Dans les 191 prisons que compte l’Hexagone, la folie monte. A en croire les statistiques, 40 % des détenus seraient déprimés, 55 % anxieux, 10 % souffriraient de troubles dits psychologiques. Est-ce l’enfermement qui rend malade ? Ou est-ce la maladie mentale qui conduit en prison ? Pour tenter de répondre à ces interrogations, Serge Moati s’est rendu au service médico-psychologique régional (SMPR) du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Reçu dès son arrivée par un médecin, chaque détenu qui en fait la demande a la possibilité, en fonction des places disponibles, d’y être suivi durant son incarcération. En consultation avec le Dr Daban, psychiatre, un homme raconte ce qui l’a conduit derrière les barreaux. Un scénario à la James Bond, où il est question de valises diplomatiques dérobées, d’un attentat déjoué à l’arsenal de Toulon, de services secrets britanniques sur les dents et d’une conspiration pour le faire taire. Bien qu’un diagnostic de psychose de type schizophrénique paranoïde ait été porté sur son état, pour ce dernier la vérité est ailleurs : « Vous êtes complètement à côté de la plaque, Mme Daban, et je vais vous donner un conseil devant M. Moati : faites-vous suivre. Pour moi, vous avez un problème : vous refusez de croire à la réalité, vous êtes lobotomisée par la télévision, vous êtes manipulée. » A peine a-t-il tourné les talons que cette dernière interroge : « Que fait ce garçon en prison ? (…) Cela pose aussi la question de la présence du malade en détention, puisque lui refuse tout traitement, toute admission au SMPR, tout suivi psychologique ou psychiatrique. » Une question d’autant plus inquiétante qu’un jour il recouvrera la liberté et que « l’on se heurte au refus de tous les collègues de prendre en charge les patients à leur sortie, même s’ils relèvent d’une hospitalisation », pointe la psychiatre Christiane de Beaurepaire, ancienne chef de service du SMPR de Fresnes. « Ils n’ont pas d’argent, pas de CMU, pas de papiers, pas de famille : qui va les prendre ? La rue. »
Les dérives d’un système
A
l’origine, les vingt-six SMPR, créés en 1986 et gérés par le ministère
de la Santé, répondaient au besoin de suivre au sein des établissements
pénitentiaires « les gens déprimés, anxieux et parfois délirants » :
« On s’est aperçu ensuite, tempête le Dr Beaurepaire, qu’ils rendaient
pas mal de services et il y a eu un dévoiement de l’objectif.
C’est-à-dire que l’on s’est dit que puisqu’il y a des psychiatres et des
personnels médicaux en prison, on allait pouvoir y envoyer de plus en
plus de personnes qui emmerdent le monde à l’extérieur. (…) Avec un prix
de journée à 80 euros en détention, contre 800 euros pour des soins à
l’extérieur, vous comprenez bien que cela fait réfléchir. » La logique
comptable n’est pas seule en cause.
En demande d’une protection
maximale contre la dangerosité potentielle des malades mentaux, la
société attend que les institutions, et d’abord la justice, la
protègent. Vice-président du tribunal de grande instance de Paris, Serge
Portelli déplore le manque d’experts psychiatriques, « payés comme des
femmes de ménage », qui pousse à rendre pénalement responsables des
personnes malades : « J’ai longtemps cru que l’on mettait les fous en
prison par erreur. Je ne le crois plus. Je crois qu’on les met en prison
parce que l’on a envie qu’ils y aillent. La prison est devenue un lieu
d’enfermement du fou comme un autre. » Rappelant qu’il y a « sept fois
plus de schizophrènes en prison que dans la population générale, vingt
fois plus de psychoses maniaco-dépressives, des démences d’Alzheimer en
veux-tu en voilà », Christiane de Beaurepaire constate, amère :
« L’opinion publique applaudit au fait que, finalement, tous ceux qui
risquent de troubler l’ordre public et la sécurité du citoyen se
retrouvent en taule. »
Christine Guillemeau