J’ai l’honneur de vous écrire afin de solliciter votre attention à mon problème.
Je vous écris sur le conseil d’une assistante sociale qui m’a parlé de votre combat pour l’aide aux toxicomanes, ainsi que votre engagement visant à supprimer ce vice bien tenace qu’est l’héroïne, par des moyens de substitution.
J’ai donc décidé de vous écrire car vous représentez pour moi une planche de salut dont vous ne pouvez imaginer l’importance.
Je suis toxicomane depuis l’âge de 15 ans ; je suis âgé aujourd’hui de 30 ans.
Certes, la prison m’a préservé de maladies telle que le Sida car j’y ai passé 8 ans plein ; mais à chaque fois que je sortais, j’ai toujours replongé.
Évidemment, ma structure familiale a littéralement explosé : à cause de ce poison, je ne vois ma mère qu’une fois tous les 2 ou 3 ans. Ma fille, qui a 12 ans, je ne l’ai pas vue depuis 4 ans. Cela ne peut plus durer.
Je n’ai jamais bénéficié d’injonction thérapeutique ou d’autre procédure. J’ai été condamné à trois reprises pour usage de drogue : 6 mois fermes, puis 8 mois, dont 3 avec sursis, et 4 mois. Je ne vous parle là que des incarcérations pour des délits ayant un rapport direct avec l’usage de stupéfiants.
J’ai donc, lors de ma sortie le 8 août, décidé de prendre du Subutex® et, à mon plus grand étonnement, je n’ai pas retouché à l’héroïne. J’achetais mes Subutex® près du Centre Georges Pompidou car, à 200 FF la boite, c’était mission impossible ; alors qu’à Pompidou, je touchais la plaque à 80 FF, et je tournais à 16 mg par jour, plus 2 Rohypnol 1 mg®, plus 2 valium 10 mg®.
Comme je l’expliquais à une infirmière, être toxicomane est une véritable identité en soi ; et, pour un objet aussi familier qu’une cuillère, c’est deux visions complètement différente : pour l’un, c’est fait pour touiller un café ; pour l’autre (moi), c’est l’objet qui me permettra d’atteindre ce paradis artificiel, qui, en fait, n’existe pas.
Enfin bref, le 4 septembre, je suis retombé pour 10 mois. En fait, il m’en reste 6 à faire et je veux profiter de ce temps perdu, si précieux à mon âge, pour changer et oublier complètement l’héroïne. Cependant, je sais que c’est un combat très dur, mais que je peux gagner. Seulement, voilà : comme je n’ai pas d’ordonnance, je ne peux obtenir ce traitement tellement adapté à mon cas.
Je vous indique mon numéro de Sécurité Sociale au cas où vous prendriez en considération cette missive que je qualifierai plus, pour ma part, de lettre de la dernière chance.
Il faut, et je vous en supplie, que vous me sortiez de cet enfer ; car, même ici, pour pallier ce mal de vivre, je prends un peu n’importe quoi, comme Rivotril®, Largactil®, Noctran 10®, Tercian®, etc ; et bien sûr, tous ces produits se négocient au cours des promenades sous forme de troc...
Cher Docteur : dans l’attente de votre réponse, qui, j’espère me sera favorable, je vous prie de croire en l’assurance de mes sentiments les plus sincères.
Cordialement.
Le 6 octobre 1997
Signé : R.
P-S- Je transmets votre numéro de téléphone à ma mère qui va vous contacter afin de pouvoir vous rencontrer, et j’espère que vous pourrez la réconforter et lui expliquer qu’il vaut mieux mettre sous sa langue 2 cachets plutôt que d’aller s’enfoncer des aiguilles dans les veines en prenant le risque de choper le Sida.
Merci de votre compréhension, et je vous serais reconnaissant de bien vouloir prendre la peine de me répondre, même si c’est négatif, afin que je tente ma chance auprès d’un autre docteur. Quelle que soit votre réponse, je vous suis reconnaissant rien que pour avoir bien voulu me lire.
Sylvain & Christian joignable par mail : positifs@positifs.org
Source : http://www.souverains.qc.ca/laprison/e8.htm