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L’Etat fançais jette en prison un anthropologue

Mise en ligne : 14 mai 2002

Dernière modification : 24 décembre 2010

Texte de l'article :

L’anthropologue Robert Jaulin (1928-1996), remuant dénonciateur de l’ethnocide, terme qu’il a contribué à faire connaître dans « La Paix Blanche » (1970), « De l’ethnocide », « Le Livre Blancnave de l’ethnocide » (1972), et « La décivilisation » (1974), a été le Maître de Thierry Sallantin(1953) à l’université de Paris-7 Jussieu dans les années 70.

Dès 1969, Thierry Sallantin adhérait à « Atipaya », l’association lyonnaise de soutien aux indiens de Guyane française suite à la lecture de « J’ai choisi d’être indien » d’André Cognat (1967). Après un premier terrain chez les touareg du Niger (bourse Zellidja. 1971), Thierry Sallantin (T.S.) suit au pied de la lettre le mot d’ordre de Robert Jaulin : -« N’étudiez pas les sauvages, sauf si cela peut vous aider à redevenir sauvage vous-même et si votre étude contribue à donner de l’énergie aux peuples pour qu’ils se remettent en guerre contre l’occidentalisation du monde ! ». Pour Robert Jaulin un bon étudiant en ethnologie est soit celui qui adhère à la Contre-Culture écolo-mai-soixante huitarde en participant à la retribalisation des peuples les plus ethnocidés de la terre, ceux d’Europe, soit celui qui se retrouve armes à la main (armes à comprendre plus comme des caméras que des mitraillettes, car les guerres d’aujourd’hui se gagnent avec les médias !) sur le front actuel de la décolonisation, pour défendre les dernières tribus encore libres, en Papouasie, en Amazonie, à Bornéo ou autour du Cercle Arctique, en mettant hors d’état de nuire les missionnaires, les envoyés de l’Etat qui prétendent « civiliser » les sauvages et les « développeurs-aménageurs » qui se targuent « d’améliorer » la vie des gens parfois sous l’alibi ethnocentrique de « l’aide humanitaires ».

T.S. sera sur les deux fronts :
I) De 1972 à 1985, il est très proche du mouvement hippie de retour à la nature, il participe à la création de communautés, au mouvement des tipis, le but étant d’inciter la jeunesse à faire sécession, à fuir la Société de Consommation pour faire crever d’asphyxie la Société Industrielle qui ne trouvera plus de clients car de moins en moins de gens achèteront ce qui est fabriqué de façon ignoble et polluante en usine. Tout en n’oubliant pas la Guyane, car en 1976 il lutte contre le Plan Vert de colonisation de la Guyane d’Olivier Stirn, avec « les Amis de la Terre », et en 1982 il aide les Indiens de Guyane qui viennent de créer leur première association d’auto-défense.
II) De 1986 à 2000, il vit en Guyane où il sacrifie sa carrière d’anthropologue au profit de multiples combats pour défendre les Indiens car il se trouve tout de suite confronté à l’insupportable (mais d’autres ethnologues supportent et mènent doctement leurs études microscopiques comme si de rien n’était !) ; par exemple, dès 1986 il doit empêcher l’organisation « Paris-Dakar » de lancer un rallye motonautique dantesque sur les fleuves habités par les Amérindiens et les Noirs issus du marronnage. En 1990, il fait interdire la construction d’un hôtel à l’entrée du « Pays Indien » (30 000 km2) défini en septembre 1970 par la préfecture pour compenser la tragique suppression en mars 1969 du « Territoire de l’Infini » (80 000 km2) qui jusqu’alors protégeait les populations tribales des velléités coloniales du Conseil Général africano-créole. Il dénonce des détournements d’argent au détriment des Amérindiens, pratiqués par les municipalités de Camopi et de Maripasoula : un maire ira en prison, des secrétaires de mairies qu’il épingle seront limogés. Il explique au directeur de cabinet du préfet, en 1991 que la distibution du R.M.I. aux Amérindiens est illégale.

