L A P R I S O N
du XXI ème siècle sera-t-elle plus humaine ?
Enquête : François Revouy - Journaliste
Rédacteur en Chef de l’Echo de la loire
Conception Graphique de l’Echo de la Loire : Christine Fezay
Reportage-Photo : Jérôme Bernard-Abou
832 détenus ont franchi les portes de la maison d’arrêt de la Talaudière en 1998.
Pour des peines qui théoriquement ne doivent pas dépasser 2 ans.
Malgré les avantages continuels dont ils bénéficient depuis 1975, les détenus sont toujours confrontés à un monde d¹une extrême dureté. Etat des lieux à l’heure où le gouvernement planche sur le modèle d¹une prison à visage plus humain.
"En 1860, les détenus de la prison de la Santé (Paris XIVème, ndlr) avaient droit à l’eau courante et à l¹éclairage, rappelle Paul Louchouarn, directeur de la maison d¹arrêt de la Talaudière, à l’époque les habitants du quartier n¹avaient ni l’un ni l’autre."
La loi du plus fort
La maison d’arrêt de la Talaudière date de 1968. Elle a été agrandie en 1987. A l’aube du troisième millénaire, l’eau chaude est toujours absente des cellules du bâtiment A. Les détenus doivent aller aux douches, un seau à la main, ramener de quoi faire leur vaisselle, dans leur cellule de 9m2. Une cellule qu¹ils partagent avec leur co-détenu, qui sont parfois deux, en raison de la surpopulation carcérale. Résultat, ils n¹ont qu¹un surveillant par étage, soit un gardien pour quatre-vingt détenus.
Les femmes et les mineurs ont plus de chance : un surveillant pour quinze détenus. "Mais la nuit, il n¹y a pas de surveillante dans le quartier femmes", explique Lynda, en poste depuis dix ans à la prison. "Si il y a quoi que se soit, elles ont l¹hygiaphone, si c¹est grave, la prison nous réveille chez nous et nous venons voir". Les hommes n’ont pas le droit de rentrer dans le quartier femmes.
La télé, les chaînes du câble ? Les prisonniers payent pour les avoir. Certains passent même leur temps à regarder les images. La nourriture ? Les familles n¹ont pas le droit de leur amener le nécessaire. Ils ont la possibilité de cantiner, à condition d’avoir de l¹argent et à condition de ne pas se faire racketer."Il y a de la solidarité, mais en même temps il y a du racket... ", avoue un détenu. En prison c¹est toujours la loi du plus fort.
Les indigents sont obligés de travailler pour pouvoir s¹offrir le minimum. A l¹atelier, des entreprises leur font sous-traiter une partie de leur production. Toujours un travail manuel, peu qualifié et pas cher. Un détenu gagne 19 francs de l¹heure et ne travaille pas plus d¹une demi-journée par 24 heures, au maximum il peut se faire 1500 à 2000 francs par mois. "On peut faire travailler au maximum 75 détenus", précise le chef de service. "A une époque on avait beaucoup plus de travail", rajoute son collègue plus âgé. Les prisons sont actuellement concurrencées par les ateliers protégés (travailleurs handicapés) qui proposent des tarifs très attractifs aux entreprises, la mauvaise image en moins.
Les viols ? "Ils sont rares, insiste Paul Louchouarn, en général, les détenus voient venir les avances, ils nous préviennent par écrit et nous les changeons de cellules." Mais, il y a bien en ce moment un détenu qui est jugé pour viol. Sa victime était incarcérée avec lui, dans une cellule de "moeurs". Les moeurs, dans le language pénitentiaire on les applelent "les pointeurs". "On évite de les mettre avec les autres détenus, ils se feraient abîmer", explicite un surveillant. A la prison de la Talaudière, les "moeurs" sont de plus en plus nombreux, près de 25% des détenus. 25%, c’est aussi le pourcentage de procédures criminelles.
La sexualité des détenus n’est plus un sujet tabou, "C¹est une question qui doit se poser, mais c¹est au politique qu’il appartient de trancher", précise Guy Solana, directeur des établissements pénitentiaires de Lyon (Rhône-Alpes-Auvergne). "La région de Lyon, c¹est 4000 détenus dont 60% de prévenus et 40% de condamnés, ce sont 20 établissements et 2000 membres du personnel, dont 1600 surveillants".
