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L’étude et le traitement judiciaire de la récidive à Chicago (1920 - 1940). Contributions méthodologiques (Marie Fleck, Champ pénal, 4 juin 2008)

Mise en ligne : 24 juillet 2008

Dernière modification : 9 mai 2012

Les méthodes actuarielles ont un rôle croissant dans le traitement judiciaire de la récidive aux États-Unis, avec le développement du profilage criminel appliqué par la police ou des guides à la décision (guidelines) proposés aux juges et aux contrôleurs judiciaires. Une visite historique des travaux sociologiques de l’École de Chicago (1920-1940) nous permet de mieux comprendre la situation actuelle. Elle nous invite à reconsidérer leurs principales contributions méthodologiques, l’approche complémentaire des méthodes actuarielles et cliniques et leurs préoccupations sur leurs conditions d’usage.

Texte de l'article :

Abstract : Actuarial methods have an increasing role in the judicial treatment of recidivism in United States, with the development of criminal profiling applied by law enforcement officers, sentencing guidelines for trial judges and prognosis intended to probation and parole officers. Revisiting the works on parole of Chicago sociologists in 1920-1940 would enable us to understand better the current situation ; it invites us to reconsider their main methodological contributions, which are the complementary approach of actuarial and clinical methods and their concern about their conditions of use.

Introduction
Les malentendus courants au sujet du traitement judiciaire de la délinquance et de la récidive aux États-Unis nous porteraient aisément à croire que nous sommes passés des méthodes cliniques [1] aux méthodes actuarielles [2], miroirs respectifs de la justice réhabilitative, connotée de « romantisme » et d’indulgence (leniency), et de la justice punitive, souvent assimilée à la fermeté et à la sévérité (harsh punishment). Contre toute attente, les méthodes actuarielles appliquées à la récidive surgissent dans un contexte d’individualisation de la peine sous la forme de tables de prédiction. Pour leurs concepteurs, Ernest W. Burgess à Chicago (Bruce, Burgess, Harno, 1928a) puis le couple Glueck à Boston (Glueck, Glueck, 1930), elles représentent une étape supplémentaire vers l’idéal judiciaire de la réhabilitation du criminel.

Ce constat surprenant justifie un retour sur le point de vue méthodologique adopté sur la récidive par les sociologues et réformistes de Chicago entre 1920 et 1940, ainsi qu’une mise en perspective sociohistorique prenant en compte les évolutions du système judiciaire et ses méthodes. Nous souhaiterions montrer que les travaux sociologiques sur la récidive dans un contexte d’individualisation de la peine ne sont ni asservis, ni aveuglés par un idéal romantique, mais visent avant tout une meilleure compréhension du délinquant en tant que personne et de son environnement social. Le savoir scientifique résultant des études de cas et des histoires de vie tout comme des tables de prédiction, a pour objectif d’adapter le traitement de la délinquance aux problèmes sociaux et psychosociaux décelés parmi les individus ou les groupes d’individus concernés.

Aussi, nous pensons que le passage d’une justice réhabilitative à une justice punitive n’est pas symptomatique d’une politique judiciaire « trop indulgente » à laquelle répondrait en toute logique une justice « plus ferme et sévère », ni qu’il rend simplement compte d’une « fin des illusions ». L’hypothèse suggérant la supériorité des méthodes actuarielles sur les méthodes cliniques dans la prévention de la récidive, nous semble également trop restrictive pour expliquer un tel revirement [3]. C’est pourquoi nous soutenons plutôt que l’application plus facile des méthodes actuarielles par rapport aux méthodes cliniques, ainsi qu’un intérêt de la part des sciences sociales pour leur efficacité et leur perfectionnement, ont contribué à leur succès et à leur utilisation routinière, mécanique et quasi-bureaucratique à des niveaux de la chaîne pénale autres que ceux auxquels elles étaient initialement destinées (recours aux techniques de criminal profiling par la police et usage des guidelines lors du procès). L’usage immodéré et presque exclusif par la justice pénale de la version moderne de ces méthodes, fondée principalement sur la prise en compte de la nature de l’infraction et du casier judiciaire, rappelle l’application rigide et uniforme d’une loi purement abstraite, proportionnelle à la nature du délit ou crime perpétrés, caractéristique du modèle de justice rétributive qui dominait au début du XIXe siècle (Saleilles, 1898). Il invite à une reconsidération des mises en garde exprimées vis-à-vis du crédit excessif accordé aux tables de prédiction par leurs concepteurs [4].

Nous nous pencherons alors, dans un premier temps, sur les méthodes préconisées par les sociologues de Chicago et leur usage pendant l’entre-deux-guerres, dont les principales contributions ne sont peut-être pas tant l’invention des tables de prédiction que la conception dialectique de ces dernières avec des méthodes qualitatives et cliniques, ainsi qu’une réflexion engagée sur les objectifs et les conditions de leur application dans le traitement judiciaire de la récidive. Nous nous tournerons ensuite vers l’autoévaluation critique et lucide des sociologues quant aux apports et limites des méthodes des sciences sociales et à leur traduction dans le système judiciaire - une autoévaluation dont l’attention partielle a favorisé l’avènement des méthodes actuarielles et le retour de la peine déterminée.

1. Des méthodes sociologiques au service d’une justice réhabilitative
1.1. Les objectifs des sociologues et le principe d’individualisation des mesures et des sanctions en Illinois

Entre 1920 et 1940, le principe d’individualisation de la peine est déjà consacré dans le système judiciaire de l’État d’Illinois : la période 1891-1899 marque un tournant décisif vers la justice réhabilitative, avec l’instauration d’un système de libération conditionnelle pour les mineurs délinquants et l’extension de ce système aux adultes condamnés puis aux récidivistes (habitual criminals). Elle se définit comme la possibilité de libérer d’une institution carcérale un condamné qui a purgé une partie de sa peine sous la condition d’avoir respecté les règles disciplinaires et à condition de rester sous le contrôle de l’institution ou d’une autre agence approuvée par l’État jusqu’à ce que l’acquittement soit prononcé [par le bureau de libération conditionnelle] (Bruce, Harno, Burgess, 1928a, 8). La libération conditionnelle est présentée comme un rouage essentiel pour servir les objectifs judiciaires de sanction, de réhabilitation des anciens détenus et le devoir de protection de la société. Lorsque plus de 95% des détenus sont libérés tôt ou tard, doivent-ils être libérés sous supervision ou sans supervision ? Le sens commun nous amène à penser que pour la protection de la société, ils devraient être libérés sous contrôle judiciaire (Burgess, 1938b, EWB, 193, 1) [5].

