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Laurent Jacqua : L’absence d’humanité vis-à-vis du malade est totale

Mise en ligne : 15 April 2005

Texte de l'article :

« L’absence d’humanité vis-à-vis du malade est totale »

Laurent Jacqua, incarcéré depuis 1984, a appris sa séropositivité à son arrivée en prison. Révoltes et évasions lui ont valu de nouvelles condamnations. Il n’aura effectué la totalité de sa peine qu’en 2021.
« Théoriquement, tout prisonnier a accès aux soins. Reste à savoir comment il y accède. Le temps d’attente est long, pour obtenir un rendez-vous avec des médecins qu’on ne choisit pas. S’ils ne nous mettent pas en con ?ance, on ne peut rien y faire. Toutes les opérations et auscultations à l’hôpital, on les subit menottes dans le dos et chaînes aux pieds, en présence du personnel pénitentiaire et des gendarmes. Le secret médical n’existe pas pour nous et nos droits fondamentaux sont niés par une logique répressive jusqu’à l’indécence. Mais le plus dur, quand on est malade, reste l’enfermement en cellule, dans un environnement dif ?cile. La dépression guette chacun d’entre nous et elle amenuise nos défenses immunitaires. J’en connais qui en sont morts. Les conséquences psychologiques des quartiers d’isolement sont encore pires : on y vit coupé de toute communication, avec une cour de six mètres carrés pour la promenade... C’est un lieu de torture. Or, comment pourrait-on à la fois torturer et soigner ? En 1996, j’ai attrapé une pneumocystose aiguë alors que je me trouvais en quartier d’isolement. Je frôlais la mort quand un surveillant s’est rendu compte que je n’allais pas très bien... J’ai été pris en charge cinq jours à l’hôpital et on m’a renvoyé en quartier d’isolement, avec l’accord du médecin de la prison : la majorité des médecins sont à la botte de l’administration pénitentiaire. L’absence d’humanité est totale, en milieu carcéral. Il ne faut surtout pas y être malade.
J’ai récemment fait une demande de suspension de peine, qui m’a été refusée, parce que je vais bien en ce moment : mon sida s’est stabilisé. Mais jusqu’à quand ? On attend que je sois sur mon lit de mort pour me faire sortir, et encore... si l’on m’en sort à temps. Tout ministre qui aurait un ?ls atteint d’une grave maladie en prison ne supporterait pas l’idée qu’on le laisse en arriver à un état de déchéance ; il demanderait son placement en résidence surveillée. Mais les ministres ne se posent pas ces questions. Soucieux de ne pas effrayer les foules, ils brandissent des projets d’hôpitaux-prisons au nom des droits de l’homme, sans comprendre que la prison ne sera jamais un hôpital. Ce faisant, c’est la peine de mort qu’ils nous proposent. »

Propos recueillis par L. D.