86 minutes, 2003
En compétition française au Festival Cinéma du Réel
Centre George Pompidou
Samedi 8 Mars 2003 21h00 (petite salle)
Mercredi 12 Mars 2003 à 19h00 (cinéma 1) Diffusion sur ARTE Lundi 5 Mai 2003 vers 22h30
CONTACTS
PRESSE ARTE
Céline CHEVALIER
01 55 00 70 41
01 55 00 73 52 (fax)
c-chevalier@artefrance.fr
5, rue Arthur Groussier - 75010 Paris
Tél : +33 (0)1 42 49 14 68
Fax : +33 (0)1 42 49 14 79
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ASSOCIATIONS/MOUVEMENTS
Agnès FANGET
a.fanget@libertysurf.fr
F I C H E T E C H N I Q U E
Durée : 86’55’’
Format : béta numérique 16/9
Année de production : 2003
Réalisation : Patric Jean
Assisté de Agnès Fanget
Jean-Laurent Feurra
Malika Es Saïdi
Image : Patric Jean
Laurent Fenart
Ronnie Ramirez
Pierre Gordower
Hicham Allaouie
Michel Dunan
Ella van den Hove
Son : Rafick Affejee
Alain Champelovier
Cosmas Antoniadis
Jean-Jacques Quinet
Erik Ménard
Montage : Nathalie Delvoye
Mixage : Jean-Jacques Quinet
Direction de production : Emmanuelle Koenig
Une coproduction : · Centre Vidéo de Bruxelles
Producteur délégué : Marianne Osteaux
· Lapsus
Producteur délégué : Esther Hoffenberg
· ARTE France
Unité de Programme Documentaires : Thierry Garrel
Chargée de programmes : Pierrette Ominetti
· RTBF
Producteurs associés : Ives Swennen et Hugues Le Paige
· Lichtpunt
Wim Van Rompaey
· WIP
Christine Pireaux
· Epeios Productions
Jan Vandierendonck
Avec le soutien : · du Centre du Cinéma de la Communauté française de Belgique
· des Télédistributeurs wallons
· de la Loterie Nationale
· de la Région wallonne
· du Centre National de la Cinématographie
· de la PROCIREP
Avec la participation : : · du Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations (F.A.S.I.L.D)
R E S U M E
Au lieu de combattre la pauvreté, on combat les pauvres.
L’Europe : ses quartiers riches et ses banlieues de misère où se généralise la « tolérance zéro ». On construit une prison quand on ferme une usine.
Les pauvres en général et les jeunes issus de l’immigration en particulier sont l’objet de toutes les peurs. Passant de l’autre côté du miroir et brisant les clichés, le film les montre dans leur humanité, dans une rue, une prison, un tribunal ou une cave de cité, avec leurs émotions, leurs envies, leurs peurs et leur désespoir.
Loin d’une image de la démocratie européenne où tous ont leur chance, le film, prenant à témoin la France et la Belgique, offre un regard critique et émouvant sur une société parfois sordide et brutale, la nôtre.
« Quelle drôle d’époque ! Que sommes-nous en train de faire ? Avons-nous perdu la raison ? »
P A T R I C J E A N
Né en 1968, Patric Jean a grandi au Borinage et dans la Région de Mons en Belgique entre des grands-parents issus du milieu ouvrier et une mère chanteuse d’opéra. Après avoir suivi des cours d’art dramatique pendant dix ans, il entre au Conservatoire Royal de Bruxelles en discipline parlée et décroche un premier prix. Il étudie ensuite à l’Université Libre de Bruxelles et obtient une licence en lettres. Devenu professeur de français, il entre à l’INSAS en classe de réalisation cinéma où il étudiera pendant quatre ans. Pendant ses études de cinéma, il a créé et animé Nemo un magazine vendu en rue par des sans-abri.
Réalisations
Intra-Muros
Fiction, 6’, 16mm, 1995
Court métrage inspiré de l’univers de Beckett.
La Conquête du Pôle Sud
Fiction, 25’, 35mm, 1997
Court métrage inspiré de la pièce de Manfred Karge.
Les Enfants du Borinage - Lettre à Henri Storck
Documentaire, 54’, Betacam SP, 1999
Sur les traces du grand documentariste belge Henri Storck, Patric Jean met en parallèle deux époques (1933-1999) et déplore en cette fin de siècle une misère toujours présente, pire, intolérable aujourd’hui.
Traces
Mi documentaire-mi fiction, 15’, 35 mm, 2000
Un film d’après l’œuvre du peintre belge Didier Mahieu.
Festivals et prix
Les Enfants du Borinage, Lettre à Henri Storck
- Sunny Side of the Doc, Marseille, 1999 (vidéothèque)
- Les Etats Généraux du Film Documentaire, Lussas, 1999 (vidéothèque)
- Festival International du Film Francophone, Namur, 1999
- Festival International du Film de Flandre, Gand, 1999
- Festival International Nouveau Cinéma Nouveaux Médias Montréal, 1999
- Helsinki International Documentary Film Festival, 1999
- FIGRA, Lille, 1999
- Prix des Ecrans Documentaires, Les Ecrans Documentaires, Gentilly, 1999
- Leipzig Internationales Festival für Dokumentar- und Animationsfilm, 1999
- Prix biennal Hennuyer d’aide à la création audiovisuelle, La Louvière, 1999
- 1er Prix de la compétition nationale, Festival International du Film Indépendant, Bruxelles, 1999
- Encontros Internacionais de Cinema Documental, Olival Basto, 1999
- Prix spécial du jury, Rencontres thématiques Audiovisuelles européennes de programmes de création, Narbonne, 1999
- Mention spéciale du jury, Traces de vies, Vic le Comte, 1999
- Loup d’argent, IDFA, Amsterdam, 1999
- FIPA, FIPATEL (projections à la carte), Biarritz, 2000
- International Film Festival ’ Belgian Focus, Prix Henri Storck ’ Bruxelles - janvier 2000
- Prix Canvas pour le meilleur film documentaire international, Viewpoint, Gand, 2000
- It’s All True, Sao Paulo, 2000
- Visions du Réel, Nyon, 2000
- Input, Halifax, 2000
- Festival international du film documentaire de Cracovie, 2000
- Résistances, Foix, 2000
- Couronné au DokumentART, Neubrandenburg, 2000
- RIDM, Montréal, 2000
- Festival International du Documentaire de Jihlava, 2000
- Fundatia DaKINO, Bucarest, 2000
- The International Culture Forum, Stockholm, 2001
- La Biennale de Venise, 2001
- Festival International de films des droits de l’homme, Nurenberg, 2001
- Rencontres Internationales du Cinéma documentaire, Odivelas, 2001
- Rencontres Internationales du Cinéma documentaire « Autour d’Henri Storck » - Bruxelles, 2001
- Documentaire sur grand écran, Cycle « La lettre au cinéma », Paris, 2001
- Sélectionné par la Coordination européenne des festivals de Cinéma pour « Docs in Europe ». Ce programme documentaire associe les 15 Etats de l’Union. Chaque pays propose un programme de 1h30 à 2h00 composé de deux films, l’un ancien l’autre récent, révélateur des grandes tendances et de l’évolution du documentaire de chaque Etat. Pour la Belgique les deux films sélectionnés sont : « Misère au Borinage » de Henri Storck et « Les enfants du Borinage, lettre à Henri Storck ». « Docs in Europe » sera proposé dans les festivals européens membres de la coordination.
Traces
- Festival Média 10/10, 2000 ’ Prix de la Sabam
- Prix Kodak pour la meilleure photographie, Festival International du Film de Bruxelles, 2001
- Festival du Film d’Angers, 2001
- Regard sur le Travail/3, Bruxelles, 2001
- Festival du Court Métrage « Dix ans d’images », Charleroi, 2001
- Viewpoint, Gand, 2001
- Festival de Casablanca, 2001
- Visions du réel, Nyon, 2001
- Le Court En Dit Long, 2001
- Rencontre Autour du Court Métrage, Saint-Géniès Bellevue, 2001
- Festival de Troia, 2001
- Prix spécial du Jury, Festival de Ciné de Huesca, 2001
- Festival Circuito off, Venise, 2001
La Raison du Plus Fort
Interview de Patric JEAN
D’où vient l’idée de ce film ?