Evoqué à maintes reprises, cet argument témoigne de l’engagement des figures emblématiques de la sociologie émergente, telles qu’Ernest W. Burgess et ses collègues et anciens étudiants, en faveur du développement de la libération conditionnelle. Ils sont présents aux côtés des agences sociales et des institutions judiciaires, à l’Institut de Recherche Juvénile (IJR) avec la création d’un département de sociologie en 1926, dans la mise en place du Chicago Area Project [6] en 1931, auprès du bureau de libération conditionnelle où ils créent un poste de sociologue en 1933 puis trois postes en 1939, enfin par leur participation à de nombreuses commissions d’évaluation du système judiciaire. Leurs tâches sont multiples : il leur faut définir un nouveau champ de recherche (Park, Burgess, 1921 ; Sutherland, 1924), comprendre la délinquance et la criminalité à partir de tendances sociales générales ainsi qu’à travers l’expérience du délinquant (Shaw, McKay et leurs publications à l’IJR, 1929 - 1942) ; proposer leurs connaissances et compétences en vue de prévenir et traiter les « comportements anti-sociaux ». Les sociologues contribuent également, via le criminologue d’État en poste au Département d’Aide Publique (Department of Public Welfare) depuis 1917 et le département de sociologie de l’IJR dès 1926, à fournir des informations, contenant des données sociales, psychologiques et médicales sur chaque individu, au Bureau de Libération Conditionnelle sur les détenus à la suite de leur condamnation (Bruce, Harno, Burgess, 1928a, 73). Mais ces connaissances ne seront véritablement prises en compte qu’à partir de 1927 avec le recrutement de 6 membres s’ajoutant aux 3 existants, ce qui devait permettre d’éviter des décisions de libération approximatives et superficielles par manque de moyens [7]. L’usage de ces informations constituera la base de la méthode clinique mise en œuvre, qui s’avèrera plus ou moins efficace en raison de problèmes persistants [8].

Lorsque Burgess érige la prédiction en tant que but des sciences sociales et argumente en faveur de la prédictibilité des comportements sociaux (Burgess, 1929, 533), son objectif est double : il s’agit, d’un côté, de légitimer la scientificité des sciences sociales au même titre que les « sciences de la nature », de les techniciser par l’élaboration des tables d’« expectation » afin qu’elles deviennent des partenaires sociaux incontournables [9], une science d’expertise dans des domaines comme le travail social, la justice, sur des sujets tels le risque de récidive en libération conditionnelle, en probation (Reiss, 1949), ou encore, dans un tout autre registre, la probabilité d’adaptation d’un couple au mariage en fonction de son adaptation aux fiançailles [10]. D’autre part, à travers l’étude The Workings of the Indeterminate-Sentence Law and the Parole System in Illinois, menée entre 1927 et 1928 à la demande du président du Bureau de Libération Conditionnelle, Hinton G. Glabaugh, par les universitaires Andrew A. Bruce, Albert J. Harno et Ernest W. Burgess, avec ses étudiants Clark Tibbitts et John Landesco, il s’agit de convaincre du bien-fondé du système de libération conditionnelle. Lors d’un symposium organisé par le journal Herald Examiner, Burgess déclare, les méthodes de sévérité [plaidée par les hommes d’affaires pragmatiques] et d’indulgence [plaidée par les humanistes] ont toutes deux été essayées en pratique. Toutes deux ont échouées. Pourquoi ne pas se tourner, à la place, vers [l’application des méthodes et des découvertes de la science aux problèmes de la criminalité et du criminel] les principes de classification, de prédiction scientifique, et l’étude de cas (social case work) ? (Burgess, 1929-1933, EWB, 193, 1).

Au cœur de l’alliance entre justice et sciences sociales, la table de prédiction, jouissant du prestige de son caractère statistique, sert les intérêts mutuels de ces deux domaines. Mais il n’a jamais été question, pour les sociologues, d’en faire un usage exclusif. Burgess souligne l’importance de l’usage complémentaire de méthodes qualitatives, notamment lorsqu’il cite en exemple le département d’ajustement de l’institution pénitentiaire du Maryland : depuis le 1er octobre 1931, 2 000 hommes ont été interviewés et aidés. Ainsi, le superintendant des prisons peut tâter le pouls de ces hommes intra muros. Il peut se placer lui-même dans la position de la personne incarcérée et regarder les choses de son point de vue. Ce département est aujourd’hui agrandi et tous les contacts entretenus avec les prisonniers sont attachés à des études de cas (case histories) (Burgess, 1936, EWB, 193, 1).

Le concepteur de la table de prédiction chicagoane défend la contribution égale de ces deux types de méthodes, dont l’interaction (...) va sans aucun doute porter ses fruits (Burgess, 1927, 120).

1.2 Une première tentative de systématisation des facteurs sociaux : les tables de prédiction
La dernière partie du travail du comité d’évaluation sur le système d’individualisation de la peine, écrite par Ernest Burgess avec l’aide de son étudiant Clark Tibbitts, est consacrée aux facteurs déterminants de la récidive en libération conditionnelle. À partir d’un échantillon aléatoire de 3 000 détenus des institutions Menard, Pontiac et Joliet, libérés sous conditionnelle entre 1923 et 1925, 22 facteurs sociaux objectivés et standardisés sont testés : ce nombre important, caractéristique de la perspective multifactorielle adoptée par les sociologues chicagoans [11] pour expliquer la délinquance et la récidive, leur offre une vue d’ensemble sur les aspects significatifs et scientifiquement vérifiés dans la perpétration d’un délit ou crime après une expérience d’incarcération. Cependant, les données statistiques sur la libération conditionnelle comportent certaines failles : dans le large éventail de statistiques criminelles (souvent loin d’être parfaites), affirme Burgess, celles sur la libération conditionnelle sont les moins satisfaisantes (Burgess, 1936, EWB, 193, 1). L’hétérogénéité des taux de violations reportés dans les différents États américains, au sein de différentes institutions carcérales d’un même état, variant entre 0,1 à 49% (Wright, Robert J. in Burgess, ibid), empêche toute comparaison ; et le problème le plus évident, que Burgess dénonce, est l’absence d’une définition commune de la libération conditionnelle aux États-Unis. En ce qui concerne l’Illinois, une libération n’est possible qu’après un an de détention au minimum, et elle doit s’ensuivre de cinq ans de supervision selon les statuts du bureau de 1927. L’ancien détenu est alors contraint d’obéir aux lois et aux règles de la conditionnelle, soit l’interdiction de sortie du territoire de l’État, le respect de couvre-feux, ou encore l’obligation de signer un rapport mensuel certifiant le respect des conditions de libération. Les violations majeures, perpétration d’un nouveau crime ou délit, ou mineures, transgression des règles propres à la libération conditionnelle, donnent suite à une réincarcération immédiate, sans procès judiciaire.