Le sexe en prison fait son chemin. Le gouvernement réfléchit de plus en plus à la mise en place d¹unités de vie familiale, des chambres d¹amour, où les détenus pourraient rencontrer leurs conjoints, à l¹abri des regards indiscrets. Egalement dans les cartons ministériels, la perspective de douches en cellules et l¹encellulement individuel. Finies les cloisons à mi-hauteur en guise de toilettes. Finies les odeurs qui se répandent dans la cellule, finis le bruit et les odeurs du co-détenu.
Deux décès en 1999
Le Sida, ils en parlent peu. L¹administration pénitentiaire ne rend pas obligatoire le dépistage. C¹est une démarche bénévole. En 1987, six tests sur mille se sont révélés positifs dans les prisons françaises, contre cinq sur mille pour l’ensemble de la population. De toute façon, les surveillants prennent leurs précautions : "les fouilles se font avec des gants suffisament épais pour éviter les piqures", explique P. Girodet, premier surveillant."Les surveillants ont pour consigne de considérer les détenus comme autant de séropositifs", renchérit le directeur. Des surveillants qui en ont parfois marre d’être considérés comme des"gardiens", d¹être réduits à une carricature de"mâtons" dans les films. Ils aspirent à plus de reconnaissance. Certains voudraient faire de la réinsertion, ils discutent avec les détenus quand ils en ont le temps. Mais ils sont réduits à gérer des flux de personnes. "A cause de la surpopulation carcérale, à cause du manque de personnel, à cause du manque de moyens", résume un peu amer, Yvan Brun, délégué GCT. Certains, au contraire sont "dégoûtés par tout ce qu¹on donne aux détenus". "Moi, je dois payer pour aller chez le coiffeur !", lâche telle surveillante."Ils peuvent faire de la musculation, aller à la bibliothèque, suivre des cours de français, même voir le psy³, s¹indigne tel autre. "Le surveillant qui est confronté à une situation déstabilisante, qui s¹occupe de lui ? Le psy ne vient pas le voir !"
L¹incarcération n¹est pas sans conséquences sur l’équilibre des détenus et sur leur capacité future à se réinsérer dans la société. "Un enfermement long entraîne inévitablement des séquelles psychologiques sur la personne, souligne Nadine Besset, psychologue clinicienne au C.H.U. de Bellevue et à la maison d¹arrêt de la Talaudière : dfficulté à se repérer dans le temps et l¹espace, conduites violentes provoquées par la sensation d¹étouffement, passage par un état de sidération psychique lié au choc de l¹incarcération." Et de rajouter : "il est assez fréquent que le détenu entre dans une phase de dépression après son incarcération, en général dans le mois qui suit son arrivée". L¹intervention de psychologues, de cadres soignants, de travailleurs sociaux extérieurs est d¹autant plus nécessaire "qu¹une réinsertion réussie passe obligatoirement par la création et le maintien d¹un réseau interne-externe", résume la psychologue. Car, c’est là le paradoxe : on demande à la prison d¹exclure temporairement un individu de la société, et en même temps, on lui demande de le réinsérer dans cette même société ! (voir article page suivante)
Les troubles pyschologiques nés de l¹incarcération peuvent induire des infarctus : un détenu ligérien de 50 ans est ainsi décédé de mort naturelle le 30 mai dernier. Mais ils peuvent aussi conduire au suicide. En 1998, 118 détenus se sont suicidés en France. A la Maison d¹arrêt de la Talaudière, il y en a eu une dizaine en vingt ans. Le dernier remonte au mois d¹août 1999. Un homme de 35 ans, incarcéré pour ³moeurs², s¹est pendu avec un drap. Il avait déjà fait une première tentative. Il avait toujours nié avoir commis ce crime atroce : brûlé vive une fillette.
L¹administration pénitentiaire n¹a pas prévu de s¹occuper du surveillant qui l¹a dépendu.
François Revouy
Qui sont-ils ?
