera le seul à être condamné à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une mesure de sûreté de 18 ans, alors que le procès se déroulait en son absence et celle de son avocat.

En outre, comme le rapporteront son avocate et la presse française, notamment le quotidien « Le Monde », son dossier avait été falsifié et était constitué de faux anti-datés (conçus en 1988 et anti-datés de 1984) qui n’ont jamais pu être jugés malgré les multiples plaintes dont aucune n’aboutira au résultat prévu par la loi, tous les magistrats saisis se déclarant tout à tour incompétents avant d’estimer en 2002, les faits prescrits...

Ses 9 coaccusés seront tous depuis remis en liberté, le dernier d’entre eux en janvier 1992.

Le 14 juin 1991, à la suite de sa condamnation, Abdelhamid Hakkar déposait une première plainte contre l’Etat français devant la cour européenne des droits de l’homme, organe judiciaire dont les décisions ont le caractère d’autorité obligatoire pour les états contractants à la Convention.

Le 27 juin 1995, celle-ci rendait sa décision. Elle concluait, à l’unanimité de ses membres, à la violation par l’état français des stipulations de la convention européenne des droits de l’homme, considérant que Monsieur Hakkar n’avait pas été jugé dans un délai raisonnable et que, surtout, n’ayant pas bénéficiée de l’assistance de son avocat, son procès avait été inéquitable.

Le 15 décembre 1995, le comité des ministres du Conseil de l’Europe concluait, à l’unanimité lui aussi, aux mêmes violations, et condamnait l’état français à verser la somme de 62.000 F au requérrant en réparation pour son préjudice moral-ce dont il s’acquittera-, et l’invitait expressément « à devoir remédier au plus tôt aux violations constatées et à en effacer les conséquences ».

Pour les organes du Conseil de l’Europe qui considéraient la condamnation de Monsieur Hakkar comme nulle et non avenue, celui-ci devait être remis en liberté, sa condamnation annulée et révisée.

Face aux refus inexpliqués des autorités françaises de remédier à cette situation, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe mettait dès l’année 1996 cette affaire à l’ordre du jour de quasiment toutes ses sessions publiques ultérieures jusqu’en 2000.

Refusant son sort, Monsieur Hakkar se manifestera d’abord par des tentatives d’évasion (au cours desquelles il n’y eut jamais de blessés), puis par plusieurs longues grèves de la faim ayant nécessité son hospitalisation-ce qui lui vaudra un terrible régime carcéral, puisqu’il sera maintenu à l’isolement total durant près de 12 années et de subir 45 changements de prison, et cela sans citer bien d’autres désagréments. Cette situation qui deviendra « l’affaire Hakkar » commencera dès lors à être invoquée par tous les médias qu’il soit français ou étrangers, et y compris algériens.

Jack Lang, interpellé à son tour par cette obstination des autorités françaises à exécuter leurs obligations contractuelles, est personnellement intervenu en février 2000.

Agissant en qualité de Député et de Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jack Lang s’est alors rendu durant le mois de février 2000, en compagnie d’autres députés européens à la prison de Fresnes pour rendre visite à Monsieur Hakkar et lui apporter un message d’espoir.

Il voulait en particulier lui faire part de l’amendement qu’il entendait déposer devant l’Assemblée nationale pour voir introduire dans le droit français une disposition par laquelle la France tirerait effectivement les enseignements de sa condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme en sorte de mettre un terme à d’aussi choquantes situations que celle de M. Hakkar.

Le soir même, l’amendement de M. Jack Lang, qui créait un nouveau et 5ème cas de révision à l’article 622 du Code de procédure pénale, était adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Il ne restait plus qu’au Sénat à l’entériner à son tour. Et même le garde des sceaux de l’époque, qui jusque là s’opposait depuis 3 ans à toute initiative, se ravisait et assurer publiquement l’Assemblée de retenir ce texte et veiller à ce qu’il soit adopté par le Sénat.

Seulement voilà, devant le Sénat, le 4 avril suivant, elle annulait le texte de Jack Lang et lui en substituait un autre créant en lieu et place un autre type de procédure dite de « réexamen » conçue et rédigée par les magistrats de la cour de cassation (juridiction qui avait déjà rejeté le pourvoi que Monsieur Hakkar avait exercé devant elle en 1990 contre son procès).

Nous étions loin, et Jack Lang le premier, de nous douter de la finalité comme des conséquences, aux antipodes de l’amendement de Jack Lang, qu’allait générer cette nouvelle procédure.