P.J. L’idée vient du rapport commandé par le ministre belge de la justice (Verwilgen) sur les liens entre immigré et délinquant. Le masque était tombé, Non pas celui de l’extrême droite qui n’en a plus depuis longtemps, mais celui de certains « démocrates ». Ce rapport a beaucoup choqué les sociologues, les criminologues mais la presse s’en est très peu émue. Comme si cette question n’était pas tout à fait idiote. Le rapport a donc été rédigé et, comme par hasard, il est mis en valeur et abondamment cité dans la littérature de l’extrême droite flamande (Vlaams Block).
Qu’est-ce qui vous choquait le plus et pourquoi en faire un film ?
P.J. C’est le même ministre qui, en même temps, proposait la dépénalisation des délits financiers pour lesquels il fallait « trouver des arrangements » et qui a tout fait pour criminaliser la pauvreté. Même méthode en France. C’est toute l’Europe qui est en train de passer du traitement social de la pauvreté au traitement carcéral. En faisant ce film, je voulais montrer ceci : la dualisation de notre société entre les populations les plus riches et les plus pauvres est de plus en plus violente. Pour maintenir une société de marché où ceux qui n’ont rien à perdre se tiendront tranquilles face à la richesse des autres, aux biens de consommation à outrance, à la publicité omniprésente, il faut une sorte d’état policier basé sur la surveillance, le contrôle et la peur de la prison. L’attitude du gouvernement français contre les sans-abris, prostituées et toxicomanes est exemplaire : il faut qu’ils soient invisibles aux yeux de la petite bourgeoisie. Je pense que sur le plan mondial c’est tout à fait comparable puisqu’on est passé d’un écart (entre les pays riches et pauvres) de 1 à 44 il y a trente ans à un écart de 1 à 80 aujourd’hui. Et il n’y a aucune raison de penser que cela va s’arrêter là.
Peut-on pour autant justifier la délinquance, la violence ?
P.J. Bien sûr que non. Il ne s’agit pas de dire que les riches sont méchants et les pauvres gentils et que ce qu’ils font est bien. Il ne s’agit d’ailleurs pas de bien ou de mal. Pour réfléchir, il faut d’abord mettre entre parenthèses le plan moral et observer la situation rationnellement. Je vais vous décrire une situation banale et que j’ai rencontrée : un adolescent dont le père est chômeur de longue durée, dont les frères et sœurs sont chômeurs ou très précaires, qui est tenté en permanence par la publicité pour des objets dont il sait pertinemment qu’il ne pourra jamais les posséder de manière légale, ses parents tremblent face à la venue possible d’un huissier, la famille ne mange pas toujours à la fin du mois. Si vous ajoutez à cela les conséquences psychologiques de l’exclusion (violence familiale, dépression des parents, alcool...) et que vous considérez que ce jeune, parce qu’il est d’origine immigrée, est souvent l’objet de brimades, contrôles policiers et autres ségrégations, comment peut-on attendre de lui qu’il se comporte comme un « petit bourgeois » ? Savez-vous qu’il y a des familles où aucun enfant n’a jamais reçu un jouet à noël ou un anniversaire. Pouvez-vous imaginer les conséquences sur un tel enfant du matraquage publicitaire de fin d’année ? Savez-vous qu’il y a des familles en Belgique et en France où l’on a faim à la fin du mois ? Où l’on donne à manger aux enfants des biscuits trempés dans du lait ? Où les enfants vont voler de la nourriture dans les grandes surfaces ? Faut-il attendre de gens que l’on place dans le désespoir qu’ils aient une autre attitude que celle des désespérés ?
C’est donc avant tout un problème social ?
P.J. Evidemment. Un problème d’exclusion sociale doublé d’une exclusion raciste. L’origine nationale ne joue pas dans les phénomènes de délinquance si ce n’est que les immigrés sont sur-représentés parmi les couches les plus pauvres. L’Observatoire International du Travail a démontré qu’une entreprise belge sur trois faisait de la ségrégation à l’emploi sur les bases de l’origine nationale. Les personnes issues de l’immigration maghrébine sont donc considérées comme des exclus visibles (même si certains s’en sortent très bien) et donc à surveiller. Vous ajoutez à cela quelques clichés racistes qui durent encore (les arabes sont fourbes et les juifs radins)... Savez-vous par exemple qu’à Bruxelles, la police a organisé le fichage de jeunes issus de l’immigration totalement inconnus de la justice. On a organisé des rafles dans des quartiers immigrés, on a emmené des jeunes au commissariat, on les a photographiés, fichés et relâchés. Cela ne vous rappelle rien ? Alors pourquoi les maghrébins ? Parce que l’on sait qu’ils sont sur-représentés dans les classes défavorisées et donc à surveiller et aussi par racisme ordinaire. Il faut donc qu’ils soient sous contrôle. Quand le Bourgmestre bruxellois de l’époque a été interpellé officiellement, il a répondu en trois lignes en disant que cela correspondait aux vœux de la population ! Ce monsieur (De Donnea) est un membre éminent d’un parti démocratique (MR) qui défend par dessus tout la société de marché.
Votre impression s’est confirmée à la prison ?
P.J. Mais c’est certain. Si l’on met de côté les délinquants sexuels, pour le reste, les prisons sont remplies de ce que l’on appelait jadis le sous-prolétariat. Des sans-emplois, sans formation, souvent fils de chômeurs ou de travailleurs très précaires plus tous ceux dont le seul délit est d’être un étranger sans papier qui a fui la misère ou la guerre. J’ai rencontré essentiellement deux types de personnes en prison. D’abord ceux qui sont les plus détruits par leur situation, certains ont leur place en hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison. Ils sont enfermés souvent pour des petits délits et se retrouvent dans une misère psychologique et morale indescriptible, une souffrance insoutenable. Voyez la séquence du mitard... Imaginez ce que ce garçon fera à sa sortie. L’autre catégorie de personnes rencontrées est celle d’hommes révoltés. Ils ont parfaitement compris le système, analysé leur situation et en ont déduit qu’il n’y avait pas de place pour eux : sans formation, avec un casier, parfois un nom étranger, pas de réseau autour d’eux... Il faut dire que dans la plupart des cas, les délits sont mineurs, ils n’ont tué ni blessé personne. On peut être en prison pour des vols simples. Tous ceux que j’ai rencontrés ont commis des délits qui découlent directement de leur situation sociale. Dans tous les cas, la prison va aggraver sévèrement la situation. Savez-vous qu’à la prison de Lyon (une honte) on donne aux plus pauvres à leur sortie un sachet avec une carte de téléphone, dix tickets de bus et un chèque repas ! Et vous voudriez qu’ils ne récidivent pas ? C’est une plaisanterie ?
Comment s’est opéré le choix des lieux ? La répartition France/Belgique ?
P.J. Je voulais travailler sur deux pays au moins car c’est un problème international. C’est la conséquence d’une société de marché et non une situation particulière à un pays. J’ai tout de suite choisi ces deux pays. Ce sont ceux que je connais le mieux et ils ont des caractéristiques intéressantes : taux records de racisme, taux records de suicide, taux de chômage important. Leurs différences sont intéressantes : la France a eu des colonies en Afrique du Nord et a fait venir de la main d’œuvre de ses colonies. C’est exactement le contraire en Belgique. D’autre part, il n’y a pas eu, en Belgique, de construction de grands ensembles de type banlieue h.l.m. comme en France. Ce sont donc des situations différentes en apparence mais avec un « terreau » commun à toute l’Europe, ou presque. On m’a interdit de filmer dans les prisons françaises alors on l’a fait en Belgique. Pour le reste, les quartiers étaient très difficiles d’accès. La télévision y a fait tellement de dégâts qu’il est devenu presque impossible d’y filmer même avec une très longue préparation, même avec les gens dont on est devenu proche. Pour le reste, et surtout en Belgique, il y a la honte. Tout vous dit que si vous ne possédez pas la voiture à la mode, le téléphone à la mode, les vêtements qu’il faut et une parcelle de pouvoir, vous n’êtes rien et vous n’avez que le droit de vous taire. Rappelez-vous la publicité : « il a l’argent, il a le pouvoir, il a la voiture, il aura la femme ». Il est donc impossible, pour un jeune, de prendre la parole pour dénoncer sa propre situation sociale. C’est la honte. On baisse la tête et on continue. Bizarrement, j’ai trouvé le phénomène beaucoup plus marqué en Belgique qu’en France. Toutes les séquences que j’ai voulu tourner à Bruxelles se sont soldées par un échec (sauf deux qui ne sont pas dans le film car elles étaient plus faibles). Le couvercle sur la problématique sociale est donc mieux verrouillé en Belgique, il est intériorisé par les populations concernées. C’est grave.
