Aumôniers, intervenants extérieurs et visiteurs de prison, refusent toutes formes de prosélytisme.
Le rôle des intervenants extérieurs, des visiteurs de prison, mais aussi des correspondants est primordial dans le maintien des liens entre l’intérieur et l’extérieur, cependant des dérives existent parfois. Certains sont ainsi tentés de profiter de la situation des personnes incarcérées pour leur imposer, des idées, des idéologies, des systèmes de réflexion tant religieux ou sectaires que politiques. On parle alors de prosélytisme, et celui-ci est malheureusement bien présent aujourd’hui dans les prisons françaises …
L’ANVP, consciente du problème et des risques existants tient donc à réaffirmer ici le rôle d’écoutant des visiteurs de prison, et rejette par là-même toutes formes de prosélytisme. En aucun cas, un visiteur de prison ne peut et ne doit intervenir en détention dans l’objectif d’amener une personne détenue à faire sienne des idées qui lui sont étrangères.
Prosélyte, prosélytisme
Mots réapparus il y a une dizaine d’années avec ledit foulard islamique. Si l’expression n’est connu qu’en corrélation la foi ou la religion, son origine demeure étrangère à ces concepts. Dans le Larousse édition 1959, il est révélé que prosélyte du grec prosêlutos, étranger domicilié, le sens était tout autre. Il s’agit d’un étranger qui c’est installé dans une cité. L’édition de 1959 se poursuit avec un autre sens :
* Autrefois pour les hébreux, païen qui avait embrassé la religion juive.
* Aujourd’hui, nouveau converti à une foi religieuse.
* Les persécutions font toujours des prosélytes.
* Toute personne gagnée à une opinion, à une doctrine.
Qu’est-il devenu dans les définitions récentes ?
L’édition du Larousse 1995 dit :
Prosélytisme : zèle ardent pour recruter des adeptes pour tenter d’imposer ses idées.
Prosélyte :
* Païen converti au judaïsme
* Nouveau converti à une foi religieuse
* Personne gagnée à une cause, une doctrine, etc, et qui concourt à sa propagation.
Il est important de souligner que ce mot n’a pas pu se débarrasser d’une connotation péjorative. Chez les hébreux, c’était le païen qui a embrassé la religion juive, ou l’adage : les persécutions font toujours des prosélytes.
L’expression « prosélytisme » suppose dans tous les cas une action extérieure ardente pour recruter des adeptes, pour l’amener à faire sienne des idées qui lui sont étrangères. C’est une forme de violence intellectuelle souvent, et « l’arboration » de signe n’en est pas forcément l’expression extérieure, car les symboles tels que kippa, crucifix ou foulard relèvent, dans la plupart des cas, d’une volonté d’identification et non d’une tentative de prosélytisme.
Prosélytisme islamique ? Expression incorrecte
L’Islam prône : « La Ikraha fi dine » : point de contrainte en matière de religion (coran) ce qui veut dire qu’il est impossible d’avoir une adhésion forcée à la religion musulmane !
« Lakoum dimoukoum oua ba dine », vous avez votre religion et j’ai la mienne (coran).
De tout cela nous pouvons dire que l’utilisation du slogan « prosélytisme islamique » est incorrecte puisque la contrainte absout la religion et donc la croyance.
L’adhésion à l’Islam est un acte libre et volontaire, c’est un pacte moral passé entre l’individu et Allah.
Chaïb Choukri Imam au CD de Loos-les-Lille
2 – L’aumônerie catholique des prisons et la laïcité
Suite à une proposition qu’auraient faite l’association « Fraternité du Bon Larron » et l’association « Communauté des Béatitudes » à l’administration pénitentiaire de gérer un établissement pour longues peines en vue d’assurer elles-mêmes la réinsertion des personnes détenues, l’aumônerie catholique des prisons a fait savoir qu’elle n’était en rien engagée dans cette démarche.
Ces deux associations pensent que « la réhabilitation des prisonniers n’est pas seulement une réinsertion sociale réussie, mais d’abord une transformation intérieure profonde », laquelle « n’est possible et durable que si elle est fondée sur une rencontre personnelle avec Dieu ». Ce qui pouvait se comprendre dans une vieille tradition de chrétienté ne se justifie plus du tout dans une société laïque.