D’autres réserves importantes doivent être formulées sur la mesure de la récidive et de la réhabilitation, la correspondance approximative entre le nombre de violations connues et inconnues, les ambiguïtés liées au nombre de violations mineures connues comme indice de non réhabilitation, la différence entre le taux de violations signalé pendant la période sous contrôle judiciaire et sur le long terme ; enfin, nous pourrions également mentionner des distinctions mal définies par les sociologues de l’époque, entre la réhabilitation, ou le respect des lois, et la réformation, indiquant un changement de valeurs et d’attitudes plus radical, entre le profil de la population carcérale et celui de la population libérée [12]. Malgré ces aléas, une table de prédiction est érigée, dont nous donnons une illustration (voir le tableau 1 en annexe). Les taux obtenus qui sont supérieurs au taux moyen de violations, 25,7% dans les trois institutions, indiquent une propension à la récidive, alors qu’un taux inférieur correspond à l’inverse à une propension à la non récidive [13].

Bien qu’elle puisse paraître quelque peu simpliste et rudimentaire aujourd’hui, en l’absence d’un système pondéré d’analyse de régression multiple, la table de prédiction de Burgess obtient un succès quasi-immédiat et est adoptée dès 1933 par le Bureau de Libération Conditionnelle. Elle sert en tant qu’instrument de pronostic, à partir de scores de 0 à 21, totalisés en fonction du profil du détenu testé, indiquant soit un risque élevé de violation de la conditionnelle lorsque le nombre est bas, soit un risque faible quand le nombre s’approche de 21. 0 est attribué aux facteurs favorisant la récidive (black marks), 1 aux facteurs à effets inverses (white marks), et la somme calculée sur les 21 facteurs est traduite en pourcentage. Son principal apport réside dans la prise en compte systématique des facteurs sociaux dans la décision du Bureau quant aux fins d’incarcération appropriées, dans le degré, la nature et la durée de supervision des anciens détenus.

Cette nouvelle disposition contraste avant tout avec les prises de décision du Bureau avant 1927, essentiellement calquées sur les avis favorables ou défavorables exprimés par le juge et le procureur lors du procès en raison de l’état chaotique et inutilisable du matériel sur la situation sociale des détenus [14]. Or, dans ce cas, leur marge de manœuvre pour déterminer la durée d’incarcération faisait difficilement sens, puisque les avantages revendiqués d’une décision du Bureau, tels l’accès à des données sociales sur le détenu, la prise en compte de l’évolution des attitudes et valeurs du détenu, n’avaient que peu de portée réelle. La table de prédiction confère au Bureau un pouvoir effectif de décision en cohérence avec les principes d’individualisation de la peine. Elle lui offre une meilleure lisibilité des facteurs sociaux liés à la récidive, des similarités et différences entre les détenus candidats à la libération conditionnelle ; elle est simple et rapide à utiliser.

Malgré tout, la question suivante demeure : le détenu A, candidat à la libération conditionnelle, va-t-il faire parti des 1,5% qui violent la conditionnelle ou des 98,5% qui suivent les règles, le détenu B est-il plus proche de l’un des 30% qui transgressent les règles de la conditionnelle ou des 70% qui suivent ses principes (etc.) ? (Burgess, 1938b, EWB, 193, 1). Elle rend la réflexion des membres du Bureau indispensable, indépendamment et en complément du pronostic de la table. Aussi, ses faiblesses, comme la perspective statique et horizontale qu’elle suppose, occultant l’expérience du détenu, son parcours, l’effet de son incarcération et les modifications possibles de son comportement et de ses valeurs (Ohlin, 1949a, EWB, 135, 2), l’absence de mesure précise du degré d’impact de chaque facteur social en jeu en fonction de chaque détenu (Benson, 1940, EWB, 36, 4), enfin, l’absence de mise en relation entre les facteurs (Clark, 1939, EWB, 35, 7 ; Ohlin, 1949b, EWB, 135, 2), appellent à recourir aux méthodes cliniques, aux études de cas ou, mieux encore, aux histoires de vie.

1.3. Récidive et réhabilitation : des processus sociaux
Pour les auteurs du manuel sur l’individualisation de la peine, une formation dans le travail social ou en sociologie apparaissait nécessaire pour réaliser les enquêtes sur la condition sociale des détenus. L’étude de cas (case work, case study) constituait pour eux la méthode d’investigation par excellence. Cette dernière consiste, comme l’explique Clifford Shaw, en l’accumulation de matériel brut sous la forme de cas, décrits en détail, avec les données psychiatriques, psychologiques et médicales traditionnelles, tout comme l’origine culturelle de la famille et de la communauté, et l’histoire de vie et les relations sociales de l’individu » (Shaw, 1928-1933, EWB, 136, 9). L’histoire de vie du délinquant, composée d’une autobiographie commentée par le sociologue et d’autres documents dont le casier judiciaire, était qualifiée d’étude de cas détaillée. En révélant des séquences d’événements auxquels l’individu répond, la façon dont sa personnalité sociale se manifeste au cours de son parcours de vie, ses valeurs, ce type de méthode est le reflet de la perspective (micro-) processuelle initiée par les fondateurs de la sociologie de Chicago, en particulier William I. Thomas, et adoptée par ses successeurs, pour lesquels le monde social est envisagé comme un ensemble de processus [où] rien n’est fixé définitivement (...) (Abbott, 2005). À l’Institut de Recherche Juvénile, les histoires de vie rassemblées à partir des comptes rendus autobiographiques de détenus avaient pour fonction de dévoiler la formation de leur personnalité, la création d’un rôle criminel, soit la récidive - parfois aussi la réhabilitation - en tant que processus social.