Détenus de la maison d¹arrêt de la Talaudière au 1er janvier 1999 *
Détenus par délits
Homicide involontaire 23
Coups et blessures 22
Infractions stupéfiants 32
Homicide involontaire 11
Viol, attentat sur mineur 47
Viol, attentat sur adulte 34
Vols qualifiés 17
Vols 73
Recels 12
Escroquerie 20
Divers 33
Total 324
* Source : Direction de la maison d¹arrêt de la Talaudière, octobre 1999
Au premier janvier 1999, la maison d¹arrêt de la Talaudière comptait 324 détenus hommes, 17 détenues femmes et 15 détenus mineurs.
Réinsertion : la prison en panne
C’est la tendance forte de ces vingt dernières années : les magistrats condamnent moins souvent les gens en prison. Ils privilégient les mesures en milieu ouvert : sursis avec mise à l¹épreuve, travaux d¹intérêt général, contrôle judiciaire, etc. Par contre, ils sont plus sévères avec les condamnés : les peines d¹emprisonnement sont plus longues et les libérations conditionnelles moins fréquentes.
"La prison n¹est pas l¹endroit idéal pour faire de la réinsertion", confie Yves Perrier, directeur du Service pénitentiaire d¹insertion et de probation de la Loire (Spip). Un constat qui explique pourquoi les peines d¹emprisonnement diminuent régulièrement depuis vingt ans.
De moins en moins d’incarcérations...
Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux du gouvernement de Lionel Jospin, met actuellement la touche finale au texte du "programme 4000". Ce programme doit doter la France de six nouveaux établissements pénitentiaires et de 4000 places supplémentaires dès 2001. Ces cellules viendront s¹ajouter aux 50 014 actuelles.
Évolution du nombre de places dans les établissements pénitentiaires *
* Source : "Les chiffres clés de l¹administration pénitentiaire", Direction de l¹administration pénitentiaire, Paris, mai 1999.
"En dix ans, nous sommes passés d¹une nécessité de 13 000 cellules à 4 000", constate Paul Louchouarn, directeur de la maison d¹arrêt de la Talaudière. En effet, au début des années 1990 le "programme 13 000" avait induit la création de 25 nouveaux établissements, dont 3 sur la direction régionale de Lyon.
Moins ambitieux le programme 4 000 ? Pas vraiment. Si il y a toujours eu une surpopulation carcérale dans les prisons (actuellement il y a 52 961 détenus pour 50 014 places), le ratio a considérablement diminué depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, comme le montre la courbe des incarcérations.
Pourquoi une telle diminution ?
"Parce que la prison a montré ses limites en matière de prévention de la récidive", répond Yves Perrier, qui s’interroge : "comment peut-on apprendre au détenu ce qu¹est la Responsabilité quand on le déresponsabilise, quand on fait tout à sa place ?" Ce que Paul Louchouarn formule plus directement : "Est-ce que la prison est le meilleur endroit pour apprendre à quelqu¹un à vivre ? "La grande difficulté quand on est amené à accueillir massivement des personnes, comme c¹est le cas à Saint-Etienne, c¹est qu¹on est dans l¹exclusion et dans le remplissage. On travaille dans l¹urgence : il faut trouver les matelas, s’organiser pour les douches, les surveillants y passent des matinées entières, les détenus ne peuvent se laver que trois fois par semaine. On en vient à gérer une communauté d¹individus d¹un point de vue strictement éconnomique. Cette gestion terre à terre nous empêche d¹élever le débat."
La prise de conscience qu¹on ne "réinsere pas les gens en les excluant", a, en tout cas, conduit le magistrat français a prononcé moins d’encellulements et plus de sanctions en milieu ouvert.
...Mais des peines qui s’allongent
Les peines en milieu ouvert constituent l’alternative à l’incarcération. Leur principal avantage est de maintenir le lien social. Il s’agit des sursis avec mise à l’épreuve, des travaux d’intérêt général, des libérations conditionnelles, des contrôles judiciaires, des ajournements avec mise à l’épreuve. Ces mesures représentent près des trois quarts des sanctions judiciaires nationales. Dans la Loire, le ratio est encore plus fort : 8 personnes condamnées sur 10 ne vont pas en prison.