C’est alors qu’il est prévenu qu’il dérange trop le lobby colonial de Cayenne et qu’un « contrat » a été lancé pour le faire assassiner. Il l’invite à la prudence. Intrépide, T.S. continuera ses combats : il stigmatisera l’Education Nationale qui refuse depuis 1971 de former des « ethno-instits » destinés à pratiquer une pédagogie non ethnocidaire (bilingue et biculturelle) dans les écoles de la forêt.

Il sera exclu de l’Education Nationale dont il avait intégré l’Ecole Normale en 1988. Ce sera alors la longue lutte contre le projet de Parc National, étrangement envisagé sur le territoire des trois ethnies aborigènes dans le tiers-sud alors que les biologistes souhaitent ce parc là où ne vivent que 8% des habitants de la forêt, sur les 60 000 km2 des deux tiers nord de la Guyane. T.S. ne veut pas que les fleuves Oyapock et Maroni, où vivent les populations tribales, soient envahis par les touristes visitant le Parc National, il refuse catégoriquement que les villages de Camopi et Maripasoula deviennent des « Portes du Parc », idée saugrenue de la « Mission Parc » du Ministère de l’Environnement, car le tourisme sera inévitablement vecteur d’occidentalisation et d’ethnocide.

Par contre, il accepte que Saül soit l’une de ces « Portes », village idéalement situé au milieu des montagnes du centre, à proximité des fleuves Mana et Approuague qui devraient devenir les axes principaux de visite du Grand Parc National Centre-Nord de la Guyane. Ce parc ferait aussi office de zone tampon entre la partie très colonisée du littoral et le tiers-sud de la Guyane, qui devrait devenir un territoire indépendant restitué aux Amérindiens dans le cadre de la convention 169 de l’O.I.T. (O.N.U.), un peu comme le Canada qui a créé le Nunavut en 1999 au profit des Inuit. C’est en voulant promotionner Saül comme capitale du futur Parc que T.S. verra se réaliser la sinistre prédiction en 1991 : -« Si tu continues, tu vas te faire tuer ! »…

T.S. s’aperçoit bien vite que Saül est aux mains d’une municipalité corrompue. Il n’est pas possible d’accueillir une clientèle internationales de naturalistes et de touristes amateurs de jungles tropicales dans une telle zone de non-droit. T.S. alertera la préfecture à ce sujet, il signale entre autres que la liste électorale est illégale. C’est ce qui mettra le feu aux poudre : le village de Saül se couvre de graffitis : « A mort Sallantin » fin novembre 1994. Ces jours là, il est à Paris après 8 ans d’absence pour raconter son combat à R. Jaulin et aux étudiants de Paris en ethnologie de Paris 7, 10 rue Charles V. 75 004. Le 23 décembre, la presse locale titre : « Règlement de comptes dans la Guyane profonde : rien ne va plus à Saül ». On y relate les résultats du recensement de la population de Saül réalisé par T.S.

Début janvier, la maison d’un de ses amis, D. Saltzmann est entièrement détruite par le feu à Saül ; le 10 janvier T.S. échappe de peu au lynchage. Fin janvier, G. Cloarec, un bandit qui prépare un hold-up à Cayenne chez un négociant en or (attaque qui aura lieu le 9 mars 1995, un mort, cour d’assise du 28 septembre 1999) signalera à un autre bandit multirécidiviste, juste arrivé en France, P. Chanut, en fuite depuis le jour où on a retrouvé le corps de son père, qu’il a un « coup » à faire : tuer Sallantin en pleine forêt et le voler. ’« Ainsi tu pourras financer ta fuite au Brésil et tu ne seras jamais soupçonné car tout le monde sait en Guyanne que Sallantin va se faire très bientôt assassiner : il gène trop d’élus locaux ! ».

