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Droits civiques et politiques en prison

La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention (Comité des Ministres Conseil de l’Europe)

Mise en ligne : 27 mai 2006

Dernière modification : 26 septembre 2010

Résumé : En janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation (2006) 2. Cette Recommandation contient la version révisée des Règles Pénitentiaires Européennes. Une nouvelle Règle - Règle 50 - stipule que les détenus doivent être autorisés et encouragés à discuter des questions relatives à leurs conditions générales de détention avec les administrations pénitentiaires. Dans cet article, j’examine la législation actuelle dans les Etats membres du Conseil de l’Europe qui a rapport à cette question et les réglementations administratives pour la mise en œuvre de la législation. Les résultats de la participation des détenus dans 26 prisons de l’Angleterre et Pays de Galles sont décrits. Le fonctionnement des comités consultatifs de détenus est discuté par rapport aux inspections faites par le Comité pour la Prévention de Torture (CPT) du Conseil de l’Europe. Enfin, je présente les démarches nécessaires pour favoriser l’existence des comités consultatifs de détenus et pour encourager des recherches.

Texte de l'article :

English

Cette étude a été réalisée dans la perspective du Congrès international pénitentiaire qui s’est tenu, à Barcelone, du 31 mars au 1er avril 2006 et de la conférence organisée, avec Norman Bishop, par le club social-démocrate « DES Maintenant en Europe », le 4 avril à la Maison de l’Europe de Paris.

Introduction
Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, réuni le 11 janvier 2006, vient d’adopter la nouvelle version des « Règles pénitentiaires européennes ». Une nouvelle Règle - la Règle 50 - concerne directement notre sujet.

La Règle 50 est ainsi rédigée :
« Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ».

Le Commentaire sur la Recommandation (2006)2 concernant la Règle 50 apportent les précisions suivantes :
« La Règle 50 énonce d’autres principes directeurs supplémentaires pour éviter que le droit de communiquer des détenus ne fasse l’objet de restrictions inutiles. Le bon ordre dans tous ses aspects a des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties. Dans cet esprit et à condition que cela ne pose pas de problèmes de sécurité connexes, les détenus devraient être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention. Il est dans l’intérêt de tous les détenus que les prisons fonctionnent sans heurts et il n’est pas exclu qu’ils aient des suggestions utiles à faire. Pour cela et d’autres raisons, il serait souhaitable qu’ils puissent faire part de leurs points de vue à l’administration pénitentiaire. Il revient aux administrations pénitentiaires nationales de décider de la forme que prendront les communications entre détenus. Certaines administrations peuvent permettre à leurs détenus d’élire des représentants et de constituer des commissions capables d’exprimer les sentiments et les intérêts de leurs co-détenus. D’autres peuvent choisir diverses formes de communication. Lorsque les détenus se voient accorder un droit d’association, sous quelque forme que ce soit, le personnel et l’administration pénitentiaire devraient empêcher les organes représentatifs d’exercer une quelconque influence sur les autres détenus ou encore d’abuser de leur situation pour influencer, de manière négative, la vie du centre de détention. Les réglementations pénitentiaires peuvent stipuler que les représentants des détenus ne sont pas habilités à agir au nom d’un détenu en particulier.

Autrement dit, la Règle comme le commentaire encouragent la mise en place de moyens de communication qui permettraient aux détenus de porter plainte, d’exprimer leurs points de vue et de proposer des changements dans la vie collective. Seuls les impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité devraient limiter l’application de la Règle.

Mais on peut penser qu’il y a une autre limitation. En effet, les recommandations du Conseil de l’Europe ne sont pas contraignantes vis-à-vis des Etats membres. Elles ne sont - comme le titre l’indique - « que » des recommandations. En conséquence, les Etats membres ne sont pas juridiquement obligés de les suivre.

Or il faut rappeler que la Recommandation a été soigneusement élaborée par un comité d’experts, a ensuite été examinée par le Comité européen pour les problèmes criminels puis par le Comité des Ministres dans lequel les quarante-six Etats membres du Conseil de l’Europe sont représentés par leurs ambassadeurs. Ils ont adopté la Recommandation (2006) 2 à l’unanimité. Après une telle procédure, il est de la responsabilité des Etats membres de donner suite aux propositions de la Recommandation.