"Paradoxalement, souligne Yves Perrier, les peines d¹emprisonnement ont tendance à s¹allonger." De 3 mois et demi en 1980, la durée moyenne de l’encellulement est passée à plus 7 mois en 1999. Ce qui signifie que les tribunaux sont plus sévères quand il s’agit de condamner quelqu’un à l’encellulement. Une sévérité que l’on retrouve d’ailleurs dans les décisions d’admissions à la libération conditionnelle : "elles sont en chute libre", regrette le directeur du Spip de la Loire. C’est le juge d’application des peines (Jap) qui est maître en la matière,"libre d’autoriser ou non les libérations conditionnelles sans qu’aucune directive administrative ou politique ne viennent l’influencer". Au cours de l’année 1998, les juges d’application des peines ont pris 5 098 décisions d’admissions à la libération conditionnelle. 471 ont été révoquées par la suite.
Dans le quartier des femmes de la maison d’arrêt de la Talaudière, Laihla purge une peine de trois ans de prison. Mère de deux enfants, elle ne pense qu’à une seule chose : le 24 décembre 1999, à mi-peine, elle sera conditionnable.
François Revouy
Incarcérations en France Métropolitaine*
76 900 en 1969
96 900 en 1980
75 700 en 1997
* Source : Service pénitentiaire d¹insertion et de probation de la Loire, Saint-Etienne, octobre 1999.
Trois détenus ont accepté de nous faire part de leur détention. Trois expériences fortes de l¹univers carcéral.
Karim, 24 ans, incarcéré pour récidive
"La première fois, je suis tombé pour une affaire de drogue. On m¹a pris avec 26 grammes. J’ai pris deux ans fermes. Attention, je suis pas un criminel, jai été jugé en correctionnel ! Là, je vais faire 16 mois pour violation d¹une interdiction de territoire... La prison ? Je m¹attendais à pire. C’est vrai qu¹il y a des barreaux, mais je ne voyais pas l’état des lieux comme ça. Moi, je suis assez libre. Je suis classé "servant", je distribue les repas. Dans le bâtiment A nos cellules font 9,36 m2, c¹est tout petit. Les mecs du bâtiment B, ils ont plus de place : 12 m2. Et en plus ils ont l¹eau chaude dans les cellules. Pour la plupart, il sont des indigents, ils n¹ont pas de fric. il y en a, personne ne vient jamais les voir... Je suis conscient de mes actes. C’est le vice qui m¹a conduit ici. C’est à force de prendre le vice... Ici, le respect il est sur tous les niveaux. Avec les gardiens, il n’y a pas de problèmes. Les surveillants, ce sont pas eux qui nous ont jugés. Ceux qu¹on déteste ce sont les juges qui nous ont incarcérés, parce que la liberté, il nous la prive... En prison, la fraternité il n’y en a pas.
Jean-François, 47 ans, incaréré pour affaire de moeurs
"Je savais que la prison c’était tout sauf la liberté, que la contrainte était énorme. Au début c’était très dur pour les enfants, pour mon épouse... L’univers carcéral est plus dur que l’extérieur. D’abord parce qu’on se retrouve en milieu fermé, ensuite parce qu’on est avec des gens qui n’ont pas les mêmes horizons que soi. Entre détenus il n’y a pas de respect. Si on commence à être connu, ça passe mieux. Ce qu’il faut c¹est exercer une responsabilité dans la prison... Celui qui a un problème de moeurs, c’’est le mal-aimé. Il a intérêt à se méfier. Mais pour celui qui a tué un enfant, une femme, ou un vieux, c¹est encore pire, ça ne passe pas. Il y a cinq cellules d’isolement... Du racket ? Bien sûr, il y en a. Les petits chefs des quartiers, on les connaît... Une remise de peine normale c’est 7 jours et demi par mois. Quand on travaille, on a droit à 2 jours et demi supplémentaires par mois travaillé, ce qui fait un mois de plus à la sortie. En tout, je devrais avoir 5 mois de remise de peine. Au lieu de 36 mois, j’en ferai que 27, en principe... C’est impossible ici de faire de la réinsertion, surtout pour ceux qui viennent du bas. L’année passée il y en a un qui a réussi son bac pro. Les trois quarts des détenus sont illétrés... Est-ce que la prison est inhumaine ? Oui, elle l’est. C’est l’ensemble du système qui l’est. Il faudrait tout changer. Toute la justice..."