Déjà dans son livre de 1989 (éd. L’Harmattan) : « La Guyane de l’autre côté des images » Emmanuel Lezy notait qu’à Saül, tous les conflits se réglaient à coups de « disparitions » depuis qu’en juillet 1986 le maire avait supprimer la gendarmerie de ce village. On ne retrouve jamais les corps. Les affaires sont classées : « accident de chasse »…

La municipalité de Saül est officiellement avisée le 13/02/95 que le tribunal se déplacera à Saül le 24/02 pour établir la liste corrigée des personnes autorisées à voter dans cette commune. Dès le 14, riposte immédiate, en assemblée générale organisée par la mairie et le délégué local du M.D.E.S. : Simplice Agasso, la mise à mort de T.S. est votée.

Note importante sur le M.D.E.S. :

Le M.D.E.S. est un parti politique du littoral qui souhaitent prendre leur indépendance par rapport à la Mère-Patrie (la métropole), un peu à la façon des colons de la Côte Est des futurs Etats-Unis qui désirèrent prendre leur indépendance par rapport à la Couronne d’Angleterre : « Boston Tea Party » en 1773 puis guerre d’indépendance. Ces colons se conduisirent par la suite encore plus durement vis à vis des peuples autochtones d’Amérique : les Indiens. Si la Guyane devenait « indépendante », il est à craindre que cela se passerait aussi très mal pour les Indiens d’Amérique du Sud ! Ne pas confondre cette forme d’indépendantisme qui n’est qu’une querelle interne entre occidentaux (ou occidentalisés dans le cas de la Guyane, Franz Fanon qualifiant de « Peaux noires, masques blancs » ces descendants d’africaines qui sont imbibés de valeurs dites « civilisées » au point d’épouser les formes les plus bourgeoises de la mentalité blanche) avec le réel indépendantisme qui est lui, issu des peuples autochtones envahis par les colons venus d’Europe puis parfois d’ailleurs, peuples autochtones qui se révoltent pour chasser de chez eux les envahisseurs : révolte en Inde contre les Anglais, révolte en Indochine contre les Français, guerre d’Algérie, revendication des Kanaks contre les Caldoches.

Remarque importante car pour ce qui est de la Guyane, beaucoup de groupes militantes dits « progressistes et anticolonialistes » en France confondent ces deux formes d’indépendantisme : ils ne voient pas que les « Kanaks » de Guyane sont les Amérindiens, et que les « Caldoches » sont en Guyane plutôt noirs de peu alors qu’en Nouvelle-Calédonie, ils sont blancs. En l’an 2000 encore, des Corses et des Basques se sont trompés : ils ont reçu par erreur des « Caldoches » de Guyane affiliés au M.D.E.S., à la place de recevoir les Amérindiens ! Même le CEDETIM (21 ter, rue Voltaire 75 011) a confondu les colons avec les colonisés, tombant dans le piège tendu par les pseudo « indépendantistes » de Guyane dont le mot d’ordre est pourtant clair : « dilater l’espace colonial au détriment de l’espace tribal ».
Formule de l’historien africano-créole Serge Mam-Lam-Fouck, proche des « indépendantistes » du Mouvement pour la Décolonisation et l’Emancipation Sociale : le M.D.E.S. ’ Aux Amériques, seuls les Amérindiens peuvent revendiquer l’indépendance dans le vrai sens du terme !

Cette mise au point était indispensable avant de revenir aux événements de Saül !…

La décision publique de connaître un meurtre sidérera le député Léon Bertrand, de passage à Saül deux jours après. Peine perdue : depuis la création de cette commune en 1969, les habitudes républicaines n’ont jamais été prisées chez ces descendants de clandestins chercheurs d’or pour la plupart immigrés de l’île antillaise de Sainte-Lucie. Un employé municipal est désigné pour éliminer « ce blanc qui vient fouiner dans nos affaires ». Ces mêmes personnes s’étaient illustrées à Saül en 1985 en menaçant avec des fusils les H’mongs qui espéraient s’installer comme agriculteurs près de ce village. Le sort de T.S. semble scellé. C’est à ce moment là que P. Chanut profite de cette « chronique d’une mort annoncée » pour doubler le tueur officiel et commettre pour son propre compte ce meurtre. Crime parfait, il n’aurait jamais été soupçonné vu le contexte dramatique !