Face au constat du faible succès, The Jack-Roller mis à part, de l’histoire de vie en tant que méthode des sciences sociales, le sociologue Gilbert Geis souligne son maigre apport sociologique ; aussi, d’après lui, les idées clés de « processus » (et de « carrière ») ont peut-être été innovantes aux débuts de la sociologie, mais elles sont aujourd’hui des lieux communs (Geis in Snodgrass, 1982, 121-134). L’histoire de vie fait partie du folklore, du patrimoine sociologique d’où sa banalité apparente, pourtant, elle n’est que rarement intégrée en tant que mode effectif de connaissance. Or, elle ne manque pas de pertinence. Nous aimerions souligner deux aspects contributifs de cette méthode, avec pour illustration le cas de Stanley, présenté dans The Jack-Roller (Shaw, 1930). L’avantage de son récit est qu’il retrace un parcours de vie sur près de 70 années, avec deux écrits publiés, l’un sur ses vingt premières années, l’autre, The Jack-Roller at Seventy (Snodgrass, 1982), sur les 50 années suivantes. Aussi, tandis qu’un pronostic à partir de la table de Burgess tendrait à souligner un risque de récidive important, sa propre histoire, en 1930, est celle du parcours d’un délinquant sur la voie d’une réhabilitation. Durant les cinq années suivant sa libération, le jeune homme, selon Shaw, a abandonné ses activités délictueuses, et, avec le soutien du sociologue, il se rapproche progressivement d’un mode de vie conventionnel.

L’histoire de Stanley rend compte des subtilités se profilant derrière les notions de « succès » ou d’ « échec » à la suite d’une expérience carcérale. Le manque de standardisation de l’histoire de vie qui constitue son point faible est également constitutif de sa valeur car il compense le caractère rigide des catégories de la table de prédiction. Alors que The Jack-Roller annonçait la réinsertion sociale du garçon, les événements suivant la publication de l’ouvrage, sa tentative de hold-up et sa réincarcération à Bridewell, les déboires de son mariage et ses deux hospitalisations en psychiatrie, rompent avec le portrait arboré d’une happy end. Les commentaires mitigés sur le parcours de Stanley, « clairement réformé » pour Solomon Kobrin puisqu’aucune violation sérieuse et persistante de la loi n’a été perpétrée, « loin de la norme » aux dires de Geis et évidemment marginal sans être un échec selon James Short, démontrent qu’évaluer un tel parcours comme un « succès » ou un « échec » est extrêmement restrictif. Cette histoire de vie met à jour la distinction entre la réforme du délinquant évaluée en fonction des critères de la classe moyenne et sa réhabilitation, impliquant l’abandon de la perpétration régulière d’actes délictueux mais aussi la persistance d’un décalage vis-à-vis des critères de bienséance et de respectabilité de groupes sociaux « conventionnels ». Instable, impulsif et marginal, mais respectant les lois, la personne de Stanley révèle la complexité du processus de réhabilitation du délinquant.

Le potentiel clinique de l’histoire de vie, souligné par Shaw, se caractérise par son aptitude à divulguer la personnalité de l’autobiographe à partir de ses réactions à différentes situations sociales et de sa manière de conter les événements successifs. La méthode a permis à Shaw de repérer les contextes sociaux les plus favorables à la réhabilitation de Stanley, les mieux adaptés à son caractère individualiste et à sa forte susceptibilité. Aussi, dans son cas, l’histoire de vie apparaît comme un moyen de nouer une relation d’échange, de permettre une conversation entre classes (sociales) (Snodgrass, 1982, 11) encourageant à une autoréflexivité bénéfique au processus de réhabilitation. Jon Snodgrass et Stanley lui-même soulignent l’importance du rôle de Shaw dans ce revirement social : la relation informelle, durable et intime avec le sociologue et ancien contrôleur judiciaire, une figure paternelle admirée par ce garçon, contraste avec les relations formelles des agents de probation et de libération conditionnelle entretenues avec les individus sous leur contrôle (Problem of sponsorship in one parole district, ar. 1943, EWB, 36, 4), peu significatives. En définitive, la table de prédiction devait et pouvait certainement servir comme indicateur du degré de supervision à exercer auprès d’un ancien détenu sous libération conditionnelle, mais l’étude de cas ou l’histoire de vie sembla bien plus utile pour définir un programme de suivi socio-judiciaire adapté, comme l’exigeait l’idéal judiciaire de réhabilitation.

2. Perspicacité sociologique et difficultés du traitement judiciaire de la récidive
2.1. Le bilan

Dans l’ensemble, l’usage de l’histoire de vie fut relativement limité lorsque l’on compare les quelques 133 autobiographies de détenus conservées dans la collection d’archives Life Histories, Institute of Juvenile Research par la Société Historique de Chicago [15], avec l’ensemble de la population carcérale annuelle à Pontiac, Menard et Joliet, comptant entre 5 000 et 10 000 individus [16]. Son utilisation peu fréquente s’explique certainement par le temps et l’énergie qu’une telle méthode nécessite ; c’est également pour cette raison que sa version abrégée, l’étude de cas, semblait mieux adaptée au travail social et aux activités du Bureau de Libération Conditionnelle. Seules trois histoires furent publiées, suivies d’un arrêt abrupt de la collecte, comme le montre l’absence de ce type de documents dans les archives après 1940 [17]. Cet abandon soudain est intriguant, d’autant plus que Shaw, principal instigateur de ces travaux, reste à la direction du département de sociologie de l’Institut de Recherche Juvénile jusqu’à sa mort, en 1957. Les recherches du sociologue et historien James Bennett nous conduisent à privilégier deux hypothèses à ce sujet : contrairement à The Jack-Roller, les publications de l’histoire de Sidney (1931) et de celle des frères criminels (1938) eurent un bien moindre succès, en partie en raison de la redondance des trajectoires et des commentaires sociologiques. Ainsi, l’une des visées des sociologues via l’histoire de vie, soit la diffusion des travaux auprès d’une large audience, est dès lors compromise. La seconde explication probable est que le Chicago Area Project, promu à travers les histoires de vie (Bennett, 1981, 208), demandait un investissement tel de la part de Shaw, son initiateur, qu’il fut contraint d’abandonner ses travaux de recherche. Lors d’une conversation, Henry McKay confie à Bennett que cette activité [pour le Chicago Area Project] prenait tellement de temps à Shaw que [j’ai] dû faire le plus gros du travail de la dernière histoire de vie publiée, Brothers in Crime (Bennett, 1981, 167).