Il convient de rappeler aussi que les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont mis au jour des faiblesses et des carences dans l’administration des prisons de tous nos pays. La Règle 50 souligne que les critiques des mauvaises conditions de détention et les suggestions pour leur amélioration ne devraient pas être une prérogative limitée aux inspections des comités de surveillance nationaux ou internationaux. Les détenus aussi ont des raisons tout à fait légitimes de présenter leurs points de vue sur ces questions.

La définition de la participation des détenus à leur vie collective en prison
Je définis la participation des détenus à l’organisation de la vie en détention en me référant aux procédures et structures qui permettent aux détenus d’exprimer leurs points de vue sur un ensemble large et divers de questions concernant la vie collective en prison. On emploie beaucoup de termes pour ces formes de consultation - surtout en anglais. Pour des raisons de simplicité, je propose d’employer l’expression « comité consultatif de détenus » (ou pour faire simple « comité de détenus »). Cette définition exclut les consultations des détenus concernant la façon d’exécuter leur peine ou de planifier les mesures de traitement sur le plan individuel. Les comités consultatifs de détenus peuvent fonctionner au niveau des quartiers ou à celui de la prison dans son ensemble.

Besoin d’informations plus complètes
Si la Règle 50 est nouvelle, l’usage des comités de détenus lui ne l’est pas [1], et fait l’objet, au moins dans une certaine mesure, de politiques et de législations en Europe. Mais ces politiques, réglementations et pratiques n’ont donné lieu qu’à très peu de recherches nationales ou internationales sur leur création et leur fonctionnement, et nous avons aujourd’hui besoin de développer les recherches en ce domaine de manière à favoriser leur développement.

C’est donc en gardant à l’esprit que les savoirs en ce domaine restent lacunaires que je voudrais commencer par décrire quelques-unes des législations, politiques administratives et pratiques qui touchent la question des comités de détenus dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Législation 
Certains pays - sans doute une minorité - possèdent des dispositions législatives sur la participation des détenus à la gestion générale des prisons. Une telle législation existe, par exemple, en Belgique, Danemark, Finlande, Allemagne, Pays-Bas, Espagne et Suède. Souvent les dispositions sont assez brèves et consistent pour la plupart en considérations générales. Certaines de ces législations précisent sous quelles conditions on peut imposer des limitations à ces procédures de consultation et quels sont les détenus qui peuvent être exclus des comités.

La disposition de la loi finlandaise, en la matière, est assez restreinte : « Il peut être permis aux détenus de se réunir sous surveillance pour planifier les loisirs ou de traiter de questions concernant la vie commune » [2].

L’Article 74 de la loi néerlandaise sur les principes pénitentiaires énonce que le directeur d’une prison doit s’assurer que des consultations régulières concernant les questions concernant directement la détention [3] ont lieu avec les détenus. Un mémorandum explicatif indique, sans détailler la chose, que la mise en oeuvre des consultations varie selon les différentes prisons et la catégorie des détenus qui y sont incarcérés.

Une nouvelle loi belge sur l’emprisonnement [4] exige « la création d’un organe consultatif et structurel comprenant des représentants des détenus » pour créer « un climat de consultation » dans les prisons. Le modus operandi de cet organe sera élaboré, par la suite, par un décret royal.

La loi de la République Fédérale d’Allemagne se réfère à la notion de « co-responsabilité ». L’Article 160 stipule qu’il « devrait être rendu possible que les détenus participent, en co-responsabilité avec l’administration pénitentiaire, aux questions de fond relatives à l’intérêt collectif relativement à la nature et à la mission de la prison concernée ». Cette disposition définit le but important de la législation, c’est-à-dire le partage de responsabilité. Cependant, la mise en œuvre de la loi reste entre les mains des gouvernements des Länder. D’après mes informations, beaucoup de prisons n’ont pas de comités de détenus malgré la formulation par certains gouvernements des Länder d’instructions précises. Lorsque ces comités existent, des réunions avec le directeur de la prison ont lieu tous les deux mois et les sujets abordés concernent surtout l’alimentation et les activités de loisir. Il est interdit de discuter des membres du personnel, des détenus individuels ou des questions de sécurité [5]. Il serait intéressant d’en savoir plus concernant les Länder qui encouragent la création des comités de détenus, et d’approfondir notamment la question de savoir s’il y a des critères d’exclusion de certaines catégories de détenus de ces comités ainsi que des débats relatifs à leur fonctionnement.