Politiquement, la situation eût été bien plus limpide si T.S. s’était fait tuer par l’homme de main de la municipalité de Saül, il aurait été alors pour tous les militants écolos, régionalistes, anticolonialistes et indigénistes, un prisonnier politique. Sauf qu’en ce cas, le tueur n’aurait pas raté sa cible et il y aurait eu un cadavre à la place d’un prisonnier. L’affaire s’est compliquée du fait de l’irruption parasite de ce bandit inconnu : le 19/02/1995, il a raté son coup. Peu avant, deux amis de T.S. l’avaient prévenu : -« Méfie-toi, nous venons de rencontrer P. Chanut dans la forêt, il est très nerveux, agressif, il cherche ton fusil ! ».

Chanut, pour approcher T.S., avait fait le nécessaire pour être engagé comme « aide-guide bénévole ». Il participa ainsi à l’expédition naturaliste dirigé par l’anthropologue, au sud de Saül début février, une astuce que lui avait conseillé G. Cloarec.

Lorsque soudain, T.S. voit P.C. s’emparer du fusil, il comprend tout à coup qu’il est en danger de mort : il se précipite pour tenter in extremis de désarmer son adversaire, et empoigne le fusil pour essayer de le lui arracher des mains. P.C. se crispe sur la gâchette, dans la bousculade, le coup part, P.C. est tué sur le coup. Le dernier jour, P.C. avait assisté au paiement en liquide, par les trois clients, des frais de l’expédition, on retrouvera tout l’argent dans les poches du mort. La veille au soir, de retour de l’expédition de huit jours, T.S. venait d’être mis au courant de la réunion au cours de laquelle sa mise à mort avait été votée cinq jours plus tôt. C. Couffignal lui explique qu’il ne doit en aucun cas pénétrer dans le village. Pour T.S., l’urgence absolue était de fuir la région de Saül et de déménager de son camp de base, situé à 6 km du village, sur la piste de Carbet Maïs. Maintenant, il a un mort devant lui. T.S. est tétanisé, hébété. Impossible de prévenir les gendarmes de Cayenne ; impossible d’approcher de l’unique cabine téléphonique qui vient d’être installée en plein centre du village. Si quiconque apprend le drame, ce sera la curée, une raison de plus, toute trouvée pour justifier la mise à mort !

T.S. vivra 4 jours dans un état second, s’occupant exclusivement de continuer ce qu’il était en train de faire juste avant le drame : à savoir son déménagement pour ne pas courir le risque d’être tué de nuit dans son carbet (cabane traditionnelle sommaire, en forêt de Guyanne) dont la municipalité venait de découvrir l’emplacement. Il suivait en cela les conseils donnés par C. Couffignal lorsque celui-ci lui avait raconté la scandaleuse réunion du mardi 14 février. D’ailleurs peu après cette réunion, C. Couffignal avait lui-même commencé à mettre à l’abri les affaires de T.S., son voisin, car il craignait que les sbires du maire n’y mettent le feu comme ils venaient de le faire au détriment de D. Saltzmann. T.S. sait que les gendarmes ’qui sont déjà intervenus plusieurs fois depuis octobre 1994 pour l’arracher des mains hostiles de la municipalité- seront à Saül le 24 février.