Au Bureau de Libération Conditionnelle, malgré des efforts d’amélioration considérables avec le recrutement de 25 membres dont cinq enquêteurs en 1939, le recours aux méthodes cliniques dans les décisions de libération reste problématique : Sam Daykin, sociologue et statisticien (actuarist) au Bureau, déclare au sujet des données sociales sur les détenus, [ce matériel] est presque insignifiant, lorsqu’il est mis à la disposition des Bureaux de Libération Conditionnelle, car soit il est difficile à comprendre, soit les données sont trop mal regroupées lorsqu’elles leur sont présentées (Daykin, 1938, EWB, 35, 7). De plus, le potentiel clinique des études de cas par rapport au suivi socio-judiciaire des anciens détenus semble inexploité par les sponsors, en raison de leur charge de travail, comme en attestent certains témoignages concordants, restitués dans un document d’archives, c’est tout juste un arrangement de papier ; combien de fois je vois mon sponsor ? Une fois par mois, lorsqu’il me signe mon rapport ; mon sponsor est un homme sympathique, mais il ne sait rien de ce que je fais, etc. (Problem of sponsorship in one parole district, ar. 1943, EWB, 36, 4). Alors que le Bureau est à son apogée en 1939, avec la meilleure administration de l’histoire de l’État » et l’une des mieux classées [du pays] (Burgess, 1939, EWB, 193, 2), le professeur de droit Puttkammer constate aussi l’absence totale de supervision des individus en conditionnelle (Puttkammer, 1939, EWB, 193, 2). Pourtant, la fonction accordée à la table de prédiction adoptée par le Bureau et validée par l’État est justement de déterminer le degré de supervision par rapport à chaque profil social de détenus, plus encore que de sélectionner les condamnés à libérer. En l’état, les recommandations d’usage de Burgess demeurent lettres mortes. L’outil se voit donc confiné aux procédures décisionnelles, où son utilisation exclusive et mécanique est théoriquement proscrite, mais concrètement probable, étant donné le temps extrêmement limité consacré à chaque candidature lors des réunions mensuelles du Bureau. Les trois sociologues et statisticiens recrutés avaient pour fonction l’élaboration de pronostics et leurs efforts intellectuels, relayés par bien d’autres chercheurs, se concentraient sur l’amélioration des tables, de leur efficacité prédictive dans un contexte d’individualisation de la peine et de libération conditionnelle fragile, dont ils se préoccupaient moins.

Or, la situation de 1937 annonce bien les difficultés que rencontrera le système de libération conditionnelle. Bon nombre d’inquiétudes font surface : la libération conditionnelle est-elle en danger ? (New York Times, 1936, EWB, 193, 1) ; doit-on abolir le système de la libération conditionnelle ? (Puttkammer, 1939, EWB, 193, 2). Elles ont pour origine les escapades illégales en 1936 de cinq anciens détenus en conditionnelle s’étalant sur quatre jours à Chicago, au cours desquelles trois d’entre eux furent abattus par des policiers. Sous la pression des médias et du public, le Bureau de Libération réagit en réduisant le nombre de sorties carcérales à 500 individus l’année suivante au lieu des 2 500 libérations accordées précédemment chaque année. Cette régression résulta sur le développement d’un sentiment d’injustice dans les prisons, notamment à Joliet où s’organisa, fin 1937, une grève de la faim puis se déclarèrent des émeutes (Burgess, 1937, EWB, 193, 2). Cette même année, le projet de loi Ward-Schnackenberg, dont l’objectif était de réduire le pouvoir du Bureau de Libération Conditionnelle et de donner au juge le droit de fixer une durée de peine minimale et maximale à partir de laquelle le Bureau pouvait agir, fut soutenu par l’opinion publique, hostile à la conditionnelle, impopulaire et mal comprise. Elle était considérée comme une mesure d’indulgence, soucieuse du bien-être des condamnés au détriment de la sécurité des citoyens « honnêtes ». Tenaces et revivifiés lors d’événements tragiques, ces préjugés obligèrent les chercheurs pénalistes à un travail d’information, d’explicitation civique, sous peine de devoir abandonner le système judiciaire aux tergiversations d’une opinion influençable et peu éduquée. Le projet de loi ne prôna pas ouvertement l’abolition de la libération conditionnelle, mais ses intentions sous-jacentes furent dévoilées par la communauté intellectuelle et réformiste :

Son adoption équivalait à la fin de la libération conditionnelle. Ça a été la tendance dans les États où des lois de ce type sont en vigueur. Les peines de prison sont souvent définies avec une durée minimale et maximale si proches l’une de l’autre (‘pas moins de cinq ans ni plus de cinq ans et un jour’) que la libération conditionnelle est exclue et des peines fermes ainsi qu’une libération sans surveillance ont de nouveau cours. En effet, certains des partisans du projet ont franchement admis leur souhait de revenir vers des peines déterminées (Puttkammer, 1939, EWB, 193, 2).

 Compte tenu de l’opposition au projet de bon nombre d’associations influentes de la ville de Chicago, le Gouverneur Horner lui opposa son véto. Aucune dissension semblable n’eut lieu par la suite, mais les difficultés du Bureau à agir en accord avec les principes de l’individualisation de la peine persistèrent. Dans un document écrit après 1945, il lui fut reproché son traitement expéditif des détenus, sa tendance à fonctionner comme un bureau de condamnation suivant la procédure des peines fermes et déterminées (Parole, report on corrections, 1946, EWB, 36, 4).

2.2. Vers un retour de la justice punitive
Malgré le caractère rudimentaire des outils statistiques au début du siècle dernier, nous pourrions qualifier le trio de sociologues, Burgess, Shaw et McKay, de « perspicaces » quant à la perspective méthodologique qu’ils adoptèrent. Ils étaient conscients des limites de chaque méthode employée, à savoir la conception atomiste de la société que donnent les statistiques, outil peu apte à rendre compte des interactions et des processus sociaux mais jouissant du prestige propre aux formules mathématiques et aux données de masse considérées comme plus scientifiques, ou encore l’impossibilité de standardisation des études de cas et des histoires de vie, pour cela souvent dévalorisées. Burgess, dans ses articles, insistera souvent sur « l’état d’enfance des sciences sociales ». Sa remarque peut sembler témoigner d’un signe de naïveté. Doit-on y voir la marque d’une illusion sur le progrès scientifique, possible pour les sciences de la société de la même manière que pour les sciences de la nature ? Elle peut être aussi analysée comme un signe de modestie, à l’image des personnalités de Burgess et de Shaw, l’un décrit comme un homme calme, sympathique et humble, le second comme un être chaleureux et prévenant. Les propos de Shaw rapportés à A. J. Reiss quant aux activités de prévention de la délinquance attestent de sa clairvoyance : Je ne crois pas, explique-t-il, qu’il y ait une ville [Chicago] dans ce pays qui ait plus d’agences sociales ou d’autres groupes qui travaillent avec les gens. Et pourtant, nous avons le taux de récidive le plus élevé du pays. Cela signifie qu’augmenter le nombre d’agences ne va pas nous aider. (...) De plus, il semble que (...) l’Institut [de Recherche Juvénile] n’est pas un facteur vital dans le processus de réhabilitation (Reiss, 1946, EWB, 36, 5). Shaw, guidé par sa quête de savoir et malgré son attachement à la cause réformiste, encouragea d’ailleurs Reiss à orienter ses recherches vers les limites de l’intervention sociale dans le processus de récidive ou de réhabilitation. Ainsi, les méthodes utilisées pour la connaissance du monde social comme pour le traitement social étaient considérées comme fragmentaires. La peine de sursis et la conditionnelle étaient estimées insuffisantes pour assurer la réinsertion sociale des condamnés car l’unité de traitement était l’individu et non la communauté. Le programme du Chicago Area Project, devait compenser cet écueil en aidant à la réorganisation des quartiers pauvres grâce à la coopération des résidents, et en contribuant à la réinsertion des anciens détenus. Même à l’égard de ce projet, une prise de distance peut s’observer lorsque Shaw soutient la thèse d’un processus naturel de réforme pour la plupart des délinquants.