La loi suédoise sur le traitement des détenus stipule que « les détenus ont le droit de discuter, sous une forme appropriée, avec l’administration locale les questions d’intérêt commun. Ils ont aussi le droit d’organiser, sous une forme appropriée, des réunions entre eux pour discuter ces questions. Un détenu qui est séparé des autres détenus peut participer à de telles réunions à la condition que sa participation n’entraîne pas d’inconvénient (drawback) » [6].

La loi espagnole sur le traitement des détenus consacre le Chapitre 6, Articles 55 - 61 à régler en détail les élections des comités de détenus et leur façon de fonctionner. Les consultations ont lieu avec les comités de détenus dans chaque quartier de la détention. Les fonctionnaires transmettent les suggestions des comités au directeur. Les questions qui peuvent être discutées sont limitées à la religion, au travail, aux activités culturelles et sportives, à l’alimentation. Cependant, le Conseil des Directeurs des Prisons peut étendre le champ des discussions. Il serait intéressant de savoir si cette extension a effectivement lieu, et, si oui, sur quelles questions. Les détenus qui subissent une sanction disciplinaire pour des infractions graves ne sont pas éligibles aux élections des comités et le Conseil des Directeurs des Prisons peut suspendre toute consultation en cas de perturbation dans la prison. Il serait intéressant de savoir si le Conseil des Directeurs des Prisons a étendu le champ des discussions ou s’il a décidé de limiter leur opération.

La loi danoise sur l’exécution des peines (Sentence Enforcement Act) énonce en introduction la raison d’être des comités de détenus et, par la suite, les conditions fondamentales de leur fonctionnement :
- (i) Il faut que les détenus aient la possibilité de participer à l’organisation de la vie dans les prisons par le biais de comités de détenus élus.
- (ii) Un représentant doit être élu dans chaque quartier ou pour des groupes spécifiques de détenus. Tous les détenus sont éligibles à la fonction de représentant. Tous les détenus ou les représentants ont le droit d’élire un représentant commun. Les représentants et le représentant commun sont élus par scrutin secret sous le contrôle de l’administration et des représentants des détenus.
- (iii) Les détenus ne sont pas autorisés à discuter de cas individuels ou des questions de sécurité.
- (iv) Le Ministère de la Justice précisera les règles relatives à la mise en œuvre de la participation des détenus.

Ainsi, bien que limitée, l’enquête révèle l’existence de législations dans un certain nombre du pays membres du Conseil de l’Europe qui autorisent la création de comités de détenus. Il est toutefois évident que ces législations varient beaucoup concernant la spécificité des dispositions énoncées. Ceci soulève une question préalable : quelles sont les dispositions essentielles dans la législation propices à promouvoir ces formes de communication entre les détenus et l’administration pénitentiaire ? Plus spécifiquement, dans quelle mesure il est souhaitable d’inclure des dispositions qui
- précisent que les détenus ont le droit de discuter avec l’administration pénitentiaire sur les conditions de vie dans la prison ?
- assignent des limites aux sujets qui peuvent être discutés ?
- précisent sous quelles conditions les consultations ne peuvent pas avoir lieu ?
- spécifient des détenus inéligibles à participer aux consultations ?

Politique et réglementations administratives
Les instructions qui émanent des directions des administrations pénitentiaires complètent les dispositions de la loi et guident la mise en pratique de la loi. Je n’ai pu déterminer dans quelle mesure de telles instructions existent en Finlande, aux Pays-Bas et dans les différents Länder en Allemagne. En Suède, les comités de détenus existent presque partout malgré l’absence de réglementation administrative. En général, on peut penser que l’absence de circulaires ou d’autres documents qui énoncent la politique à suivre concernant les consultations avec les détenus crée un double risque. D’abord, l’initiative de création de procédures de consultation incombe aux directeurs des prisons ; il est possible que de telles initiatives soient bien planifiées et exécutées, mais l’absence du soutien de l’administration centrale laisse néanmoins seuls les directeurs face à des décisions importantes qui peuvent s’avérer arbitraires - par exemple, si certains détenus doivent être exclus des consultations. Le second problème est qu’un changement de directeur peut entraîner qu’une procédure de consultation tombe en désuétude.