Il avait commencé à avoir des problèmes dans ce village lorsqu’il avait réussi à faire expulser tout un groupe de garimpeiros qui polluaient les sources de l’Inini en cherchant de l’or près de Saül. Cette victoire de juillet 1994 est relatée dans le numéro 13 de la revue écolo locale « Le Pou d’Agouti ». T.S. décide d’attendre prudemment l’arrivée des gendarmes le 24 pour tout leur révéler. Ces 4 jours de « fuite de la réalité sordide », d’hébétude, pèseront lourd dans la balance, lors du jugement en assise en juin 1997. Pour son oncle, le chercheur Xavier Sallantin, sur la piste de la Théorie de la Grande Unification ou « Génome de l’Univers », c’est à cause de cela que son neveu n’a même pas bénéficié de la légitime défense : il a été condamné à 10 ans de prison pour homicide volontaire ! Pour T.S. cette condamnation inique n’est que le fruit du procès politique dont il a été victime, en pleine période insurrectionnelle à Cayenne, depuis les émeutes de novembre 1996 et les multiples incidents liés à l’arrestation des militants qui se disent « indépendantistes », tout le long de l’année 1997, incidents qui viennent de connaître une nouvelle escalade en mars et surtout en novembre 2000 : incendie de l’Hôtel des Impôts, reprise des pillages des magasins du centre ville, 5 gendarmes blessés par balles. Le conseiller des « Caldoches » de Guyane (face aux « Kanaks » qui sont ici les Amérindiens), l’historien S. Mam Lam Fouck, avoue lui-même dans son livre de 1998 sur l’esclavage en Guyane que la commémoration de l’abolition de l’esclavage, le 10 juin 1997, fut particulièrement agressive : un vent de xénophobie anti-blancs souffla ce jour là, et T.S. fut jugé seulement 2 jours après, dans cette ambiance particulièrement tendue ! Le substitut du procureur de la République, M. Ravenet, comme la plupart des jurés, appartenait à l’ethnie « africano-créole », celle qui prône la francisation des peuples de la forêt après avoir été eux-mêmes francisés, preuve, s’il en fallait encore une, que, comme l’expliquait R. Jaulin les ethnocidés deviennent ethnocideurs à leur tour ! T.S. fut donc jugé par ses ennemis, ceux qui avaient diffusé des tracts en janvier et février 1995 dans Cayenne pour le dénoncer. C’est pourquoi T.S. avait multiplié les démarches pour exiger d’être jugé en France, dans un lieu neutre, serein, procès dit « dépaysé » ou « délocalisé » comme il l’écrivait encore au procureur Jean-Luc Beck le 16 mai 1997. Ironie de la situation, ce même procureur sera lui-même victime des « indépendantistes » du M.D.E.S. avec la tentative d’incendie de sa maison, et il portera plainte contre la justice qui a décidé d’un non lieu pour cette affaire, alors que lui même avait décidé d’un non-lieu lorsque la maison de l’ami de T.S., Daniel Saltzmann, avait été incendiée totalement par les hommes de main du maire début 1995 à Saül !

Tous les événements, depuis 1995, prouvent que T.S. avait vu juste : dans la France « Une et Indivisible », le métier d’anthropologue devient en quelque sorte illégal car « il n’y a qu’un seul peuple dans la Nation française : le peuple français ». Nommer par leur nom les Amérindiens comme les Corses est anticonstitutionnel. Les deux députés de la Guyane ont multiplié les actions pour faire chasser les anthropologues de Guyane. Dans le nouveau comité de pilotage pour la création d’un Parc National en Guyane (depuis décembre 1997, 50 membres en 5 collèges), il n’y a même plus d’anthropologues dans le collège des scientifiques. Avant, il y avait Pierre Grenand. Le 14 juin 2000, le sénateur de la Guyane G. Othily, nourri comme beaucoup d’intellectuels d’Afrique Noire et des D.O.M.-T.O.M. au biberon de la franc-maçonnerie, garante de cette véritable religion de la Troisième République qu’est le culte de la France, Lumière du Monde dont le rôle est de « civiliser les races inférieures » (Jules Ferry, 28/07/1885), s’est laissé aller à un violent discours au Sénat contre l’amendement 239 de la loi d’orientation pour l’Outre-Mer soutenu par J.J. Queyranne, visant à donner des droits spécifiques aux Amérindiens ! Et cela, au nom du catéchisme jacobin de « l’égalité de tous les citoyens » ! Le jacobinisme devient l’argument des colons du littoral de la Guyane pour maintenir leur pouvoir exorbitant : l’ethnie africano-créole ne représente plus que 30% de la population de la Guyane mais accapare tous les postes au Conseil Régional et au Conseil Général, au détriment des peuples autochtones d’Amérique, dernier continent du monde à être encore sous le joug colonial, mis à part, et encore, que partiellement, dans le Grand Nord canadien depuis avril 1999 ! Pire, le gouvernement français est le dernier gouvernement moderne du monde à maintenir sa présence au nom du concept juridique de « TERRA NULLIUS », notion abandonnée par l’Australie en juin 1992 grâce au combat du militant aborigène Eddy Mabo. Pour la France, la Guyane est une « terre vacante et sans maître » (actes officiels de 1825 et 1898), les indiens n’existent pas, la Guyane est vide, inhabitée, terra nullius, donc disponible pour réaliser le « DEVELOPPEMENT », cette expression désormais à la mode pour dire « COLONISATION » ! Le ministère Voynet a fait réaliser en 1998 une étude juridique qui démontre ( ! ?) qu’il n’y pas d’Indiens en Guyane et que donc il est ridicule de protéger des gens qui n’existent pas. Afin de créer un Parc national chez-les-Indiens-qui-n’existent-pas, madame Voynet souhaite abroger l’arrêté préfectoral de 1970 qui interdit aux colons, aux touristes et autres « développeurs » de pénétrer dans les 30 000 km2 du « Pays Indien ».