Dans le contexte actuel de la montée de l’extrême droite, de l’intégrisme, d’un racisme exacerbé vis-à-vis des musulmans, quel est l’impact escompté du film ?
P.J. J’aimerais tellement faire douter. Briser quelques certitudes de la pensée unique sur la délinquance, les « sauvageons » et autre insécurité. Sur ce thème, il y a deux discours qui s’affrontent : celui des politiques (et des hommes d’affaires qui vendent de la sécurité), très simple, facile à comprendre, répressif, moraliste et qui aggrave le sentiment d’insécurité et le malaise social et puis il y a le discours des scientifiques, des criminologues, des sociologues, complètement en opposition avec les politiques. Leurs travaux sont passionnants, brillants, souvent complexes mais totalement inconnus des politiques et des journalistes (voir la bibliographie). Un scientifique vous dit qu’il n’a pas les moyens de mesurer l’évolution de la délinquance à court terme, qu’il n’existe pas de méthode scientifique pour ce faire et en même temps vous entendez les politiques parler de la délinquance qui augmente ou recule de x% en un mois. C’est un mensonge complet. C’est de la manipulation mais personne, je dis bien absolument personne ne le dit dans les media.
Pourquoi ne peut-on se fier aux chiffres de la délinquance ?
P.J. Parce les chiffres ne révèlent que la délinquance qui a été répertoriée par les forces de police. L’immense majorité des actes n’est jamais signalée. Comment peut-on les compter ? Les chiffres ne révèlent que la manière de travailler de la police. Par exemple, des policiers ont révélé récemment en France qu’on leur demandait, dans certains commissariats d’enregistrer le moins de plaintes possibles et même d’en détruire dans les ordinateurs pour faire baisser les chiffres sur tel secteur. La délinquance a explosé d’un seul coup en France dans les zones « gendarmerie ». Comme si tous les délinquants de Lille à Marseille s’étaient dit « à partir de telle date, on met le paquet ». Cela n’a aucun sens. Même chose dès la mise en place d’un nouveau gouvernement, le taux de délinquance diminue illico. Ou c’est de la magie, ou c’est de la manipulation. D’autre part, la plupart des délits sont invisibles : savez-vous qu’à Paris, une main-courante (pas repris dans les chiffres évidemment) sur deux enregistrée dans les commissariats est le fait d’une violence commise contre une femme par son conjoint ou son mari ? Vous parlez d’une violence ! La femme ne se fait pas voler son sac ou son téléphone, elle ne se fait pas « car-jacker ». Non, elle s’enferme chez elle avec son agresseur habituel et souvent très violent ! Dix pour cent des femmes de France en sont l’objet ! Mais on entend peu parler car les lobbies de la sécurité n’y peuvent rien. La sécurité est essentiellement l’enjeu d’un business. En France, par exemple, l’ « expert » en sécurité qui est sur tous les plateaux est Alain Bauer qui est, par ailleurs, le patron de la plus grande société de sécurité de France (AB Associated). Il a donc tout intérêt à gonfler le problème et à crier au feu car c’est lui le pompier qui se fera payer très cher pour éteindre l’incendie qui parfois n’existe que dans les têtes. Là où il a vendu un de ses premiers audits, c’est à Vitrolles sous la mairie socialiste. Quelques temps après la ville passait au FN...
Et la délinquance en « col blanc »...
P.J. J’allais y venir. L’autre délinquance invisible ou bien souvent l’objet de magnanimité, c’est la délinquance financière, le blanchiment, la corruption etc. Une poubelle qui brûle ou un sac arraché sera toujours plus visible que de l’argent blanchi au Luxembourg. Il est quand même étonnant de remarquer que deux pays comme la France et l’Italie ont à leur tête un délinquant notoire (sans parler des affaires de M. Bush). Cela ne semble gêner personne. Il y a des délinquances socialement mieux acceptées même si elles font plus de dégâts. Une société, Michelin par exemple, peut supprimer des milliers d’emplois pour faire grimper l’action en bourse. C’est moralement indéfendable mais ça, ce n’est pas de la délinquance. Et pourtant cela crée énormément d’insécurité, non ? Parlez-en aux libéraux (socialistes compris) en Belgique et en France, vous verrez ce qu’ils vous répondront : le marché. Toujours le marché. Mais quand il s’agit de réfléchir à le remettre en question, vous ne trouvez plus grand monde.
Vos films sont ancrés dans le social, pourquoi ? Pour dénoncer, par militance ?
P.J. Je ne veux évidemment pas faire que cela. Mais il est vrai qu’il y a urgence. Je ne crois plus du tout qu’il soit possible de faire de la politique dans un parti. Pas à cause des hommes mais à cause d’un système qui est complètement bloqué et qui amène les partis de gauche et de droite à avoir des programmes très semblables, c’est à dire un arrangement plus ou moins social avec la société de marché qu’on ne remet pas en question. Mais il y a d’autres manières plus efficaces de faire de la politique et de lutter pour la démocratie, (la démocratie participative, l’économie sociale et solidaire, l’instruction gratuite et de haut niveau et la culture pour tous, des services publics de qualité, etc) sans mandat, en faisant des films, en écrivant des livres, en participant à des forums sociaux, à des mouvements sociaux... C’est ce que je fais pour l’instant. Et l’avantage est que je ne brigue aucun mandat donc je n’ai pas besoin de plaire à un électeur donc je peux m’exprimer librement. Liberté que les politiques n’ont plus, puisqu’ils sont liés malgré eux à un marketing électoral.
Comment se fait le choix entre le documentaire ou la fiction ? Continuerez-vous dans le documentaire ou passerez-vous à la fiction ?
P.J. Les deux m’intéressent. Les deux genres ont leurs avantages et leurs limites. Impossible de montrer en documentaire ce que les frères Dardenne parviennent à faire ressentir en fiction. Mon idéal serait entre les deux genres, une sorte de mélange. Mais je n’y suis pas encore, j’ai encore beaucoup de travail. Je veux travailler beaucoup sur la forme, je voudrais vraiment avancer sur ce terrain. Travailler le style. Mais c’est difficile en documentaire car vous êtes coincé entre la volonté d’en dire plus et celle de le dire mieux. Il y avait par exemple une séquence de « La Raison... » avec un homme qui se promenait dans un quartier h.l.m. et parlait de la délinquance en col blanc. Un sociologue a vu le montage et trouvait qu’il fallait en dire plus en ce sens. Mais quand Thierry Garrel (ARTE) a vu le montage, il a trouvé que la forme de cette séquence ne correspondait pas au reste du film. La texture n’était pas la même. Il avait parfaitement raison et on a enlevé la séquence mais en regrettant de ne plus dire certaines choses. Ce sont toujours des choix difficiles pour lesquels on fantasme sur le degré d’information du spectateur : est-ce qu’il va comprendre ça ? est-ce qu’il sait déjà ça ? Un vrai casse-tête ! Mais passionnant.
Pour répondre à votre question, je travaille à un scénario de fiction et je réfléchis à un projet documentaire.
La prison occupe une place importante dans le film...
P.J. C’est le cœur du système ! J’ai compris en faisant ce film, que le principe de la prison n’est pas la privation de liberté. Celle-ci n’est qu’un moyen. Le principe de la prison est l’humiliation. Il faut faire plier (ou casser) ceux qui résistent au système, qui refusent de s’y soumettre parce qu’ils n’ont rien à perdre, qui n’acceptent pas de rester des hommes de deuxième classe parce qu’ils sont mal nés. Un des directeurs de la Direction des Services Pénitentiaires de Paris ne dit d’ailleurs rien d’autre quand il écrit : « Les délinquants sont des inadaptés sociaux et la finalité carcérale est de les remodeler pour les rendre aptes au fonctionnement de la société. »
Et pour ce faire on n’a rien trouvé de mieux que l’humiliation, violence invisible idéale pour faire plier les esprits. Cela fonctionne bien. Tout, dans une prison, est fait pour humilier les détenus. Et comme par hasard, cette humiliation est appliquée par des hommes (les surveillants) de la même classe sociale qu’eux. Certains directeurs de prison ont le courage de le dire clairement et de le dénoncer.