Les dispositions d’un Ordre Exécutif pour la mise en œuvre des comités de détenus établi par l’administration centrale danoise (2001) sont extrêmement détaillées et à mon avis, réalistes. Les directeurs des prisons sont contraints de discuter régulièrement avec les représentants élus et d’enregistrer le contenu de ces discussions. De plus, les directeurs peuvent entreprendre d’autres réunions avec l’ensemble des détenus mais de telles réunions ne doivent pas remplacer la procédure formelle sauf si les détenus d’une prison particulière ne souhaitent pas élire des représentants. Ces représentants doivent bénéficier d’un temps suffisant et être rémunérés afin qu’ils puissent rencontrer les détenus qu’ils représentent. Les représentants peuvent avoir des suppléants élus. Les directeurs des prison sont contraints de définir des règles sur le nombre des représentants, la fréquence des élections, l’élection éventuelle d’un représentant commun qui serait élu par les autres représentants ou par l’ensemble des détenus, la fréquence des réunions entre représentants et la direction de la prison, ainsi que sur la question de savoir si les consultations auront lieu avec la direction pour la prison dans toute son étendue ou avec les sous directions responsables pour les différents quartiers de la prison. Il faut que les règles soient définies en collaboration avec l’association du personnel et les représentants, ou, s’il n’y en a pas, avec l’ensemble des détenus.

L’Ordre Exécutif contient aussi des dispositions qui autorisent les directeurs à suspendre et les droits des représentants et les procédures de consultation « si une telle action s’avère nécessaire pour les raisons très particulières », par exemple, si un représentant est exclu de l’association avec les autres détenus suivant l’Article 63 de la loi sur l’exécution des peines. Cette Section autorise l’exclusion d’un détenu de l’association pour empêcher une évasion ou en raison de sa participation à des activités criminelles, violentes ou problématiques.

Les instructions circulaires ou autres documents sur les politiques de l’administration pénitentiaire ont une grande importance pour la mise en pratique de la loi. L’usage large et réaliste des procédures de consultation ne peut pas s’effectuer sans des instructions ou des principes qui exigent, ou au moins encouragent fortement leur adoption tout en formulant les principes fondamentaux de leur mise en œuvre. A mon avis, l’Ordre Exécutif danois constitue un exemple admirable de ce que doit se trouver dans une instruction circulaire.

Quelques autres exemples de l’usage des comités consultatifs de détenus
Différentes prisons de pays de l’Europe centrale et orientale connaissent également des comités de détenus. Je n’ai cependant pas pu obtenir d’informations ni sur les lois et les dispositions administratives ni sur leur façon de fonctionner. M. Roy Walmsley, chercheur à l’Institut européen pour la prévention et contrôle du crime à Helsinki (HEUNI) écrit qu’il a constaté l’existence de comités de détenus ou de procédures de consultation similaires en Bosnie, Herzégovine, Croatie, Bulgarie et République Tchèque.

R. Walmsley constate dans son rapport [7] que la notion de comité de détenus « semble fonctionner en plusieurs endroits, certainement de façon incertaine dans sa forme et ses effets, mais je pense que ces procédures existent même dans d’autres pays de la région, au moins dans une ou deux prisons et plus largement là où elles sont spécialement encouragées par l’administration centrale [8]. »

Il serait intéressant d’étudier plus précisément cette dernière dimension.

Il est encourageant d’apprendre que les pays de l’Europe centrale et orientale ont commencé à autoriser les comités de détenus. Mais il semble que cet usage soit limité à quelques établissements spécifiques et qu’il n’ait pas fait l’objet d’une action législative et administrative ferme visant à assurer un changement significatif dans le fonctionnement du système pénitentiaire. La vulnérabilité des procédures consultatives dans un établissement particulier aux changements de directeur s’applique aussi bien pour les systèmes pénitentiaires des pays de l’Europe centrale et orientale que dans les pays d’Europe de l’Ouest.

Les comités consultatifs de détenus en Angleterre, la pratique et la recherche
Une des meilleures descriptions du fonctionnement des comités de détenus vient de l’Angleterre. Etant donné qu’il s’agit d’un des rares exemples de description large et systématique je le traiterai en détail. Les dispositions formelles concernant les comités de détenus se trouve dans l’Ordre du Service Pénitentiaire 4480 (Prison Service Order 4480) sur les associations représentatives des détenus. L’Ordre permet la création des comités de détenus sans pour autant encourager une telle création. L’Ordre énonce les critères généraux pour leur création et stipule les limitations qui s’appliquent si les administrations régionales ou locales et les détenus souhaitent les introduire.