Laihla, 34 ans, incarcéréé pour recel
"C’est la deuxième fois que je suis incarcérée, la première fois, c’était en tant que prévenue en 1995. J’ai obtenu une libération provisoire en 1996 jusqu’à mon procès en assise, en juin 1999. J’ai été condamnée à une peine de trois ans pour recel. J’étais avec mon ami, il me faisait des cadeaux, il avait dérobé 1 milliard 200 millions dans une entreprise de la région. Il a pris 18 ans, il est à Fresnes (Val-de-Marne, ndlr). Pendant les trois ans de liberté provisoire, j’ai refait ma vie avec un autre homme. J’ai préparée mes deux filles (16 ans et 9 ans) à mon possible retour en prison. C’est ça que je vis le plus mal, ne pas avoir mes enfants avec moi... Je les vois une fois par semaine, le mercredi, le jour des visites. C’est mon frère ou ma belle-soeur qui les amène. En plus, tous les quinze jours, je peux passer trois quarts d’heure avec elles dans la pièce du relais parents-enfants. C’est court. C¹est surtout l’adolescente qui vit mal mon incarcération... Mon ami vient tous les samedis... La drogue ? Bien sûr qu’elle rentre. Les détenus l’avale, les filles se la mette dans le vagin.... Le coiffeur vient une fois par semaine, la coupe est gratuite, la couleur payante. Je fais seulement la coupe... C’est une bonne détention, les filles ne sont pas nombreuses. Il y a des dames d’un certain âge qui ont tué leur mari... En prison, on peut rester féminine mais on n’a pas d¹intimité. On apprend à être patiente, à attendre, à passer par des intermédiaires... Ce que je n¹accepterais pas, c’est de sortir et qu¹on ne me rende pas mes gosses, ça non, je ne l¹accepterais pas !"
Propos recueillis par François Revouy
"Ici, quand on arrive on a rien.
On attend tout de l’assistante sociale.
Il y a juste une solidarité entre les mecs qui viennent du même quartier.
Quand il y en un qui rentre, je lui fait un ballot...
Tout ce qu’on a ici, ça ne vaut pas la liberté."
Plus de mineurs
Si la durée moyenne de détention se réduit, de 5 mois et quinze jours en 1997 elle est passée à 4 mois et 14 jours en 1999, le nombre moyen de détenus continue de croître : de 348 en 1997 à 351 en 1998 et 372 en 1999.
Surtout le nombre de mineurs incarcérés explosent : 60 en 1998 contre 77 l’année passée, soit près de 30% de hausse.
Parmi ceux-ci, beaucoup sont récidivistes.
"La prison est un passage initiatique, explique une psychologue des mineurs, elle fait du prédélinquant un vrai délinquant".
Prison, le mur du silence ?
L’écho de la Loire avait déjà consacré un large sujet à la maison d¹arrêt de la Talaudière (n° 113). Précurseurs, nous vous avions fait vivre de l’intérieur le monde carcéral. Un monde aujourd’hui sous les feux de l¹actualité. La polémique est née du livre du docteur Vasseur, médecin chef à la prison de la santé. Sept ans après être entré à la Santé, le docteur Vasseur a écrit un brûlot qui dénonce les conditions d’hygiènes et les violences dont sont victimes les détenus. Résultat : une commission d’enquête parlementaire a vu le jour pour faire toute la lumière sur les conditions de vie des prisonniers. Retour à l’UCSA, l¹unité de soins de la prison de la Talaudière
"Si je m’en tiens à ce que j’ai entendu, les détenus se font violer quotidiennement et les vermines grouillent dans les couloirs". Paul Louchouarn, directeur de la maison d’arrêt de la Talaudière a le verbe ironique. En quatre ans, il n’a eu que "quelques d¹affaires sérieuses à déplorer" : un viol, une tentative de viol et quatre suicides. Pour l¹année 1999, il est intervenu pour 400 infractions disciplinaires, dont 101 pour échanges de coups. Rien à voir avec des difficultés rencontrées à la prison de la Santé.