En premier lieu, elle a eu pour effet de priver Monsieur Hakkar, en toute apparente légalité, de sa liberté depuis novembre 2002, comme le confirmeront d’éminents pénalistes au titre desquels le professeur de droit pénal, Monsieur Bernard Bouloc et Monsieur Godefroy du Mesnil du Buisson, Maître de conférence à l’école Nationale de la Magistrature et Juge d’application des peines de son état.

Mais encore, cette nouvelle procédure a permis qu’on rejuge Monsieur Hakkar, en l’état, sans avoir auparavant annulé sa précédente condamnation (elle n’a d’ailleurs pas été annulée à ce jour), et ceci en totale violation du droit français et international prohibant qu’on juge et inflige à une même personne une deuxième sanction pénale pour les mêmes faits.

Et en effet, sous prétexte de « révision de procès » les autorités judicaires se sont autorisées à infliger à Monsieur Hakkar, en représailles à l’affront de les avoir fait condamner en 1995 par la cour européenne des droits de l’homme, une deuxième peine criminelle à perpétuité s’ajoutant à la précédente et qu’elles s’évertuent impunément à vouloir lui faire purger qu’à compter de l’année... 2012 !!!

Il importe de souligner qu’avant la prétendue « révision de son procès », Monsieur Hakkar, sans cette « révision » avait pourtant un droit acquis : celui de bénéficier de sa libération conditionnelle dès le 2 septembre 2002, soit après une période d’emprisonnement de 18 années correspondant à la peine de sûreté assortissant sa peine criminelle initiale de 8 décembre 1989 qu’il purgeait depuis le 2 septembre 1984, malgré le fait qu’elle ait été jugée irrégulière.

 

Cette révision de procès s’est conclue le 14 janvier 2005 par un arrêt de la cour d’assises des Yvelines qui condamnait à nouveau Monsieur Hakkar à une nouvelle peine de réclusion criminelle à perpétuité pour des faits datant de l’année 1984 et qui avaient été pourtant déjà définitivement jugés par une décision de condamnation qui conservait toujours l’autorité de la chose jugée.

En fait, compte tenu de l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal, le 1er mars 1994,et des règles régissant l’application des lois dans le temps (principes de non rétroactivité des lois nouvelles plus sévères et des rétroactivité des lois plus douces), Monsieur Hakkar, abstraction faite de la question de l’existence de sa première peine, n’encourait plus pareille perpétuelle peine mais que le maximum légal de 20 ans au plus tel qu’il était prévu par l’article 18 du code pénal applicable à l’époque des faits.

Au sens où cette peine de 20 ans aurait abouti à sa liberté immédiate, les juges se sont permis, à l’occasion de ce nouveau procès, de délibérément modifier et aggraver à posteriori ses incriminations en retenant contre lui des « circonstances aggravantes » nouvelles qui n’existaient pas antérieurement, en sorte à pouvoir par ce stratagème lui infliger une nouvelle peine perpétuelle, obligeant Monsieur Hakkar, à ressaisir à nouveau, comme dans un cercle sans fin, la Cour Européenne des droits de l’homme de toutes les nouvelles graves violations dont il a été encore une fois l’objet.

Extrêmement choqué, Jack Lang a saisi le Président de la Cour Européenne des droits de l’homme pour lui dénoncer cette monstrueuse situation et l’acharnement judiciaire dont était victime Monsieur Hakkar, toutes les précédentes démarches et requêtes que M. Jack Lang exerçait à nouveau depuis l’année 2003 en faveur de Monsieur Hakkar auprès de l’exécutif, à savoir les successifs Ministres de la justice, de l’intérieur et y compris auprès du président de la république Jacques Chirac, ne trouvaient d’écho favorable permettant de dénouer de cette situation.

Le 27 septembre 2006, à la suite de sa nouvelle et énième interpellation dans cette affaire par le comité des ministres du conseil de l’Europe et l’assemblée parlementaire qui s’interrogeaient sur le fait que la précédente condamnation du 8 décembre 1989 prononcée contre Monsieur Hakkar n’était toujours pas annulée, les représentants de l’Etat français, s’exprimant au nom du gouvernement, osaient affirmer que la nouvelle peine prononcée, en matière de révision, à l’encontre de Monsieur Hakkar le 14 janvier 2005 « s’est substituée à cette condamnation initiale ».