Une organisation non gouvernementale, La Fondation pour la réforme des prisons (Prison Reform Trust) a identifié en janvier 2001 vingt-sept prisons avec des comités de détenus en fonction [9]. Sept de ces prisons ont été visitées entre mars et août 2003 et des entretiens avec les représentants des détenus et le personnel engagé dans les consultations ont été réalisés. Les établissements étaient très divers et comprenaient une prison pour femmes, une prison pour jeunes adultes et plusieurs prisons avec un grand nombre de détenus. Un des derniers établissements hébergeait plus de mille détenus. Le questionnaire employé pour les entretiens était envoyé aux vingt autres prisons ; dix-neuf ont répondu. Les questions posées concernaient les procédures de travail des comités, les sujets traités dans les réunions et les effets concrets du dispositif sur la vie en prison. Je présente brièvement quelques résultats importants de l’étude [10].

Comment les comités consultatifs sont-ils constitués ?
Dans la plupart des prisons, et notamment dans celles recevant un grand nombre de détenus, les comités et les représentants se constituent au niveau des quartiers. En général, les représentants ne sont pas élus à bulletin secret. A la place d’une élection formelle, les détenus doivent exprimer leur souhait d’être représentant ou sont recommandés par d’autres détenus ; ils deviennent représentants à la suite d’un consentement informel. Le personnel a tendance à encourager les détenus considérés comme « corrects » (suitable) à s’engager. Selon les auteurs du rapport, il n’y a pas de raison de penser que cette procédure spécifique ait entraîné le recrutement de détenus « incompétents » (completely unsuitable).

Qui décide de l’ordre du jour ?
Le directeur ou un surveillant gradé préside le comité. Les ordres du jour sont assez flexibles. Les représentants consultent leurs codétenus sur les sujets à aborder ; ils ont aussi souvent la possibilité de soulever les sujets de façon spontanée et informelle. La grande majorité des personnes interviewées est d’accord pour affirmer que les représentants peuvent véritablement soulever des questions d’importance pour les détenus et leurs conditions de vie. La direction peut recevoir un véritable feedback sur les idées concernant l’organisation de la vie en détention.

Quels sont les sujets traités ?
Un tableau dans le rapport original indique le nombre de comités qui ont discuté les différentes questions, et, à l’inverse, ceux qui n’ont pas discuté certaines questions ou encore qui estimaient que certaines questions n’étaient pas appropriées ou pertinentes pour la discussion. Le tableau montre que les questions importantes pour la vie quotidienne des détenus sont abordées, comme l’alimentation, les visites, le travail, la télévision, les relations avec le personnel, les programmes d’éducation, les traitements de la toxicomanie, l’accès au téléphone, etc. Les questions relatives aux relations ethniques, aux traitements de la toxicomanie et à certaines plaintes n’ont pas été discutées dans trois des comités.

Comment les décisions sont-elles été prises ?
Il s’agit ici d’une question cruciale pour le fonctionnement des comités. Une minorité des comités prend leurs décisions à la suite d’un vote, à la majorité. Quelques comités ont répondu que la plupart des décisions étaient le résultat d’efforts pour arriver à un consensus ou compromis. Dans trois-quarts des comités, des discussions complètes ont lieu mais c’est le président qui prend la décision finale.

Certains comités ont fait remarquer que les comités ne sont pas autorisés à prendre les décisions, mais seulement à présenter le point de vue des détenus à l’administration. Cependant, même si le pouvoir de décision revient à la direction, il apparaît que la qualité des décisions prises est meilleure, et ce grâce aux discussions et avis des comités. Une fois les décisions prises, celles-ci sont enregistrées et font l’objet d’un suivi lors des réunions ultérieures. Cette formalisation de la responsabilité des comités a permis de ne pas réduire les comités à des « cafés du commerce » (talking shops).

L’existence et le fonctionnement des comités consultatifs a-t-il un impact concret sur la vie en prison ?
Plus de 75 % des directeurs disent, dans ce rapport, qu’ils ont consulté les comités des détenus avant d’effectuer des changements dans les régimes de détention. Cela ne veut pas dire forcément que la direction ait nécessairement changé ses choix et décisions en fonction des changements proposés, mais les détenus ont apprécié que l’on discute avec eux des changements avant leur mise en œuvre. Les réunions avec des comités de détenus sont décrites comme ayant fourni un cadre sécurisant dans lequel certaines questions controversées ont pu être discutées et contestées - même si l’option finalement retenue n’était pas toujours celle que les détenus désiraient. Cet aspect était d’autant plus frappant lorsqu’il concernait la résolution de problèmes pratiques, tels, la réparation de douches en panne, l’accroissement du nombre de produits « cantinés », la substitution de sandwiches à des repas chauds pendant l’été, l’ajustement des horaires pour les activités sportives de plein air, etc. D’autres questions étaient plus controversées, telles la possession d’ordinateurs et la politique de contrôle des drogues en détention. Enfin, certaines observations étaient nettement plus négatives, comme en témoigne certaines critiques émises par les détenus - qui reprochaient à la direction de la prison de prendre trop de temps à réfléchir sur des questions délicates et prendre des décisions. Certains détenus ont affirmé que leurs suggestions, pourtant légitimes, étaient rejetées.