En même temps, les sociologues se montraient soucieux des conditions et du contexte d’usage de leurs méthodes. La protection de la société devait passer par la prévention de la délinquance et de la récidive sur plusieurs fronts, la réhabilitation des délinquants et criminels mais aussi le développement de peines alternatives plutôt qu’une incarcération excessive des inculpés. Afin de mieux servir les principes d’individualisation de la peine, la table de prédiction de Burgess fut clairement destinée au Bureau de Libération Conditionnelle et, contrairement à celle du couple Glueck, moins précautionneux, non au juge lors du procès. Cette orientation leur a valu deux types de reproches, avec d’un côté, des accusations de sentimentalisme nuisible à la société, vis-à-vis desquelles ils se sont ardemment défendus, de l’autre des critiques sur leur complicité avec les élites de la ville et leurs revendications trop policées. Gilbert Geis, par exemple, s’étonne de l’indifférence apparente de la part de Shaw et de Burgess par rapport aux conditions de vie carcérales décrites par Stanley [dans The Jack-Roller] (Geis in Snodgrass, 1982, 123), une description de la misère et de la malveillance prise selon lui avec légèreté, voire ignorée. Il était fait mention des difficultés rencontrées par le système judiciaire, de la surpopulation carcérale, de la relation problématique entre la politique et la justice. Mais il est vrai qu’ils évitèrent un certain nombre de questions politiques sensibles et considérées non sociologiques comme les lois de prohibition ou le lien entre le crime organisé et la politique [18]. Resituées dans leur contexte, les idées du Chicago Area Project, souvent mises en contraste avec le radicalisme de Saul Alinsky (Short in Snodgrass, 1982, 147), en soutenant le leadership des membres des communautés défavorisées plutôt que les compétences des travailleurs sociaux non indigènes, étaient plus incisives qu’elles ne le semblent aujourd’hui. Cependant, l’approche générale des sociologues de Chicago consistait en une valorisation de la coopération entre la recherche en sciences sociales et les différents agents du système social (‘work within the system’) en vue de l’améliorer. Ce rapport de conciliation était privilégié tant entre la recherche et la pratique sociale qu’au sein même de la sociologie de la délinquance et de la criminalité, entre méthodes quantitatives et qualitatives.

La configuration consécutive de la sociologie américaine aviva les dichotomies théorie - empirie, méthodes quantitatives - qualitatives, avec le développement de nouveaux centres de recherche sociologique privilégiant d’un côté les méthodes statistiques appliquées à Columbia, sous l’influence de Paul Lazarsfeld recruté en 1940, de l’autre appelant, sous l’égide de Talcott Parsons, promu directeur du département de sociologie de Harvard en 1944, à la consolidation d’un système théorique en sciences sociales susceptible d’apporter plus de légitimité au champ universitaire. Quant au département de sociologie de l’Université de Chicago, il fut en proie à une véritable crise institutionnelle en 1951-1952, du fait d’une rupture générationnelle due au départ en retraite de Burgess et de Ogburn, du décès de Wirth et de la mutation de Blumer à Berkeley, ainsi que de problèmes financiers. Les tensions et rivalités interpersonnelles s’intensifièrent en l’absence de figures charismatiques et fédératrices. Elles allèrent bien au delà des positionnements intellectuels et inclurent les questions d’ordre méthodologique opposant des camps bien définis [19]. Les adeptes des méthodes qualitatives, Blumer et Hugues, mirent l’accent sur des situations sociales particulières et l’interactionnisme symbolique, donc sur la méthode d’observation participante au détriment des histoires de vie, moins appropriées. Ainsi, Becker résume la tendance observée après 1950 : (les professeurs) connaissent bien les histoires de vie et demandent à leurs étudiants de les lire. Mais ils ne pensent ordinairement pas à collecter des documents d’histoires de vie ou à intégrer la technique dans leur approche de recherche (Becker, 1970, 71-72).

Les statisticiens du Bureau de Libération Conditionnelle et sociologues de Chicago, entre autres Ferris F. Laune et Clark Tibbitts, puis entre 1947 et 1954 Lloyd Ohlin, Ottis Duncan, Daniel Glaser et Albert J. Reiss travaillèrent au perfectionnement de l’instrument de prédictibilité. L’échantillon de base de la table de prédiction fut élargi ; les différentes tables proposées furent évaluées avec l’aide, par exemple, de la contestable « réduction du pourcentage d’erreur » (percentage reduction in error) de Ohlin et Duncan ; des tentatives de prise en compte du poids des différents facteurs en jeu ainsi qu’une annexion de variables difficilement quantifiables furent initiées ; enfin, une évolution des tables vers une réduction du nombre de facteurs et une homogénéisation des échantillons pour gagner en efficacité fut préconisée, notamment dans la thèse doctorale de Reiss [20].