Promiscuité...
"Le principal problème que nous rencontrons ici, c¹est le manque d¹effectif. Dans le bâtiment A, nous avons un surveillant pour 80 détenus ! Nous ne pouvons pas tous les surveiller, ni être tout le temps à leur écoute, encore moins faire de la réinsertion", avoue Paul Louchouarn.
La capacité d’accueil de la prison stéphanoise est de 283 personnes. "Mais nous avons régulièrement 350 détenus", explique-t-il. La promiscuité aidant, les risques de dérapages et de règlements de comptes entre détenus, mais aussi entre détenus et surveillants, augmentent. "Au-delà de 380 cela devient ingérable, on doit demander le transfert des prisonniers". Le 23 février, il y avait 366 prisonniers dans les cellules foreziennes. Un chiffre qui devrait augmenter rapidement puisque 100 détenus doivent être désencombrés des prisons lyonnaises. "J¹ai dit à la direction régionale que nous pouvions en accueillir quelques uns... avant de demander nous-même à être prochainement désencombrés." Une gestion à flux tendu qui rend difficile, voire impossible la mission de réinsertion. "Le livre du Dr Vasseur soulève des questions assez justes, insiste le directeur de la prison, il replace le débat sur les vraies missions de l¹administration pénitentiaire : la garde et la préservation de l¹intégrité des détenus."
La prison de Saint-Etienne, la seule en activité dans la Loire depuis que celle de Roanne a fermé, existe depuis trente ans. Les établissements français les plus récents remontent à une dizaine d¹années (programme 13 000). 4 000 places supplémentaires dans dix nouveaux établissements devraient voir le jour prochainement. Un parc jugé insuffisant en regard du nombre de prisons qui datent de Mathusalem :"Assumer notre mission dans des établissements construits à la fin du XIX ème siècle relève d¹un challenge permanent".
A la Talaudière, les escaliers du bâtiment A sont en bois, limite question incendie !... et l’eau chaude est absente des cellules. Les détenus doivent aller aux douches,un seau à la main, pour tirer de quoi faire leur vaisselle. Une corvée pour le gardien qui doit accompagner chacun d’entre eux, un par un. Alors quand certains orateurs, peu avisés de la réalité pénitentiaire, parlent de douches en cellules, ici on rigole. On a même du mal à prendre au sérieux les unités de vie familiale, ces fameuses "chambres d’amours", où le détenu pourra recevoir son conjoint.
Il n’y a pas la place pour la construire... Quelle est la solution ? La privatisation ?
Il existe 21 établissements en France qui fonctionnent en délégation de gestion (hors garde, greffe et direction) avec des partenaires privés."Dans ces établissements on fait de la maintenance préventive, souligne Paul Louchouarn, on provisionne les investissements en matériels et on change d’un coup toute une gamme de matériel (ampoules, etc)". Un fonctionnement qui prévient toute décrépitude : On peut regretter que les moyens alloués aux partenaires privés ne soient pas réinjectés au public", conclut-il. Une question qui n’a pas fini de soulever des polémiques.
"On pourrait améliorer le traitement médical..."
En 1999, la maison d’arrêt de la Talaudière a accueilli plus de 1000 "entrants". Chaque détenu est vu trois fois : une fois par le service médical (dans les 24 heures), une seconde fois par les travailleurs sociaux et une troisième fois par la détention. Au cours de la peine, le détenu peut consulter le médecin sur simple demande.
Une vingtaine de personnes travaillent actuellement à l’UCSA, l¹unité de consultation et de soins ambulatoires de la maison d’arrêt. L¹UCSA ne dépend pas de la prison, mais du CHU, sous la responsabilité du professeur Bertrand. "Il y a deux infirmiers et une secrétaire en permanence", insiste Evelyne Oziol, cadre soignant. Malgré les risques, aucun agent du CHU n’a été agressé : "On est là pour les soins, les détenus le savent." L’UCSA, c’est presque un espace de liberté. Presque, car un surveillant est là, à côté de la salle de consultation, prêt à intervenir. Parfois même, il se tient dans l’entrebâillement de la porte.