Quels sont les facteurs qui facilitent l’effectivité de l’activité des comités consultatifs de détenus ?
Le facteur décisif parait être l’engagement de l’équipe de gestion et sa détermination à donner au comité de détenus un rôle central dans la vie de la prison. Un autre facteur de grande importance : que les attitudes des surveillants soient favorables et que le personnel des quartiers pense que les comités de détenus servent un but légitime. La crédibilité des procédures de consultation dépendait dans une grande mesure de la façon d’organiser et de présider les réunions et de la nature du contrôle des décisions prises.

Quels effets néfastes ont été observés par les chercheurs ?
Plus des deux tiers des directions ont cité au moins un inconvénient. Un directeur a remarqué que parfois les représentants étaient élus pour des raisons personnelles et/ou pour défendre des objectifs personnels. Ainsi, il arrive que ces représentants se focalisent sur les questions qui les concernent personnellement au lieu de chercher à aborder celles qui engagent la majorité des détenus. Dans une proportion similaire, les directions considèrent que les discussions avec les comités de détenus augmentent les tensions entre les détenus et le personnel. Ils pointent notamment le risque selon lequel la focalisation sur les problèmes des détenus donne au personnel le sentiment que leurs propres problèmes ne font pas suffisamment l’objet d’attention. Parfois les détenus adoptaient des positions antagonistes de celles des représentants, ayant le sentiment que ceux-ci montreraient trop de souplesse vis-à-vis la direction - mais cette critique reste plutôt rare.

Effets bénéfiques observés par les chercheurs
Deux tiers des directeurs et leurs équipes considèrent que les comités de détenus leur ont donné des moyens de communication réciproques claires et d’une meilleure qualité. Les directeurs déclarent apprécier que les comités de détenus leur donnent une possibilité réelle d’apprécier les réactions quand des changements de politique étaient à l’étude et que les comités attirent leur attention sur des aspects qui seraient autrement passés inaperçus. Plus fondamentalement, il était reconnu que des conflits d’intérêt entre l’administration et les détenus surviennent inéluctablement. En l’absence des comités de détenus, la direction peut ignorer l’existence des conflits d’intérêt qui peuvent s’exprimer alors de façon destructive - par exemple, par les menaces, les insultes, la violence ou l’automutilation. Mais si, par ce biais, les détenus ont adopté un rôle qui leur permettait de partager la responsabilité de l’organisation de la vie quotidienne en détention, il faut que la prise en compte de leur point de vue et la reconnaissance de la légitimité de leurs plaintes et suggestions diverses soit suffisamment significative pour que les détenus aient le sentiment que ces consultations ont du sens et produisent des résultats satisfaisants. L’existence de comités de détenus permettait de mettre au jour les conflits, de clarifier les intérêts et les besoins de chacune des deux parties et d’identifier des points de convergence susceptibles de rendre la résolution des conflits possible et réaliste. Un avantage supplémentaire corrélatif à l’existence des comités de détenus était d’améliorer la qualité des relations entre les détenus et le personnel. En conséquence cette amélioration contribua à la sécurité de l’établissement.

Programmes de traitement et comités consultatifs de détenus
Ces dernières années, des méta-analyses des études sur les traitements des délinquants (au sens le plus large de l’expression) ont été réalisées, notamment au Canada mais aussi en quelques autres pays européens. Le résultat de ces études est que les programmes de traitement basés sur la psychologie cognitive et l’apprentissage social ouvrent de réelles possibilités de faire changer les attitudes criminelles [11]. Ces programmes de traitement ont commencé à être utilisés dans certaines prisons européennes. Les programmes de traitement essaient de confronter les détenus à leurs comportements passés, actuels et à venir et d’envisager les conséquences de ces actes et pour eux-mêmes et pour les autres personnes. Le but est d’enclencher un processus de prise de contrôle responsable de sa propre vie par l’individu. L’efficacité de tels programmes est manifestement renforcée si la prison donne des possibilités réelles aux détenus d’adopter des comportements responsables, propices à améliorer la qualité de la vie collective. Mais une prison dans laquelle les tensions sont nombreuses et les relations entre le personnel et les détenus mauvaises, et dans laquelle la communication entre les détenus et la direction est très limitée ou biaisée, est difficilement capable de renforcer ces efforts thérapeutiques. Les comités de détenus peuvent contribuer à un climat favorable aux programmes de changements personnels et, ce qui est également important, ils peuvent permettre aux détenus de renforcer leur sens de la responsabilité personnelle, ce qui n’est le cas dans les prisons traditionnelles [12].