Un fait est très peu connu et pourtant, il explique tout notre système de société : il n’y a pas de corrélation entre taux de délinquance et taux d’enfermement en prison. Parfois, la délinquance stagne et on enferme beaucoup plus (comme aux USA où la population carcérale a été multipliée par 4 en 20 ans sans augmentation du nombre de crimes et délits). Par contre, il y a une corrélation importante entre la dérégulation du marché du travail (le chômage) et le taux d’enfermement dans les prisons. Plus il y a de chômeurs et plus on enferme, c’est une règle de notre société. Les prisons américaines ont pu faire baisser ainsi de deux points le taux de chômage du pays ! C’est donc une façon de régler le problème. Ce n’est pas un complot de magistrats évidemment mais il y a des mécanismes qui l’expliquent. Des tas d’études empiriques ont été publiées sur le sujet. Qui les lit ?
Vous plaidez donc pour une réforme du système carcéral ?
P.J. Pas du tout. Je plaide pour sa suppression. Pour paraphraser Pierre Reynaert, intellectuel et ancien directeur de prison : une prison qui permet au détenu de se réinsérer à la sortie est plus utopique qu’une société sans prison. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas réformer le système carcéral mais notre système de société. Faire ce que Jean-François Khan appelle « la révolution des modérés ».
Comment avez-vous été reçu dans les quartiers, en prison...
P.J. Au début, toujours avec méfiance, les media ont fait beaucoup de mal. Puis, petit à petit, quand les gens comprenaient que je ne venais pas pour les juger ni les filmer à la va-vite, que je passais du temps avec eux, ils m’ont souvent très bien accueilli. En prison particulièrement. Je n’ai pas peur de dire que j’y ai rencontré des gens formidables, qui avaient fait des bêtises soit, mais je ne suis pas là pour les juger. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais eu la vie de certains d’entre eux. Dans les quartiers, après un certain temps, j’ai eu un accueil formidable. J’y ai encore des contacts. Je me suis retrouvé la nuit, dans des caves avec des jeunes qu’on nous présente comme des « sauvageons » sans que rien ne me soit jamais arrivé. Je n’ai jamais eu peur. On ne m’a jamais agressé, ni insulté, ni rien volé même quand nous étions là avec du matériel de tournage. Tous ces jeunes ont seulement envie qu’on les écoute avec un minimum de respect. Ces quartiers ne sont pas les coupe-gorge que l’on nous dit. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’y passe rien.
Quel tort ont les medias dont vous parlez ?
P.J. Ils ont souvent le tort de parler de ce qu’ils ne connaissent pas. Les journaux télévisés en particulier. Quand quelque chose se passe dans un quartier, on vient vite avec une caméra, accompagné de policiers, on tourne trois images et on s’en va. (voyez la séquence des images d’émeutes à Amiens, comme les journalistes partent en courant avec la police). Et puis on dit des âneries et on passe à autre chose. De ce fait, ces quartiers sont frappés d’ostracisme, les gens ont peur des jeunes, des arabes, etc. Je ne vous parle pas des émissions de type « le droit de savoir » qui sont souvent filmées directement par la police et dont le but est clairement d’effrayer le spectateur. Dans ce cas, c’est clairement de la propagande. Ce n’est pas toujours la faute des journalistes à qui l’on demande une rentabilité et rien d’autre, qui n’ont pas le temps de faire leur travail et qui sont pressés par l’audimat pour cause de marché (encore). Savez-vous que Bouygues qui gère TF1, chaîne spécialiste de ces programmes de « marchand de peur », a aussi des intérêts économiques dans des sociétés de conseil en sécurité, en vidéo-surveillance, etc. Et il y en a beaucoup d’autres. Il ne faut pas oublier que la sécurité et l’insécurité sont avant tout des business.
Vous êtes très critique vis-à-vis de la police.
P.J. Je pense qu’une police est absolument nécessaire dans une démocratie et je sais qu’un certain nombre de policiers ont une haute idée de leur mission. Mais je suis convaincu que la police ne peut remplir son rôle que si elle travaille avec une parfaite déontologie. Dans le cas contraire, elle est au service d’une partie seulement de la population, aux dépends d’une autre. C’est ce qu’on appelle un « couvercle ». Pensez que des sondages révèlent que 6 Français sur 10 se décrivent personnellement comme « au moins un peu racistes », (en Belgique 22% des gens se disent « très racistes ») Imaginez que la police soit dans la moyenne... Vous voyez le résultat ? Pendant les repérages, j’ai traîné dans beaucoup d’endroits, j’ai beaucoup écouté et je peux vous dire que j’ai entendu des choses affreuses. J’ai entendu à plusieurs endroits des propos violents de la part de policiers et même d’un surveillant-chef. Imaginez leur attitude quand ils sont face à un jeune maghrébin ou un sdf ou une prostituée, les mains attachées. On entend parler de cela quand il y a un mort mais le reste du temps...On sait pertinemment qu’il y a de nombreux endroits où la police passe à tabac. J’ai été étonné, au tribunal de Lyon, de voir combien de policiers portaient plainte contre des prévenus pour blessure au doigt ! On souffre beaucoup des mains dans la police. Un jour un policier a même accusé un prévenu de lui avoir donné un « coup de boule à la main »... Beaucoup de professionnels, des travailleurs sociaux, des éducateurs, certains magistrats vous le diront sous couvert de l’anonymat mais personne ne bouge. J’ai moi-même vu des provocations policières incroyables, une amie en a encore filmé récemment à Lyon, je possède des photos d’une personne au sortir de sa garde-à-vue avec des traces de matraques sur tout le corps. Ca fait deux lignes dans un journal, un quart de page dans Le Monde ou dans Le Soir une fois par an et puis...
La séquence au tribunal est très violente également. C’est une critique des magistrats ?
P.J. Non, c’est une critique de certains magistrats. J’ai vu des juges faire leur métier... je ne trouve pas le mot... comme des héros. En essayant de prendre une décision qui est parfois seulement la moins mauvaise. En prenant leur métier plus qu’à cœur face à des drames humains parfois terribles. Mais à côté, j’ai vu d’autres magistrats que je ne veux même pas qualifier ici. Des gens qui s’amusent de la misère des autres, dont le grand sport est de faire pleurer les gens à la barre avant de les envoyer au trou ou bien de les insulter comme je l’ai entendu (« espèce d’imbécile »). J’ai vu un garçon de 19 ans se faire juger en comparution immédiate pour s’être battu avec un copain qui a porté plainte. Le prévenu dit qu’il est l’agressé et non l’agresseur. Le soir, au tribunal, le copain-victime vient témoigner et avoue être bien l’agresseur, ajoutant que l’autre n’a rien fait de mal et qu’il faut le relâcher. Le procureur se lève alors et demande de la prison ferme parce que se battre c’est toujours se battre. Quatre mois fermes pour le garçon.
L’autre petit monsieur qu’on voit dans le film avec son avocat et qui avait volé un cadeau d’anniversaire et des tranches de dinde : le procureur a demandé un an ferme et il a obtenu quatre mois ! Pour un type qui crève de misère. Est-ce la justice ? Mais ça, on ne le voit pas à la télévision tout simplement parce que c’est moins spectaculaire. Pas parce qu’il y a une censure. J’ai vu à ce propos un reportage sur un comité de rédaction de France 2 : le rédacteur en chef défend des sujets sur les livreurs de pizza et sur les lunettes de soleil. Comme le présentateur du journal semble ne pas aimer, le rédac-chef lui dit que s’il veut perdre la moitié des téléspectateurs, il n’a « qu’à faire un sujet sur la ségrégation à l’emploi ». Tout est dit.
Pensez-vous que la situation sociale puisse pousser des jeunes vers un Islam radical ?
On peut dire deux choses à ce sujet. Premièrement, les gens dans une situation de désespoir sont toujours susceptibles de se faire manipuler. Que ce soit par des intégristes religieux de n’importe quelle religion (il y en a partout), par des sectes, des extrémistes politiques... Ensuite, un autre problème plus grave se pose : les autorités attendent de l’Islam dit modéré qu’il prenne en charge les jeunes des quartiers pauvres en leur imposant une morale qui n’est rien d’autre qu’un couvercle sur le problème social. Quand vous n’avez rien à perdre (pas de travail, pas d’espoir d’en trouver un, plus vraiment de dignité) seule la peur de la prison ou la morale peuvent vous empêcher de passer à l’acte car tout vous y invite. Le banquet de la consommation est devant vous et vous n’y avez pas droit. Il faut donc vous faire peur avec la prison ou vous calmer avec la morale. Lors d’une interview à la télévision française, Sarkozy a récemment annoncé qu’à ses yeux « l’Islam peut être utile, la religion peut être un soutien à des jeunes qui n’ont rien dans la tête ».