Cet arrêté avait été pris pour « respecter le mode de vie, les coutumes, l’organisation sociale et familiale ainsi que le particularisme des populations indiennes ». Un décret interministériel d’avril 1987 renforce cet arrêté en précisant que sur près de 6000 km2 des droits d’usage collectifs sont reconnus aux « COMMUNAUTES D’HABITANTS TIRANT TRADITIONNELLEMENT LEURS MOYENS DE SUBSISTANCE DE LA FORÊT » (il serait anticonstitutionnel de dire tout simplement : « Amérindiens » !) et qu’il y « est interdit (…) de procéder (…) à la recherche ou à l’exploitation de substances minières ». En amont de Maripasoula, ces zones ont été définies en mai 1995, mais depuis, l’invasion des garimpeiros n’a pas cessé, elle s’est même aggravée à partir de février 2000 (Figaro, 14/03/00 ; J.A.T.B.A. du laboratoire d’ethnobiologie du muséum 1998, spécial Guyane ; Eurêka, 07/00 ; France-Soir, 3/10/00 ; Géo, 10/00 ; Le Monde, 25/11/00 et 15/12/00 ; Libération, 15/12/00 et 12/01/01 ; Le Point, 05/01/01 ; Le Monde Diplomatique, 02/01 ; Le Monde, 07/07/01 pages « Horizons ») et c’est déjà 79% des enfants et 65% des adultes amérindiens qui sont contaminés par le mercure dans les villages des fleuves Tampoc et Haut-Maroni !

Thierry Salantin aurait du se faire tuer en 1995. Il n’a dû sa chance de survivre à l’attentat qu’à l’initiative crapuleuse d’un petit bandit qui s’était imaginé qu’il aurait été astucieux de doubler le tueur officiel pour dévaliser plus à son aise T.S., initiative qui échouera in extremis, au prix hélas de son décès accidentel. L’assassinat de T.S. n’aurait pas déplu au gouvernement : le 2 février 1995, le lieutenant-colonel Morin, chef de la D.G.S.E. à la préfecture, convoqua T.S. pour lui signifier clairement que son action visant à rétablir les lois de la République en Guyane, et notamment à Saül, gênait la politique locale reposant sur le principe du « pas de vague » : l’essentiel est que la fusée Ariane décolle sur un fond de calme social, fusse au prix de fermer les yeux sur les « combines » de l’ethnie africano-créole au pouvoir depuis la fin du XIXème siècle ! Faute d’avoir obtenu sa mort, mettre T.S. en prison est une autre façon de le réduire au silence. Il était le seul à dénoncer l’invasion du « Pays Indien » par les chercheurs d’or et la politique ethnocidaire du Ministère de l’Environnement avec son projet de Parc précisément là où vivent 92% des gens de la forêt de Guyane, dans le tiers-sud : les Indiens Teko, Wayampi et Wayana. Depuis que la « Mission Parc » est débarrassée de ce gêneur, elle a multiplié dès début 1995 les travaux dans les villages indiens pour précipiter leur acculturation. T.S. n’est plus là pour dénoncer les secrétaires de mairie de Camopi qui noyautent la municipalité amérindienne afin de les engager sur la voie du fameux « développement ». Il n’est plus là pour dénoncer l’actuelle offensive des missionnaires, tant à Camopi que sur le Haut-Maroni (les Pères Michel Crosson et Franz Floërschinger).

