François Korber, le droit contre les barreaux
Il arrive au rendez-vous en costume cravate, vêtu d’un manteau bleu marine, de bonne facture, quelque peu défraîchi. François Korber habite en temps ordinaire dans "l’appartement" C 365, quai de la Courtille, à Melun (Seine-et-Marne). C’est l’adresse de la prison. Le détenu est en permission pour une journée.
Son manteau a une histoire. Geneviève Tamas, sa visiteuse de prison à Châteaudun, garde de sa première rencontre avec François Korber l’image d’"un grand monsieur avec un pardessus négligemment posé sur l’épaule". Elle l’avait pris pour un enseignant. Plus tard, elle eut toutes les peines du monde à convaincre l’administration pénitentiaire de la laisser sortir le vêtement pour le faire nettoyer et rapiécer. Il a même été confisqué, lors de l’un de ses passages à Fresnes - où tous les détenus séjournent pour passer d’un établissement à l’autre - car les surveillants avaient peur qu’il ne se confonde avec leur uniforme.
Ce manteau est un vieux compagnon de détention et l’un des symboles de la lutte que mène François Korber pour que la prison "n’imprime pas" sur lui. C’est pour cela qu’il ne donne jamais son numéro d’écrou et qu’il indique pour adresse un appartement et non une cellule. Cela fait partie des "mécanismes d’autoprotection" qu’il a mis en place en détention. Son presque quart de siècle passé en prison - en trois séjours - ne se voit pas sur cet homme de 56 ans, qui fut dans une autre vie un jeune loup RPR, tendance Chaban.
Son arme de combat principale à l’intérieur de la prison est le droit. Il multiplie les recours contre le ministère de la justice. Il a déposé une requête au Conseil d’Etat contre un décret de juin 2008, censé prévoir l’organisation du placement en cellule individuelle des prévenus dans l’attente de leur jugement, mais qui, en fait, rend difficile, sinon impossible, son application. Le recours a été mis en ligne sur le site de Ban Public [1], une association pour la communication sur les prisons où il propose à d’autres détenus de se joindre à lui.
Il ne s’agit pas d’un passe-temps pour s’occuper pendant la détention. C’est devenu une forme de mission. Progressivement, il est passé d’un acharnement procédurier uniquement centré sur la défense de sa cause, pour retarder la procédure, dénoncer les magistrats chargés de son dossier, à des recours pour des compagnons de détention moins armés juridiquement. En prison, il est surnommé "l’avocat" ou "Robin des lois". Des professeurs de droit éminents comme Martine Herzog-Evans et Eric Péchillon ont régulièrement commenté les décisions prises après ses recours. L’universitaire Jean-Paul Ceré l’a félicité "pour la voie juridique qu’(il a) embrassée avec un talent certain".
En 1994, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt Korber qui permet à un détenu de s’opposer à une mesure de révocation d’une libération conditionnelle. Martine Herzog-Evans a commenté cet arrêt en indiquant qu’il s’agissait d’une " révolution". C’est le début de sa carrière juridique. Depuis, il a fait venir un huissier au quartier disciplinaire de Riom, où il explique qu’il a "failli mourir de froid". A Châteaudun, il obtient un vélo de rééducation pour un détenu qui risquait de devenir infirme.
Il aide les détenus pour contester leurs sanctions disciplinaires. Ou simplement écrire des lettres. Il avait même revendiqué une activité rémunérée d’écrivain public au sein de la prison. Cela irrite l’administration pénitentiaire. "J’ai été convoquée deux fois par des responsables de la prison car ils trouvaient que je passais trop de temps avec M. Korber, explique Geneviève Tamas. Ils ne le supportent pas, car il est toujours à l’affût pour faire des actions en justice. Vu l’état des prisons, il y a du boulot !"
Il fait des recours sur les petites humiliations quotidiennes. Il n’a pas pu recevoir les oeuvres de Balzac avec son abonnement au Monde, car il s’agit de livres cartonnés interdits en détention. Il demande qu’on appelle les détenus "Monsieur". Et il prépare un recours sur la télévision, symbole de ces règles qui changent d’un établissement l’autre.
A Riom, les prisonniers avaient la possibilité d’acheter leur téléviseur, ce qu’il a fait. Depuis, son poste le suit de prison en prison, au gré de ses déménagements imposés, mais reste dans la salle des fouilles. Il n’a pas le droit de l’utiliser, car ce n’est pas prévu par le règlement. Il est obligé de payer 36 euros par mois pour regarder la télévision.
François Korber a eu une autre vie. Celle d’un enfant de la bourgeoisie bordelaise promis à une belle carrière, après ses classes préparatoires au lycée Henri-IV, à Paris. Il se souvient, ému, de son article sur Philippe Henriot, publié dans Le Monde en 1974. Il fait un beau mariage, a un enfant - qu’il n’a jamais pu revoir. La vie politique s’ouvre alors à lui. Il part en campagne dans le sillage de Jacques Chaban-Delmas, à l’assaut d’une circonscription de gauche de la banlieue de Bordeaux, en 1978 et en 1980. "Ce grand escogriffe en costume rayé trois pièces", écrivait Le Monde en 1980. "Un homme jeune pour l’avenir", disait son affiche électorale. Et puis tout s’écroule.
Sa femme le quitte, les factures de campagne ne sont pas réglées. Un colleur d’affiches est découvert mort dans sa permanence électorale. Il est soupçonné de complicité d’assassinat. Son activité procédurière commence. Pendant le procès, le président l’appelle "Maître". Il est condamné à dix ans de réclusion criminelle. Mais réussit à faire casser l’arrêt. François Korber a un côté Don Quichotte à l’assaut des moulins à vent que sont pour lui les hommes de loi. Il est rejugé, mais sa peine est aggravée à quinze ans.
A sa sortie, il essaie de revenir à Bordeaux et de retrouver le lustre d’antan. Il est pris dans une histoire d’escroquerie, retourne en prison, ressort pour se faire condamner pour contrefaçon après avoir publié une édition pirate du Grand Secret, le livre du docteur Gubler, le médecin de François Mitterrand, avant de tomber dans une histoire de moeurs qui le renvoie aux assises. Il a souvent raté sa sortie.
En prison, par sa prestance, son éducation, il conserve le statut social qu’il a perdu à l’extérieur. Pour préparer sa libération, il va voir Emmaüs. Pour chercher un logement, il doit trouver un travail à 56 ans. Il devrait sortir au premier semestre 2009. François Korber n’a plus que quelques mois de détention à accomplir. Il est comme saisi d’un vertige : "Il ne me reste plus beaucoup de temps. J’ai encore tant de travail, avec tous les recours que je veux faire avant de sortir !"
Alain Salles Parcours
1952 Naissance à Paris.
1974 Publie un article sur Philippe Henriot dans "Le Monde".
1977 Entre en politique dans le sillage de Jacques Chaban-Delmas.
1982 Première incarcération pour complicité d’assassinat.
1994 Arrêt Korber de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
2008 Attaque le décret du ministère de la justice sur l’encellulement individuel.
Source Le Monde
Article paru dans l’édition du 16.01.09