La religion comme une police dans la tête...
QUELQUES CITATIONS, QUELQUES INFOS,
QUELQUES CHIFFRES
Prison et niveau d’instruction en Belgique :
En Belgique, 30% des détenus n’ont pas atteint le niveau primaire ou sont analphabètes. 75% n’ont pas de diplôme d’enseignement secondaire (général, technique ou professionnel).
Prisons et psychiatrie en France :
Il y a eu, dans les prisons françaises, 104 suicides en 2001 et 120 en 2002, c’est à dire un tous les trois jours. En France, on est passé d’une proportion voisine de 16% d’accusés jugés « irresponsables au moment des faits » au début des années 80, à un taux de 0,17% pour l’année 1997. On estime qu’un détenu sur deux a des troubles de personnalité.
Vidéosurveillance :
En mars 2001, une cinquantaine de caméras de surveillances installées dans seulement deux arrondissements de Lyon dont une vingtaine autour de la place des Terreaux. Coût : 18 millions de F.F. plus l’entretien très coûteux et une douzaine de salaires pour la surveillance. D’autres caméras ont été installées depuis. Une de ces caméras très précises peut lire une marque de bière sur un verre d’une terrasse.
Marseille : cité Félix Pyat ou Bellevue :
(cité en ruines à la fin du film et interview d’une mère de famille). La cité comporte 6.000 habitants. Dans certaines parties, plus d’ascenseur depuis 15 ans. Le loyer est d’environ 400 euros pour un T4. Jusqu’en 1999, personne ne nettoyait l’extérieur, on a enlevé 17 tonnes d’ordures dans une cour intérieure. Certains « marchands de sommeil », marseillais nantis ont acheté des appartements 760 euros pour les louer 380 euros par mois. La caisse d’allocations familiales leur payait directement le loyer. On estime qu’il y a 60% de chômeurs. Le sous-préfet Curé espère une évolution pour avoir « d’ici dix ans, une cité à peu près viable et supportable ». Lire Henry M., « Un bidonville vertical » in Libération, 26 décembre 2001, p. 1-3.
Délinquance :
60% des infractions enregistrées en France en 2002 sont des vols. Augmentation de 13% du nombre des gardes à vues en 2002. Miracle de l’année : hausse de 4% des chiffres de la délinquance entre janvier et mai 2002 puis baisse de 0,5% à partir de mai, dès que le nouveau gouvernement est mis en place et ce, sans augmentation du nombre de policier. Preuve évidente de la manipulation des chiffres ou de la sympathie bienveillante des délinquants pour le nouveau gouvernement...
« Théorie de la « vitre brisée » et de la « tolérance zéro » : Théories politiques issues du Manhattan Institute qui publie les théories de Wilson et de Charles Murray, gourou du capitalisme reaganien, et pour qui les inégalités raciales et sociales sont le résultat du quotient intellectuel. En résumé : l’homme moins intelligent sera plutôt noir, pauvre, vivant sa relation hors mariage. Il aura une propension au crime. C’est à New York sous la mairie de Giuliani que ces théories seront d’abord mises en œuvre avant d’être importées en Europe. New York embauchait alors 12.000 policiers (effectif total 46.000) et supprimait 8.000 postes dans les services sociaux (total 13.400 postes). Résultat : janvier 1999, quatre policiers new-yorkais tuent de 41 balles un garçon de 22 ans, désarmé et d’origine guinéenne. Une brigade de choc a arrêté 45.000 personnes sur simple suspicion et seulement une sur onze avait réellement commis un délit. Lire Wacquant Loïc, « Les prisons de la misère », Raisons d’Agir.
Mise au travail forcé des sans-emploi :
Dans différents pays européens (Grande-Bretagne, Belgique...) le welfare s’est transformé en workfare par la mise au travail forcé des chômeurs. En Belgique par exemple, l’allocation de « Minimum de moyens d’existence » (Minimex) a été transformé en « droit d’intégration sociale » avec mise au travail dans des conditions les plus précaires. L’origine de cette pratique est également américaine : Laurence Mead publie en 1986 une thèse qui fera école, « Au-delà des droits : les obligations de la citoyenneté » que l’on peut résumer par « le non-travail est un acte politique » contre lequel il faut recourir à l’autorité. Il faut remplacer l’état-providence par un état punitif pour forcer les pauvres à accepter les emplois pénibles et précaires. Tout cela écrit en toutes lettres.
Citation :
« Il est juste d’être intolérant vis-à-vis des sdf dans la rue », Tony Blair, rapporté par le Gardian, 10 avril 1997, cité par Wacquant, op.cit.
Prisons privées :
Le nombre de détenus dans les prisons privées d’Angleterre est passé de 200 à 4.000 en huit ans.
Immigration-délinquance :
En France, les étrangers sont plus souvent déférés que les nationaux (68 % contre 35 %).
La Belgique et la France en tête du racisme européen :
Selon une enquête effectuée à l’échelle de l’Union européenne au printemps 1997, une personne sur trois se déclare « un peu raciste » et une sur trois affirme ouvertement éprouver des sentiments « plutôt » ou « très racistes ». La Belgique arrive largement en tête avec 22% se déclarant « très racistes », suivie par la France (16%) et l’Autriche (14%). (Eurobaromètre 47.1)
Selon l’Eurobaromètre 2002, dans la population européenne, quatre explications justifient l’idée que l’immigration serait « un phénomène plutôt négatif » : le chômage va augmenter (71%), la criminalité va augmenter (60%), il y a déjà trop d’immigrés dans notre pays (57% +40 points par rapport à 2001), il y aura davantage de problèmes sociaux, notre niveau de vie va baisser (53%).
Racisme en France :
Une majorité de sondés (51 %) estime indispensable que les personnes d’origine étrangère qui vivent en France adoptent le mode de vie des Français.
Les trois quarts des Français (69 %) expriment à un degré différent un sentiment de racisme ou de xénophobie, selon la
Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui constate dans son rapport 2000 une stabilité sur dix ans. Selon le sondage Louis-Harris pour l’année 2000, 43 % des personnes interrogées se disaient en 2000 plutôt (12 %) ou un peu (31 %) racistes, 26 % s’affirmaient pas très racistes, et seuls 28 % pas racistes du tout.
En un an, 4 % des personnes interrogées sont passées du "pas très raciste" au "un peu raciste", la CNCDH y voyant une "dégradation" mais aussi une "banalisation" du racisme, tout aussi inquiétante, selon elle. 60 % des Français jugent qu’il y a trop de personnes d’origine étrangère en France.
Le racisme vise surtout les Arabes, avec une forte hausse de l’intolérance à leur égard (+ 12 points en 1999, confirmée en 2000). Pour justifier le sentiment de "rejet", le chômage et l’équilibre des comptes sociaux sont cités par un peu plus de la moitié des personnes
Racisme religieux en Europe :
La dernière enquête de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) montre que le Danemark et la Belgique sont les deux pays où la présence d’autres religions rencontre le plus d’hostilité au sein de la population. ”En moyenne, 15% des citoyens de l’UE expriment une certaine inquiétude à l’égard d’autres religions”, note l’enquête, mais le Danemark (32%) et la Belgique (26%) ”comptabilisent un pourcentage nettement plus élevé”. Ce résultat montre, selon Beate Winkler, la directrice de l’EUMC, que ”dans les pays où des partis politiques utilisent la religion comme un élément de leurs campagnes, l’impact sur l’opinion publique est important”.
Le sens de la peine carcérale :
Au départ, la prison était un lieu d’expiation par la souffrance et la solitude. Il s’agissait d’une vision religieuse. Le mot « cellule » est d’abord un mot qui appartient au vocabulaire religieux. Etymologiquement la cellule est une petite chambre où l’on est seul. Elle représente un lieu de silence et de recueillement qui favorise la conversion de l’âme à Dieu.
La souffrance infligée doit permettre de racheter les fautes.