Organes internationaux et comités consultatifs de détenus
Les inspections nationales effectuées par le Comité pour la Prévention de Torture (CPT) du Conseil de l’Europe sont d’une toute première importance pour garantir la protection des droits des détenus. Le CPT attache une grande importance à des formes de communication entre les détenus et le personnel qui promeuvent un climat détendu en détention. Quand je préparais mon rapport, j’ai demandé au secrétariat du CPT s’il me confirmait que la question des comités des détenus n’avait pas été examinée de manière systématique au cours de ses inspections. Il apparaît que le CPT n’a commenté l’existence d’un comité des détenus qu’une seule fois - en 1991, sans doute parce que le CPT les a rarement rencontrés ; le CPT admet qu’il n’a sans doute pas été suffisamment attentif à l’existence de ces comités. On m’a assuré que le CPT partage l’idée selon laquelle les comités de détenus peuvent contribuer de façon importante à la sécurité dans les prisons et qu’il s’efforcera, à l’avenir, d’observer l’usage des comités de détenus dans la gestion des prisons [13].

Dernières réflexions
Ce qui précède montre qu’il y a toute raison d’encourager, de promouvoir, de décrire et d’évaluer l’usage des comités de détenus. Une certaine prudence est à recommander afin que les effets nuisibles - notamment les menaces au bon ordre, la sécurité, le bien-être des détenus, les relations entre les détenus et le personnel et la qualité de la vie en générale en prison - soient évités.

Quelles sont les démarches essentielles pour favoriser le développement souhaitable de ces comités ? Voici quelques suggestions :
- La législation devrait définir le but et les procédures de base pour la participation des détenus dans l’organisation de la vie en prison. Des circonstances spéciales qui limitent l’usage de ces procédures devraient aussi être précisées.
- L’administration pénitentiaire centrale devrait fournir un guide directeur plus détaillé sur la mise en œuvre de la législation par la voie d’instructions circulaires ou autres documents politiques.
- Dans chaque prison qui met en œuvre, ou envisage de mettre en œuvre, les procédures de participation des détenus dans l’organisation de la vie générale de l’établissement, il faut créer et maintenir une culture favorable chez le personnel, c’est-à-dire que le personnel considère les détenus avec humanisme et respecte leurs vues et aspirations lorsque celles-ci sont légitimes.
- Pour créer et maintenir une culture favorable chez le personnel, il faut une formation appropriée et un soutien qualifié. Dans ce contexte il faut reconnaître qu’il est important non seulement d’écouter les détenus et de donner suite à leurs demandes légitimes, mais aussi à celles du personnel [14].
- L’administration pénitentiaire centrale devrait assurer que l’introduction et le développement des procédures de participation des détenus dans l’organisation de la vie générale de la prison fasse l’objet d’un contrôle rigoureux afin d’accroître les savoir-faire pour le développement d’une bonne pratique.
- Des recherches indépendantes devraient être entreprises sur la question de la participation des détenus pour étudier le déroulement des procédures de consultations, dans leurs aspects à la fois négatifs et positifs.
- Les inspections du CPT devraient être attentives à l’existence des comités de détenus, aux questions soulevées par ces comités et à la manière dont la direction les traite.
- Le Conseil de l’Europe devrait entreprendre une étude sur l’expérience internationale de la participation des détenus dans l’organisation de la vie en prison en vue d’élaborer une recommandation sur l’amélioration de la mise en œuvre de la Règle 50 des Règles pénitentiaires européennes.

