Le 23 mars dernier, un décret paraissait au journal officiel visant à préciser les modalités de la procédure de mise à l’isolement. Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux droits de l’Homme, remarquait dans son rapport sur le respect effectif des droits de l’Homme en France, publié le 15 février 2006 : "La procédure administrative [de mise à l’isolement] présente un certain nombre de problèmes de nature à remettre en question le respect des droits fondamentaux des personnes (...). Aucun texte législatif, ni réglementaire, concernant cette procédure n’assure les droits des personnes qui y sont soumises, en particulier pour la rendre contradictoire, et avec l’assistance d’un avocat." L’article 24 de la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, a été fort peu appliqué aux personnes incarcérées dans leurs relations avec l’administration pénitentiaire (en dépit de la circulaire du 9 mai 2003 relative à l’application de cet article de loi).
Avec l’arrêt REMLI du 31 juillet 2003, il est dorénavant considéré que l’isolement est une mesure faisant grief, dans la mesure où il aggrave les conditions de détention ; la mesure est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. L’administration pénitentiaire entame alors une réforme de l’isolement administratif ; il s’agit de clarifier par décret les règles de compétence et de calcul de la durée d’isolement. Transitoirement à l’élaboration complète des textes régissant la procédure, une note du directeur de l’administration pénitentiaire, datée du 21 juin 2004, indique aux établissements la procédure à suivre lorsqu’une mesure de placement ou de prolongation d’isolement, pour raison de protection ou de sécurité, est envisagée.
Le décret du 21 mars, paru au journal officiel du 23 mars 2006, précise le cadre de cette mesure. Celle-ci est prise pour des raisons de sécurité ou de protection, d’office ou à la demande de la personne. La décision initiale relève du chef d’établissement ; la période initiale est de 3 mois au plus, renouvelable. Le directeur régional est informé de cette mesure. Toute décision de placement ou de prolongation d’isolement est communiquée au juge de l’application des peines, pour les personnes condamnées, et au juge chargé de l’instruction, pour les personnes en détention provisoire. Ces magistrats doivent être consultés avant toute décision de prolongation d’isolement au-delà d’1 an. Le placement à l’isolement reste possible au-delà de 2 ans, s’il constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement. La procédure imposée à l’administration s’alourdit au fur et à mesure des prolongations. Les observations de la personne concernée et, le cas échéant de son avocat, sont jointes au dossier de la procédure. Les personnes placées à l’isolement conservent leur droit à l’information, aux visites, à la correspondance et à l’exercice du culte. Il est prévu qu’elles participent aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes soumises au régime de détention ordinaire. Pour la promenade, des dispositions sont prises pour qu’elle ait lieu ; néanmoins, elle se déroule dans des conditions de durée et d’espace restreints. Concernant les activités telles que le travail ou la formation, il ne peut-être question pour les personnes à l’isolement de se rendre dans des lieux où sont présentes des personnes soumises au régime de détention ordinaire ; cela restreint considérablement l’accès aux activités. En effet, peu de chefs d’établissements organisent des activités spécifiques communes aux personnes placées à l’isolement (comme indiqué dans les textes). D’après les chiffres du ministère de la Justice (mars 2006), environ 500 personnes sont à l’isolement, dont 150 à leur demande.
Pour les personnes incarcérées, la mise à l’isolement est souvent vécue comme une sanction, simplement parce qu’elle est imposée. La prison est un milieu fermé impliquant pour la personne qui s’y trouve de nombreuses contraintes comme par exemple : la restriction de l’espace de circulation, la restriction des contacts et des échanges verbaux, la restriction sensorielle, la monotonie du travail mal rémunéré, la limitation d’association avec les autres, l’obligation d’obtenir une autorisation pour nombre d’actes de la vie quotidienne, etc. Les privations sociales, sensorielles, intellectuelles, cognitives, sexuelles engendrent une désocialisation de la personne, en dépit des stratégies d’adaptation mises en œuvre. L’isolement est un enfermement dans la prison. Ce mode de gestion de la détention nie, encore plus que la prison ne le fait déjà, l’identité et la dignité de la personne. Ne plus avoir de contact humain, c’est devenir un non-être. Nul, quels que soient les actes commis, ne peut être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Justifier un tel traitement par des impératifs de sécurité, c’est indexer les droits fondamentaux sur une raison plus forte, ce qui revient à en nier le principe même. La mise à l’isolement résulte parfois d’une demande de la personne. Cela même pose question. Si le mode de gestion de la détention ordinaire assurait le droit à l’intimité, le droit à conserver son intégrité et sa dignité, il en serait sûrement autrement. Quant à la protection des personnes, ne peut-elle pas être assurée sans avoir recours à ce mode de gestion antisocial par excellence ?
Le maintien à l’isolement est de toute évidence incompatible avec l’objectif de réintégration.
La rédaction
Ban Public
(Octobre 2006)