Cette affirmation est une contre vérité. En réalité : elles font purger en toute illégalité à M. Hakkar les deux peines criminelles, l’une à la suite de l’autre, c’est-à-dire cumulativement.

Dans le cas d’espèce, elles n’ont cure des décisions de la Cour Européenne des droits de l’homme comme elles se moquent éperdument des recommandations du Conseil de l’Europe.

Tous les recours en grâce exercés depuis l’année 1999 en faveur de M. Hakkar tant par sa famille que des organisations de défense des droits tel que le MRAP, sont systématiquement bloqués, dès qu’ils leur échoient pour les instruire, par les magistrats de la direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la justice décidées de faire de son cas un véritable règlement de compte.

Ces derniers sont d’ailleurs accusés par la famille de M. Hakkar et ses avocats d’intervenir continuellement et directement auprès des magistrats qu’il est amené à saisir pour faire échec aux multiples recours qu’on le contraint d’exercer en vue de voir régulariser sa situation pénale, mais qui finissent par s’avérer aussi vains qu’illusoires.

 

C’est dans ce contexte qu’en janvier 2006, Monsieur Hakkar en fut réduit à rédiger avec 9 autres co-détenus un « Manifeste des dix de Clairvaux » appelant au rétablissement de la peine de mort pour eux pour dénoncer leur sort d’enterrés vifs et l’allongement indéfini de leurs peines, lequel sera repris et diffusé par l’ensemble des médias, suscitant la venue immédiate en hélicoptère du garde des sceaux, Pascal Clément, à qui le directeur du centre pénitentiaire déclarera en présence des journalistes que selon lui seul Monsieur Hakkar, qui est un « contestataire et un rebelle », pouvait en être à l’origine !

En représailles, il était quelques jours plus tard à nouveau transféré dans les Pyrénées, à plus de 1200 kms de sa famille. Le 15 mars suivant, son avocate était reçue par le garde des sceaux et ses deux directeurs, respectivement celui des affaires criminelles et des grâces et celui de l’administration pénitentiaire aux fins de mettre un terme à cette situation, ce qui a laissé croire l’issue de cet entretien et l’apparente bonne disposition de ses interlocuteurs. Mais ce n’était qu’une apparence.

Pour un cas comparatif sur la durée d’exécution des peines :

-par décision en date du 2 février 2007, Monsieur Philippe Bidard, qui avait été arrêté et incarcéré en août 1987 pour actes de terrorisme et condamnée respectivement à deux peines de réclusions perpétuelles assorties d’une mesure de sûreté de 18 ans, la première notamment pour les meurtres de deux représentants des forces de l’ordre, et la seconde pour celle d’un autre représentant des forces de l’ordre, voyait prononcer sa libération conditionnelle après 19 années et 5 mois de détention.

-M. Hakkar, qui lui était incarcéré depuis août 1984, soit 3 années plus tôt, au titre du meurtre d’un seul membre des forces de l’ordre dont il était accusé et qu’il a toujours nié, se voit quant à lui dénier toute perspective de libération après 23 années de détention.

Est-ce à dire qu’on doit le sanctionner davantage qu’une personne à qui on a reproché le triple ?

Indubitablement, le traitement dont est l’objet Monsieur Hakkar est motivé par d’inavoués motifs visant à l’anéantir.

Par une décision en date du 30 janvier 2007, suscitée par la chancellerie, les magistrats viennent à nouveau de rejeter sa dernière demande de libération conditionnelle en considérant qu’il était loin d’être dans les temps pour prétendre à sa libération !!

Révolté par son contenu, Monsieur Hakkar et son avocate ont décidé d’introduire un ultime recours contre l’Etat français en assignant en référé le Ministre de la justice. Mais sans trop d’illusion (un semblable recours exercé en avril 2000 avait abouti à une décision lui donnant gain de cause, mais le juge fut aussitôt dessaisi par le gouvernement quelques jours avant qu’il ne se prononce sur sa libération.)

Le sujet des peines correctionnelles infligées par le passé à Monsieur Hakkar au titre de ses 4 tentatives d’évasion n’a pas été abordée dans cette note pour la simple raison qu’en présence d’une peine de réclusion perpétuelle, elles s’exécutent en même temps que celle-ci et sont de facto absorbées, l’affirmation contraire des juges ne participe que du même plan concerté de le maintenir détenu par tous les moyens, fussent-ils les plus illégaux comme c’est actuellement le cas depuis l’année 2000.