Communiqué
Paris le 2 janvier 2009
La Cour de cassation appréciera, pour la première fois, mardi 6 janvier à 14 h en audience publique, si les dispositions du Code pénal réprimant les conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine s’appliquent en milieu carcéral. Après l’aggiornamento du juge administratif, opéré au travers d’une série d’arrêts rendus par le Conseil d’Etat depuis un an, et explicité le 17 décembre 2008 lors d’un point de presse organisé par la haute juridiction administrative, c’est à l’autre cour suprême qu’il revient aujourd’hui de se prononcer sur l’applicabilité du droit commun en prison.
La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt du 3 avril 2008, par lequel la Cour d’appel de Rouen a confirmé le refus d’instruire la plainte déposée contre X par un détenu du chef d’hébergement contraire à la dignité humaine (article 225-14 du Code pénal). L’intéressé avait auparavant obtenu du Tribunal administratif de Rouen la condamnation de l’Etat pour faute à raison de ses conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de la ville. A la suite du juge d’instruction, la Cour d’appel a considéré que les faits incriminés relevaient de l’appréciation du juge administratif et non du juge pénal. Elle a également estimé que les dispositions « réprimant le fait de soumettre une personne à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, induisent comme contrepartie à l’hébergement, une forme d’exploitation de la personne hébergée en vue d’un certain enrichissement de l’exploitant des lieux, excluant ainsi la situation du détenu en milieu carcéral ».
Ce faisant, les magistrats de la Cour d’appel de Rouen ont pris le contre-pied de la solution retenue par leurs homologues de la Cour d’appel de Nancy, qui, dans un arrêt du 1er mars 2007, avaient estimé que des conditions indignes de détention tombaient bien sous le coup de la loi pénale. Ils avaient en effet considéré qu’il revenait au juge d’instruction, « abstraction faite de l’impossibilité légale de mettre en cause la responsabilité pénale de l’État, [...], de vérifier dans chaque cas 1) la réalité du caractère éventuellement incompatible avec la dignité humaine des conditions d’hébergement réservées à la personne détenue ; 2) de l’abus reproché aux personnes physiques en position, notamment en raison de leurs fonctions, de les créer ou d’y mettre un terme ;3) des causes d’irresponsabilité pénale, telles la contrainte, l’ordre de la loi ou le commandement de l’autorité légitime, susceptibles d’être invoquées par les personnes auxquelles cet abus, à le supposer établi, serait imputable ». En conséquence, ils avaient ordonné l’ouverture d’une information judiciaire, qui est toujours en cours.
Dans cette dernière affaire, le requérant, qui se plaignait de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Nancy, avait saisi dans un premier temps la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci ne pouvant l’être qu’après épuisement des voies de recours internes, elle avait invité l’intéressé à porter plainte auprès d’un juge d’instruction sur le fondement de l’article 225-14 du Code pénal.
La Cour de cassation est aujourd’hui amenée à trancher entre les positions des deux Cours d’appel. Le motif retenu à Rouen pour refuser d’ouvrir une instruction, consistant dans l’impossibilité légale de mettre en cause la responsabilité pénale de l’État, ne tient pas. Il est de jurisprudence constante qu’une procédure peut être exercée devant les juridictions pénales même dans l’hypothèse où la faute reprochée au fonctionnaire n’aurait constitué qu’une faute de service relevant du juge administratif pour son indemnisation (arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 janvier 1953).
D’autre part, les personnes incarcérées ne peuvent se soustraire à l’hébergement qui leur est imposé, de sorte que l’objection de la gratuité de l’hébergement ne peut en aucun cas être retenue les concernant. En conséquence, et en l’absence de distinction effectuée par le législateur selon que les personnes soumises à l’hébergement indigne sont libres ou sous écrou, la Cour de cassation appréciera si les hommes et femmes incarcérés sont soumis à un régime d’exception, ou si l’institution carcérale doit être pleinement soumise aux exigences de l’Etat de droit.
En 2000, les commissions d’enquête parlementaires avaient émis des critiques particulièrement sévères au sujet de l’état de délabrement des prisons françaises. Depuis, le Comité de prévention de la torture (CPT) et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont mis en cause à plusieurs reprises des conditions de détention constitutives de traitements inhumains et dégradants ; les autorités sanitaires départementales ont fait état en de nombreux endroits de locaux insalubres ; des experts architectes ont constaté la violation flagrante des prescriptions sanitaires dans les lieux où ils étaient missionnés. Pourtant, dans le même temps, les responsables en charge des services pénitentiaires, tout en consacrant un effort considérable pour rehausser très nettement le niveau de sécurité sur l’ensemble du parc pénitentiaire, se sont abstenus de prendre les mesures permettant d’assurer des conditions minimales d’hygiène et de salubrité dans les locaux de détention au sujet desquelles ils étaient régulièrement alertés. Selon un document interne du ministère de la Justice de juillet 2007, « la majorité de ce patrimoine [pénitentiaire] est ancien (54 % des bâtiments ont été construits avant 1920) et n’est plus conforme aux normes d’hygiène et de sécurité obligatoires pour l’hébergement des personnes écrouées [...] un établissement sur deux est antérieur à 1920 ; certains datent du 13è siècle ; vingt-cinq établissements sont identifiés comme devant fermer au plus vite ».
Lors de la clôture des Etats généraux de la condition pénitentiaire, le 14 novembre 2006, Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, avait invité ses collègues à assumer véritablement la « responsabilité particulière de protection des détenus » qui leur incombe, soulignant que « la prison est couverte par le droit » et que « comme tout citoyen, le détenu est placé sous la protection de la loi ». Le juge judiciaire ne saurait aujourd’hui demeurer étranger au mouvement de renforcement du droit en prison, initié par la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel le juge administratif s’est engagé à sa suite.
L’OIP rappelle que le droit au respect de la dignité humaine est intangible et que rien ne saurait justifier qu’il fasse l’objet d’une moindre protection en milieu carcéral. L’Observatoire rappelle également que, selon la jurisprudence européenne, lorsqu’une personne privée de liberté « formule une allégation défendable de [ traitement inhumain ou dégradant], des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables » doivent être conduites (CEDH, Selmouni c. France, 28 juillet 1999).