La symbolique religieuse a ensuite été remplacée par celle de l’économie : être emprisonné c’est payer une dette. C’est rembourser la société.
Aujourd’hui, c’est une utopie pseudo-sociale qui domine :l’enfermement resocialiserait le condamné ! Outre l’impossibilité de l’idée, on peut remarquer qu’il n’est jamais question de remédier au causes sociales de la délinquance. La faute n’est jamais dans la structure sociale, toujours dans l’exclu. La preuve dans les propos d’un directeur des services pénitentiaires de Paris : « Les délinquants sont des inadaptés sociaux et la finalité carcérale est de les remodeler pour les rendre aptes au fonctionnement de la société. » Autrement dit, leur apprendre à accepter leur condition.
Nombre de détenus :
Aux Etats-Unis, le taux d’incarcération a quadruplé en vingt ans, tandis que la criminalité est restée stagnante. En France de 380.000 détenus en 1975, on est passé à 1,6 millions en 1995 avec une croissance de 8% l’an. Or les crimes et délits n’ont évidemment pas augmenté de 160%.
Aux Etats-Unis, la prison est devenue l’outil central de gestion de l’insécurité sociale et il semble que l’Europe suive le même chemin.
Prison et pauvreté :
Il n’y a aucune corrélation entre le taux d’incarcération et le taux de criminalité. (lire à ce propos : Rushe et Kirchheimer, Peine et structure sociale). En revanche, il y a un rapport étroit entre le taux d’incarcération et le taux de chômage observé dans un pays. De nombreuses études empiriques le démontrent dans différents pays. La prison est donc une manière de faire pression et d’imposer le salariat précaire et sous-payé quand l’offre de main d’œuvre dépasse la demande.
Pauvreté et psychiatrie :
En Belgique : 56% des tentatives de suicide touchent des personnes affectées par des conditions socio-économiques défavorables. (GOSSET Ch, Aspects épidémiologiques du Suicide. In : Observatoire n°2, 1994. )
Les taux de suicide en Belgique et en France sont les plus élevés d’Europe (si l’on excepte la Finlande dont la situation est particulière). Beaucoup plus qu’aux Etats-Unis ou au Japon. Pour 100.000 habitants : 49,2 suicides annuels en Belgique, 41,2 en France, 24 aux Etats-Unis, 37 au Japon et 7 en Grèce.
Ecole et violence :
Description d’une classe dans une école française : citation du livre : Collèges de France, de Mara Goyet, éditions Fayard.
« Le père d’une élève s’est suicidé. Depuis, elle a des pertes de mémoire et tombe sans cesse malade. La mère d’un jeune garçon ne veut plus l’avoir à sa charge, il vit désormais chez ses grands-parents. Le jour de son anniversaire, il attend sa visite toute la journée, elle ne vient pas. Il s’endurcit.
Une jeune fille dont la naissance n’était pas désirée est élevée par ses grands-parents, qui l’infantilisent. Elle suce son pouce à longueur de cours.
Un élève fait des aller-retour entre le domicile de sa mère et des familles d’accueil. Il est dans l’affrontement perpétuel.
Un de ses camarades arrive tout juste d’Afrique ; son père meurt d’une crise cardiaque deux mois plus tard.
Une autre débarque précipitamment d’Algérie ; on a peine à imaginer ce qu’elle y a vu et perdu.
Tous ces cas dans une seule et même classe. Ils vont mal, ils en donnent tous les signes. Ils deviennent souvent incontrôlables. Ils se montrent odieux. Ils restent sans aide, sans soins. Ils sont tous les jours devant nous. Notre sévérité et notre agacement envers eux nous paraissent tour à tour du respect et de la cruauté. Nous tentons de comprendre sans excuser. Nous nous efforçons de faire abstraction, d’éviter l’empathie, de travailler hors contexte, hors société. Dans tous les cas nous sommes injustes, balourds, peu délicats. La misère du monde pénètre au collège et nous ne savons qu’en faire. Alors on se dit que le mieux est de continuer à travailler normalement, de juger des résultats scolaires, de vérifier que les devoirs ont été faits, de veiller à ce que chacun se tienne bien en classe, comme si de rien n’était. De ne considérer que l’élève. Toujours avec l’idée que l’on est peut-être monstrueux. »
C I T A T I O N S E X T R A I T E S D U F I L M
Kamel, guitariste, Amiens
A partir du moment où on accumule un certain nombre de personnes ensemble ayant des problèmes, on concentre tous les problèmes, on les met tous ensemble. C’est vrai que la misère liée à la précarité, à l’emploi, à la formation, la frustration de ne pas pouvoir consommer dans un pays où la consommation est en abondance etc.... Ça commence par la frustration, frustration qui conduit à l’angoisse, angoisse qui conduit à la dépression, la dépression peut conduire après, ou à se foutre une balle dans sa tête, ou extérioriser ça avec la violence, avec tout ce que tu peux. C’est toutes ces choses qui s’entremêlent et qui font que tout ça est concentré à un endroit précis, décentralisé.
Mohamed, le jeune homme qui cherche du travail
Pour rechercher du travail, on dit souvent : il faut taper à dix portes, il y en a une qui va s’ouvrir. Nous qui sommes d’origine étrangère, il faut qu’on tape à vingt portes pour espérer qu’il y en ait une qui s’ouvre. Donc, j’ai souvent eu affaire à des patrons qui me disaient : « Moi, je suis pas raciste mais j’ai peur que mes clients, quelques uns de mes clients, eux, le soient et on risque de louper quelques contrats à cause de ça. Donc, excuse-moi, je peux pas t’embaucher. » Pour aller chercher un emploi derrière ça, c’est pas évident, quoi. On a peur que ça se reproduit. Parce qu’on se dit, j’ai rien fait, merde, j’ai rien fait, c’est une injustice, quoi, pourquoi moi, quoi ?
M. Bidart, l’homme à la caméra de la cité d’Amiens
Ce soir-là dans la cave, il y avait une fête d’anniversaire avec des enfants à peu près de dix à vingt ans, pas plus. Ils s’amusaient, quoi, c’est bon, à un anniversaire on s’amuse. Et puis ils faisaient rien de mal du tout, pff, au contraire. Ce jour là, c’était calme, très calme. Il a fallu que ces messieurs ils passent, et puis voilà ils ont ouvert la porte, les gosses ils demandaient qui c’est qui était derrière, forcément ils ont demandé, c’est les CRS, ils ont demandé pourquoi, et puis bon ils ont ouvert la porte et ils se sont fait gazer, et voilà. Les CRS, ils ont gazé ces jeunes. Eux ils pouvaient pas ils avaient rien. Ils avaient rien pour se défendre. Alors ils sont sortis affolés c’est normal. (...) Et puis après, ça a dégénéré, forcément. Il y a un petit peu de chahut, et puis un peu de bagarre. Ils s’amusaient et puis, pff, là ils ont même pas dit la cause pourquoi ils sont passé, on sait pas. Les jeunes, ils comprennent pas, quoi. On dit que les jeunes c’est agressif, on dit ci, on dit ça, on dit beaucoup de choses, et puis moi, je sais pas, moi, je vois pas. Je vois pas. Après on dit : il y a de la violence. Elle vient de quelque part. Moi je dis, elle vient de quelque part. Voilà.
Le prisonnier de la prison derrière la grille
La majorité des gens ici, ils ont même plus la raison. Pourquoi ? On les gave de médicaments pour qu’ils se calment et on leur fait perdre leur tête. On leur fait perdre tout quoi, ils ont plus rien, il y en a qui ont plus rien. Moi, par exemple on m’a piqué deux fois à l’Aldol, vous connaissez l’Aldol, ça te drogue, ça te rend mort, tu peux plus penser, tu peux plus bouger, tu peux plus rien faire alors tu restes à regarder le mur comme si tu étais un drogué quoi. (...) Nous, on veut de l’amour et les gens ils croient que nous sommes des animaux.
Le prisonnier dans la cour
Pourquoi, quand t’arrives en sixième on t’oriente automatiquement vers le professionnel ou vers les enseignements techniques, les enseignements manuels, les autres on les oriente vers les rénovés, les universités et ainsi de suite. Déjà là ton destin il se joue. Ils vous orientent vers les métiers manuels, vers la déprime, le manque d’argent, vers... Vous connaîtrez que le monde des ouvriers. (...) Je commence à me taper, moi, une vie d’ouvrier, je regarde la vie de mon père et je vois que toute sa vie il a trimé et moi aussi j’ai fait la même chose pour rouler en vieille camionnette pourrie, des enfants à qui je ne peux même pas payer une paire de baskets convenables, fils d’ouvrier, t’es un futur ouvrier ou bien un futur taulard.