A l’UCSA, il y a 8 vacations de généralistes, 3 de psychiatres, 6 de psychologues. Mais il y a aussi des consultations en dermatologie, en vénérologie, en stomatologie, en radiologie, en toxicomanie, en dentisterie et en kinésithérapie. "Nous avons le même matériel que les cabinets de consultations des médecins spécialistes.", se félicite Evelyne Oziol. Le dépistage de la tuberculeuse est systématique au travers d¹une radio pulmonaire. celui de l¹hépatite (B et C), du Sida et de la Syphilis est laissé à l’appréciation des détenus. En 1999, 412 ont accepté de se faire dépister. Les traitements substitutifs au Subutex ont représenté 2951 intervention, ceux à la Méthadone, 899. Seul fait défaut un matériel d’ophtalmologie. Aucune comparaison avec les prisons parisiennes comme la Santé, ou les prisons vétustes de Lyon et de Marseille.
Pour le directeur du service d¹urgence du CHU, le comportement du personnel soignant est très différent de celui du personnel pénitentiaire :"Les détenus se confient très volontiers à nous parce que tout ce que l’on peut nous dire n¹arrive jamais aux oreilles de l¹administration pénitentiaire. Nous sommes soumis au secret professionnel" . Pour autant, l"UCSA ne déplore pas d’affaires vraiment graves. Il y bien des traces visibles, "des portes que les détenus se prennent", mais elles ne font pas l’objet de certificats médicaux. Comme cette histoire : "un gars qui a cassé une assiette sur la tête de son co-détenu pour une chaîne de télé, un soir de match"... et puis il y a toutes les traces que l’on ne voit pas. Ce que l’on appelle, en langage pénitencier, le "chiffre noir". On l¹estime entre une à deux affaires par semaine.
En 1999, l’UCSA a réalisé 726 soins infirmiers, 430 sérologies, 128 examens, 253 injections et 264 prises de sang. Les infirmiers ont rempli 41 certificats médicaux qui englobent des coups et blessures. Les causes restent obscures. En prison, la loi du silence s¹impose toujours.
"On pourrait améliorer le traitement médical", poursuit Jean-Claude Bertrand. A la maison d¹arrêt de la Talaudière, il n’y a pas assez de surveillants pour accompagner les détenus à l’UCSA. "On nous dit que le détenu ne veut plus venir, qu’il est au parloir, qu¹il fait du sport ou qu’il est en promenade...et nous sommes dans l¹incapacité de vérifier". Un manque d¹effectifs qui empêche parfois les extractions de se réaliser : "il faut un brigadier et deux surveillants pour accompagner un détenu à l¹hôpital. Il n’est pas rare qu’on reporte l’extraction à la dernière minute". La nécessité de l’acte thérapeutique reste pourtant la même.
Malgré ces difficultés, le professeur Bertrand estime qu’à Saint-Etienne, "on a pas trop à se plaindre." Et de raconter cette anecdote au sujet d’un prisonnier transféré à Saint-Etienne : "Comparé aux Beaumettes, !ci c’est une maison de repos !"
La commission parlementaire sur les conditions de détention va peut être pousser l’Etat à injecter des fonds dans les établissements pénitentiaires. Et assurer ainsi une meilleure prise en charge des détenus.
Un premier pas vers la réinsertion ?
François Revouy
234,56 francs (1 jdd).
C’est ce que coûte chaque jour un détenu de la maison d’arrêt de la Talaudière à l’administration pénitentiaire.
L’établissement compte 127 952 jdd. ce qui représente un budget annuel de 30 millions de francs.
Il est couvert pour 23,6 MF (78%) par les frais de personnel, pour un million par les dépenses d’énergie, pour un autre million par l’entretien des locaux et pour deux millions 2 millions à l’entretien des détenus.
Dans ces chiffres ne figurent pas les amortissements.
A titre de comparaison, le coût d’un jour de détention s’élève à :
270 F à Grenoble,
300 F à Clermont-Ferrand,
280 F à Chambéry,
376 F au Puy-en-Velay,
453 F à Montluçon
ou encore 348 F à Villefranche.
Source : Reporter photographe