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Philosophies et politiques pénales et pénitentiaires

L’atelier clandestin du sentiment

Mise en ligne : 2 mai 2002

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

Télévision, cinéma, consoles video, internet, le matraquage militaire des icônes publiques de la domination propulse les enfants dans un état de conscience d’adultes totalement prématurés, dépourvus d’histoire construite, insolvables de naissance, indigents affectifs, inconscients des équilibres et des temps indispensables au cheminement en communauté.

Quand à la faveur d’un exercice de théâtre en classe de seconde ou de BTS, les adolescents peuvent proposer spontanément de réciter par cœur les noms et prénoms de toutes les actrices porno du moment, lorsqu’ils ne rêvent que berlines et parfums de luxe, vêtements griffés, forfaits téléphoniques, déclinent de façon obsessionnelle marques et modèles de combinés mobiles ;

Quand l’entreprise de consommation des êtres et du luxe légitime et fixe cette identité fruste et factice d’adultes par la réduction officielle du monde à l’arène de Loft Story, de Star Academy, aux jeux de prime time où se battent pour leur survie d’être des semblables jugés par vote populaire sur les bases darwinistes du code de la rue ;

Quand les parents renoncent, détruits par les douleurs de l’exclusion économique, asséchés par les déracinements culturels ;

Quand l’école laïque peine à assumer son rôle d’orphelinat de fait ;

Il ne reste que la violence aux adolescents lévriers pour rattraper le retard dans la course aux modèles inaccessibles lancée par les entreprises.

Ils sont remarquablement préparés. Le bachotage intensif de leur cursus hebdomadaire - 22 heures et demie en moyenne - leur inocule  une scène de violence toutes les 8 minutes dans les émissions générales et une toute les 4 minutes dans les dessins animées. Aux Etats-Unis, modèle de société idéal vers lequel nous tirent les élites obstinées de tous horizons, privés et publics, un enfant téléspectateur aura vu à l’âge de 12 ans environ 100 000 meurtres et 400 000 actes de violence alternés avec les milliers de publicités télévisées incitant à la consommation…

De la recommandation officielle à la pratique : économie parallèle et appropriation directe pour le niveau le plus mécanique de la compensation. Viol, barbarie, destruction et vandalisme pour l’autre, l’impossible, celle qui n’effacera jamais le crime le plus odieux : la vivisection de l’enfance et de l’adolescence aux scalpels de la violence culte, de la prédation et du libre accès à la pornographie.

La torsion du principe de la liberté d’expression revendiqué par les créateurs, les producteurs, les diffuseurs et les prescripteurs idéologiques pour multiplier les supports d’images et leur déluge constitue une atteinte insupportable aux droits de l’homme. L’apologie de la domination, de la rétorsion, du racisme et de l’esclavage sexuel ne font partie d’aucun champ d’expression tolérable.

La déclinaison à l’infini, cachée, subliminale ou directe, des modèles de la ségrégation constitue une apologie.

L’excuse dans laquelle se drapent, indignés, les kapos du petit écran et les piliers du café théâtre pour camper leur identité marchande de personnalités vigilantes irrigue le fascisme de comptoir qui remplit les urnes : Il ne peut y avoir de deuxième degré sur une échelle sans montants.

Il y a une suffocante perversité à absorber et entrelacer les mises en scène professionnelles de la délinquance dans les filets de la dictature publicitaire à laquelle émargent les lessiveurs de conscience. A tourner dans le vase clos des tubes cathodiques, le pouvoir de la fiction s’épuiserait. Seul le va et vient et la surenchère avec la réalité permettent de ne pas ralentir la machine infernale. A considérer que les fragments dénoyautés du réel, leur montage en florilège abscons, leur mise en onde digne des films d’actualité nazis, en un mot le video-gag criminel des journaux télévisés constituent une évocation de nos vies, de celles de nos semblables, ici ou ailleurs.

On parvient au paradoxe le plus extraordinaire d’une élection présidentielle livrée à gauche et à droite aux proxénètes de l’insécurité.

Les chiffres officiels disponibles des Ministères de la Justice et de l’Intérieur sont implacables.

La délinquance régresse

MOINS 10% de gardes a vue en un an au 1er juillet 2001,
MOINS 15,5% de détentions préventives,
PLUS 5% de peines accomplies en milieu ouvert,
49 718 détenus pour 50 000 places disponibles.

Seul le sentiment d’insécurité progresse, qui fait les maroquins et finance les rédactions.

Il enfle dans les déserts affectifs, à la lumière de la lucarne délétère où s’écrasent les solitudes.

Il ferme les persiennes au passage de l’intelligence et de l’avenir qui envahissent les rues.

D’Aubry à Bayrou, de Chevènement à Chirac, de Lang à Juppé, de Robert Hue à Madelin, à défaut d’une révolution culturelle radicale, frappée au sceau de la responsabilité, de la justice, de la générosité, du dialogue et de la décision, en s’invitant à la table où Daladier tape le carton avec Laval, la vieille meute issue des appareils politiques est en passe de rejoindre les dépotoirs de l’histoire.

Dans sa marche inlassable, toujours victorieuse, vers l’humanité, la rue se chargera d’effacer une à une leurs épitaphes.

Jean-Christophe POISSON

Source des chiffres : La Documentaion française