L’usage des méthodes actuarielles resta une spécificité de l’État d’Illinois jusque dans les années 1970, lorsque d’autres États suivirent son exemple tout comme l’United States Parole Commission, instaurant un « guide » de libération conditionnelle (parole guidelines) centré sur un nombre restreint de facteurs clés, dont la majorité est liée au casier judiciaire. En 1978, un revirement complet de la politique judiciaire en Illinois s’opéra. La libération conditionnelle fut abolie et l’État revint aux principes de la peine déterminée, à l’image de la Californie, du Maine et de l’Indiana. Quant aux méthodes actuarielles, elles se perpétuèrent sous une autre forme et s’étendirent à un tout autre contexte d’usage sous le label de « guide de recommandations de sanction » (sentencing guidelines), mis à disposition du juge pendant le procès. Différents modèles furent expérimentés au niveau des États comme au niveau fédéral. Vers la fin 1986, la commission fédérale chargée des guides remit son projet, inspiré par les modèles en usage au Bureau de Libération Conditionnelle, mais simplifiés pour faciliter leur utilisation. Deux facteurs principaux, le degré de gravité du délit et le casier judiciaire, y furent pris en compte et permirent de déterminer une durée de peine minimale et maximale pour les inculpés, au service de deux objectifs judiciaires, l’uniformité du traitement des inculpés et la proportionnalité du traitement en fonction de l’infraction commise. Les caractéristiques sociales des détenus, telles que le statut socioéconomique, le parcours scolaire et professionnel, les liens et les responsabilités familiales etc., en furent exclues car considérées comme non pertinentes dans l’attribution de peines. Dans la pratique, une alternative classique aux guides se développa, la négociation des chefs d’inculpation (plea bargaining et charge bargaining). Avec le développement de guides à disposition des juges excluant les facteurs sociaux, et celui des négociations de peines, les décisions de la justice pénale s’éloignèrent alors distinctement des objectifs auparavant centraux de réhabilitation et de réinsertion sociale des délinquants et criminels, dont l’élément fondamental résidait dans la flexibilité de la durée de peine et une attention tournée vers l’évolution du détenu pour décider de sa libération [21]

Conclusion
Le retour ou détour par l’histoire du Bureau de Libération Conditionnelle et par l’approche méthodologique des sociologues de Chicago, leurs réflexions, nous offre des clés pour comprendre la situation présente, et par contraste pour la mettre à distance. La situation du Bureau en 1937, par exemple, démontre que l’existence d’un système de libération conditionnelle ne signifie pas pour autant qu’il est effectif, tout particulièrement lorsqu’il est soumis à de fortes pressions médiatiques et publiques. De plus, les mises en garde passées quant aux dérives possibles d’un système d’individualisation de la peine vers des peines déterminées semblent avoir été oubliées, l’application de guides à la décision (guidelines) par les juges, sous-jacente au projet de loi Ward-Schnackenberg et décriée par le professeur Puttkammer, s’est généralisée. Enfin, le recours privilégié aux méthodes actuarielles par rapport aux méthodes cliniques du Bureau de Libération Conditionnelle, son usage parfois exclusif, considéré comme un mésusage par les sociologues de l’entre-deux-guerres car il transforme la structure en bureau d’attribution de peines usant d’une procédure de peine ferme ou déterminée (...), un type de procédure identique à celui que le juge utilise et que le bureau de libération conditionnelle devait éliminer (Parole, report on corrections, EWB, 36, 4), s’est considérablement banalisé. En cela, l’expansion et la routinisation des méthodes actuarielles dans le système pénal, suivant certainement un processus généralisé de modernisation de la société décrit par Balandier comme la [réduction de] la marge laissée à l’empirique, la [substitution] au jugement individuel et concret des procédures de décision ‘techniques’, c’est-à-dire toutes faites et automatiques (Balandier, 1985, 159), en plus de leurs nouveaux attributs, sont des ferments d’une justice rétributive, c’est-à-dire d’un retour à une formule abstraite et automatique de la loi avec une considération prégnante du crime au détriment de la personne sociale ayant commis une infraction pénale, d’objectifs de protection de la société par l’intimidation et l’incapacitation plus que par la réhabilitation sociale des délinquants.

Aussi, les scissions méthodologiques dans les sciences sociales, le déséquilibre dans la pratique judiciaire entre méthodes actuarielles et méthodes cliniques, prolongements respectifs de méthodes quantitatives et qualitatives, ainsi qu’une décontextualisation de l’usage des outils de prédiction, apparaissent comme des mécanismes contribuant aux transformations de l’orientation judiciaire américaine. Si l’on accepte le fait que la modernité ne se résume pas au progrès scientifique et à la sophistication technique, l’approche méthodologique des sociologues de Chicago, malgré d’incontestables limites, un caractère rudimentaire et des signes épisodiques de naïveté, pourraient être qualifiés d’alter-moderne [22]. Ces derniers manifestaient un souci tout particulier d’équilibre méthodologique au sein de leur discipline comme dans la pratique judiciaire. Ils avaient souligné l’importance des conditions d’usage de leurs outils et mené des réflexions abondantes sur une justice au plus proche des besoins de chaque catégorie d’acteurs. En guise de conclusion, nous aimerions inviter au développement de réflexions éthiques sur la justice et sur les instruments, les méthodes et les techniques dont elle dispose, car l’approche actuarielle (...) implique une décision politique et morale sur le type de monde que nous créons. Un choix normatif doit être fait. Le problème, s’il y en a un, n’est certainement pas la prolifération de nombres, ni l’identification de régularités statistiques. Le problème, c’est plutôt ce que nous faisons avec ses informations (Harcourt, 2003, 149).

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Source
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Marie Fleck
Doctorante en sociologie, Université Marc Bloch, Strasbourg. marie_fleck@yahoo.com

Notes:

[1] Par méthodes cliniques, nous entendons l’approche du sujet effectuée par le Bureau de Libération Conditionnelle, à partir des diagnostics du psychiatre, des travailleurs sociaux puis des sociologues, grâce à des entretiens, des études de cas ou des histoires de vie.

[2] Les méthodes actuarielles dans la loi pénale correspondent à l’utilisation de méthodes statistiques sur d’importantes bases de données pour déterminer les différents niveaux d’incrimination associés à un ou plusieurs trait(s) de groupe, afin de prédire les comportements criminels passés, présents ou futurs, afin d’administrer une mesure de justice pénale (Harcourt, 2007).

[3] C’est une des hypothèses que retient Bernard Harcourt, interprétant le recours passé aux méthodes cliniques comme un choix « par défaut » (Harcourt, 2003, 102) : le développement et le raffinement de l’approche actuarielle appliquée à la loi pénale (...) avaient initialement pris la forme d’un modèle clinique par défaut.