Abdelaziz devant la table d’orientation de Lyon
Quand vous mettez quelqu’un dans des situations telles et qu’en même temps vous le brimez, vous le frustrez, vous l’excluez, vous le mettez dans des conditions où il subit l’humiliation voire quotidienne eh bien comment voulez-vous qu’ils se révoltent pas, ces jeunes-là, donc il faut pas s’étonner, on allume pas le feu et on s’étonne d’où vient la fumée par la suite. Il y avait une impunité d’ailleurs qui continue malheureusement aujourd’hui, une impunité par exemple de policiers lorsqu’ils commettent des bavures lorsqu’il y des jeunes issus de l’immigration maghrébine qui sont tués dans des bavures eh bien souvent les policiers s’en sortent avec trois fois rien. On a vu dernièrement effectivement un policier qui a tiré dans le dos d’un jeune et qui est sorti acquitté effectivement en cour de cassation et ça on pense que c’est une injustice qui est flagrante parce que quelqu’un qui est immigré, issu d’un quartier défavorisé, qui est de couche sociale défavorisée et qui en même temps est musulman, eh bien il accumule les handicaps.
Un substitut du procureur au Palais de Justice de Lyon
La loi, c’est moi.
Le prisonnier dans la cour
Le gars il arrive un certain moment où il fait dix-huit ans il voit autour de lui, il regarde des gens avec des voitures, il regarde des gens avec des beaux habits, des gens qui se permettent des sorties en discothèque, des gens qui se permettent des restaurants, des gens... le gars il est là il se sent inconnu à ce monde là. Il se dit comment il faut faire pour accéder à ce monde là pourquoi certaines catégories peuvent se permettre et d’autres non, ce qui veut dire que vol, agression, tout ça c’est permis pour y arriver dans cette jungle. Tu commences par prendre goût à l’argent, tu y prends goût et tu te dis ça y est, je commence à faire partie du monde actif, tu commences à te permettre des sorties, les filles s’intéressent à toi, tu roules en belle voiture, t’es respecté par les gens, ça y est, tu commences à goûter à ce que tu vois à la télé, les séries là. Personne vit comme eux, maintenant que je suis ici, je réalise, il y a personne qui vit comme eux, c’est inimaginable. Franchement on commence à voir clair, on commence à voir très très clair. Une fois qu’on est ici, on a le temps de réfléchir, on a le temps de penser. C’est comme un circuit de voitures. Vous ne pensez qu’à doubler, vous êtes dans le circuit, vous êtes au volant de votre voiture, vous pensez qu’à doubler et à avoir la première place. Ça va à deux cents à l’heure, vous avez pas le temps de voir ce qui se passe autour. Nous, c’est quoi, nous, c’est les voitures qu’on a pris du circuit pour un mauvais fonctionnement ou pour un tête à queue qu’on a fait de trop, on nous a sortis du circuit et on est là et on voit les voitures tourner comme des fous, on a le temps de réfléchir et on se dit : oh on était là-dedans, nous, on était là en train de courir comme des fous après quoi, après l’argent ? On voit la société comment elle marche, on voit la justice comment elle marche. Franchement il y a aucun espoir, il y a aucun espoir. A chaque cause il y a un effet, à chaque effet il y a une cause. Le fait d’être criminel c’est qu’il y a vraiment un déclic qui se fait et ce déclic si eux arrivent à essayer de se donner la peine de le comprendre, franchement la société elle tournera mieux.
Pierrot, le monsieur du Panier à Marseille
Ce qui m’avait plu quand je suis arrivé à Marseille, c’est que je me suis dit, tiens, les immigrés, ils sont au centre de la ville. Il y a longtemps qu’à Bordeaux, Toulouse et des villes comme ça, voire Lyon aussi... tandis que là, tu disais, tiens, ils sont là. Il y avait Belzunse, il y avait ici. Belzunse, c’est la même chose, ils sont en train de détruire tout derrière Belzunse. Où sont passées les populations ? Mais les populations, à force, dans les cités, les Maghrébins, les Comoriens, là où il y a beaucoup d’enfants, ils se sont retrouvés... On leur a rien proposé de mieux que des cités, c’est tout. On les a éloignés. C’est la nouvelle population qui arrive. Ils nous font partir puisque qu’ils investissent, soit dans le quartier, soit ils viennent habiter ici... Parce que le prix du mètre carré est en train de doubler, de tripler. Investissez dans la pierre ! Investissez à Marseille ! Bon, on a très bien compris, et les uns et les autres, qu’à un moment donné, c’est une question de temps. Eux ont malheureusement l’argent et nous, on n’a rien. Donc à partir de là, c’est vite fait. Tu comptes pas pour grand chose. Ils ont décidé de changer un moment donné une population en disant, bon, on va prendre des gens un peu plus jeunes, qui ont un peu plus les moyens et, soyons clairs, qui soient très français. Moi, je crois que le quartier va devenir très très blanc. Puisqu’on se sépare des Comoriens et des Maghrébins, il reste qui ? (...) La ségrégation, c’est évident (...) elle est économique, elle est à tous points de vue.
La locataire du Panier à Marseille
J’ai été obligée de placer mes gosses, moi, c’est pas possible qu’ils vivent là, déjà, j’ai pas le droit de les faire vivre dans des conditions comme ça parce que c’est la DDASS qui va me tomber dessus. Avant qu’elle vienne, je les ai placés chez la famille. Parce que là, c’est pas vivable. Encore pire, si je fais intervenir les services sociaux, avec des enfants ici, ils vont me les prendre : « Ah, mais non, les enfants, ils ne doivent pas vivre comme ça ». Ils vont les mettre dans des familles agréées par la DDASS.
La mère de famille de la cité de Félix Piat à Marseille
La pauvreté, la saleté et puis la misère. Vous savez, comme ci cette cité-là, elle faisait pas partie de Marseille, carrément. Les gens ont peur, de toutes façons, quand on leur dit qu’on habite Félix Piat, je sais pas, comme si on était des Indiens, des Zoulous, quoi. On vient d’une autre planète. C’est vrai qu’on a honte parfois de dire qu’on habite Félix Piat. Même pour nos enfants. De toutes façons, même quand on va chercher un travail, on dit qu’on habite Félix Piat... parce qu’il y a pas que des gens qui sont des nuls qui sont ici dans la cité, non, il y a des gens qui travaillent, il y a des gens qui ont eu leur bac maths avec mention très bien, ici. C’est pas parce qu’ils habitent une cité comme ça qu’il y a pas d’intelligence.
V O I X O F F
Introduction
Quelle drôle d’époque !
Hier encore, on a fermé une usine, jetant sur la route des milliers de personnes.
Pas assez rentable.
Alors on ferme, on fusionne, on délocalise.
Alors qu’en face on construit une prison.
Faudrait-il effrayer les chômeurs ?
Faudra-t-il que les exclus enferment leurs désirs sous peine d’être enfermés eux-mêmes ?
Que sommes-nous en train de faire ?
Avons-nous perdu la raison ?
Amiens
J’ai beau traverser l’Europe, passer de ville en ville, rien ne se ressemble et pourtant tout est pareil : les beaux quartiers, les cités ouvrières, les rues des immigrés jetés aux loin près des usines et que l’on désigne comme des repères de bandits, de voleurs, de voyous.
Et qui font le bonheur des journaux télévisés.
« Là où ils font un désert, ils disent qu’ils ont donné la paix. Bienvenue Rue Fafet. Rue du blues. »
Amiens : Restos du Cœur
Alors on distribue des colis alimentaires de survie à ceux qui n’ont plus rien.
Alors on chasse les habitants.
On vide les immeubles qu’on se prépare à détruire pour disperser la misère trop voyante ou trop tapageuse.
Amiens : destruction
Rue du blues.
Les habitants sont partis.
On démolit les immeubles.
On efface les souvenirs.
On fait semblant de recommencer à zéro.
On se donne bonne conscience.
On gagne du temps.
Mais que fait-on ?
Prison : début
J’ai visité une prison.
J’ai vu les cellules.