Le décès surprenant en 1998 de son ami le militant écologiste Kris Wood, fougueux défenseur des peuples africains retribalisés du fleuve Maroni : les « Noirs-Marrons », et créateur du trimestriel écolo « Le Pou d’Agouti » : « le journal ’ qui ’ démange ’ et ’qui ’ dérange ! » a donné encore un peu plus la voie libre au lobby colonial et acculturateur. Ceux-ci en profitent pour bloquer tous les projets de protection de la forêt tropicale, et l’O.N.F. peut en toute impunité saisir l’occasion de la moindre route pour tracer précipitamment des « forêts de production » : cas de la route de Régina à Saint-Georges ! T.S. à l’ombre, le gouvernement peut tranquillement « oublier » de signer le décret d’application qui rendrait effectif le Code Minier défini (enfin) par la loi du 21 avril 1998. Exploitant ce vide juridique, le Ministère de l’Industrie se dépêche de distribuer des autorisations d’exploitations minières : 167 depuis 1998, y compris en « Pays Indien » comme à Grigel sur la rivière Waki.

Thierry Sallantin en prison, Kris Wood mort, les « développeurs » dansent…

La situation des Amérindiens de Guyane est grave. Tous ceux et celles qui en ont conscience sont invités à rejoindre le comité de soutien pour hâter la remise en liberté de T.S. et l’aider à reprendre le combat sur le front actuel où se déroule le génocide culturel des derniers peuples libres de la planète. Cette fois, il ne faudrait plus le laisser seul : nous devons constituer dès maintenant plusieurs groupes de travail pour envisagerles meilleures actions pour enrayer la « Mégamachine » (Serge Latouche) ethnocidaire, actions à l’échelle de tous les pays de l’Union Européenne, puisqu’ après tout, l’essentiel des finances qui font vivre la Guyane vient de Bruxelles. Les payeurs peuvent légitimement estimer qu’ils doivent être aussi les décideurs : ils ont leur mot à dire pour tout ce qui concerne cette « R.U.P.E. » (Région Ultrapériphérique d’Europe) selon l’expression consacrée à Bruxelles et à Strasbourg pour qualifier toutes les possessions exotiques de l’Union Européennes. Les contribuables allemands, anglais, hollandais, scandinaves, espagnols, italiens etc… sont concernés au même titre que les français. A nous d’alerter les O.N.G. de chacun des Etats européens pour empêcher la France de commettre l’irréparable en Guyane.

Lorsqu’une espèce animale disparaît, il est définitivement trop tard, la biodiversité est irrémédiablement appauvrie. Pour une culture humaine, c’est la même catastrophe : une langue ou un peuple qui s’éteint, et c’est le Patrimoine Mondial (World Héritage) qui est définitivement amputé. L’ethnodiversité devrait être défendue avec autant d’énergie que la biodiversité. Malheureusement, si chaque année un organisme comme l’U.I.C.N. est capable de publier la liste exacte des espèces menacées : 5423 espèces animales (dont 19 espèces de primates en l’an 2000 contre 13 en 1996) et 5531 espèces végétales, aucun organisme équivalent n’est capable de publier la liste des ethnies menacées : les spécialistes ne savent même pas s’il y a 5000 ou 7000 langues actuellement parlées dans le monde, à l’heure où la situation est pourtant si grave et si urgente.

En espérant que cet appel à la mobilisation des étudiant(e)s en anthropologie sociale et culturelle (ou ethnologie) de toutes les universités de France aura des suites…