[4] Cf. données d’archives, au sujet du risque de routinisation inhérent à la table de prédiction, explicite à travers l’expression rule of thumb methods of the actuary, c’est-à-dire l’application large d’une méthode qui n’est pas strictement exacte et fiable à chaque fois (Burgess, 1938, EWB, 193, 1 ; Benson to Burgess, 1941, EWB, 36, 4 ; Report on Corrections, Parole, 1946, EWB, 36, 4)

[5] Note méthodologique : Les sources provenant de fonds d’archives ont été collectées pour l’essentiel à Special Collections de Joseph Regenstein Library (d’où l’abréviation SC-RL), à l’Université de Chicago, à partir des collections Ernest Watson Burgess Papers (EWB) et Ernest Watson Burgess Addenda (EWBa). Lorsque la date de rédaction d’un document n’est pas spécifiée, nous avons tenté soit de la retrouver précisément, soit d’en faire une estimation la plus précise possible, à partir des informations factuelles recueillies au sein de ces documents. Aussi, une grande partie de ces documents n’ont pas fait l’objet de publication, dans le cas contraire, nous donnons les indications nécessaires, dans la mesure du possible.

[6] Son originalité résidait dans la demande de participation active de la part des résidents, le recrutement de leaders locaux, d’anciens délinquants réformés, estimés, une fois formés, plus aptes à intervenir de par leur charisme et leur connaissance du monde environnant, que bon nombre de travailleurs sociaux, étrangers au quartier.

[7] In Bruce, Harno, Burgess, 1928a, cf. la description de l’ancien système (67-68) par le président du Bureau H. Clabaugh, insistant sur le manque de personnel, des décisions de libération peu fondées (guess out of prison), et celle du nouveau système (76) : [ce que l’on prend en considération, c’est] une combinaison de faits et circonstances. Tout d’abord l’histoire de la personne, son éducation, sa mentalité, sa condition physique, son attitude par rapport à la discipline et la société, telle qu’elle apparaît dans les rapports de différentes institutions. En plus de cela, nous prenons en considération ses anciennes habitudes, ses associés, l’environnement dans lequel il a grandi, tous les faits et circonstances en rapport avec l’histoire de la personne avant qu’elle commette une infraction, dans les limites des données disponibles, la perpétration du délit et sa conduite depuis et au moment de l’inculpation, son apprentissage d’une ou plusieurs compétences professionnelle(-s) pendant son incarcération, sa participation scolaire et religieuse durant son incarcération, et enfin, nos propres conclusions après avoir parlé en détail avec le prisonnier et après l’avoir examiné plusieurs fois avant qu’on lui accorde une libération conditionnelle.

[8] In ibid., (81) : il y a, expliquent les chercheurs, soit une profusion de matériel désordonné, soit très peu d’informations au sujet des détenus ; le manque de compétences sociologiques des membres du Bureau qui savent difficilement comment utiliser ce type de matériel constitue également un problème.

[9] Cf. “Needed - A Sociologist” in id., (188), et autres mentions de la nécessité du recours à la sociologie en dehors de la sphère universitaire.

[10] Ceci montre que les sujets matières à prédiction sont très variés (Burgess, 1950, 47-52) ; l’élaboration d’une table appliquée à l’ajustement au mariage fait suite aux inquiétudes vis-à-vis du taux de divorce et à la question de la légifération contre le divorce. Elle est destinée aux « centres de conseils pré-/post- maritaux ».

[11] Burgess, Shaw et McKay, et même Sutherland à ses débuts adoptent cette perspective multifactorielle.

[12] Par exemple, il y a amalgame entre le taux de criminels professionnels libérés et incarcérés, or ceux-ci sont certainement plus nombreux en prison qu’à l’extérieur car une sélection est faite par le Bureau - cela amène à des affirmations peu fiables, telles que les « criminels professionnels » sont peu nombreux soit de facto, soit car ils sont moins souvent interpellés ; cf. Glaser, 1950, 20.

[13] Cf. tableau p. 7 de cet article : les résultats portent normalement sur chacune des 3 institutions correctionnelles de l’Illinois, Menard, Pontiac et Joliet. Nous avons ici calculé une moyenne des 3 pour des raisons de synthétisation.

[14] In Bruce, Harno, Burgess, 1928a, 68 : Bruce raconte que souvent ça prenait un jour, parfois deux et même trois jours à un membre de la commission pour démêler la masse de matériel d’une de ces enveloppes (jackets), pour l’arranger, le lire et le digérer.

[15] Nous pouvons supposer qu’il y ait eu un peu plus d’histoires collectées, car certaines ont été perdues lors de déplacements du département et des fonds d’archives dans les années 1960. La méthode, cependant, n’a jamais été utilisée de manière extensive ; aussi parmi les 133 histoires restantes, un nombre important d’entre elles sont incomplètes.

[16] En 1926, on dénombre 4 986 détenus (Bruce, Burgess, Harno, 1928b EWB, 35, 1) puis plus de 15 000 en 1939 (Puttkammer, 1939, EWB, 193, 2)

[17] Cf. les commentaires de l’archiviste Gary Stockton, 1983 à la Chicago Historical Society, par rapport au fond IJR - Life Histories : Shaw commence probablement à collecter des histoires de vie dès 1921 et au moins jusque dans les années 1940, bien que nous ne soyons pas sûrs de la date marquant la fin de collecte.

[18] Cf. Reynolds, 1995, 79 au sujet de John Landesco ; l’auteur s’interroge et propose des hypothèses quant à l’absence relative de travaux sur le crime organisé dans la sociologie de Chicago, et sur la publication très tardive du travail de Landesco en rapport avec le crime organisé.

[19] Cf. Chapoulie, 2001, 200, expliquant que l’usage ou non de statistiques en 1950-1960 constituait une ligne de partage entre le clan Hauser vs Hugues et Warner puis Janowitz ; voir in Abbott (Gaziano), 1999, 34-79 pour un compte rendu et une analyse détaillée des conflits durant la période de transition intergénérationnelle à l’Université de Chicago, ainsi que Bogue, 2005 pour une brève présentation de son point de vue personnel sur la situation en 1952, à son arrivée à l’Université, the department felt depleted and weakened.

[20] Cf. la thèse d’Albert J. Reiss, Jr., 1949 : il retient 4 facteurs « stables » et (les plus) « efficaces ». Aussi, il démontre que l’homogénéisation des échantillons (en séparant les délinquants/ criminels Blancs des Noirs, ou en basant la table sur des catégories de crime ciblées etc.) devrait faire apparaître les facteurs cachés et donc permettre une meilleure prédictibilité des comportements.

[21] Pour plus de détails sur l’usage des méthodes actuarielles aujourd’hui et les conséquences qui en découlent, cf. Harcourt, 2003, 2007, et les travaux de Michael Tonry, 1987a, 1987b, 1995

[22] Nous optons pour le terme alter-moderne, par opposition à la définition plus classique de moderniser selon Balandier, présentée supra.