Nous savons que la responsabilité de la réinsertion des personnes détenues relève d’abord de la mission de l’administration pénitentiaire. Les aumôniers catholiques, envoyés par les évêques, y participent en respectant la spécificité laïque et républicaine de nos institutions : nous apprécions la pluralité des valeurs de notre société, parce que c’est la richesse et le meilleur gage de la liberté.
Cette initiative que nous estimons totalement inopportune est cohérente avec la volonté de groupes, associations ou fraternités de s’implanter dans les prisons pour exercer auprès des détenues la mission dont ils se sentent investis d’annoncer l’Evangile, d’accompagner les personnes détenues, leur croissance spirituelles étant considérée comme le fondement de toute réinsertion.
Nous savons par expérience que la population pénale, ce sont très souvent des femmes et des hommes fragilisés par l’accusation ou la condamnation qui pèse sur eux, sont abîmés et facilement déresponsabilisés, fragilisés par le système carcéral. Eux et leurs familles sont des gens vulnérables qu’il importe donc de respecter et d’aborder avec le maximum de respect et de discrétion. Les personnes désemparées et peut être découragées sont, plus que les autres, disposées à entendre et à croire toute promesse fondée ou farfelue, surtout si on sait s’adresser à elles avec douceur et persuasion. C’est ainsi qu’on devient la proie privilégiée des sectes et de quelques associations prosélytes qui prolifèrent aujourd’hui.
La fraternité du Bon Larron recrute des correspondants et visiteurs de prison pour accompagner les détenus et leur famille, avec « la proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ comme pilier de leur action auprès des détenus, ex détenus et de leurs familles » et « la croissance spirituelle comme le fondement de toute réinsertion ».
En ce qui concerne les visiteurs, une publication du Bon Larron en date du 6 décembre 2000 leur recommande ceci : « Ne négligez pas les contacts avec les assistantes sociales, les mettant rapidement au courant de la tournure que prennent vos relations, étant très discret, quasi-muet sur l’échange religieux qui peut être considéré comme du prosélytisme lequel est interdit dans la fonction de visiteur ».
Les problèmes des personnes détenues ne se limitent pas à des carences spirituelles pour lesquelles la prière et un encadrement approprié seraient des remèdes garantis ; et cela au mépris des nécessaires médiations familiales, sociales, éducatives, psychologiques, voire médicales qui sont des moyens appropriés aux problèmes de chacun et des repères éprouvés pour retrouver ses marques et prendre les chemins d’une possible réinsertion. Il importe que ces médiations soient exercées par des personnes compétentes et reconnues comme telles, et bien sûr bienveillantes et respectueuses des détenus.
Nous sommes alertés par l’Association Nationale des Visiteurs de Prisons (ANVP) de l’arrivée de ces visiteurs du Bon Larron et du succès croissant qu’ils revendiquent : ils disent avoir actuellement 40 visiteurs. L’ANVP demande à ses adhérents le respect des consciences et l’engagement à ne faire aucun prosélytisme. L’action des visiteurs n’est pas de faire passer les objectifs ou idéaux d’une association mais de collaborer au travail de réinsertion du service pénitentiaire d’insertion et de probation « qui a pour tâche de coordonner leurs actions »
(Code de procédure pénale Art. D.474)
L’indétermination des « obligations particulières résultant de leur qualité et de leur rôle » sensées être « portées à leur connaissance lors de leur prise de fonction » rend possibles toutes sortes de dérives. Le label ANVP nous semble une solide garantie pour prévenir tous débordements éventuels de la part de visiteurs qui ne se réclament que d’eux-mêmes ou d’une association religieuse. L’ANVP pourrait être l’organisme reconnu responsable de leur recrutement et de leur formation en lien avec les SPIP.
Dans le projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire –Titre V « Les droits fondamentaux de la personne détenue » - Article L.64, il est rappelé que « l’administration pénitentiaire facilite, dans les limites imposées par l’organisation des lieux et le fonctionnement des établissements, l’exercice de leur religion par les détenus qui en font la demande, sous réserve que ces derniers ne fassent pas de prosélytisme. A cette fin, elle agrée des ministres du culte pour assurer des services ou des enseignements religieux dans les établissements pénitentiaires et met à leur disposition un local approprié ».