Remarque ultime

Mary Tuck, aujourd’hui disparue, argumenta dans un essai passionnant que, même si les prisons existent encore longtemps, la détention seule jamais ne corrigera les détenus. Elle rappelle la sagesse d’Aristote qui enseigna que les hommes apprennent les vertus par la participation, à travers les usages sociaux à la vie en communauté [15]. Sa conclusion était qu’« une société qui veut éviter les délits et les crimes doit encourager les institutions communautaires et naturelles par lesquelles les hommes entrent dans les relations réciproques. Et si on veut dissuader les hommes de commettre des délits et des crimes, il faut qu’ils s’engagent d’une façon ou d’une autre dans les usages sociaux d’une communauté qui fonctionne bien ».

Bibliographie
Bishop N., 1960, “Group work at Pollington Borstal”, Howard Journal, Vol. X No. 3, 185-193.

Conseil de l’Europe, Recommandation (1997) 12 sur le personnel chargé de l’application des sanctions et mesures, Strasbourg.

Conseil de l’Europe, Recommendation. (2006) 2 sur les Règles Pénitentiaires Europénnes, Strasbourg.

Kriznik I., 1996, The Slovene socio-therapeutic model of imprisonment, Trends in Prison Design, Budapest

Landerholm-Ek A-C., 1976, On change in prison, Report No. 17, Research & Development Unit, Swedish Prison & Probation Administration, Norrköping.

Levenson J. and Farrant F., 2004, Barred citizens, Prison Reform Trust, London

McGuire J., (Editor), 1995, What works ? Reducing re-offending, John Wiley & Sons, Chichester

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Source
Norman Bishop, « La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention », Champ pénal, Champ Pénal / Penal Field mis en ligne le 18 avril 2006. URL : http://champpenal.revues.org/document485.html.

Auteur
Norman Bishop a pris sa retraite en 1986. Il était alors directeur de la Recherche à l’Administration des prisons et de la probationnaire, en Suède. Après il a continué à travailler comme expert dans plusieurs comités du Conseil de l’Europe et ainsi que sur des projets de réforme pénitentiaire en Albania, Kazakhstan, Fédération de Russie et Ukraine

Notes:

[1] Quand je travaillais comme directeur des prisons en Angleterre, j’ai fait usage des comités de détenus dans deux prisons pour les jeunes adultes. Voir « Group work at Pollington Borstal », Bishop, N., Howard Journal Vol. X, 1960. En Suède j’étais responsable d‘un projet de recherche sur une expérience de transformation d’une prison en une communauté thérapeutique modifiée. Voir « On change in prison », Landerholm-Ek, A-C., Rapport No. 17, Section pour les recherches, Administration Pénitentiaire et Probationnaire, Norrköping 1976

[2] Cette disposition se trouve dans la nouvelle loi qui entrera en vigueur le 1 octobre 2006

[3] Communication personnelle de M. Hans Tulkens, ancien Directeur général de l’administration pénitentiaire néerlandaise

[4] La loi a été adoptée du Parlement belge, mais n’a pas entrée encore en vigueur

[5] Communication personnelle de M. Bernhard Wydra, ancien Directeur du Centre de Formation de l’Administration Pénitentiaire de Bavière et actuellement expert pour le projet du Conseil de l’Europe en Turquie, « Développement des Ressources Humaines »

[6] Article 36 de la loi sur le traitement des détenus en prison (Prison Treatment Act) 1998

[7] Communication personnelle de Roy Walksley, chercheur a HEUNI. Voir aussi Walmsley, R., (2003)

[8] Nous soulignons

[9] Voir Levenson, J. et Farrant, F, « Barred Citizens », Prison Reform Trust, London 2000

[10] Voir « Having their say : The work of prisoner councils », Solomon, E. et Edgar, K. Prisons Reform Trust, London 2004

[11] Il y a une vaste littérature sur ce sujet, surtout dans les publications du Service Correctionnel du Canada. Un bon sommaire en anglais des recherches et la pratique se trouve en McGuire (1995)

[12] Voir Kriznik (1996) pour un rapport instructif sur la participation des détenus et les méthodes pour les faire face à leur criminalité. Le rapport décrit non seulement les bases théoriques des programmes de traitement mais contient des bons conseils pratiques sur la façon de conduire les réunions participatives

[13] Communication personnelle de M. Trevor Stevens, Secrétaire Exécutif du CPT

[14] La Recommandation No. R (97)12 sur le personnel chargé de application des sanctions est très valable dans ce contexte. Elle traite inter alias le recrutement, la formation initiale et continue, les responsabilités gestionnaires et les impératifs éthiques

[15] Voir Tuck, M. (1988)