J’ai vu la crasse.
J’ai vu l’humiliation érigée en système, et le désespoir.
J’ai vu le mitard, cellule de punition où l’on vous enferme pendant des semaines dans l’isolement complet.
Où l’homme le plus solide devient un malade mental.
J’ai vu les ateliers où le détenu devient main d’œuvre.
J’ai rencontré des prisonniers.
Lyon : introduction
C’est étrange comme nos villes sont semblables et comme nous nous ressemblons tous.
Nos statues sont différentes mais notre course est identique.
La grande Compétition se poursuit sans que personne ne la conteste
Même pas ceux qui l’ont perdue d’avance.
Lyon : vidéo
Quelle drôle d’époque.
Nous voulons tous être de petits rois, sans risque visible et sous haute protection de vidéo-surveillance.
Mais nous sommes prêts à nous battre au premier carrefour pour un doigt levé, pour un regard ou pour un mot porté trop haut.
Nous voulons être libres mais notre liberté s’achète avec des babioles.
Nous sommes des Indiens, soumis par quelques verroteries tendues par des conquistadores.
Lyon : justice
Palais de justice. Magistrats. Dossiers. Système.
Lyon : manifestation
Parfois, des familles de détenus morts en prison manifestent contre le système pénitentiaire.
Parce qu’il provoque la mort, le suicide, mais les considère comme une fatalité, une malchance ou une maladresse inévitable.
Prison, mitard
Au rez-de-chaussée de la prison, un détenu a voulu se pendre dans sa cellule.
Alors on l’a décroché et pour le punir, le médecin l’a fait mettre au mitard.
Marseille, introduction
On m’avait dit.
On m’avait dit d’aller voir vers le sud.
La Méditerranée.
Des villes cosmopolites et des quartiers populaires qui n’ont pas honte d’eux-mêmes.
C’est ce qu’on m’avait dit.
Marseille : hôtels
Pendant ce temps, les vieux ouvriers immigrés survivent dans des hôtels en ruine, attendant qu’on les déloge.
Main d’œuvre périmée qu’on abandonne comme des outils rouillés au fond du jardin.
Alors on rase les maisons, les hôtels pour bâtir des quartiers d’affaires, bureau de standing, immeubles de rapport.
Et les vieillards se retrouvent à la rue et les familles sont relogées dans des cités de relégation où elles seront priées de se tenir tranquilles.
Le quartier que j’ai vu n’a plus de vide-ordures ni d’ascenseur.
Depuis dix ans.
Conclusion
A quoi rêve-t-on derrière ces grilles ?
A quoi rêve-t-on ?
Bientôt la prison sera terminée.
Peut-on dormir tranquille ?
La misère viendra s’entasser dans un bâtiment propre.
Que sommes-nous en train de faire ?
Avons-nous perdu la raison ?
B I B L I O G R A P H I E S U C C I N T E
· WACQUANT LOÏC, Les prisons de la misère, Raisons d’agir éditions, 1999.
· RUSHE G. ET KIRCHHEIMER O., Peine et structure sociale, Editions du Cerf, 1939.
· REYNAERT P., Détruire la prison : un droit de l’homme, in Supplément 57 au manuel de police, éd. Kluwer, septembre 2000.
· MUCCHIELLI L., ROBERT P. et al., Crime et sécurité- L’état des savoirs, éditions la découverte, 2002
· SAINATI G., BONELLI L. et al, La machine à punir, L’esprit frappeur, 2000.
· BRION, REA, SCHAUT et al., Mon délit ? Mon origine Criminalité et criminalisation de l’immigration, Deboeck Université, 2001
· VAN CAMPENHOUDT L., CARTUYVELS Y., DIGNEFFE F., et al, Réponses à l’insécurité Des discours aux pratiques, éd. Labor, 2000.
· MUCCHIELLI LAURENT, Violences et insécurité Fantasmes et réalités dans le débat français, La découverte, 2001.
· Collectif, La fabrique de la haine, L’esprit frappeur, 2002.
· TEMIME EMILE, France, terre d’immigration, Découverte Gallimard, 1999.
· BENGUIGUI YAMINA, Mémoires d’immigrés, Canal + éditions, 1997.
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· LIVROZET SERGE, De la prison à la révolte, L’esprit frappeur, 1999.
· RAJSFUS MAURICE, Police et droits de l’homme, L’esprit frappeur, 2000.
· KHERFI YAZID ET LE GOAZIOU VERONIQUE, Repris de Justesse, éd. Syros, 2000.
· Collectif, Paroles de détenus, éd. Librio Radio France, 2000.
Divers :
· Différents rapports et documents publiés par l’Observatoire international des prisons ainsi que le site www.oip.org/index.htm
· Différents documents et dossier de La Cimade
Presse quotidienne (quelques exemples)
· LEVY ALBERT, Une justice sous influence sécuritaire, in Libération, 7 décembre 1999.
· BARTHELEMY P. , L’ Ordinateur commence à interpréter les images de vidéosurveillance, in Le Monde, 22 août 2001.
· GARCIA, A., Des habitants d’un quartier de Saint-Denis dénoncent la violence gratuite d’une vingtaine de policiers, in Le Monde, 30 octobre 2001.
· COURTOIS C., Une série de suicides révèle l’insuffisance de la surveillance psychologique à la maison d’arrêt de Gradignan, in Le Monde, 23 octobre 2001.
· Collectif, Dossier Services psychosociaux Prisons, pognon, pression, in Le matin, 7 mars 2001, p1-3.
· Chambon Frédéric, La difficile ascension sociale des diplômés issus de l’immigration, in Le Monde, 4 juin 2002, p.12.
· Aquatias S., Le Shit-salaire du bas de la barre, in Le Nouvel Observateur Paris-Ille de France, 5 avril 2001, pp 10-11.
· DUPONT Gilbert, Contrôler les jeunes d’origine maghrébine, in La Dernière Heure, 27 février 2002.
In Manière de Voir
· MARS-AVRIL 2001, n°56
« Sociétés sous contrôle »
· SEPTEMBRE-OCTOBRE 2001, n°59
« Peurs et menaces nouvelles »
Dossiers
· AIZICOVICI F. ET ROSSIGNOL L., Dossier Les galères des diplômés maghrébins depuis le 11 septembre, in Le Monde Campus, novembre 2001.
· LINDGAARD JADE, La prétendue montée de l’insécurité, in Les Inrockuptibles, mars 2001, P.24-28.
In Le Monde Diplomatique (quelques exemples)
· CYRAN OLIVIER, TOLÉRANCE ZÉRO, MAIS POUR QUI ?
Violences policières impunies, NOVEMBRE 2001, page 12.
· WACQUANT LOÏC, LES IMPASSES D’UN MODÈLE RÉPRESSIF
Sur quelques contes sécuritaires venus d’Amérique, MAI 2002, pages 6 et 7.
· MAZOYER FRANK, BIG BROTHER BUSINESS
Surveiller est aussi un marché, AOÛT 2001, page 17.
· BEAUD STÉPHANE, RÉVOLTE DANS LES QUARTIERS
Emeutes urbaines, violence sociale, JUILLET 2001, pages 1, 18 et 19.
· RIMBERT PIERRE, Omniprésence médiatique, FÉVRIER 2001, page 21.
· Collectif, Dossier : « L’obsession sécuritaire »
Des quartiers en danger aux « quartiers dangereux », FÉVRIER 2001, pages 18 et 19.
· GARCIA SANDRINE et POUPEAU FRANCK, L’ENSEIGNEMENT PRIS EN OTAGE, Violences à l’école, violence de l’école, OCTOBRE 2000, pages 4 et 5.
· BOURDIEU PIERRE et WACQUANT LOÏC DOSSIER : « L’AMÉRIQUE DANS LES TÊTES » La nouvelle vulgate planétaire, MAI 2000, pages 6 et 7.
· WACQUANT LOÏC, L’IDÉOLOGIE DE L’INSÉCURITÉ Ce vent punitif qui vient d’Amérique, AVRIL 1999, pages 1, 24 et 25.
ET AUSSI
· A propos de Khaled Kelkal :
Le Monde du 7 octobre 1995 (p12) et aussi du 12 sept 1995, du 2 oct. 1995, du 3 oct. 1995.
· A propos de la jeunesse qui fait peur :
Sciences humaines ’ Enjeux N°116 mai 2001 pp16-20.