Nous sommes sensibles aux risques de prosélytisme de la part de personnes détenues se réclamant de l’Islam ou d’une quelconque famille chrétienne. Le prosélytisme de visiteurs, de membres des aumôneries –et ce, en dépit de toutes nos précautions –devrait être lui aussi dénoncé car il est tout aussi inopportun, sans compter qu’il encourage ou cautionne implicitement le prosélytisme des personnes emprisonnées. Il est également important que l’exercice de la religion en prison soit assuré par des personnes mandatées par leurs autorités religieuses respectives. Le conseil national de l’aumônerie catholique des prisons, composé de l’aumônier général et des aumôniers régionaux, se porte garant de la formation continue des aumôniers : le respect des obligations de leur fonction et la collaboration avec les aumôniers des autres cultes figurent en bonne place dans leur cahier des charges. Ainsi, nous soutenons les efforts de la communauté musulmane pour que les aumôniers puissent répondre aux multiples demandes d’assistance spirituelle de leurs correligionaires incarcérés.
Un document de l’épiscopat français publie en juin 2001 un dossier de M. Emile Poulat intitulé « La laïcité qui nous gouverne. Au nom de l’Etat »
L’auteur rappelle :
« Une société laïque… doit établir et maintenir la loi des parties entre elles, à l’encontre de tout groupe, de tout individu qui n’en veut que pour soi au nom de la vérité qu’il professe ou de la liberté qu’il cultive…
« De soi, le principe de laïcité ne relativise rien et n’oblige personne à rien relativiser de ce qu’il tient pour l’absolu, mais il pluralise le champ des convictions admises à l’exigence légitime et au débat public…
« De la laïcité éclairée sont nées des libertés publiques pour tous dans les sociétés démocratiques…
« La laïcité c’est, à l’horizon terrestre, l’apprentissage d’un nouveau style de rapport entre les hommes au sein d’une société ouverte. Nul n’est contraint d’abandonner ou de modifier ses opinions. Mais si leur expression publique est de droit, ce droit les soumet à l’épreuve de la rencontre des autres, à la loi du forum…
« Un monde au risque de l’homme et de sa liberté reste, pour le chrétien, un monde à la grâce de Dieu. »
Rien d’étonnant donc à ce que nous appréciions beaucoup de travailler dans l’institution laïque et républicaine qu’est la prison française.
Hervé Renaudin
L’évêque de Pontoise, Président du Comité épiscopal Justice et Société
Jean-Hubert Vigneau
L’aumônier général catholique des prisons
Le Courrier de Bovet face au prosélytisme
Les associations de correspondance se sont aussi confronté aux risques de dérive prosélyte. Consciente de la nécessité d’agir, l’association a décidé de réaffirmer son rejet de tout prosélytisme…
« La foi m’a sauvée, je ne pourrai me taire », nous disait récemment, non sans franchise, une candidate à l’adhésion au Courrier de Bovet. Elle reconnaissait ainsi son incapacité à souscrire à ce respect total de la libre pensée de l’autre, qui est un fondement de notre action.
S’agissant de nos relations avec les détenus, le plus souvent fragilisés, ce principe prend encore plus de relief. Un des rares espaces de liberté de toute personne incarcérée n’est-il pas le droit d’avoir ou de se forger ses propres opinions ?
Si la forme de prosélytisme ici évoquée est facile à identifier, il en est de plus insidieuses. Nous sommes tous à la merci d’une dérive de possessivité de « nos » détenus, d’une certaine main-mise sur leur identité. Il est bien agréable de voir son avis partagé. Ajoutons à cela qu’il n’est pas toujours aisé de faire la part entre l’affirmation de nos « certitudes » et une réponse honnête aux interrogations d’un correspondant ou à sa demande qui nous interpelle, surtout lorsque la confiance épistolaire semble bien établie.
« Je trouve indigne de vouloir que les autres soient de notre avis » écrivait Paul Valéry. S’agissant des détenus, le respect de la dignité de nos correspondants ne peut faire l’objet d’aucun compromis, au sein des associations se voulant apolitiques et non confessionnelles. Nous sommes tenus par le souci constant de détecter, chez nos futurs adhérents, les prosélytes en puissance et de nous remettre nous-mêmes régulièrement en question. Ainsi contribuons-nous à faire respecter le droit du détenu à l’identité, un préalable indispensable à toute relation confiante.
Guy de Saint-Maur
Président du Courrier de Bovet
Source : Jéricho - Bulletin de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison